Tigrou et chatounette

Musique

Aäron regarda Lana s’éloigner vers le labyrinthe avec son partenaire. À Seaghdha, il avait attendu que le professeur qu’elle était censé appeler arrivât mais personne n’était jamais venu. Finalement, il avait nettoyé le sang étalé dans la salle de bain et était parti à son tour. Les gens n’étaient décidément pas fiables. Il le savait déjà. Elle avait dû croiser un garçon durant sa mission et en oublier l’existence même de celle-ci. Il détestait les autres. Ils disaient des choses qu’ils ne pensaient pas, racontaient n’importe quoi sur les autres en faisant mine de ne pas participer à cette mascarade, étaient hypocrites, reprochaient à d’autres de l’être, étaient susceptibles et prenaient chaque mot comme une attaque personnelle. Ça le soûlait et, généralement, quand quelque chose le soûlait, elle finissait par l’indifférer. Il soupira et s’avança. Il s’était laissé convaincre de participer mais il s’était forcé à venir. Déjà, lorsqu’il avait accepté, il avait senti une gêne. Puis la gêne s’était intensifiée au fur et à mesure. Le matin-même, une boule s’était créée dans son ventre et la boule était devenue boulet. Il était finalement venu mais au prix d’un énorme effort. Il aurait préféré rester dans sa chambre, dans son lit, à lire Le vieux Roi ou L’assassinat d’Estheban Ducan tout en écoutant sa musique préférée.

Il s’approcha d’une fille bien trop colorée pour lui. Cheveux bicolores rose et bleu pastel, pull vert clair et boucle d’oreille en forme de sucre d’orge, elle ne tarda pas à poser ses grands yeux noisette sur lui. « Salut ! C’est quoi ton petit prénom ? Oh et ton nom aussi s’il te plaît ! » « Aäron Taiji. » Elle chercha dans son formulaire. « Owiii Aäron Taiji ! T’es notre petit tigrou ! » Dans la tête de l’étudiant, des points de suspension prirent la place de son cerveau. Était-ce une forme de torture ? « Tu es avec Blu ! Ce sera notre petite chatounette ! Tu verras, elle est super sympa ! » La fille en question n’en avait aucune idée mais elle préférait toujours voir le bon côté des choses.

Quand Aäron fut à côté de sa partenaire, il pointa son index sur elle. « Tu t’appelles Blu et t’es super sympa, c’est ça ? » Il ne savait pas trop quoi lui dire. Ses doigts vinrent trifouiller la pointe de son oreille. « J’ai déjà été dans ce genre de labyrinthes. » Enfin, ceux de son père étaient plus réalistes. Parfois, il y avait de vrais cadavres et de vrais pièges. « Il vaudrait mieux établir une stratégie dès le début si on veut en sortir vivants. » fit-il, parfaitement sérieux. Combien de fois avait-il eu le bras cassé à cause d’une mauvaise préparation ? Le truc c’est qu’il avait toujours été mauvais pour réussir les énigmes et les défis de son géniteur. « On peut se servir des pyjamas comme arme sinon… et les mettre à la fin. » Vu la matière, ils feraient de très mauvaises armes.

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Tigrou et chatounette

Musique

Aäron prit quelques secondes avant de dévoiler son identité. C’était une question basique mais il n’avait pas vraiment prévu qu’elle la lui posât. Généralement, il se tenait un peu éloigné des autres ; pas par timidité mais parce qu’il préférait être seul et que leur bonheur – basé sur des choses qui lui paraissaient débiles – le rebutait. Il avait l’impression d’assister à un théâtre tragique où les acteurs jouaient sans cesse le même jeu et où personne ne semblait être réellement éveillé. « Aäron. » fit-il enfin, avec la peur d’être un jour aspiré par la même comédie qu’il critiquait. « On ne sait jamais. » Il haussa les épaules. Parfois, il soupçonnait son père d’être à l’origine de Basphel. Pas en tant qu’école, mais en tant que mise en scène. Comme il n’avait jamais quitté son île auparavant – et parce qu’il savait que son géniteur était particulièrement ingénieux, magiquement implacable et riche – cette théorie lui paraissait tout à fait possible. Peut-être que s’il avait l’impression de vivre dans un théâtre, c’était parce que tout ce qui l’entourait été fictif, construit pour lui afin de le tester une énième fois. Un énième test qu’il échouerait. Il fixa le pyjama. « On pourrait étrangler des assaillants avec… ou euh… oui comme ça… la matière a l’avantage d’être épaisse au moins. » Épaisse et douce mais il n’allait pas le dire à voix haute. « Dans le pire des cas, on a nos pieds, nos poings et nos dents. » Parfois, hurler aidait aussi à faire fuir certaines créatures.

Lorsqu’elle parla de la technique de la main, un petit sourire ourla les lèvres de l’Alfar. Il se transforma en grimace quand il se rappela la finalité du parcours dans le labyrinthe en question. « Je sais que ça ne marche pas ça. » Il avait essayé. Son père l’avait traité de bougre d’âne lorsqu’il était allé le chercher, complètement déshydraté. Si le labyrinthe n’était pas construit de manière continue mais comportait des îlots indépendants du reste, et que la main se posait sur l’un d’eux, la technique condamnait l’exécutant à revenir sur ses pas éternellement. Il l’avait appris à ses dépens. « On euh… oui... on peut y aller au talent. » Il avait occulté la question de savoir s’il connaissait un truc. La vérité c’est qu’il n’avait jamais résolu aucun des labyrinthe de son père et qu’il s’était toujours évanoui, soit de peur, soit de soif, soit de douleur.

Dans le dédale, son cœur battait frénétiquement. Il se rapprocha de Blu et lui donna un petit coup de coude pour attirer son attention, au cas où elle eût oublié sa présence. « Ce qu’on va faire c’est que je vais mettre mon pyjama et que tu vas monter la garde. S’il y a quoi que ce soit qui vient, il faudra que tu l’attaques. On fera l’inverse ensuite. » Il aurait bien aimé avoir quelqu’un pour partager les épreuves de son père avec lui. Ils allaient renoncer à leur arme mais, au moins, le tissu ferait une bonne protection contre les coups. « Reste bien près de moi, d’accord ? » Il se déshabilla aussi vite qu’il le put afin d’enfiler la combinaison. « C’est pas pratique pour aller aux toilettes par contre… si on reste des jours enfermés faudra bien se relayer pour faire nos besoins… ce sont de grands moments de vulnérabilité. » Il prenait peut-être les choses un peu trop à cœur.

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