Les Portes - V | Flash avec Adénaïs

Le soleil cuisait Merlin sur sa selle, en ce bel après-midi d'été. Ce n'était pas le meilleur moment d'aller à la chasse. La viande allait vite tourner, par cette chaleur. Mais ce dernier ne manquait pas une seule occasion de s'adonner à son passe-temps favori, même pour une courte session. Derrière lui, ses deux gardes faiblissaient sous leur armure. Lui aussi, sentait que sa peau se collait au tissu sur ses cuisses et ses bras. Une forte odeur de transpiration commençait à émaner de son habit. Son odeur se mêlait à celle des cadavres, attachés sur le long de la croupe de son étalon. Le mélange d'effluves faisait bondir son cœur et enhardissait l'esprit du chasseur. Le groupe revenait vers le château avec son butin. Les chiens continuaient à arpenter les environs et à renifler la terre à la recherche de traces de gibier, mais l'esprit de Merlin était déjà ailleurs.

Il se tourna vers Adénaïs. Le brun lui ordonnait souvent de l'accompagner à la chasse. Sa courtisane n'appréciait guère cette activité, mais cela ne faisait que renforcer la satisfaction du Roi de Lieugro de l'avoir à ses côtés. Il l'avait observée, quand elle le regardait abattre ses proies, animales ou humaines. Elle était douée pour masquer son dégoût, mais il savait discerner de mieux en mieux les signes discrets qui trahissaient ses émotions. Parfois, il discernait le même dégoût sur son visage que quand elle le regardait, lui. Merlin connaissait l'étendue de la haine qu'elle lui vouait : après tout, il avait poignardé son fils. C'était pour cela, et pour ses talents de prostituée, qu'il l'avait assignée au Palais, avec lui.

Elle était devenue sa proie favorite. Merlin était un prédateur, il trouvait son bonheur dans la soumission du monde à sa volonté. Adénaïs luttait contre chaque fibre de son être pour lui obéir, et c'est ce qui la rendait aussi délicieuse. Au fil des mois, il avait appris à la connaître et accordait aussi de la valeur à ses conseils, plus qu'il ne l'avouerait jamais. En comparaison, la soumission était obtenue trop facilement de la plupart des nobles qui restaient à la Cour. Ils se contentaient de cacher leurs rebellions sous une couche de flatterie, à comploter dans des coins sombres où ils pensaient être à l'abri de ses oreilles.

Mais Merlin était partout : dans les terres D'Uobmab naissaient les meilleurs guerriers, mais aussi les meilleurs espions. Le brun possédait la Couronne, et cela faisait de lui l'homme le plus admiré, mais aussi craint et jalousé du peuple conquis. Les frontières étaient bien gardées, autant de sa chambre que de son territoire. « Alors, comment se portent donc tes enfants ? » S'enquit Merlin en se tournant vers Adénaïs, sans réellement se préoccuper de la réponse.

Il avait évidemment assisté au mariage entre Elzibert et Yvonelle, en y apportant même quelques traditions de la culture sacrée D'Uobmab —dont un duel qui s'était conclu en bain de sang. Cela avait rendu la cérémonie supportable au milieu des douceurs molles propres à leur peuple. Mais ce ne serait rien comparé au sien. C'était le sujet de son propre mariage qu'il comptait amener dans la conversation, sous couvert d'une rare politesse. « Chaque jour te rend plus proche des D'Uobmab, toi et ta famille. J'en suis ravi », poursuivit-il en faisant référence au lien qui unissait les mariés, un sourire narquois s'étirant sur ses lèvres.

Leur union scandaleuse avait pendu aux lèvres de toute la Cour pendant quelques jours ; une distraction qui avait offert un répit bienvenu au Prince acculé. Il avait déjà déjoué plusieurs complots contre sa personne, certains bien ficelés, d'autres plus grossiers. Heureusement, c'était dans le sang des D'Uobmab de mater l'opposition, et il était bien épaulé par les alliés loyaux à son père. C'était aussi ce qui les rendait particulièrement dangereux. La Royauté était une chose. Le pouvoir en était une autre, et il commençait enfin à le comprendre.

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La voix d'Adénaïs était à la fois douce et amère. Le sourire de Merlin s'élargit. Leur dynamique était simple : plus son humeur était mauvaise, meilleure était la sienne. « Mhmh », se contenta-t-il de répondre distraitement, son regard parcourant librement son corps qui ondulait au pas du cheval. La chasse avait tendance à ouvrir son appétit. Il guettait sa réponse, cherchant le faux pas. Mais Adénaïs parvint à rester à peu près cordiale. Il était pourtant si facile de la pousser dans ses retranchements en mentionnant ses enfants...

Il se souvint de leur première fois et son coeur s'accéléra un peu plus. Il lui avait raconté en détails comment il avait poignardé Déodatus. Comment son regard était plein de surprise et d'incrédulité. Personne n'attendait le coup de la mort. Il s'était assuré que la femme ne puisse jamais oublier ce moment à la fois terrible et délicieux. Son orgasme lui avait secoué les entrailles tant il avait été puissant. Distrait par ces souvenirs, Merlin secoua la tête pour les chasser et laissa un rire s'échapper de ses lèvres quand elle mentionna sa conscience.

« Une conscience ? Oh, douce Adénaïs. » Il lui parlait comme à un enfant qui ne comprenait pas le sens d'un mot simple. Elle savait aussi bien que lui qu'il n'en avait pas. « La conscience est une boussole pour les faibles qui ne comprennent pas comment chercher en eux-mêmes ce qui est juste. » Une boussole façonnée par les prêtres pour ramener vers eux les moutons égarés, poursuivit-il mentalement. Merlin était ni un mouton, ni un homme de foi. « La première marche vers mon triomphe a été franchie quand j'ai ignoré ma conscience, tu sais. » Il faisait référence au secret qui avait valu la mort de Déodatus et sourit encore. Son ton devenait plus condescendant à chaque phrase prononcée, espérant la faire craquer. En même temps, le brun observait ses réactions silencieuses et s'en délectait.

« Mais non... je me soucie de ta progéniture, bien évidemment, ma chère Adénaïs. Comment peux-tu en douter ? » S'enquit-il avec un air faussement vexé. En même temps, il étira ses rênes vers elle, dirigeant son étalon plus près de la blonde, jusqu'à ce que leurs jambes se frôlent. Il sentait la chaleur émaner de sa peau à travers sa robe. « Après tout, tes enfants ne vivent que parce que je les y autorise. Je suis un Roi miséricordieux », se vanta-t-il, ne manquant jamais une occasion de rappeler son statut. C'était aussi une façon de lui rappeler qu'il avait le pouvoir de vie ou de mort sur ces derniers, et que leur sort dépendait de la docilité de son jouet. « Tu sais, Adénaïs, je suis ton meilleur allié aujourd'hui. » C'était vrai : tant qu'elle restait bien sage à ses côtés, rien ne lui arriverait, à elle où à ses enfants, qu'il surveillait de près.

Le Roi avait soufflé cette dernière phrase en se rapprochant de la cavalière. Il pouvait sentir sa transpiration perler sous sa couche de parfum. L'odeur lui rappelait celle qui émanait de son corps nu après le sexe. Son souffle devenait court. Il allait la prendre, là, maintenant. Le brun posa sa main sur la hanche d'Adénaïs pour la rapprocher de lui, se préparant à l'embrasser. Elle était à lui. Sa captive, corps et âme. Quand et comment il voulait. Mais soudain, il fut interrompu par les aboiements des chiens : ils avaient retrouvé la trace d'un animal. Merlin changea de cible. « Suis-moi », lui lança-t-il en se retournant soudainement, une idée derrière la tête. Il lança son étalon au trot et prépara son arc.

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