Viens pèlerin, t’enorgueillir de mon trépas !

Le temps était doux et le ciel d’une clarté presque éblouissante qui appelaient les plus vertueux des pèlerins à s’aventurer sur les montagnes de la Jēnne. Lorsqu’ils eurent pris de la hauteur à travers les monts, l’air y était divinement frais. Certains frissonnèrent, là où les plus aguerris optèrent pour une cape épaisse supplémentaire. La nuit, les pleurs. Le jour, les cris. Face à la nuit, le désespoir. Face au soleil, la colère. Un coup de pied dans le sol, la lassitude. Un coup de poing dans la roche, l’impatience.  Dans le sillage du vent, insultes et peines se mélangeaient au loin, emportées sans aucune prise de considération. La saison se voulait meilleure pour le pèlerinage et bon nombre de marcheurs empruntaient à présent les chemins tortueux des Montagnes de la Jēnne. Le crissement de leur semelles usées sur la terre rocailleuses et leurs prières murmurées inlassablement ricochaient sur les parois rocheuses, étouffant une peine inaudible.

Le vent soufflait.
Le temps passait.
Le temps semblait s’être pris dans une boucle temporelle. Le jour se levait, inlassable et la nuit tombait, imperturbable. Chaque journée paraissait identique, interminable et surtout monotone. N’ayant aucune emprise sur son espace, l’Ombre s’était résignée de son sort. Les heures, les jours, les saisons, rien n’avait plus vraiment d’importance et le temps lui semblait soudainement bien futile. A un point tel qu’elle avait fini pas ne plus compter le temps écoulé. Elle ne cherchait même plus à se faire entendre, elle avait trop crié en vain pour continuer à croire en ce fol espoir qu’un jour on l’entendrait. De toute façon, le passage s’était plus espacé pour s’estompe progressivement, probablement à cause du mauvais temps. A la venue des beaux jours, des pèlerins reviendront. Surement. Ils n’auront pas conscience de sa présence. Comme toujours.

Aussi, les bruits de pas n’attirèrent pas son attention dans l’immédiate. C’était devenue une habitude cyclique.  CRITCH-CRITCH. Des pas un peu trop lourds. Des gravillons qui s’écroulent. Elle ne leva même pas la tête, préférant se terrer dans le noir à broyer sa peine en solidaire. Les pas se firent plus hésitant, signe d’une pente un peu trop raide. Quelques voix furent murmurées. Etrangement calme. Un échange courtois. Une aide fut proposée pour faire appuis pour assurer la descendre d’un autre. L’Ombre ne leva pas les yeux, mais râla quelque peu dans ses bras fermés où elle avait enfui sa tête pour pleurer au calme. Les voix se rapprochèrent, puis il eu un long silence. Aaliah fut rassurée. Comme à chaque fois, les voyageurs et voyageuses en quête de spiritualité en gravissant les montagnes terminèrent leur traversée en s’éloignant, sans l’apercevoir. Un jour comme tant d’autre avenir. Ou presque…

Le silence avait laissé place à des murmures, ressemblant étrangement une prière, mais dans une langue qu’elle peinait à comprendre, faute d’attention. Son visage à peine levé fit face à celui d’un inconnu. L’Ombre fut surprise. Trop pour comprendre ce qui se passait exactement. L’homme la regarda avec une expression mitigée, entre mépris et affliction. Elle su en cet instant que cet homme la voyait. Il hocha la tête en signe de dépits, mais ne prononça pas le moindre mot. Aussi, elle se crut un instant victime d’un cauchemar, mais son regard capta enfin la scène qui se déroulait non loin d’elle. Des pèlerins s’étaient aventurés jusqu’au lieu de son trépas et avait retrouvé les restes de son corps. Le silence et la prière était pour le repos de son âme. Elle se redressa d’un bond en constatant qu’ils emportaient avec eux ses ossements. Malgré sa nature éthérée, elle sentit un frisson lui parcourir l’échine. Même si elle refusait depuis un temps indéterminable de poser son regard sur ce que son corps était devenu, Aaliah avait l’impression qu’elle souffrait d’un manque. Là où elle avait tant reposée dans l’oubli, il y avait désormais un vide. Un vide effrayant. D’autant plus qu’elle se savait bloqué en ce lieu. Pourtant, une voix lui ordonna de suivre la petite troupe. Elle ne discuta pas et se précipita à la suite des hommes qui avaient repris la marche.

Elle ne quitta pas du regard le voile blanc qui avait servi à recueillir ses restes et qui dansait entre deux hommes qui le tenait fermement avec un étonnant respect pour ce qu’il renfermait. Aaliah s’attendait à tout moment de revoir la grotte où elle avait temps pleurer et le lieu de son mort, vidé de son corps. Mais il n’en fut rien. Au bout d’une longue marche dont elle n’avait même pas conscience de la durée, la troupe s’arrêta. Il y avait une vaste plaine, des fleurs et quelques cabanons investis par des pèlerins. La jeune femme se retourna alors et constata que la montagne était loin derrière elle. Pour la première fois, elle avait su voir d’autre horizon. Elle fut prise de vertige devant tant de liberté. Allait-elle durée ? N’allait pas d’un bond revenir au bord de sa falaise ? Elle hésita à faire un pas de plus, regardant autour d’elle. Personne ne semblait la voir.

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