Maladies, théâtre et trépas

Objectif : Corriger les changements opérés par Chaim, le chef des bannis du temps.

Ils discutaient avec véhémence, encore abasourdis par les dernières interventions des parias et des damnés du temps. « C’est … Inconcevable. » murmura une voix éraillée. « Ce n’est qu’un regrettable incident, qui sera rapidement rectifié. » s’interposa tranquillement une autre, douce et basse. Ils se mirent à approuver, à grand renfort de murmures approbateurs et de grognements satisfaits. « Tout de même … Cet individu est une véritable plaie. » Ils eurent au moins le mérite de me faire sourire. Ils faisaient preuve d’élégance et de courtoisie, avec un discours assez serein et définitivement pondéré. Pourtant, la situation était plutôt alarmante et quelques jurons auraient été les bienvenus. Pour ma part, je me sentais prêt à cracher les injures au rythme entêtant des martèlements qui cognait les tréfonds de ma pauvre caboche. Je retenais la majorité des outrages qui me passait par la tête, mais certaines ignominies parvenaient tout de même à franchir le seuil de mes lèvres. Mes migraines étaient effroyables. La douleur, à peine supportable. Il m’était impossible d’endurer, encore moins d’oublier. Alors … Je me contentais de noyer mes tourments. Une fois n’est pas coutume, c’est auprès de la plus possessive - mais aussi la moins aimable - des maîtresses que je me réfugiais. Ma tasse n’avait pas le temps de s’imprégner du bouquet d’une bouteille : aussitôt remplie, aussitôt vidée. A mes pieds, c’était presque un cimetière improvisé de flasques débouchonnées. Mon attitude n’était pas vraiment remarquable. Peu m’importait. Il fallait que je subisse les torsions du Temps : je n’allais pas le faire sans broncher. Encore moins sobre. Mon regard était perdu, figé dans le tourbillon du fond de mon verre. Mon allure devait être déplorable. Le Roi, ivre mort avant l’heure du petit-déjeuner, affalé sur le fauteuil de son bureau, avec la tête de celui qui vient de comprendre le sens de l’existence mais qui va l’oublier en clignant des yeux. Heureusement que je ne me préoccupais pas de ma réputation, sinon j’aurais été franchement gêné. A défaut, je méditais. A quel propos ? Je n’étais pas vraiment certain. Une histoire de carotte râpée. « Tout sera bientôt rétabli. Selon le Grand Plan. » Je finis par relever distraitement les yeux. Je n’avais pas écouté un traître mot de la conversation. Pour ce que ça m’intéressait … « Maudits Bannis ! » s’exclama un jeune homme. « Ils feraient mieux de nous laisser oeuvrer pour le Bien, au lieu de nous importuner avec leurs idées impies. » Cette remarque me fit hausser un sourcil. « Pour le Bien ? » répétai-je, sans me soucier de mon timbre enroué et rauque. « Le Bien ... » Je secouai la tête, presque médusée. C’était un stagiaire, ce type ? Je me mis à ricaner, avec un sourire froid et mesquin aux lèvres. « Parce que … Vous avez l’impression que ce qu’on s’apprête à faire, c’est bien ? » - « Ce que je veux dire, c’est que … Les Grands Desseins … Enfin, c’est pour ... » - « Laissez ces considérations aux autres peuples. Je vous saurais gré de ne pas nous bassiner avec de telles inepties. » Wahou. Pour un type torché, je m’impressionnais. Je devais avoir encore un peu de marge avant de sombrer dans mes lubies les moins avouables. Il fallait que je me lève. Je fis en sorte de déplier ma grande carcasse, tant bien que mal. Sans trop tituber. Raté. « Enfin … Je suppose que c’est tout à fait le genre de conneries qu’on se répète devant le miroir, en boucle, pour pas se foutre en l’air. Nos ancêtres étaient presque dépourvus de sentiments. On ne se demande pas pourquoi. » Hop, un verre de plus au fond du gosier. L’absinthe me tira tout juste une minuscule grimace. L’aisance que donne l’habitude … « Ce n’est pas grave. Bercez-vous avec de belles histoires. De jolis contes où nous sommes les héros, devant affronter les vilains monstres qui veulent nous manger. » Je ne prétendais plus agir pour la bonne cause. Plus depuis longtemps. C’était … juste une cause. Chaim défendait autre chose. C’était tout. Je n’avais pas plus raison que lui. « Quoi qu’il en soit … Je vais m’occuper personnellement de cette histoire. » - « Ce n’est pas très prudent, Altesse. » - « Fin de la discussion. » Il n’était pas question de risquer qu’ils croisent la route de Chaim. Ils ne savaient pas tout, à son sujet. A vrai dire, je ne tenais pas particulièrement à ce qu’ils apprennent certaines informations. Cela valait mieux pour tout le monde. Surtout pour moi.

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