Alma Merisi

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Intrigue/Objectif : Ssyi'hæ survit à ses premiers jours comme esclave des Merisi

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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]La nausée franchit en premier la muraille de mon inconscience. Je découvrirai plus tard que consommer du lait de pavot le ventre vide ne réussissait pas à mon estomac. Toutefois, c'était autre chose qui m'avait tirée du sommeil de plomb dans lequel j'avais temporairement déchargé toutes mes angoisses. Une secousse brutale déclencha des éclairs de douleur sur mon cuir chevelu. J'ouvris grand les yeux et mon cri fut recouvert par une paume plaquée sur ma bouche et mon nez. « Ah ça y est, tu es enfin réveillée. J'ai cru un moment que tu étais déjà morte. » Si j'en jugeais les vagues de souffrance sur ma tête, il devait tirer sur mes cheveux depuis un moment déjà. Il qui ? Mes frères n'auraient jamais levé la main sur moi. Nous n'étions pas joueurs dans ma famille, ni inutilement agressifs. Je sentais les effluves malveillantes de mon agresseur s'infiltrer dans mes narines et la peur pénétra mes pores. Des larmes brouillèrent ma cornée pour rouler librement sur mes joues. Dans l'obscurité partielle de ma chambre, je ne pouvais que discerner les contours indécis de sa silhouette et, sur le moment, je ne sus même pas où je me trouvais. La drogue avait profondément altéré ma psyché et je n'arrivais pas à démêler l'écheveau de mes souvenirs. « Le bruit court que la nouvelle Alma venait d'arriver. Je devais venir la saluer, naturellement. Bienvenue ma petite Alma. » L'inconnu me l'avait soufflé contre l'oreille, ses lèvres sur le cartilage, et sa respiration désagréablement chaude me figea en statue de pierre. J'en arrêtai même net de pleurer. J'exécrai la proximité et les contacts en tout genre, ils me donnait envie de vomir ou de devenir violente. À cet instant, je tendais plutôt vers la deuxième solution. Puis autre chose me frappa. Alma. La compréhension gagnait du terrain sur ma confusion à mesure que mon esprit s'éclaircissait. Je me souvenais vaguement du cagibi qui me faisait office de chambre. Minuscule pièce rectangulaire munie du long coffre qui me ferait office de lit et sur lequel avaient été jetés une paillasse fine en toile et une couverture en laine trouée. Abrutie de fatigue, les membres lourds, je n'avais pas moufté et avais trouvé le sommeil sitôt la joue posée sur le rebord en bois qui devrait me servir d'oreiller.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]L'inconnu retira sa main. Un instant plus tard, une boule de feu jaillissait du néant et lévita au plafond. Je découvris l'intrus. Il paraissait plus âgé que moi, même s'il était évident qu'il n'était pas encore un adulte. Ses cheveux luisaient comme des grenats sous le nouvel éclairage mais c'est la lueur dans ses iris qui attirait l'attention. Un magnétisme malsain et enfantin. Je notai l'épais trait noir habillant son regard. Curieux. « Tu ne ressembles pas à l'ancienne Alma. » lâcha-t-il d'un ton neutre après m'avoir étudiée un certain temps. Rendue mal à l'aise par cette inspection, je parvins à articuler avec un fort accent. « Mauvaiss chosse ? » « Comment ? » Je jugeai préférable de ne pas me répéter, renonçant à me faire comprendre. J'avais un peu envie d'uriner. « Tu ne me réponds pas ? » Le temps que je cligne des yeux, un trait de feu sillonna sur ma pommette, si vite que je n'eus pas le loisir de glapir de surprise. Je sentis une goutte rouler le long de la plaie pratiquée par le couteau qu'il tenait entre ses doigts. Il avait l'air content de lui. Quant à moi, j'étais tétanisée. Je sentais ma vessie sur le point de rompre. « L'autre était une sale Humaine. Je les déteste, avec leur anti-magie. Des putains d'abominations, voilà ce que c'est. Elle avait la peau mate, marron sale comme de la terre. Et si insolente. Elle me jugeait sans cesse avec ses grands yeux noirs hautains. Alors, c'est eux que je lui ai enlevés en premier. Je te les offre, en cadeau de bienvenue. Ça me paraît approprié que tu possèdes quelque chose de ta prédécesseur. » Il gloussa et fourra deux petites boules visqueuses dans ma main. Je blêmis. « Si tu es gentille, je t'offrirai d'autres trucs qui lui appartenaient, ou pour être plus juste, qui nous appartenaient. On ne nourrit pas bien les esclaves ici, alors je demanderai à ce qu'on ajoute des parties de son corps à ton repas. Tu devrais me remercier. » Mes lèvres s'agitèrent mais je me découvris incapable d'articuler le moindre son. Il ne s'en formalisa pas. « En parlant de repas. Il paraît que tu ne te nourris pas ? J'ai entendu Mère le dire à Père. Ça ne va pas du tout ça. Il faut que tu aies de l'énergie, je ne veux pas me traîner un poids mort en mission. C'est important que je réussisse. Regarde, je t'ai ramené un autre petit cadeau pour t'aider. Ouvre la bouche. » Il n'attendit pas que je m'exécute et força entre mes lèvres une sorte de tube ou de tuyau souple. La panique me reprit d'un coup et dès que je commençai à m'agiter, il s'installa à califourchon sur moi pour étouffer la naissance de ma rébellion. Il riait mais c'est la colère qui maquillait ses traits. « Sois obéissante, Alma. C'est tout ce qu'on te demande. » Mon corps tressauta violemment sous le sien et je me mis de nouveau à pleurer, à moitié étouffée par le tube qu'il enfonçait dans ma gorge. Un liquide froid et grumeleux envahit ma bouche et ma trachée et je sus que j'allais mourir.

Message I | 961 mots

Alma Merisi

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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]J'étais debout face au bureau, mains jointes dans mon dos. Durant la matinée, on m'avait montré les cuisines où je prendrai mes repas - cette simple pensée me soulevait l'estomac - puis les bains où je m'étais longuement frottée jusqu'à m'en irriter la peau. Ma gorge me brûlait et je sentais mon repas forcé flotter au creux de mon ventre. J'avais essayé de vomir après son départ mais n'avait réussi qu'à me faire pleurer un peu plus. J'avais ensuite revêtu une longue tunique couleur ivoire dont les manches s'arrêtaient aux coudes, et des mules souples déjà usées au talon. Sans doute un autre cadeau récupéré de l'ancienne Alma. Mes pieds se recroquevillèrent à l'intérieur et un frisson me traversa.

« Alors tu as déjà rencontré Achilas. » La petite brute cruelle du réveil, devinai-je, sans toutefois savoir comment lui l'avait deviné. Après qu'il soit parti, j'avais constaté que je m'étais urinée dessus. J'avais essayé d'essuyer ma paillasse autant que possible mais l'odeur s'y cramponnait. Estimant qu'on ne m'avait pas posé de question, j'estimai qu'il n'était pas risqué de ne pas répondre et je gardai les yeux baissés. L'homme soupira et croisa ses mains sur son sternum. « Il n'est pas facile à vivre. Il a grandi ici, à Alès. Bien sûr, il y a d'autres enfants ici mais il faut comprendre que cet endroit est un peu particulier. Nous ne nous sommes même pas véritablement présentés hier. Je suis Tarsile Merisi, ton maître. La femme un peu grincheuse est Theodula, mon épouse. Elle non plus, tu ne veux pas l'irriter. D'ailleurs, il est préférable que tu n'irrites personne ici, pour ton propre bien, et parce que si tu deviens trop esquintée, je devrais acheter encore une esclave et Theodula va encore m'ennuyer avec ses chiffres. Et enfin, Achilas est notre unique enfant. »

Un silence s'installa, que je ne cherchai pas à rompre. J'essayai de réfléchir à ce que j'entendais pour donner un sens à ce que ma vie était devenue. Au bout d'un moment, je levai les yeux sur Tarsile et fut attirée par la chevalière ornant son index. La pierre rouge qui la surmontait me rappelait désagréablement les pupilles grenat d'Achilas et je fus prise d'un frisson en détournant le regard. « Je m'appelle Ssyi... » « Alma. C'est ton nom désormais. Ne cherche pas à négocier sur ce point. Je ne me fatigue pas à apprendre à connaître chaque esclave, j'ai connu d'innombrables Alma, ils ne font jamais long feu entre ces murs malheureusement. Ce n'est pas toujours par manque d'intellect, la vie est juste un peu difficile. Tu verras qu'on préfère courtiser la mort et la souffrance ici. Et peu m'importe de savoir d'où tu viens. Tu ferais mieux de l'oublier toi aussi. Bien, maintenant, je devrais peut-être t'expliquer un peu tes tâches. Assieds-toi. » Il désigna la chaise face à lui et lui-même se leva pour ouvrir une armoire dans son dos. J'obéis et le regardai verser quelques gouttes d'un flacon dans une tasse remplie d'eau. « Bois ceci. J'en ai mis juste assez pour te détendre, mais pas suffisamment pour t'endormir. Parfois, la peur étouffe la compréhension, or je veux que tu écoutes bien ce que j'ai à te dire. Je n'aime pas me répéter. »

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]« Ss'est quoi ? » « Qu'est-ce que c'est. » Je répétai docilement. Je trouvai facile de lui obéir. Il m'effrayait moins que son fils ou que sa femme. « De l'essence de pavot. De l'opium si tu préfères. Tu sais ce que c'est ? » Je secouai la tête. « Disons que ça va nous faciliter les choses à tous les deux. Fais-moi confiance. » Est-ce que j'avais seulement le choix ? Je bus sans faire de commentaire. Aussitôt, une agréable sensation de lassitude dénoua mes muscles. Mes épaules descendirent, détendues. Il laissa passer quelques secondes de silence. « Tu consacreras le matin à tes études. Je ne peux tolérer que tu ne t'exprimes pas correctement. Si je ne constate pas d'efforts de ta part, je me débarrasserai de toi. Nous sommes toujours en recherche de femmes pour notre programme de reproduction vu qu'elles ont tendance à presque toutes mourir en couches. » « D'accord. » fis-je d'un ton rêveur. Au fond de moi, je sentais que cette information aurait dû me faire réagir davantage mais je me sentais trop confortable dans mon propre corps pour en avoir seulement envie. « L'après-midi, tu suivras les instructions que je laisserai dans ta chambre. » Mon visage se chiffonna à ces mots. « Je ne ssais pas lire... Maître. » « Alors tu apprendras cela aussi. Le plus vite possible. Je vais demander à quelqu'un de t'enseigner les bases. Tu as de la chance, l'Ordre possède de nombreuses personnes ayant un talent inné en pédagogie. » « D'accord, Maître. » Je m'adaptais extraordinairement facilement à ma nouvelle fonction. Je me demandais vaguement ce que ma famille en aurait pensé. Sans doute rien, sinon que j'étais une idiote qui jouait de malchance.

« Notre Ordre a instruit une mission à Achilas. Il doit partir d'ici quelques semaines et tu l'accompagneras. Vous ne serez pas seuls, mais je ne fais pas confiance aux autres. Ton rôle sera de t'assurer qu'aucun couteau ne vienne se planter dans le dos de mon fils pendant qu'il est occupé. Tu devras espionner les autres, et le défendre, avec ta vie s'il le faut, si vos compagnons cherchent à lui nuire. » « D'accord, Maître. » J'eus une petite hésitation. « Quoi misssion ? » « Quelle est la mission ? Cela ne te regarde pas. Moins tu en sais, mieux c'est. Tout ce que tu dois savoir, c'est que tu dois apprendre à lire, écrire et parler, et nous obéir à nous trois. » « Pas uniquement nous trois, non. » La voix de Theodula s'était élevée dans mon dos.

Message II | 1025 mots

Alma Merisi

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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Tarsile fronça les sourcils et son regard se déporta par dessus mon épaule. « Comment ça ? » « Tu n'as pas lu le contrat ? » Theodula s'avança et commença à ranger des rouleaux sur des étagères. « Tu sais, moi, la paperasse... » « Je le sais. Eh bien sache que l'Ordre nous prête de l'or dernièrement, sous certaines conditions, tu t'en doutes, dont celle d'ajouter aux contrats d'acquisition d'esclave que ces derniers soient aussi à leur service s'ils devaient en faire la demande. » Tarsile se raidit sur son fauteuil et je vis les veines de ses mains saillir. « Vraiment ? » « Vraiment. » « Et tu n'as pas jugé bon de m'en parler ? » « Tu as tendance à avoir les oreilles bouchées dès que je commence à parler administration. » ironisa-t-elle. « Theodula. » Même droguée, je ressentis la froideur de son ton se frayer un chemin jusqu'à moi. Je perdis mon sourire serein et m'agitai sur ma chaise. La Sorcière, elle, soutint le regard de son époux. Elle paraissait maîtriser sa colère croissante avec beaucoup de difficultés. « Qu'est-ce que j'y peux ? L'Ordre a refusé de financer les expéditions d'Achilas à cause de ses échecs répétés. Nous avons presque tout perdu. Et je ne te parle même pas de notre réputation qui dégringole. » « Ce n'est rien. Je vais parler à certaines personnes. La situation va s'arranger. » Theodula pinça les lèvres mais se garda de répondre. Tarsile était un scientifique. Toutes ses pensées étaient concentrée sur le programme de reproduction des monstres. Le reste était détail. Il laissait son épouse s'en occuper, en plus de ses propres activités pour l'Étoile Froide. « Peu importe que l'Ordre puisse disposer d'Alma, non ? Qu'est-ce que ça change ? » « Ça change tout. » répliqua sèchement Tarsile en se pinçant l'arrête du nez. Il se releva et se versa un verre d'alcool. Sans un mot, il remplit un second verre qu'il tendit à sa femme. Elle l'accepta mais ne but pas. « Ils peuvent agir sur nous à travers elle. » Elle haussa un sourcil et baissa les yeux sur moi. Je lui rendis un regard vide. J'avais oublié que je devais me faire invisible le plus possible en gardant les yeux baissés. « Elle ? » Elle eut un petit sourire condescendant qui trouva un écho plus aimable sur mon visage. Je la trouvais belle lorsqu'elle souriait, moins sévère. « Parfaitement, oui. » « Mais regarde-la. Un moucheron pourrait l'écraser. » « Tu as toujours sous-estimé les petites gens, Theodula. C'est pourtant les petits cailloux qui déclenchent parfois des avalanches. » « Qu'est-ce que tu crains, exactement ? » « Plus tard. Quand nous serons seuls. Maintenant, nous n'avons plus de garantie qu'elle n'ira pas tout répéter à l'Ordre. » Elle ne paraissait toujours pas convaincue du danger que je représentais. Personnellement, je ne comprenais rien à ce qu'ils disaient. Leurs mots et leurs réflexions étaient hors de ma portée linguistique et intellectuelle, alors je regardais plutôt les étranges artefacts disposés sur les étagères. Il y avait des sphères de différentes tailles, de toutes petites têtes noires ridées, des bocaux remplis de ce qui ressemblait à des organes et à des animaux, des fioles diverses. Je trouvais tout cela passionnant et j'avais la bouche entrouverte.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]« Tu l'as droguée ? » « Comme d'habitude avec les Alma, oui. » Theodula plissa les yeux, me jaugeant du regard. « Je ne sais pas si c'était nécessaire. Elle n'a pas l'air du type particulièrement rebelle. La magie des Mayfair leur enlève ce défaut, il faut leur reconnaître ça, ils font bien les choses. » « Détrompes-toi, c'est entièrement nécessaire. Cette petite est morte de peur. Dans son état précédent, elle aurait été incapable d'entendre et d'accepter tout ce que j'avais à lui dire. J'aimerais qu'Achilas laisse tranquille les Alma quand elles viennent d'arriver, ça ralentit le processus d'adaptation. Mais de façon générale, je préfère les rendre dépendantes à l'opium. Je trouve toujours qu'un esclave qui désire quelque chose que je peux lui offrir est mille fois plus serviable que celui qui est forcé du simple fait de sa marque. Elle mettra du cœur à l'ouvrage pour obtenir sa dose. » « Si tu le dis. Elle a déjà rencontré Achilas ? » Tarsile eut un petit sourire amusé. « Bien sûr. Il avait hâte de découvrir son nouveau jouet. » « C'est vulgaire. Il ferait mieux de se préoccuper de satisfaire l'Ordre et de réussir ses futures missions. Il pourrait y laisser la vie à force. » « Laisse-le. C'est le temps que l'énergie de la jeunesse passe. Et puis je me suis laissé entendre que son instabilité plaisait à l'Ordre. J'imagine que ça les divertit. » Theodula se raidit et son regard de faucon se fit incisif. « Mon fils n'est pas un clown. Il n'est pas éduqué pour devenir la risée de tous. » « Notre fils. Et je t'assure qu'il ne sera pas un clown. J'y veillerai. » Si Theodula eut quelques doutes à cette déclaration, elle le cacha admirablement.

Message III | 857 mots

Alma Merisi

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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Les grattements de mon stylet sur la tablette en cire molle brisaient le silence monotone du bureau. Je m'exerçais à reproduire l'alphabet et mes gribouillis commençaient à devenir lisibles. Tarsile m'avait félicitée en voyant mes progrès et j'avais essayé d'avoir l'air d'apprécier ses encouragements. Récemment, il avait réduit la ration journalière d'opium sans m'en expliquer la raison. Lui avais-je déplu ? Sans l'aide des drogues, je ne dormais plus depuis deux journées entières. Je trouvais ma paillasse trop dure pour mon dos, l'air sentait le renfermé, et quand enfin je somnolais, des cauchemars me couvraient de sueur. Je rêvai que je succombais à une immonde maladie telle que la lèpre, que des bubons enflammés tapissaient mon cou, mes aisselles et entre mes cuisses ; puis je rêvais qu'Achilas me torturait et en cela, il ne s'agissait que d'une reproduction de la réalité. Le rouquin avait tendance à vite s'ennuyer, et dans ces moments il venait toujours se divertir à mes dépens. Puis il y avait ces cris que j'entendais parfois provenant de derrière des portes verrouillées, ou des images que je découvrais dans les livres que j'utilisais pour m'exercer à la lecture et pour développer mon vocabulaire. Tarsile collectionnait les ouvrages de médecine généreux en schémas et dessins. Sa passion m'écœurait mais je commençais à m'habituer à ces représentations. Tant que je n'essayais pas d'imaginer de véritables corps humains à la place de l'encre sur le papier, je réussissais à passer outre les détails dessinés mais mon inconscient ne semblait pas être au courant de ce marché conclu entre moi et moi. J'avais besoin de me détendre, j'avais juste besoin d'un tout petit peu d'opium. La pointe de mon stylet dérapa. Prise d'un soudain accès de rage, j'envoyai le tout voler en l'air. Mes iris céladon luisaient de défi en parcourant la pièce pour s'arrêter sur l'armoire où je savais que Tarsile conservait ce qu'il me refusait. Il pouvait revenir d'un moment à l'autre. Son emploi du temps n'était pas régulier. Il pouvait s'absenter des demi-journées entières comme simplement quelques minutes. Pour lui, je n'étais qu'un élément du mobilier, or, on ne tenait pas informé ses meubles de l'heure à laquelle on revenait. Lentement, je me mis debout et tendis l'oreille. Comme rien ne venait, je m'approchai de l'armoire et trouvai sans difficulté sa réserve d'opium. Ma bouche s'assécha et je déglutis, sans succès. Juste une ou deux gouttes. Suffisamment pour oublier d'avoir peur. Et peut-être que cela permettait de tenir à distance la maladie qui me ravageait ? Cela me faisait tant de bien, j'en étais sûre. Et le Sorcier me tenait éloignée de l'antidote. Je le détestais. Ma tête se renversa en arrière et les gouttes roulèrent sur ma langue. Le double, peut-être le triple de ce que je m'étais promis de consommer. Bien plus que ce que je prenais d'ordinaire avant qu'il ne commence à me rationner. L'effet fut aussi immédiat que jouissif et je tombai à genoux, puis lentement sur le côté, les yeux révulsés et l'esprit anesthésié. Le flacon roula sur le côté et déversa son contenu au sol.

Je repris mes esprits dans le noir. Je me trouvais dans ma chambre, allongée à même le sol. De la bave séchée collait à ma joue et je sentais mauvais. Mon nez se fronça. Depuis combien de temps étais-je ici ? J'avalai ma salive avec difficulté et me relevai pour m'asseoir sur mon lit. Un goût amer tapissait ma bouche. J'avais terriblement soif. Je me levai pour quitter ma chambre mais trouvai ma porte verrouillée de l'extérieur. Je retournai m'asseoir, maussade. Puis, si soudainement que j'en fus moi-même surprise, j'éclatai en sanglots. Pour la première fois peut-être, je prenais conscience de ma situation. La forêt me manquait, la chaleur du soleil lors de mes siestes étendue nue sur les rochers, là où je ne voyais personne d'autre à des lieues à la ronde. Ici, je n'étais presque jamais seule. « Ssyi'hæ. » Je répétai mon nom dans le noir plusieurs fois jusqu'à ce que me crise passe et que je sois certaine de ne jamais oublier mon identité. Je me passais une main dans mes cheveux emmêlés. Je les perdais depuis mon arrivée ici. Je devais voir un soigneur mais je n'avais pas osé en faire la demande. J'allais mourir seule dans cette cellule, comme les autre Alma avant moi. Avec un peu de chance, je mourrai sans douleur.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Un rai de lumière filtra soudainement entre les interstices de la porte et je me tendis, les muscles crispés. L'ombre de deux pieds rompit la ligne lumineuse entre la porte et le sol et le cliquetis d'une serrure qui tournait me dressa les poils sur la nuque. Comme je m'en étais douté, Achilas se trouvait derrière la porte. Il me sourit, comme s'il était véritablement heureux de me voir. Peut-être était-ce le cas. Je me désintéressais de savoir ce qu'il pensait de moi, je souhaitais juste qu'il en termine rapidement. « Vilaine Alma. Père et Mère sont furieux. » Lui semblait s'en réjouir comme si c'était le plus beau jour de sa vie. « Pourquoi ? » Je ne me souvenais de rien. J'étudiais, puis c'était le trou noir. « Tu as fouillé dans les affaires de ton Maître. Mère est très en colère contre lui car il avait mal estimé ta dépendance, ou ton audace. Il ne pensait pas que tu chercherais à obtenir ce que tu voulais dans son dos. Il a mal évalué ton obéissance. Ils ont voulu se débarrasser de toi, et tu sais ce que ça signifie. » Être violée pour qu'un monstre grossisse dans mes entrailles et que, dans la mort, il trouve la vie. Oui, je savais. « J'ai pris ton parti. Je leur ai dit que tu avais fait de jolis efforts et que c'était ton seul faux-pas. Je t'apprécie, tu sais. J'ai hâte de partir en mission avec toi, ce sera l'occasion de mieux se découvrir. Alors, je leur ai dit que je te punirai et qu'ensuite, tout le monde oubliera ce petit incident de rien du tout. Enlève tes vêtements et allonge-toi sur le ventre. Juste le haut, pas le bas. » Je priai qu'il ne perçoive pas le soulagement que je ressentis. De tout ce qu'il avait pu me faire jusqu'à présent, le viol n'en faisait pas partie. Ce type de sévices ne semblait pas l'attirer.

Une fois installée comme il me l'avait demandé, il prit place à mes côtés, assis près de ma hanche. Je fermai les yeux et plaçai mon avant-bras à portée de mes dents. « J'ignore pourquoi, nous n'avons jamais marqué nos esclaves. Je pense que c'est une erreur. Nous devrions avoir notre marque, tu es à nous, et par extension à Rhéa Latia. Tu es une Alma prometteuse, tu mérites d'avoir une marque qui te démarque des autres, tu ne crois pas ? » « En pluss de sselle ssur ventre ? » « Ton accent est vraiment immonde à entendre. Un jour, je te couperai cette langue qui chuinte, ces bruits que tu fais sont dégoûtants. Mais pour te répondre, oui. Mais ce ne sera pas un tatouage. Mon couteau fera l'affaire. Ne bouge pas, d'accord ? Je compte sur toi. » « Est-sse que je peux avoir de l'opium ? Avant ? Ss'il vous plaît ? » « Oh que non. Sur ça aussi, tu es punie. Père ne t'en redonnera que plus tard, quand il sera certain que tu as bien compris la leçon et que tu ne recommencera plus jamais. » Ses mots me plongèrent dans un désespoir sans fond. Je me mis à pleurer en silence. Je souffrais tellement du manque qu'Achilas ne pouvait pas me faire plus de mal avec son couteau ridicule qu'avec cette sentence. « Ne bouge pas. Je vais graver ton prénom avec le nom des Merisi. Alma Merisi, première du nom. Je suis fier de toi. Mère va détester ça. » Il ricana.

Après qu'il soit parti, je ne pris pas le risque de bouger. Je n'en avais pas envie. Je n'avais nulle part où aller. Mon dos lacéré envoyait des décharges de douleur cuisante. Je m'y accoutumais presque, de la même façon que mon organisme était devenu dépendant de l'opium, mes nerfs s'habituaient à la morsure de ses tortures. Je sentais le sang rouler sur ma peau devenue brûlante et ma paillasse s'en gorger. L'air avait une odeur métallique. Le regard aussi vide que l'esprit, je me rêvais ailleurs, hors de ce corps et de ce lieu.

Message IV | 1506 mots