Partenaire : Solo
Intrigue/Objectif : La caravane de Latone réalise sa première descente en Linos, afin de creuser davantage le passé de la cité.

~~~
" Ils sont au nombre de trois. "

Les yeux de la Hurabis en cheffe luisaient d'une résolution sans faille. Cette même intensité qui confiait aux soldats sur ses talons une détermination insoupçonnée jusqu'alors. Pour la majorité d'entre eux, c'était la première fois qu'ils foulaient ces entrailles montagneuses, un enchaînement de découvertes s'entassant sous leurs regards novices et pourtant aussi tranchants que le fil de leurs cordes vocales. Ils formaient l'unique caravane de Latone Kirzor et la suivrait jusqu'à la mort si tel était son caprice. Elle dansait sur le tempo d'une véritable cheffe d'orchestre et les entraînait tous sur la partition de sa gloire. Après tout : elle suivait docilement son dénommé Kangela, l'Archonte Jáp.

" Ou devrais-je préciser : quatre… Mais tu comprendras mieux le phénomène qu'avec tes yeux. "

Son rictus s'avérait à la hauteur de son statut, de cette soi-disant déification de son essence. Seule son Élue était capable de l'entendre et de le voir, ce qui rendait son itinéraire bien plus aisé à montrer. Les Marcheurs avaient beau être de remarquables explorateurs, à l'affût du moindre détail à travers le blizzard, ils n'en restaient pas moins que des êtres de la surface, sans connexion directe avec les Linèsiens d'autrefois. Au mieux, ils étaient devenus des héritiers de la Voix par défaut. Il n'y avait bien que des Marcheuses comme Latone pour perpétrer leur ascension vers cette voie. De ce fait, Jáp se faisait un plaisir de lui montrer les ruines des quartiers Sud de Linos, là où les plus fervents artistes – les Passionnés de la Voix – se réunirent sans égard pour l'élitisme des nobles. Ici trônait encore une vieille connaissance du Coq Noir.

Ces anciens avatars de Senere… Ces "Hihtyx incarnés". Ils seraient une persistance de leurs Voix ? Comme cette Oakia ? Elle communiquait directement avec l'Archonte par ce biais, mais n'attendait guère de véritables réponses. Depuis leurs moultes interactions, elle avait fini par comprendre que l'entretien du mystère faisait partie des lubies du Passionné. Une manière ou une autre de glorifier la genèse de son sacre. À ce titre, Latone se faisait bien vite à l'idée qu'il était parfait dans le rôle d'un Kangela. Ils me font penser aux Esprits… Mais n'importe qui peut les voir ou communiquer avec eux. Elle jeta un regard en biais aux compagnons de sa Larka Sacrifiar. Les Marcheurs furent victimes des assauts d'Oakia, pourtant il avait suffi d'une riposte de sa propre Voix pour la chasser. Depuis leur dernière conversation sur ce sujet, cette idée trottait dans la tête de la Kirzor : les souvenirs sont des Chants persistants. Suis-je moi-même un souvenir qui a réussi à s'étendre jusqu'ici ? Elle resserra son poing sur son manteau, au niveau de son cœur. Elle était palpable, elle respirait, elle vivait. Oakia n'aurait jamais pu avoir cette seconde chance puisque ni Ezechyel, ni Edel ne le permettraient. Cette rencontre destinée n'aurait pu être provoqué que par une unique volonté : Senere. Il la testait. Ou plutôt, il testait ses potentiels avatars pour les prochaines ères : Ivalli Morgia ou Latone Kirzor. Le Bleu Roi ou l'Éclat. Tradition ou Renouveau.

" C'est ici. "

" Halte. "

Plus que de suivre les indications de l'Archonte, se retrouver face à cette façade en particulier lui rappelait de vives émotions. Le contrecoup d'un alcool trop fort, la chaleur des voix se mêlant aux cordes d'un orchestre, le tintement des verres qui rajoutaient du cachet aux murmures à tue-tête… Tant de signes qui l'aidaient à se retrouver sur le chemin de la Linèsienne.

" Je… reconnais cet endroit. "

C'était ici qu'elle rencontrât Gandr pour la première fois.

" Moi aussi. "

À peine Para confia-t-elle cette information que ce Hihtyx particulier tonna.

~~~
Lolaha l'avait toujours connu avec ce sourire narquois en coin, cette espèce de désinvolture – sûrement – propre à son espèce qui ne le rendait pas forcément plus avenant mais ô combien excitant. Le voir si récalcitrant à sa requête la rendait de plus en plus impatiente. La cantatrice d'opéra pouvait montrer les crocs en temps voulu, mais plus son statut se glorifiait, plus ces moments de perdition devaient se raréfier. Malgré tout, puisqu'elle était en compagnie d'un allié de longue date et que le courroux de Navyu hantait son esprit, la Kirzor peinait à conserver cette image qu'on s'imaginait d'elle, comme sur scène.

" Je ne peux pas continuer comme ça, on doit pousser les exercices plus loin ! "

Cette fois, c'était le barman qui picolait au lieu de la noble. Ce n'était même pas encore l'heure du service, mais comment fermer ses portes à sa plus tendre amie, d'autant plus plongée dans une si profonde détresse ? Cela titillait ses nerfs de diablotin ; pour le meilleur comme pour le pire.

" C'est de plus en plus impossible… Chaque fois qu'ils évoquaient ce sujet impie, son regard s'affolait davantage, ce qu'il cachait sous l'étendard de la vigilance et de la prudence. C'est un miracle qu'on puisse encore accéder aux mines à notre guise et toujours en ressortir sans encombre. Les Siffleurs sont moins récalcitrants à y patrouiller, puisqu'ils imaginent très bien ce Kyri se terrer là-dedans entre deux promenades sanglantes. "

Le nerf de sa tempe gonfla un coup. Alakroka avait beau être une engeance infernale, Lolaha tolérait guère ses éloges déguisés vis-à-vis de ce tueur. Elle savait pertinemment qu'il ne souhaiterait aucun mauvais coup du sort pour les Kirzor, néanmoins sa nature le rappellerait toujours vers la magnificence de ces actes immoraux.

" Il n'y a pas d'autres endroits, et tu le sais très bien ! Il suffit d'un unique Tonhor et toute la cité sera alertée ! Elle se pencha par-dessus le comptoir, sa grande taille aidant à atteindre le serveur. Allons aux mines maintenant, mon emploi du temps est chargé ! "

" Et qu'en est-il du mien ? Abonda-t-il sur un sourire qui camouflait une cachotterie. Je regrette Lola', mais tant que l'Aulos sera aussi présente en ville – à cause ou grâce aux Dontheilea, ça, le futur nous le dira – je ne pourrais pas t'aider à perfectionner ton Velthar. "

Emprise par la crainte ou la frustration, la chanteuse restreignit cette montée colérique qui lui enserrait la gorge. Il suffisait d'un rien pour que le poison s'échappât ; ceci était la première leçon que lui enseigna le Démon. Beaucoup de Kyris se perdaient très tôt dans la révélation de leur nature à cause de cette instabilité précoce, ce manque de contrôle qui devrait être instauré dès que le diagnostic se montrait formel : vous serez une abomination de la Voix. Sans un mentor comme lui, qui sait ce qu'elles seraient devenues, elle et sa sœur aînée ?

" Patience. Les Primas depuis Vlorupix sont intransigeants envers nos malheureux camarades. Avec son audace chez les Dontheilea, Navyu est devenu pire qu'une cible à appréhender : aux yeux de l'Aulos, il est une tare à éradiquer. C'est ainsi que les Siffleurs le perçoivent, quand ils le murmurent entre deux verres. "

" J'ai pu sauver Nizanza car Eposi faisait diversion. Seule, il m'aurait dominée. Il cherchera à nous anéantir. Et puisqu'il a découvert que nous étions comme lui, plus rien d'autre ne l'intéressera ! "

" Tu n'as pas à être seule dans ce combat. Pour lui avoir enseigné notre Voix, Eposi est suffisamment lucide pour comprendre qu'elle a besoin de toi, tout comme tu as besoin d'elle. Il rit, bref. Même deux "tares" parmi les Kirzor peuvent faire tomber des têtes. Navyu a peu de chances face à vous, vu comment tu réussis à faire chanter ton Siffleur. "

" Je ne le fais pas chanter. " Elle était ferme sur la question, mais Alakroka ne la croyait pas. Point entièrement.

Cela dit, maintenant qu'il démontrait la réalité de leurs forces, il se pourrait bien que les Kirzor aient une chance… Même infime, elle s'y raccrocherait avec force pour la rendre d'autant plus incroyable. Telle était sa volonté, le message de ses Chants.

" … Bon. Il termina de préparer l'agencement de sa collection en bouteilles, jouant avec ses clés pour démarrer très bientôt les hostilités nocturnes. Pour être tout à fait franc avec toi, si je régule bien plus tes leçons, c'est parce que j'ai une nouvelle élève qui me donne beaucoup de fil à retordre. Il enfonça la clé dans la serrure. Elle m'est très précieuse. Tourna d'un cran. Si tu as tant besoin de devenir inatteignable, je te propose des séances beaucoup plus insoutenables. Et apposa ses doigts griffus sur la poignée. Prête ? "

~~~
À la place du Démon, c'était une jeune fille aux allures séraphiques qui se tenaient derrière le comptoir. Une Ange, pourrait supposer Latone, néanmoins cette nature précise ne l'intéressait pas, car elle était convaincue d'avoir affaire à une Linèsienne. Tout comme Oakia auparavant. Avec du recul, la Marcheuse pourrait se remémorer absolument toute l'ambiance interne au bar, toutes ses lumières, ses odeurs, ses tentations… Plus rien ne subsistait à présent. Le bâtiment semblait être l'un des rares à tenir encore debout, mais ses ruines abritaient le froid mordant de cette prison qu'avait érigé la chimère de Linos. Par moments, un brin d'espoir ne lui ferait guère de mal, comme retrouver quelque chose d'aussi concret et ancestral que les partitions de Lolaha.

" Navrée de ne pouvoir vous servir. " Faisait-elle référence à son âge apparent, dissonant avec le rôle que lui incomberait cet endroit, ou de son état irréel, pourtant palpable rien qu'avec sa Voix ?

" Vous êtes… "

Jáp acquiesçait à ses côtés, avant même que ses subordonnés n'aient eu le loisir de découvrir l'entité surréaliste qui trônait face à eux.

" Un avatar de Senere ? "

" Oui. Elle l'examina de la tête aux pieds, aussi décontractée qu'une enfant. Et tu es l'un de ses choix pour cette couronne ? "

De son index, elle désigna le halo matérialisé autour de son crâne. Tout comme pour la précédente Prima et le Bleu Roi, cette couronne était différente sur certains aspects, et pourtant assez similaire pour deviner qu'elle rejoignait le panthéon des monarques de Linos.

" Ce n'est pas celle-ci que je suis venue chercher. " Cette réponse-ci lui convenait très bien, en témoignait son maigre sourire.

" Enchantée, Linèsiennes. Mon nom est Anowi Enurd, la troisième Prima de Linos. "

" Linèsiennes ? " Haveron ne comprenait pas très bien où elle voulait en venir en les désignant ainsi.

" Si je peux percevoir le tempo de votre Voix à tous, il m'apparait bien plus ancien chez vous deux. " Elle désigna de ses deux doigts Latone et Para.

" Tu es chez mon papa. Descend de là, Prima ! "

La Rouge comprit très vite où la Démone voulait en venir, les connexions s'assemblaient aussi naturellement que le cours de la Temempho d'autrefois. Pour le reste de l'assemblée, cette conversation semblait bien plus lunaire qu'autre chose.

" Ton "papa" ?! Alakroka était ton père ?! "

Pour l'une des rares fois, Para parut amplement surprise par les propos de sa cheffe.

" Tu connais mon papa ? "

" C'est lui qui… Elle porta sa main à son front, assaillie par toutes ces mémoires. C'était lui qui m'apprit à dompter mon Velthar. "

" Moi aussi ! "

Les deux Kyris se fixèrent avec une intensité complice, telle qu'Anowi ne put rester insensible face aux informations qui s'accumulaient. Senere lui permit d'étendre sa Voix jusqu'ici, dans un but bien précis. Ce but, il se trouvait juste sous son nez : le futur de leur cité en déclin.

" Tu ressembles à quelqu'un que j'ai connu. " Affirma-t-elle à l'attention de la Démone sortie du cristal.

" Sa mère était une Prima comme vous. "

" Oh… Anowi demeura placide un instant, aussi doucereuse qu'une berceuse. Ils leur étaient impossibles de mettre un terme à une telle quiétude tant elle leur inspirait confiance. Mon règne fut teinté de controverses. Je souhaitais diversifier notre peuple, faire comprendre aux Linèsiens que l'élitisme mènera à notre perte… ouvrir nos portes, pour ainsi dire. C'est cette ambition hérétique qui me coûta la vie aux mains d'Oakia, ma successeuse. "

La Marche étudia le courant de son récit, conscient qu'un tel témoignage ne saurait être retrouvé dans ses parchemins détériorés au gré de la désolation. Oakia tua Anowi et devint l'avatar de Senere… Le Chant des Échos semblait bel et bien se tisser dans le sang.

" Tu es là pour hériter du pouvoir des Vox Atoxio. Comme si elle lisait en elle, Anowi ne lâcha pas Latone du regard. Notre Père est cruel, car aucune ouïe en ce bas-monde ne saurait distinguer le début et la fin du Silence. Avec nous, échos des Primas, tu n'auras que trois occasions de le comprendre. Elle joignit son index et son pouce, l'exhibant sous l'incrédulité des Marcheurs. Elle demeura pourtant inerte quelques secondes, songeuse face à cette femme qui foulait autrefois leur belle cité des Chants. Je n'ai pas réussi à étendre nos Voix sur ce monde. C'est sûrement pour cette raison que vous n'avez pas pu échapper à votre funeste destin. Vous, les Kirzor. Latone le ressentait, c'était ce moment ! Elle devait percevoir au-delà de son enveloppe, en tant qu'Orisha et Linèsienne. Observe et apprends. " Elle claqua des doigts et ainsi tonna l'ultime souffle d'Anowi Enurd.

2278 mots ~

" C'est PITOYABLE, et par extension une TRAGÉDIE. "

Miriva Vvrekora était une vile vipère. Une blondinette au regard perçant, si cruelle que bon nombre d'artistes à en devenir ne montèrent jamais sur la scène sacralisée de l'Opéra par sa seule critique. Rejoindre l'imminente troupe de Mehlio, c'était avant tout passer sous le radar de Dame Vvrekora, la Directrice de l'établissement-phare de Linos. On la craignait sans doute, mais on la détestait avant tout. Son pouvoir était si fort qu'elle conservât son emprise sur l'Opéra durant de nombreuses décennies, elle le tirait de l'admiration du Priam en personne. Si la Voix de Senere l'écoutait autant, qui ferait l'affront de s'y opposer, n'était-ce pas ? Elle en jouait sans se cacher et autrui n'avait d'autres choix que de se plier à ses caprices de théâtres perfectionnistes. Ils avaient une date à respecter, des convives à éblouir et tant qu'elle n'aura pas sa perle rare, elle ne cessera de vociférer de la sorte. Annuler l'événement par professionnalisme ? Non, Dame Vvrekora accordait à ses promesses une minutie hors du commun. Le Chant du Cygne devait être la pièce du siècle, par tous les moyens. Après tout, nombre d'affiliés du Vox Atoxio feraient parti du public. Ils seront comme les oreilles de leur majesté, et de surcroît, s'ils appréciaient, cette dernière en ferait tout autant.

" Pas besoin de déglutir aussi bruyamment. " Se moqua Chideily derrière son éventail. La vérité étant qu'elle masquait tout autant son embarras face à la crise de Miriva.

" Comment as-tu pu remarquer avec son boucan ? "

Lolaha soupira. Chacune de ses interactions avec la maîtresse des lieux la fatiguaient. Après tout, la jeune Kirzor fut l'une des rares têtes brûlées à répliquer. Elle n'avait jamais compris si c'était cette audace qui lui valut sa place au sein de l'Opéra ou si sa mère se montra suffisamment convaincante après leur première dispute. Depuis son intégration, elle lui donnait l'impression de la tolérer… même si ce fut de sa propre confection qu'était née le rôle de Vertigo. Ce soir-là en particulier fut magnifique : Lolaha pensait devoir illuminer le public mais c'était lui qui l'écrasait avec une telle attention. À raison, elle désignait cet événement comme un tournant de son existence, un pas de plus dans les bonnes grâces des Kirzor. L'honneur de la famille prédominait et sa préservation à tout prix. Vertigo ne chantait alors pas uniquement pour des spectateurs sagement assis sur ces sièges : elle se battait pour ses sœurs.

" Par les Voix, que Vertigo m'apporte un souffle salvateur ! " Tonna Dame Vvrekora en chassant les derniers répétiteurs de la sainte scène de Mehlio.

Sans aucune retenue, sa noble amie lui asséna quelques petits coups de coude pour l'encourager à embrasser son destin.

" Ça finira bien trop vite et tu le regretteras déjà. "

" On reprend mes propres mots, maintenant ? "

Être le centre névralgique de l'Opéra Mehlio apportait un regain de confiance, c'en devenait une transe à laquelle elle goûterait tous les jours si seulement ce fut possible. Enfin, Lolaha n'était pas non plus accoutrée de la sorte pour rien. C'était… d'une nouveauté. Saisir ce rôle, c'était joindre le chœur de Senere en personne. Gonflée à bloc, ses talons sonnèrent son arrivée sous la vigilance vindicative des témoins

Quand elle initia son chant… ce fut la première fois qu'elle vît Miriva larmoyer.

~~~
" Qu'est-ce qu'on fout dans ces mines, déjà ?! "

Son impatience s'avérait légitime. Depuis qu'ils y étaient entrés, Latone ne pensait pas que les indications passées d'Alakroka la mènerait tout droit dans une gueule béante de fauve. La dernière fois que le Bleu Roi invoquât ses parasites, il fit tout autant entrer en scène ses Siffleurs maudits. Ces derniers ne ressemblaient pas à Gandr, mais ils se montraient tout aussi redoutables. Ils étaient plus proches des âmes en peine que des monstres… Bien qu'en fin de compte : ils avaient une mission à poursuivre, un couronné à respecter et protéger. Latone s'était retrouvée en retrait par rapport à son groupe, comme s'ils cherchaient à lui nuire en priorité. Étant donné les priorités d'Ivalli, cela ne la surprenait guère. Malgré tout, ce cirque commençait sérieusement à la gonfler. Depuis ses multiples reprises, la Kirzor s'était retrouvée à nouveau en phase avec la Voix de Lolaha ; ainsi, l'Akaris lui était sien et il rivalisait assez avec les Siffleurs. Elle constatait dans le même temps les progrès de ses propres compagnons : Sarra, Faye, Kashgar et Canna concurrençaient aisément avec la Voix de Lolaha, ce qui était moins le cas de Haveron et Nora, puis loin derrière se tenaient Cicataz, Odee et Para. Elle comprenait pour l'ingénieure et le Mimique, cet Art ne faisait après tout point parti de leurs points fort. Mais lorsqu'il était question de Para, l'unique porteuse du Velthar avec Latone… Son potentiel s'avérait tellement gâcher.

" Démone arriérée, tu n'en fais qu'à ta tête. "

Après les affrontements, bien souvent, c'était Faye qui crachait son venin sur les fautes de la Linèsienne. Malheureusement pour cette dernière, l'épuisement générale des Marcheurs les poussait à se ranger du côté de la voix de la raison.

" J'ai aidé ! " Vociféra la petite blonde, les crocs bien à découverts. Pour elle, dans d'autres circonstances, le corbac finissait dans son estomac.

" Au lieu d'anticiper ou de quémander notre aide, tu uses à tort et à travers ta Voix caustique. Nous te l'avons trop souvent fait remarquer que celle-ci nous impacte autant que tes adversaires. "

Pour appuyer ses propos, elle désigna du pouce Odee, victime malgré lui des Tonhor Velthar de la Démone. Canna lui prodiguait les meilleurs soins possibles pour continuer à avancer en ces galeries, toutefois il était clair que l'usage du Cri était déconseillé sur un tel terrain sinueux. Étant donné la réaction nonchalante de la gamine, cet "accident" n'avait rien de dramatique.

" Et si tu prenais plus exemple sur Latone ? Sarra en avait vu des vertes et des pas mures en tant qu'instructrice d'Arcadia. En outre, elle chercha à apaiser les tensions avant que leur Hurabis ait à le faire. En l'observant, tu aurais vite compris que la stratégie judicieuse face à ces Siffleurs semble être de les prendre à leur propre jeu avec l'Akaris. Ce n'est peut-être pas évident mais ils sont moins habitués à subir les Sifflements. "

Même cette tentative se solda par un échec, Para croisant les bras et relevant le menton pour protester. Dans le même temps, elle darda Latone, comme si cette insolence saurait la sortir de ses gonds ; ou cherchait-elle du soutien en tant que Kyri ? La Rouge haussa les épaules avec son faciès tout aussi gorgé de mépris.

" Écoute tes camarades pour une fois ! Je n'ai pas que ça à faire de gâcher ma Voix pour tes conneries ! Elle la pointa du doigt, inquisitrice. Tu te souviens bien mieux que moi des enseignements de ton père, alors montre l'exemple et applique-les ! " La mention d'Alakroka la décontenança.

" Mais j— ! "

" Tu es une Kyri, bon sang, fais attention ! "

Des applaudissements se firent soudainement entendre. Comme pour n'importe quelle intrusion, l'ensemble de la caravane se prépara à la confrontation. Certaines paires – comme les anciens Chevaliers d'Hébé – esquissaient aussitôt leurs postures, tandis que les autres couvraient le maximum de terrain pour se protéger et protéger leurs compagnons.

" Encore et toujours, vous. Les mains troquèrent leurs mélodies pour des pas, de plus en plus proches. Troubler l'ordre est ancré dans vos habitudes. Qui que fut l'importun de ces mines, il semblait se trouver partout à la fois, en plus de donner l'impression de "grouiller". À quoi bon lutter, finalement ? Enfin, une forme inhumaine se dressa près de Latone et de Para, avant de dévoiler son visage. Nous ne ferons que vous entendre, vous autres, les Kyris. "

~~~
Sous leur injonction, les Lèvres Noires suivirent le fervent à l'intérieur de l'édifice. Depuis leur arrivée, Lolaha n'eut de cesse d'admirer l'architecture si unique du Temple de Senere. Il contrastait avec l'ensemble harmonieux de la cité tout en s'y imbriquant avec une telle noblesse, ses piliers supportait tout le poids de leur culte et arborait les fantaisies si intrigantes et effroyables du Père des Échos. Un horizon imperceptible ? Une masse informe simplement dotée d'une bouche ? Un coq noir ? Toutes représentations étaient plausibles et aucunes n'étaient vraies à la fois. Puisqu'au-delà des perceptions humaines, Senere était le maître de leur orchestre, de ce fait : inaccessible. Mais pas hermétique, ce qui justifiait alors l'ordre des Cantateurs du Temple. Hommes comme femmes, ces Linèsiens entretenaient le culte de leur Æther protecteur, ses plus ferveurs aspirants à son écoute. Si la Voix du Dévoreur s'avérait limpide pour le Prima, il en était tout autre pour les Cantateurs, puisqu'au-delà des simples mortels : ils percevaient ses plus infimes murmures. De là naissait l'étape primordiale pour quiconque souhaitant rejoindre le cercle si fermé du Temple : payer le prix.

Du hall immense conjoignaient les si nombreuses chambres d'Écoute. À l'intérieur de l'une d'elles, Lasudri venait de réaliser son entrée parmi les Cantateurs. Pour cette occasion unique et honorable, Ceraith convoqua l'ensemble de ses descendantes à accueillir leur sœur dans cette nouvelle vie. Si toutes suivirent bel et bien son autorité, il n'en fut rien pour Nizanza qui ne répondit aucunement à l'appel. L'inquiétude était de mise pour Lolaha mais son intérêt envers leur religion accaparait bien vite son attention. Elles n'avaient pas le droit d'aller plus loin que les indications du prêtre, lui-même n'étant pas un Cantateur pouvait leur expliquer toutes les subtilités du culte ; bien sûr, avec une voix si monotone qu'elle assommerait le public de Mehlio.

" Lasudri Kirzor est désormais prête à se présenter à vous comme Cantatrice de Senere. En ce sens, son intronisation s'est déroulée sans accroc. "

" Auriez-vous l'amabilité de décrire ce rituel à mes filles ? Cela faisait parti de leur accord, de toute façon. Et de son regard perçant, elle les darda toutes sans exception. Écoutez bien. " C'était pour ainsi dire un honneur de recevoir les connaissances des Cantateurs.

" Quiconque peut entrer au service du Temple de Senere en tant que prêtre et prêtresse. Le Père des Échos nous considère tous comme parties intégrantes de son Chœur après tout. En revanche, une poignée d'entre nous recevra l'insigne honneur d'être introduite parmi les Cantateurs. Il en désigna un groupe tout près, puisque leurs toges étaient différentes de celles des simples religieux. Lorsqu'il se sent prêt, un fervent peut se présenter à eux pour entreprendre l'intronisation dans une chambre d'Écoute. Livré à lui-même, il y méditera selon le bon vouloir de Senere. Très souvent, il n'y trouvera qu'un silence glaçant, symbolisant l'inaccord ou le désintérêt de l'Æther. Mais si l'un de ses murmures lui parvint, alors il ressort de la chambre en tant que Cantateur. Il joignit solennellement ses manches larges. Recevoir un murmure de notre Père a un coût : le Cantateur est tenu de le garder secret jusqu'à son ultime souffle. Ces privilégiés agissent ainsi de concert selon leurs murmures respectifs, sans pouvoir le confier à qui que ce soit. Dans le cas contraire où il chercherait à le dévoiler, Senere lui dévorerait la langue sur-le-champ. Déshonorer l'Æther est s'exposer à son courroux. " Sur cette note macabre, un froid fut jeté sur la sororité attentive.

" C'est quoi les murmures ? " Demanda innocemment Fimibre pour casser l'ambiance.

" Ils sont de natures si disparates qu'il me serait impossible de les décrire convenablement. Pour certains, le murmure pourrait être de l'ordre prophétique, pour d'autres, ils peuvent être des révélations plus intimes. Dans tous ces cas, ils serviront les desseins de Senere : il ne sème aucune note au hasard. "

Il allait sans dire que, dans un sens, Lolaha comprenait l'intérêt de Lasudri pour l'intronisation. Sa cadette directe faisait toujours preuve d'une insatiabilité formidable pour le savoir. Obtenir ne serait-ce qu'un mot des Échos représenterait l'accomplissement d'une vie pour elle. Elle devait être on ne peut plus ravi, et sans doute pompeuse comme jamais à présent, ce qui ne l'arrangeait pas tant son arrogance dépassait l'ensemble de leur sororité. Malgré toutes ces belles découvertes, la chanteuse se demandait si…

" Oh, la voilà. " Sumne ne pouvait jamais rater la vue de sa sœur la plus véhémente à son égard.

" Effectivement. Le fidèle se courba. Très chères, je vous prie de souhaiter un bon retour à Lasudri Kirzor, Cantatrice de Senere. "

La désignée s'arrêta à leur hauteur. Elle reçut avec une incroyable humilité les fiertés de leur mère, ainsi que les politesses de ses sœurs. Lolaha l'observait ainsi en retrait tout le long, cette femme froide et dangereuse qui était revenue sous leur toit. Car lorsque vint son tour de prononcer ses hommages, Vertigo n'échappait aucunement à ce regard perçant, ces yeux gorgés d'une infernale émotion qui transperçait sa personne. Les Cantateurs étaient tenus au silence, néanmoins Lasudri venait de lui faire comprendre en un instant ce que Senere lui révélât : Elle sait mon secret.

~~~
Sa couronne était un halo bleuté. Elle virevoltait au rythme de sa colère intérieure. Si Anowi rayonnait de rémission, il n'en était rien pour ce Vox Atoxio empestant l'envie de meurtre. C'était comme si sa propre Voix intérieure résonnait en chacun d'eux : il était à leur merci. Mais pas pour celle dont il eut de brefs Échos de la part de son Æther tout-puissant. Ainsi donc, cette Linèsienne terne serait dans les bonnes grâces de leur peuple ? Qu'avait-il pu donc bien se passer pour que Linos tombât aussi bas ? C'étaient comme si ces galeries froides – par moments porteuses d'alcôves habitées dans les anciens temps – s'étaient étendues jusqu'à l'Aulos. Une déchéance sans nom méritait un sévère châtiment.

" Ceux qui ne s'agenouillent pas devant moi ne me reconnaissent plus comme leur monarque. Alors qu'il dardât Latone, un mille-pattes remontait son cou pour accentuer son effroyable image. Tu es donc la prochaine ? " Son doigt griffu frôla une mèche rougeâtre de l'Orisha, celle-ci nullement impressionnée par cet avatar de Senere : il n'était plus qu'un fantôme du passé.

" Demande à tes comparses. " Ivalli viendrait la chercher, mais Oakia et Anowi étaient témoins de son ascension. Cette insolence le fit sourire à pleines dents, acérées.

" Te tenir face à Vlorupix Blexe ne représente qu'une étape à tes yeux ? Parasites, tous autant que vous êtes. Il marcha autour d'elle, d'une prestance digne des Souverains. Pour la pérennité de notre peuple, j'ai été choisi à juste titre par Senere. Nous nous confrontions à la toute première crise majeure de Linos : la naissance du premier Kyri. Nous étions intrigués, nous percevions à travers cet enfant toute une pléthore de signes avant-coureurs de notre avenir. Mais avant même que nous comprenions la dangerosité de votre espèce, il était déjà trop tard : vous étiez trop nombreux. Il s'arrêta dans son dos et susurra de vilaineté : Dès mon entrée à l'Aulos, j'ai voué mon âme à l'extermination des Kyris. Votre Voix nous privait du véritable héritage du Père des Échos. Vous n'étiez qu'une fausse note à corriger, une partition à remanier. Il se tint tout près de son oreille. La Nuit des Derniers Soupirs, souhaites-tu que je te la conte ? "

Exaspérée, la Marcheuse lui asséna un coup qu'il encaissa en ricanant tel un dément. Parmi la liste des Élus de Senere, il en fallait bien un qui ait un grain dans le crâne.

" Tu parles comme ton dernier successeur en date. Sache que ça ne me fait ni chaud ni froid. "

Il cessa son cirque mais son visage reflétait encore toute sa folie meurtrière.

" En es-tu si sûre ? N'est-ce pas justement la Voix des Primas que tu es venue chercher ? À quoi bon apporter le Silence si tu es vouée au Chaos ? Il pressa son pouce contre son index. Je vous ai maudits. Vous ne recouvrerez jamais la gloire ancestrale de Senere avec votre Velthar. " À l'instar de l'autre Hihtyx Incarné, il claqua des doigts et disparut de leur réalité. Son discours, pourtant, empoisonna l'esprit de la Kirzor.

2797 mots ~

La nouvelle allait bon train. En moins de temps qu'escompter, une seule caravane suffit à dégager les voies des antiques mines de la cité. Grâce à elle, le gros de l'expédition put s'y immiscer afin de d'éclaircir davantage le passé de ces ruines, de sécuriser les routes et de conquérir sous l'étendard de la Marche Terne. Un à un, les districts de Linos semblaient rayonner sous la lyre des libérateurs. Des mois et des mois de batailles interminables, tout en devant gérer les affaires externes de Ciel-Ouvert. La coalition des Hurabis suite au meurtre de Tlaalee-Aan fut un élan radical et porteur des espoirs et de la véritable force de l'Empire naissant. Enfin, grâce à l'initiative et la hargne de la Kirzor, les Marcheurs cernaient l'ultime obstacle aux menaces du Bleu Roi. Il n'avait fallu qu'une impulsion, un seul mot d'abattage de la Voix de Lolaha Kirzor pour entamer la Marche la plus imposante jamais réalisée jusqu'à ce jour. Ciel-Ouvert fut autrefois une conquête qui donna naissance à leur légende, Arcadia servit à montrer l'étendue de leur hargne, et Linos servira de pièce-maîtresse à la consécration d'une nouvelle force mondiale. On accueillait la Larka Sacrifiar avec des applaudissements et des bénédictions ; plus que soutenir l'effort de la Hurabis en Cheffe, ces hommes et ces femmes représentaient tout le panache de leur peuple : seule la Voix comptait. Le Silence était intolérable.

Et en parlant de ça, Jáp la salua tout autant pour ses efforts de guerre.

" Latone, on dirait bien que tu as formé l'orchestre parfait. "

Ensemble, l'Archonte et son Élue observèrent les Marcheurs de sa caravane interagir aussi fluidement que le mécanisme d'une boîte à musique. Au fil des aventures, les tensions s'étaient éteintes au profit de l'entraide. Œuvrer pour l'effort commun n'effacera guère les persistantes et habituelles querelles, néanmoins la Rouge pouvait être fière d'avoir trouvé le juste équilibre pour son équipe. Avec ces victoires, plus aucun doute ne parasitait ses convictions : ils formeront la lance de fer parfaite contre l'Aulos.

" Exactement ce qu'il te faut face au chœur du Bleu Roi. Elle acquiesça, l'accord étant entendu pour tous ici-bas. Cela étant, il te manque un dernier soutien. Il pivota en direction d'un édifice tout particulier qu'on pouvait admirer depuis la place centrale de la cité. On t'y attend. "

Sans trop comprendre comment, la Kirzor n'attendit même pas la confirmation du semi-Æther : sa connexion avec la cité s'affinait et elle savait très bien qu'il lui manquait encore un antique Prima à trouver. Les souvenirs de Lolaha ne lui confièrent point encore toutes les dynasties s'étant succédé pour la couronne de Linos, néanmoins il lui manquait une étape pour grapiller le savoir des Vox Atoxio.

Le fait que cette rencontre devait se faire à l'Opéra Mehlio la dérangeait. C'était ici que Senere l'autorisa dans la course pour son culte mais aussi ici que toutes les glorifications de Vertigo prirent naissance. Quelque chose de malsain la repoussait depuis qu'elle y rencontrât la petite fille de la musique. Ce devait être un lieu merveilleux, une scène où l'appel du Chant y serait trop empressant, un recueil de béatitude pour ceux qui adulaient l'Orchestre de leur créateur. Le Père des Échos ne devrait plus y être – leur altercation n'étant qu'exceptionnelle – mais qui pouvait bien reprendre le flambeau de son ascension ? Qui ne souhaitait pas perpétuer le règne d'Ivalli ? Qui l'attendait sous les lumières précurseurs ? Son cœur tambourinait, non pas par peur ou anxiété, mais par pure excitation : elle voulait monter enfin sur scène par sa seule volonté et être acclamée pour ce geste ! Depuis les gradins, la Marcheuse fut attirée et si ses pas ne se pressaient point, ce n'était qu'à cause d'un détail assez déconcertant de sa quête. Intriguée, elle poursuivit son avancée sous les regards tout aussi scrutateurs à son égard. De plus en plus, elle sentit sa dissociation avec les Terres s'opérer, une chance inouïe se présentant à elle. Seul un être aussi fantastique que Jáp aurait pu la guider jusqu'ici, tant ces rencontres surnaturelles dépassaient l'entendement du commun des mortels. Il revêtait le visage de Gandr… et elle ne l'aurait pas suivi dans le cas contraire. D'un accord implicite, l'Archonte l'invita à monter sur la scène et à faire face aux figures les plus illustres de Linos. Au nombre de deux, ces dernières n'auraient même pas eu besoin de se présenter que l'antique Linèsienne l'aurait compris.

" Bienvenue, Fille des Chants. " Émit l'homme.

" Ou plutôt : bon retour parmi nous. " Suivit la femme.

Latone se laissa imprégnée par ces Voix, aussi vénérables que celle de Senere en personne. Beaucoup de personnalités l'écrasèrent sur son passage, elle ploya même sous la prestance de certains. Mais eux, aucune révérence ni aucune chanson ne rendrait honneur à leurs couronnes ; d'une flamme bleutée si envoûtante et tant gorgée d'intensité. Pour la Kirzor, leurs visages s'avéraient aussi vieux que ses souvenirs, ils étaient si palpables et iconiques qu'il lui était impossible de les oublier. Même sans les remembrances de son passé, leurs noms étaient gravés dans son histoire. Dès lors, aucune formalité n'était nécessaire puisqu'ils savaient bien tous ce que leur interaction impliquait.

" Merci… Primas Primordiaux. "