Yicali

Objectif : Daé ressent l'appel d'une carte du Tarot Maître et part à sa recherche

Ici il n’était qu’un Marcheur et cela lui faisait un bien immense. Il avait encore cette sensation, qui lui restait enchevêtrée à l’âme, qu’il était ici pour une raison et il savait au fond de lui qu’il avait raison. Mais il espérait peut-être que ces heures rescapées de la difficulté de ses missions étaient un cadeau de la Lune envers son enfant. Un cadeau pour qu’il voie et entende aute chose. Et il comptait bien profiter de ces moments entre le froid et le doux à l’intérieur du berceau de la Cité des Chants, qui semblait à chaque fois l’accueillir à murs ouverts.

La Vigilante s’élevait au loin et ses murs gris qui renfermaient les Guides de la Marche Terne semblaient veilleur sur toute la ville qui occupait le fond du Voile Blanc. Daé montait des marches de pierre entre le haut et le bas quartier, laissant partir les tumultes des marchés et des étals pour arriver dans l’ambiance presque solennelle et pittoresque du Haut Quartier. Les bâtiments étaient propres. Les gens semblaient heureux. De toutes les cités que le Malsag avait visitées, Ciel Ouvert semblait renfermer les habitant·e·x·s les plus heureu·se·x·s. Peut-être parce que ces dernier·ère·x·s étaient là par choix. Encore cette notion de choix.

Il déambula dans le Haut-Quartier, la tête occupée à découvrir des détails de l’architecture de cette ville qui le reposait. Loin des responsabilités de Lua Eyael et des dangers d’Amestris, Ciel Ouvert était son havre de paix. Seulx Yzex savait qu’il y flânait, même si Elsa et Lyn devaient s’en douter, il n’en parlait à personne. De peur que les ponts entre Phoebe et ses enfants ne décident soudain que la Marche Terne méritait d’être investiguée et surveillée pour qu’elle n’altère par l’irrémédiable Marche du Destin. Il était évident que si cela devait arriver, le Rehla aurait pris sa mission à bras le corps et aurait profité de son début d’intégration à l’intérieur de la cité pour le faire, mais ce n’était pas le cas et grand bien lui en faisait.

Un peu plus loin, en suivant le chemin qu’il avait commencé à emprunter, Daé entendait des chants d’une complexité harmonique rare et agréable. Les notes qui retentissaient dans tout le quartier haut semblaient mettre le sourire à toutes les personnes qu’il croisait. Le Caeli nota cette utilisation subtile du Khitarr que faisait la personne en train de chanter. Personne n’était comme obligé·e·x de l’écouter. Il s’était rendu compte, à force de pratiquer cette nouvelle forme de magie que c’était une des nombreuses possibilités qu'offrait sa voix. Si sa magie était ciblée, alors il pouvait cibler le pouvoir de séduction et sidération inhérent à la puissance du Khitarr. C’était un outil formidable, un outil d’orfèvre qui n’était pas totalement étranger à sa pratique d’artisan. Il conceptualisait les notes qu’il produisait comme il enfilait instinctivement un fil dans un chas. Et c’était un apaisant travail, son esprit et sa magie entièrement concentrées ailleurs que dans la réception des chants des étoiles, il se sentait, lorsqu’il chantait, terriblement libre.

Alors qu’il se dirigeait vers le Coryphée pour tenter de voir qui maîtrisait son Khitarr avec autant de douceur, il sentit à l’intérieur de son sac, que l’objet qu’il transportait avait besoin d’attention. Il s’accroupit sur le rebord de la route, sa jupe striée de brun et de beige lui laissant accomplir ce mouvement sans l’ombre d’un souci, remonta les pans de la cape couleur or qui le protégeait des frimas du voyage et sortit de son sac en cuir d’ananas de la même couleur que la partie la plus foncée de sa jupe un oeuf. Il était parfaitement blanc, avec quelques points rouges autour de son sommet. Il chuchota à son oreil, comme pour le rassurer et tâta plusieurs parties de ce dernier avec le dos de la main, comme l’on vérifie la température sur le front d’un·e·x enfant·e·x fiévreu·se·x. “Oula ! Viens avec moi toi ! Il faudra que je te trouve un nom si tu ne parles pas d’ailleurs, mais on verra ça plus tard ! Allez, suis-moi !” Il se releva, referma son sac à dos, prit l’oeuf entre ses bras comme on porte un couffin et avança d’un pas rapide et décidé en direction d’une auberge à quelques pâtés de maisons de où il se trouvait.

785 mots

L’auberge était simple et joyeuse. Comme il s’y attendait, quelques personnes chantaient dans un coin et la majorité des gens semblaient extrêmement heureux. Il se demanda, l’espace d’un instant, où étaient les malheureux.se.x.s de Ciel-Ouvert, mais n’eût ni le temps de le noter et moins encore d’y répondre, car à peine fût-il entré avec son oeuf dans les bras qu’une jeune personne terriblement précautionneuse avait posé son oreille contre la coquille épaisse que Daé portait dans ses bras. Iel semblait écouter, très attentivement, ce qui se passait à l’intérieur. Ses yeux fermés étaient plissés sous l’effort et parfois, avec un souffle, iel essayait de lâcher la tension et son visage se détendait brutalement. Le jeu des tensions et des détentes fascinait le Rehla et c’était sans parler de l’attitude immensément délicate de cette personne. Au bout d’un instant, iel se releva, l’air un peu confus. “Je suis sincèrement désolée, j’avais rarement vu un oeuf de ce type, je n’ai pas pu résister à l’envie d’écouter, de comprendre. C’était très impoli de ma part ! C’est un serpent, et pas n’importe lequel, vous verrez !” Avant que Daé n’ait pu faire quoi que ce soit, avant même qu’il n’ait réussi à inspirer pour envisager de poser une question à l’inconnuex, ce.tte.x dernier.ère.x était parti.e.x par la porte de l’auberge, laissant le Rehla au son des violons et des percussions.

Seul à seul, assis face à l’oeuf qui était apparu à ses côtés, il le regardait. Clairement il ne semblait pas près d’éclore et la seule solution qu’il avait donc en tête était de trouver un moyen de le transporter de manière agréable et simple. Il sortit de son sac quelques chutes de tissus, un matériel de couture et entrepris de coudre, sous son sac, une forme de panier adapté à la taille de l’oeuf ; pensant qu’entre ça et sa télékinésie, il ne risquerait rien et pourrait assister à ses aventures. Daé avait l’instinct que ce serpent - mystérieux au possible - avait envie de vie et non pas de rester enfermé dans un sac ou dans un bâtiment. Se laissant porter par la musique et par les voix des client.e.x.s, il se mit donc à coudre, à la main, calmement et à tenter de créer un petit nid pour le petit être qui sortirait - il l’espérait bientôt - de cet oeuf.

Quelques heures plus tard, alors que les allées et venues de l’auberge avaient fait leur cours et que quasiment l’entier de la clientèle avait changée, le Rehla avait terminé et il essaya sa création. L’oeuf semblait bien logé et bien sécurisé. Il était ravi. Au bout d’un instant à boire la liqueur de prune qu’il avait commandée pour se faire plaisir pendant cette après-midi découverte, il s’arrête soudain. Brutalement. En regardant autour de lui, il se rendit compte que quelque chose était étrange, quelque chose qu’il n’avait pas expérimenté depuis des mois. Depuis qu’il avait pénétré à l’intérieur des murs de la taverne, les étoiles ne lui avaient plus rien dit. Absolument plus rien. Comme si quelque chose les perturbait. Il fit rapidement voleter des objets quelconques de son sac, essaya d’étendre ses doigts bien plus qu’il n’était possible de le faire sans magie et se concentra sur ce qu’il y avait autour de lui. Apparemment rien. Rien qui ne permettait en tous les cas de perturber sa magie. Il avait rencontré des humain.e.x.s - plus ou moins libre - il était allé près d’objets qui empêchaient sa magie de fonctionner, mais cette fois le problème était plus localisé, plus précis. C’était uniquement sa connexion avec les étoiles qui s’était arrêtée. Il voulait être marcheur, mais très rapidement, il redevenait Rehla et ses sens, sa formation et son passé firent comme le naturel chassé, iels revinrent au galop. Il n’avait pas l’impression d’avoir croisé d’autres Rehlas dans l’entourage de l’auberge et se retrouvait donc entièrement seul, dans une solitude dont il n’avait pas l’habitude, celle où mêmes les étoiles n’arrivaient plus à l’aider l’espace d’un instant.

725 mots

Le silence qui régnait dans la tête du Rehla était assourdissant. Il ressentait comme des acouphènes mentaux qui venaient lui crier, stridemment, tout le long de son crâne, à quel point il était livré à lui-même. Personne ne le regardait vraiment dans la taverne, les voyageur.euse.x.s solitaires n’étant pas denrée rare à Ciel-Ouvert qui était parfois un repos calme et chaud dans les terres inhospitalières où la ville était nichée. Ainsi, personne ne vit le moment où il parut paniqué, à chercher ce qui lui arrivait, personne ne se rendit compte qu’il se tapa la tête plusieurs fois avec le plat de la main comme pour essayer de fonctionner à nouveau, comme on le fait sur une mécanique grippée lorsque l’on a aucune connaissance. Personne ne vit rien de tout cela. Et pourtant Daé était en train de paniquer, et de paniquer de plus en plus. Il avait à la fois peur que ce soit une attaque et qu’il ne puisse pas accomplir sa destinée et peur que ses visions et dons ne reviennent jamais. Il avait tant pris l’habitude de vivre avec. L’étourdissant silence. Il regarda autour de lui, personne ne semblait rien voir de particulier, mais une personne attira son attention. Il ne comprenait pas comment, ni pourquoi, mais une personne capta son regard. C’était une Ygdraë, à l’oeil triste, comme absent et aux cheveux plats et tombants. Elle n’avait pas de boisson, rien. Juste le sentiment d’attendre. Daé hésita un instant, comme attendant que quelque chose lui souffle quoi faire, puis il se dirigea à sa table. Tout en marchant, le Rehla observa encore autour de lui si par hasard des client.e.x.s étaient capables de la voir, mais il sembla qu’elle utilisait une forme d’Umbra Ora, comme si les autres usager.ère.x.s de la taverne passaient leurs yeux dessus comme iels passaient leurs yeux sur un tableau accroché au mur depuis des années. Conscient de cela, et dans une volonté étrange de ne pas brusquer cette inconnue qui semblait consciente de n’être vu par personne, il alla s’asseoir à ses côtés, sans rien dire.

Le temps passa. Parfois une personne brisait un verre ou se mettait à chanter. Parfois des applaudissements retentissaient, mais cette cliente était comme toujours en...décalage. Parfois elle souriait en regardant une table vide et son sourire, même laconique, était empreint d’une bonté immense. Son sourire était un phare, une lumière dans l’ambiance parfois assombrie par l’alcool de la taverne. Alors Daé n’avait pas hésité trop longtemps, sentant bien qu’elle aussi était en décalage, il se dit que, peut-être, il arriverait à converser avec elle et que ce moment l’aiderait. Le Rehla attendit encore un moment avant de la regarder, droit dans les yeux, et d’attendre sa réaction, qui ne se fit pas prier longtemps. Elle le regarda d’un air surpris au possible et sembla vouloir se cacher, son regard se fit fuyant, elle voulut partir, Daé tenta de la rassurer et pour autant, rien ne fonctionnait. Elle s’agita encore au point de renverser un verre. Non, le verre ne se renversa pas. La jeune Ygdraë passa au travers, passant le visage de la surprise au Rehla qui était à ses côtés. Daé, par réflexe, tenta lui aussi de prendre le verre et constata que sa main était faite de la même matière impalpable que celle de sa camarade.

Il prit une grande respiration. L’Ygdraë s’était calmée au moment où la main du Caeli avait franchi le verre. Il sourit et se dit que c’était une bien drôle d’épreuve que celle-ci. Il vérifia ses possessions rapidement, il arrivait encore à se toucher et à toucher ses propres affaires, l’oeuf qui voulait regarder ses aventures semblait servi, car calme également. Le Rehla se tourna vers sa camarade de table et lui demanda tacitement ce qui était en train d’arriver. Elle lui sourit, l’air ravi, lui prit la main. Cela fonctionna à la surprise - le mot était définitivement lancé - de Daé et elle lui dit d’un air un peu gêné : “C’est...c’est..la première fois que quelqu’un me voit. De quand venez-vous ? De là ? De...de ? De la taverne ?”

745 mots

La question avait de quoi désarçonner quiconque n'aurait pas vécu pendant plus de vingt ans dans un peuple secret qui était connu d'un petit cercle dans le monde pour avoir une université qui enseignait comment apprivoiser le temps. Mais elle ne le désarçonnait pas, parce qu'il commençait à devenir conscient, qu'au fur et à mesure que sa magie prenait de la densité et de l'ampleur, ce type de phénomène allait être plus que fréquent. Alors de quand venait-il ? Rester évasif. C'était une discipline à laquelle il s'était habitué, un mensonge par omission qui était le quotidien du peuple de la Lune. Surtout depuis que ses mentors étaient en train de devenir une forme de guide plus que les personnes qui réellement lui donnaient ses missions. C'était un changement de lien étrange. Il devenait comme ami, d'une amitié intergénérationnelle, avec Elsa et collègue avec Lyn. Car il n'avait aucune envie d'ajouter à son cercle d'ami quelqu'un que la magie du peuple noir avait autant abîmé. Non pas que cela ne l'intéressait pas, cela le fascinait même, mais il en avait terriblement peur.

Le retour à la "réalité". L'Ygdraë semblait en fait apeurée. Il ne réfléchit plus et se lança : "Je suis désolé si je t'effraie, sincèrement. On est d'accord, la magie a un problème ici, je suis pas censé te voir et tu es pas censée pouvoir me parler. Mais je crois que je viens pas du même quand que toi. Quand, Q-U-A-N-D hein. Pas C-A-M-P. Enfin, je préfère préciser. Mais...ouais. C'est, bref, tu as compris. Toi tu viens de quand ?" Elle le regarda un instant et lui répondit, l'air timide. "Je sais plus...mais...je regarde cette taverne depuis longtemps...je crois. Je dors là." "Tu as une chambre ?" "..." "Pas de soucis, tu peux ne pas vouloir me dire." Le temps se suspendit. Encore. C’était comme une récurrente. “J’ai une chambre oui.” “D’accord ! Ne t’inquiète pas, je ne te veux pas de mal, je voulais pas que tu dormes dans la grande salle ou dehors.” Un temps. “Je...je peux pas aller dans ma chambre.” Daé la regarda, l’air surpris, tout en essayant de rester doux. “Tu ne peux pas y aller ? Tu veux me dire un peu pourquoi ?” “Je sais pas si j’ai le droit.” Le Rehla avait peu travaillé avec des enfants, mais savait, de discussions et de lectures, que lorsque les enfants cachaient les choses à demi-mots de cette manière, iels étaient souvent mencacé.e.e.x quelque part. La tâche, même s’il ne savait pas exactement de quelle tâche il s’agissait, allait être plus compliquée qu’il n’y paraissait. “Tu es sortie quand de ta chambre la dernière fois ?” “...” Cette fois son silence semblait différent, ce n’était pas celui de la peur ou de l’incompréhension, mais du souvenir, du souvenir lointain, si lointain que cet arrêt de la parole n’en finissait plus. “A ce point-là ?” La phrase aurait pu faire sourire, mais le Rehla voulait tout sauf se moquer, il était sérieusement intéressé à la fois par curiosité intellectuelle et magique, la magie étant bien à l’oeuvre dans ce lieu et à la fois pour aider cette pauvre Ygdraë. “Tu veux bien me montrer discrètement ta chambre ?” Après un petit temps de réflexion, elle accepta. Elle mit longtemps, très longtemps à se déloger de sa chaise et lorsqu’elle le fit, il sembla à Daé que le monde leur glissait dessus, les regards, les gestes, les intentions, iels n’étaient plus palpables et c’était un sentiment étrange. Il n’osait pas lui demander si elle s’était toujours sentie comme ça, mais il se doutait bien que si c’était le cas, cela devait être très difficile...très très difficile. Après un temps, les deux nouvelleaux camarades se dirigèrent, en passant à travers le mur de la taverne, en direction d’un autre lieu de Ciel Ouvert, dont l’agitation était bien pâle lorsqu’on n’arrivait pas à en faire partie. Le Rehla comprit d’ailleurs très vite, au regard de l’Ygdraë, que les réflexions qu’il avait eu en quelques minutes dans cet état, étaient devenues quotidiennes dans sa tête. Il pria rapidement Phoebe de réussir à la sauver, d’une manière ou d’une autre, et espéra, sans le dire à l’Aehter, que son sauvetage ne passerait pas par un meurtre.

750 mots

"Je suis désolée mon petit gars, mais faut bien qu'on ferme à un moment et c'maintenant. Tu veux qu'j'trouve quelqu'un pour t'aider à aller quequ'part ?" La tenancière avait la figure au plus proche de Daé qui releva la tête de la table sans comprendre exactement. Il ne réfléchit pas avant de demander : "Mais...mais...elle est passée où l'Ygdraë ? Elle devait me montrer sa..sa maison et..." il s'arrêta en comprenant ce qui était en train de se passer alors que la tenancière retournait à son bar en rigolant. "HA. Encore un coup dans l'eau ? T'inquiète, ce s'ra la prochaine, garçon ! Allez, tire-toi qu'je ferme c't'endroit !" elle lui tendit un verre d'eau et lui fit signe de partir. Il était peut-être cinq ou six heures du matin. Le soleil était déjà fort dehors, mais la ville relativement calme. L'oeuf dans le sac de Daé s'agitait toujours tranquillement, comme excité à l'idée de découvrir un jour le soleil. Mais c'était devenu une préoccupation relativement moindre du Rehla. Il savait que ce rêve n'en était pas exactement un. Ou du moins qu'il avait un sens. Il était comme trop précis, trop parfait et il ne savait pas à quel moment il avait commencé à rêver. Il y avait ici quelque chose à régler. Le Rehla marcha, tranquillement en essayant de se reconcentrer sur les bribes qu'il avait. Il se souvenait que l'Ygdraë avait parlé de maison, de quelque chose d'autre. Il ne savait plus exactement quoi. Elle avait posé cette étrange question "De quand venez-vous" et surtout il avait l'impression qu'elle devait le guider quelque part. Mais en-dehors du lieu où iels étaient. Les premières âmes de Ciel Ouvert commencèrent à s'agiter et Daé en profita pour poser la question à une nettoyeuse de rues : "Vous n'auriez pas vu une Ygdraë, grande comme ça qui aurait un regard ass...EH ! Je vous parle !" Elle ne le voyait pas. Ça y était aussi dans le rêve. Peut-être était-ce un passage étrange quelque chose, duquel il n'était pas complètement sorti. *Pourtant, j'ai...j'ai parlé à cette tenancière..* "Bonjour !" lui dit la nettoyeuse avant de repartir comme si rien de spécial ne s'était passé. "Bon...jour..." elle lui sourit et continua son oeuvre.

Il soupira et s'assit sur un banc qui traînait. Il avait l'impression qu'il n'arriverait jamais à sortir de cet état. Mais il connaissait une personne qui pouvait l'aider. Et il fallait la contacter rapidement avant qu'il ne soit trop tard. Car même s'il ignorait tout de ce qui se passait, il sentait bien que c'était étrange. Il déchira une page de son carnet et y griffonna un mot à destination de cette Ygdraë dont il était à la recherche et s'envola.

~~~

"Comment ça : est-ce que je t'entends ? Mais t'as consommé quoi aux plaines rouges encore hier ? Faut que tu fasses gaffe à toi hein, Miirafae !" "Bon, je prends ça pour un oui. J'ai fait un rêve étrange. Je pense pas que ce soit lié aux Rehlas, mais j'ai l'impression qu'il y a quelque chose à régler là-bas." "Là-bas où ?" "Ciel-Ouvert". Elsa fit venir du thé et s'assit, l'air à la fois agacée et intriguée par ce que racontait le Caeli. "Je te dis que je comprends pas, c'était comme si j'étais dans son monde, puis plus dans son monde, puis dans son monde à nouveau. Et maintenant que je suis sorti de là-bas, ça ne se passe plus. Et j'avais l'impression que personne vivait ça. Et c'était clairement magique ! Je sais encore reconnaître de la magie quand j'en sens !" Elsa se leva et sortit de la pièce. Le Rehla soupira pensant qu'elle avait abandonné, mais elle revint quelques instants après, un petit livre, assez neuf, dans la main. "Ça pourrait coller... Mais...enfin jusque là on a peu vu de cartes qui parlaient, donc cette partie était sûrement un rêve. Après c'est pas encore une science exacte, enfin peut-être, mais j'en sais pas tout. En tous les cas, j'ai encore jamais rencontré de gardien.ne.x.s et je saurais pas où en trouver tout de suite. Prends-ça ! Et il s'appelle retour hein ! Moi je te laisse j'ai à faire."
Daé n'avait plus ou moins rien compris et se retrouvait dans cette maison dans les terres du Lac Bleu avec quelques mots écrits sur un ouvrage simplement relié :

"Le Tarot Maître et ses copies - Notes introductives"

800 mots

"(...) nos certitudes sur le sujet sont donc en tous cas les suivantes. Il existe des copies, en un nombre indéterminé. Le jeu originel est plutôt calme, mais les copies ne le sont pas (cf. pp. 25-27 sur les premières observations empiriques) et il existe des moyens de calmer ces-dites copies. Le problème étant qu'il existe un moyen différent pour chaque carte, ce qui n'avance en rien nos recherches. Des questions restent bien évidemment, bien plus même que de réponses. Celle qui inquiète aujourd'hui la communauté de recherche et moi-même est la question de la réunification de ces jeux si cela devait arriver. En effet, nous sommes presque (...)"

Daé se massa les tempes et referma le livre qu'il mit dans son sac avant d'ouvrir la fenêtre de la baie vitrée et de s'envoler le plus rapidement possible en direction de Ciel-Ouvert. Le chemin était froid et long et lui aurait permis de réfléchir à tout ce qu'il venait de découvrir s'il n'avait pas été occupé à s'assurer que l'oeuf qu'il couvait - malgré lui même s'il essayait de lui donner le plus d'amour possible - supporte le froid ambiant de ce genre de voyages. D'autant plus que celui-ci allait durer plusieurs heures et se dirigeaient vers les contrées froides de la ville des Arts qu'était Ciel-Ouvert. Au moins le problème était identifié, restait à le régler, et à le régler avant qu'une troupe de Gardien·ne·x·s des Cartes n'arrivent à Ciel-Ouvert. Non pas par un élan possessif quelconque du Rehla, mais parce qu'il était terriblement intrigué et aurait apprécié que le savoir pratique de cette carte qu'il était en train de chasser - si le terme était correct - lui revienne et puisse s'ajouter au savoir de son peuple et au sien. Il devait donc faire vite, car il était persuadé que si tout le monde commençait à sauter de temps en temps dans un monde où personne ne les entendait ni ne les voyait, les choses allaient commencer à se remarquer et la nouvelle à se transmettre.

Arrivé à Ciel-Ouvert, les plumes immaculées des ailes pleines d'un givre qu'il enleva d'une secousse, le Rehla était désarçonné, mais prêt. Il se secoua lui aussi, à la fois pour se réchauffer et pour se remettre en ordre et entra dans la ville en direction de là où tout avait commencé, l'auberge.

L’auberge était simple et joyeuse. Comme il s’y attendait, quelques personnes chantaient dans un coin et la majorité des gens semblaient extrêmement heureux. Il se demanda, l’espace d’un instant, où étaient les malheureux.se.x.s de Ciel-Ouvert, mais n’eût ni le temps de le noter et moins encore d’y répondre, car à peine fût-il entré avec son oeuf dans les bras qu’une jeune personne terriblement précautionneuse avait posé son oreille contre la coquille épaisse que Daé portait dans ses bras. Iel semblait écouter, très attentivement, ce qui se passait à l’intérieur. Ses yeux fermés étaient plissés sous l’effort et parfois, avec un souffle, iel essayait de lâcher la tension et son visage se détendait brutalement. Le jeu des tensions et des détentes fascinait le Rehla et c’était sans parler de l’attitude immensément délicate de cette personne. Au bout d’un instant, iel se releva, l’air un peu confus. “Je suis sincèrement désolée, j’avais rarement vu un oeuf de ce type, je n’ai pas pu résister à l’envie d’écouter, de comprendre. C’était très impoli de ma part ! C’est un serpent, et pas n’importe lequel, vous verrez !” Avant que Daé n’ait pu faire quoi que ce soit, avant même qu’il n’ait réussi à inspirer pour envisager de poser une question à l’inconnuex, ce.tte.x dernier.ère.x était parti.e.x par la porte de l’auberge, laissant le Rehla au son des violons et des percussions.

Puis le Rehla s'arrêta net. Il ne venait pas de vivre cette scène, mais de se voir la vivre. Il était entré et sans s'en rendre compte, face à lui se trouvait...lui-même. Un oeuf dans les bras et cette personne. Il avait déjà vécu cette scène. Et c'était il y a un jour, un jour et demi peut-être. Il se regarda s'asseoir à la table et s'endormir. Pas d'Ygdraë, mais une fête qui battait son plein dans la taverne et parfois quelques regards qui tournaient dans sa direction comme on pointe un.e.x fêtard.e.x qui n'a pas compris ses limites assez tôt. Et c'est à cet instant qu'il la vit. Dans un coin de l'escalier qui montait aux chambres. A peine eût-il aperçut son regard triste en train de le contempler, qu'elle disparut dans l'escalier et courut en direction des étages. Le Rehla n'hésite pas et fit de même, n'hésitant pas à marcher sur les tables et à bousculer l'assistance, ayant compris qu'il était aussi peu tangible que visible. Elle avait pris une avance considérable, mais le Rehla était devenu endurant à force de voyager à travers le monde et au fur et à mesure réussit à la rattraper, du moins à la retrouver dans son champ de vision. Elle était sûrement terrifiée, mais il fallait régler cette histoire, elle ne pouvait pas briser le Temps dans tout un lieu par sa simple présence. Le Rehla soupira un instant pour reprendre son souffle et en se rendant compte que sa vie était encore liée à une histoire de temporalité, sourit un coup et reprit sa poursuite avant d'arriver devant une trappe en hauteur qui donnait manifestement sur le toit. Il prit l'échelle et monta. Il avait une vue imprenable sur tune belle partie Ciel-Ouvert depuis-là. Une vue magnifique. Même en survolant la ville, il ne s'était jamais rendu compte à quel point cette ville creusée et montante était magnifique. Il sourit. En plus de cette vue, il avait la vue sur l'Ygdraë, recroquevillée dans un coin de la cheminée qui sortait du toit et qui semblait avoir peur. Daé leva les bras calmement et s'approcha d'elle. Il s'assit et désigna ce qu'iels voyaient de la ville. "C'est beau non ?" Elle ne répondit pas.

850 mots sans le paragraphe repris du poste I

"Tu ne m'as donc parlé qu'en rêve. Tu as fait exprès ?" Le regard d'incompréhension de la Lyrienne fit lever les yeux à Daé qui regarda en direction des étoiles allées dormir depuis bien longtemps et secoua la tête l'air de demander pourquoi elle lui avait envoyé ce rêve. Il revint sur l'Ygdraë, son regard se posant dans le sien. Elle avait l'air terriblement perdue. Le livre qu'il avait emprunté à Elsa ne parlait pas d'un point qui lui traversait l'esprit à l'instant. A quel point les cartes du Tarot Maître et de ses copies avaient conscience de qui elles étaient ? Si elles avaient une conscience, d'où venait-elle et comment se maniestait-elle ? Est-ce qu'il y avait chez elle une continuité de l'individu ? Il n'avait pas envie de lui poser toutes ces questions d'un coup, mais il avait envie de lui en poser certaines. Par d'autres biais, à la fois pour comprendre et aussi pour lui faire comprendre qu'il ne lui voulait pas de mal. Car l'approche allait être toute différente si elle se rendait compte qu'elle était en train de perturber une zone magiquement comme elle le faisait. D'autant que Daé ne savait pas si elle le faisait consciemment ou non et que sur lui ou sur des personnes aléatoires. Il lui laissa le temps. Le temps d'avoir l'air moins effrayé, le temps de s'apprivoiser en somme. C'était étrange pour lui, il avait l'impression d'avoir déjà fait ce travail une fois, dans ses rêves, et pourtant, ce n'était pas le cas pour elle, alors il attendit. Elle essaya parfois de le toucher, du bout du doigt, et il sourit en montrant à son tour ce qu'elle essayait de toucher. Dans un premier temps les bijoux qu'il portait aux oreilles, puis son bracelet, puis ses initiales, finement brodées sur le tissu qu'il portait, tout cela l'intriguait au point qu'au bout d'un moment, il eût l'impression qu'elle était simplement pleine de questions qu'elle ne pouvait pas poser. C'était bien triste, mais il avait déjà assez de problèmes à solutionner comme ça. Il tenta doucement : "Ta maison, c'est une carte ?" Elle le dévisagea un instant, il était prêt à soupirer se disant que le dialogue n'était apparemment pas la bonne option, puis elle acquiesça de la tête. Il sourit, doucement. "D'accord. Merci de m'avoir répondu. Tu sais que tu m'as pris avec ?" Elle rit. Cela avait l'air de la faire rire. Pas d'un rire mesquin, mais d'un rire de l'enfant qui a trouvé un compagnon de jeu. "Je vois." Daé rit aussi. "Tu sais."

Et l'instant se suspendit.

(Beaucoup de chercheur·euse·x·s, particulièrement Rehla, ont affirmé il y a longtemps de cela que le Temps est une donnée relative et qu'il dépend de bien plus de facteurs que ceux auxquels on pense au premier abord. Il est légitime de se demander si la première version de cette pensée, au-delà de considérations scientifiques et magiques sur les voyages temporels et les Maître·sse·x·s du Temps ne venaient pas de moments qui semblaient suspendus ; des moments où le temps semblaient passer différemment. C'est peut-être de là que viennent les pensées les plus anciennes sur le Temps.)

Il ne se suspendit pas réellement, mais l'Ygdraë et Daé passaient, en somme, un bon moment. D'abord parce qu'iels étaient seul·e·s et que cela apaisait Daé. Ensuite parce que l'oeuf semblait comme ronronner dans les bras de Daé et que cela détendait les deux corps sur ce toit et finalement parce que...le Rehla s'identifiait un peu aux problèmes de la carte. Cette sensation d'être en décalage, de savoir ce que les autres ne savent pas, de ne pas pouvoir être constamment dans le présent, mais de toujours devoir osciller et que les gens ne le réalisent pas vraiment. Daé comprenait tout cela. C'était sa croix et à une certaine échelle, c'était celle de sa camarade d'un jour.

Au bout d'un moment, comme si l'instant se finissait naturellement, les deux se regardèrent. "Tu as envie de retrouver ta carte ?" Elle aquiesça. "Et je suppose...si j'ai bien compris, que tu ne sais pas où elle est ?" Sa tête alla de gauche à droite. Le Rehla s'arrêta un instant et se pinça comme pour vérifier qu'il n'était pas à nouveau dans un rêve, puis tendit la main à l'Ygdraë en déployant ses ailes.

780 mots

Il existait quelques indices, même s'ils étaient ténus. D'abord, les créatures contenues dans les cartes avaient une conscience et donc l'Ygdraë qui s'accrochait au corps en vol du Rehla pouvait l'aider, ne serait-ce que par des indications visuelles. Ensuite, lesdites créatures apparaissaient apparemment dans un pentacle qui se dessinait au sol au-moment où elles étaient sorties de leurs cartes. Il n'existait aucune mention dans le texte de contenu résiduel de ce pentacle, mais une incantation pouvait laisser des traces de magie et Daé commençait à savoir ressentir ce genre de choses. Finalement, l'invocation s'était passée proche d'ici, car lorsque le Caeli avait commencé à décrire les lieux à sa nouvelle amie, elle avait semblé acquiescer à la description du désert polaire qu'était le Voile Blanc autour de Ciel-Ouvert. Ces indices étaient peu nombreux et relativement ténus, mais étaient préférables à partir à l'aveuglette. Daé commença donc à décrire une spirale, la plus régulière possible, au-dessus de Ciel Ouvert avec pour centre la taverne dont iels venaient de partir. L'Ygdraë semblait peu rassurée à l'idée de voler, mais Daé voulait trouver cela au plus vite, il essaya d'en faire peu cas, même s'il répétait en boucle, peut-être plus pour le rassurer lui que pour la rassurer elle "Ça va aller...ça va aller...ça va aller." Il n'avait rien spécifié concernant les Gardien·ne·x·s à la créature de la carte. Déjà parce qu'il n'en connaissait que trop peu et que ses craintes étaient peut-être entières fabulations et surtout parce qu'elle était déjà assez inquiète comme ça pour ne pas lui ajouter en plus l'idée d'être poursuivie. Comment ce Tarot Maître était-il né ? La genèse du jeu originel était rapidement décrite dans le livre qui était dans son sac, mais il y avait pleins de points qui restaient mystérieux. Les cercles commençaient à se faire de plus en plus loin de l'auberge et Daé ralentit le rythme, pour être sûr de ne rien rater. Sa jupe claquait au vent, froid et l se maudit de ne rien avoir mis pour couvrir ses jambes. Son haut était relativement plaqué et de la même couleur que le haut de la jupe, un habituel bleu nuit, et les manches avaient au moins le mérite de le protéger des vents mordants des hauteurs.

Soudainement, alors que Daé regardait droit devant lui, l'Ygdraë s'agita et pointa un point en contrebas, au milieu d'une dune de neige. Le Rehla maintint l'oeuf bien serré contre lui - il semblait excité et joyeux à l'idée même de cette aventure et le Martyr de la Lune trouvait étrange de le ressentir alors même qu'il ne connaissait pas l'être à l'intérieur - et plongea en piqué en direction de ce qui semblait être, en se rapprochant, une carte. Assez proche du sol, l'Ygdraë sauta et Daé s'arrêta net dans les airs en battant quelques coups d'ailes en direction du désert. Le pentacle dont il avait lu l'existence se dessina finement, lumineux, à l'intérieur de la dune de neige poudreuse et l'habitante de la carte sourit. La maison de cette habitante voletait au-dessus du centre du pentagramme dessiné et des fils de lumière sortirent de la carte pour aller s'entourer autour de la nouvelle amie du Rehla et pour finalement la faire disparaître à l'intérieur.

Il se posa. Délicatement. Et s'agenouilla à côté de la carte, la prenant comme l'on prend un escargot qu'on ne souhaite pas blesser en le déplaçant. A l'intérieur, l'Ygdraë avait les yeux fermés et tenait une horloge dans ses mains. Elle avait la tête baissée en direction de l'horloge, ses cheveux attachés négligemment derrière sa tête, laissant quelques mèches tomber en direction de cet objet auquel elle semblait accorder le plus grand soin. Malgré se tête baissée, on distinguait, sur son visage, un petit sourire entre l'apaisement et la nostalgie. La même nostalgie qu'il avait aperçu dans ses yeux, celle de pouvoir tout voir et tout entendre, sans pouvoir agir dessus. "Décidément, on s'est bien trouvé·e les deux... Je suppose que..." il ne finit pas sa phrase et mit la carte dans le livre que lui avait prêté Elsa - et qu'il ne comptait pas lui rendre de sitôt. Il avait quelques autres choses à faire cracher à se livre, car si la légende disait vraie les cartes étaient au nombre de cinquante-six et il n'en possédait qu'une.

Au moment où il voulut repartir, il entendit un petit sifflement et se retourna pour voir émerger de l'oeuf un serpent blanc magnifique, encore poisseux du liquide dont il était enrobé dans l'oeuf. "Thème du jour : Maison et confort apparemment ! Comment tu t'appelles toi ?" Daé rit et son rire se perdit dans le désert gelé.

FIN

800 mots