Reconversion religieuse
Tekoa & Eutropius

☙ Exit Music - For A Film

« L'emblème de Lubuska est une louve noire et une rose aux pétales rouge sang. » Lut Eutropius à voix haute, son index suivant consciencieusement les lignes d'écritures avant de descendre sur le dessin représentatif pour en retracer les reliefs. L'Æther des Enfants de la Nuit était aussi mystique que son peuple. S'il ne cesserait jamais de prier Ethelba, s'informer sur Celle guidant les Vampires était une nécessité s'il voulait intégrer leurs rangs un jour. Il ne pouvait se permettre d'impairs pour sa première virée chez eux en insultant leur divinité, il doutait que l'ignorance soit une excuse satisfaisante, surtout venant d'un Basphélien.

Il s'empara de son carnet à notes et entreprit de reproduire le dessin, le front plissé par la concentration. Au milieu de son entreprise, il bloqua son poignet au dessus du dessin et releva les yeux sur Tekoa. Ils s'étaient assis dans l'herbe en extérieur et plusieurs livres empruntés à la bibliothèque étaient empilés entre eux. Même si Eutropius n'avait pas eu besoin de l'injonction des professeurs pour s'intéresser de plus près à la culture des Enfants de la Nuit, les professeurs avaient désigné des binômes pour faire des recherches afin de préparer au mieux le voyage qui les attendait. Il ne connaissait guère son partenaire, arrivé récemment à Basphel, et n'avait échangé avec lui que les politesses d'usage. « C'est curieux, non, que ce soit une louve, quand on sait les inimités entre les Vampires et les Evershas ? Enfin, je suppose que cet emblème est plus ancien que leurs conflits. » Il haussa les épaules et reprit son recopiage. « Cela dit, il est écrit que Lubuska est connue pour ses talents de chasseuse, comme les loups donc. » Un pli inquiet se creusa entre ses sourcils. Devrait-il aussi apprendre à chasser ? Il n'avait guère d'appétences pour cela, n'ayant jamais eu à s'abaisser à chasser pour manger. Emettant toujours ses réflexions à haute voix, il ajouta : « Je me demande si les Vampires privilégient certaines races lorsqu'ils transforment une personne. Crois-tu qu'il faut savoir chasser pour être considéré par eux ? J'imagine que ça fait partie des choses à apprendre, en plus du reste. » Il espérait, en tout cas, car ce n'était pas à Basphel qu'il développerait cette compétence.

Eutropius reprit ensuite sa lecture et après quelques minutes, reposa son livre sur ses genoux ouverts. « Savais-tu que le visage de Lubuska n'est que très peu représenté ? Personne ne sait véritablement à quoi elle ressemble. La légende raconte qu'elle tue tous ceux qui s'essaieraient à le faire et dont le résultat lui déplairait. Je me demande si ça inclue les Orines. Peut-être ne s'y risquent-elles pas. » Jouant entre ses doigts, sa plume vint caresser son menton. « J'aimerais profiter d'aller à Seaghdha pour assister à une de leur cérémonies religieuses. Enfin, pas du point de vue du sacrifié, bien évidemment. Mais je ne suis pas sûr qu'ils accepteraient. Peut-être qu'en s'y glissant en douce ? »

520 mots

Idée suicidaire en vue

Rp précédent : Echec critique de la mission

Assis en tailleur, je regardais de temps en temps Eutropius, penché sur un livre. Je ne savais pas lire la langue commune. Je savais simplement la baragouiner, mes phrases ponctuées d’un fort accent duquel je n’arrivais pas à me détacher. Dyonis m’avait montré l’écriture de l’Obien Syliath, le langage des Sorciers, mais ses mots m’étaient toujours compliqués à déchiffrer. Avec des potions, il avait pu améliorer mon niveau le temps de notre cohabitation mais ce dernier s’était peu à peu tari depuis mon arrivée à Basphel. Il y avait néanmoins des mots que je reconnaissais. Lubutska était l’un d’eux. Mes sourcils se froncèrent. Je n’aimais pas entendre le nom des Ætheri dans la bouche des non-Chamans. Ces hérétiques ne connaissaient rien à la religion. Ils priaient les Dieux comme ils existaient : mal. Ils n’avaient aucune conscience de la vraie prière et n’entendaient pas les voix des Esprits. Ils étaient incultes, ignorants. Il ne m’appartenait cependant pas de leur enseigner quoi que ce fût. Loin de chez moi, je devais m’astreindre à les regarder vivre comme des cloportes en étouffant ma curiosité vis-à-vis de ces derniers. J’avais été éduqué sous le règne de l’Hǫfðingi Devaraj Saälm Taiji. À ce titre je haïssais les Humains et considérais les autres peuples comme étant impurs. Je le devais, malgré le trou béant que son absence avait créé en ma poitrine, malgré l’évolution des mœurs. J’avais toujours admiré Léto, sa force, que je lui enviais. Je vénérais ma Souveraine comme une Déité, car elle en était la seule Élue. Les autres Souverains n’étaient que des contrefaçons, des pions dans un jeu que personne ne maîtrisait.

À chaque phrase interrogative, je me mis à hocher la tête, en tentant de faire abstraction des Esprits qui tournaient autour de nous et discutaient entre eux. Certains m’adressaient des demandes. Ils voyaient en moi le Chaman que j’étais et que personne ici ne remarquait. La fréquence du mot Lubutska dans son discours m’indiqua qu’il désirait entrer en communion avec la Déesse. Il n’en était pas digne mais l’idée de le mettre à l’épreuve germa dans mon esprit. « Oui. » répondis-je à sa dernière question, sans avoir ne serait-ce qu’une foutue idée de ce que signifiait s’y « glisser en douce ». Parlait-il de caresses ? Glisser… doux… Mon niveau m’obligeait à l’incompréhension des phrases imagées. En plus de cela, il parlait vite, ce qui ne m’aidait pas.

Je finis par bouger et attrapai sa plume. « Donne. » dis-je, avec un accent à couper au couteau. J’enlevai le haut de mon uniforme, un vêtement qui était une offense du fait de sa seule existence. J’avais toujours vécu quasi nu. Je plaçai correctement l'objet et passai son tranchant sur mon pectoral droit, à côté de mon tatouage en plume d'oiseau. La morsure de la blessure me fit serrer les dents mais je n’abandonnai pas et entaillai assez pour laisser couler le sang. « Toi dois boire si Lubutska. » lui assénai-je, sûr de moi. Boire et faire des sacrifices. Chasser et tuer. Des orgies de sang. « Courageux. »

504 mots
Les bonnes idées ça  

Reconversion religieuse
Tekoa & Eutropius

☙ Exit Music - For A Film

Plus Eutropius y songeait, plus ça lui paraissait une bonne idée, et surtout une chance à ne pas rater. Depuis qu'il avait reçu son invitation, sa cervelle fourmillait en permanence. Ses attentes grandissaient de jour en jour. L'idée de rencontrer son futur Créateur ou Créatrice suffisait à l'éloigner de l'endormissement. Si tout se passait selon ses vœux, et même si c'était beaucoup plus tôt qu'il ne l'avait escompté, alors il ne reviendrait pas à Basphel.

Surpris, il abandonna sa plume à son binôme. Ses yeux s'écarquillèrent ensuite et il se statufia, pris de court. « Qu'est-ce que tu fais ? » Demanda-t-il stupidement alors que son vêtement s'échouait sur le sol. En regardant autour d'eux, il aperçut d'autres élèves qui gloussaient en les regardant, ou fixaient simplement Tekoa avec curiosité. « Rhabille-toi. » Grinça Eutropius entre ses dents, embarrassé par le manque de savoir-vivre et de l'attention que le garçon attirait sur eux. Il se tut proprement en le voyant se mutiler avec la pointe de la plume. Son regard couru sur les tatouages marbrant sa peau, les muscles qui s'y dessinaient en filigrane, le mince filet de sang roulant allègrement sur son pectoraux dont il suivit la course avec fascination.

« Comment ? » Articula-t-il froidement. Il ne comprenait rien. Ni son comportement, ni ce qu'il lui disait. À quoi jouait-il ? « C'est une plaisanterie, c'est ça ? » Il s'assombrissait, persuadé que l'autre se moquait de lui. Qu'est-ce qu'il croyait ? Qu'il allait se ridiculiser en venant le lécher ? L'image même suffisait à griffer son échine d'un frisson de dégoût et d'autre chose qu'il refusa d'analyser. Dans le doute, il opta pour son hypothèse initiale. Eutropius était toujours resté hermétique à l'humour. Pire que ça, il l'exécrait. Trop de gens en usaient pour faire passer des vérités qu'ils ne se sentaient pas capables de dire en face ; quant aux moqueries, elles concernaient ceux qui avaient besoin de se rassurer sur leur place dans la hiérarchie sociétale. « Rhabille-toi. » Répéta-t-il, cette fois avec mauvaise humeur. Il prit son haut et le jeta sur les jambes de Tekoa. « D'où tu viens, d'ailleurs ? » L'interrogea-t-il soudainement, suspicieux. Il additionna mentalement les informations à sa disposition et l'horreur fusa dans ses iris. « Tu es un Réprouvé ? » Murmura-t-il, le dégoût lourd sur sa langue, certain de sa conclusion maintenant qu'il l'avait verbalisée. Il n'y avait qu'eux pour se comporter si mal. N'en ayant jamais rencontré, il attribuait son accent exotique au leur. Comment cette école prestigieuse pouvait accueillir ces crétins arriérés ? Ce garçon savait à peine parler la langue commune. Les Manichéens n'avaient rien à faire ici, et surtout, il était surpris qu'ils souhaitent même y être.

« En fin de compte, tu devrais aussi m'accompagner à une de leurs cérémonies religieuses. » Lâcha-t-il, le fixant droit dans les yeux. Il ferait un morceau de choix sur l'autel de Lubuska.

522 mots

Uh oh

« Sang. » Il y avait des mots que j’avais appris en premier : ceux qui avaient un rapport avec la religion. Le sang, la torture, la mort, la vie, les rituels, les sacrifices, les orgies. Ils étaient nombreux, leurs mots, mais pas autant que ceux de mon peuple. C’était comme être amputé de la capacité d’exprimer des idées. Je l’étais déjà à cause de mon trop peu de connaissances mais le manque de précision du langage commun ne m’aidait pas. Mes yeux se fixèrent dans ceux du brun. Il dégageait la même chose qu’Érasme, quelque chose de sombre. « Non. » S’il voulait prier et honorer la Déesse, il devait boire du sang. S’il ne comprenait pas, il serait probablement maudit. Quant à la pudeur, je ne la saisissais pas. Que des êtres pussent vouloir cacher le cadeau que les Ætheri leur avaient fait me dépassait. La chair appelait la chair. Il y avait un lien entre les êtres. Cacher le corps c’était cacher la nature, dissimuler l’évidence. Pourquoi faire ? Il fallait avoir honte ou peur probablement pour en arriver à de telles extrémités. « Non. » répétai-je, plus fortement. Je n’allais pas remettre mes vêtements. Il avait commencé à parler de religion le premier. « Réprouvé ? » Le mot était très loin de m’être inconnu. Dastan était un Réprouvé. Les Réprouvés avaient perdu la guerre. Dyonis m’en avait longuement parlé, en les décrivant comme primaires. J’étais d’accord avec lui. Les Réprouvés priaient de faux Dieux et me comparer à ces derniers étaient une insulte. Leurs Zaahin étaient une hérésie. Je serrai les poings après avoir lâché la plume et fronçai les sourcils. « Je souis pas Réprouvé. » fis-je l’effort d’articuler. Jamais de la vie. Si j’avais voulu aider le rouquin, c’était parce que je pensais pouvoir le sauver de son égarement. Il croirait aux véritables Dieux, de gré ou de force. Sinon, il serait sacrifié.

« Maintenant cérémonie. » Je n’aimais pas les pronoms. Je soupirai, en voyant qu’il n’agissait pas. Je m’approchai après avoir repris la plume et lui attrapai le poignet. Il ne voulait peut-être pas boire mon sang. Peut-être le sien lui semblait-il mieux ? J’avais remarqué que les autres peuples étaient plus individualistes. Le collectif ne leur parlait pas. Ils étaient tous malades. J’approchai le tranchant, en maintenant ma prise, et mimai le mouvement qu’il devrait faire pour que son sang jaillît de la plaie. Puis, j’amenai ma propre paume à mes lèvres pour faire semblant de boire. « Honorer Déesse. » Je le regardai. « Sinon maudit. » Je le regardai encore, comme si je voulais le convaincre en le fixant ardemment. Puis, quand j’estimai que c’était assez, je me relevai. « Livres pour nuls. » laissai-je tomber. Seule l’oralité comptait à mes yeux car elle signifiait la transmission et la compréhension, de la vieillesse vers la jeunesse. J’envoyai mon pied dans l’ouvrage, avant de partir, la chemise qu’il m’avait renvoyée tombant au sol comme un vulgaire chiffon.

488 mots
Fin