« La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent » est une citation stupide provenant d’une personne qui n’avait pas essayé assez de fois. En tout cas, c’est ce que se disait Otobis. Rien n’indiquait qu’il avait le moindre talent en création de potion. Au contraire, tout suggérait que dans le domaine, il générait plus de catastrophes que de succès. Au mieux, ses philtres n’avaient pas d’effet. Au pire, il se mettait en danger. Cependant, ça ne l’empêchait pas de persévérer.

Alors, le sorcier s’était infiltré dans la salle des ingrédients de potions. C’était la troisième fois ce mois-ci. Le personnel de Basphel ne s’était toujours pas rendu compte que la serrure n’était plus alignée avec le mur, empêchant la porte de fermer correctement. Il faut dire qu’il y avait beaucoup à faire, dans cette école remplie d’éléments perturbateurs. Dans tous les cas, Otobis comptait bien effectuer une vraie razzia de matières premières. Oeil de crapaud, bave de grenouille, urine d’ygdraë… tous les animaux du bestiaire y passaient. Cela étant, il gardait encore un peu de place dans son sac pour l’ingrédient phare : l’émincé de limace.

C’était ainsi qu’il comptait fabriquer une potion souvent moquée par les sources scientifiques les plus réputées : l’élixir de puissance. Mais il n’allait pas seulement en créer une légère fiole : il comptait bien boire une bouteille entière de sa concoction divine. Ainsi, rien ne pourrait l’arrêter. Aucun professeur ennuyeux, aucun élève plus charismatique que lui et, par-dessus tout, aucun magicien. Il allait dominer Basphel, et imposer ses règles sur la populace. Les étudiants se verraient face à un choix simple : aller dans son sens, ou aux cachots.

Il visualisait déjà le Royaume des îles suspendues qui serait bientôt sien. Des châteaux à perte de vue, des runes mystérieuses, et un drapeau bleu océan à chaque coin de rue. Son règne ne ferait pas l’objet d’un culte de la personnalité. Personne n’aurait besoin de connaître l’identité d’Otobis. Il serait l’ombre derrière chaque édifice, la flamme sur chaque torche et la tête derrière chaque plan d’expansion de l’empire. Il serait infini, et personne n’oserait contester l’autorité d’un roi qu’ils ne peuvent pas voir.

Ses rêveries étaient si douces qu’elles lui donnaient envie de rester endormi. Pourtant, il devait se réveiller pour faire de ses désirs une réalité. Laissant s’échapper un soupir décidé, le sorcier bleu se précipita vers la sortie. Il visualisait déjà son épopée. Les prochains pas seraient les plus durs. Une fois qu’il serait suffisamment loin, plus personne ne pourrait suspecter qu’il était à l’origine du vol et, dès lors qu’il aurait ingéré la potion, plus rien ne pourra l’empêcher de prendre contrôle de Basphel.

Pourtant, alors qu’il s’apprêtait à galoper en direction de sa chambre, il fit face à un obstacle.

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Otobis essayait de rembobiner la scène dans son esprit, pour y trouver un semblant de cohérence. Les images et les sensations lui revenaient sans problème. Il se souvenait de tout : le vol, l’adrénaline, l’euphorie puis, l’instant d’après, la surprise et la terreur. Il avait pris trop d’élan pour pouvoir arrêter l’impact. Alors, les yeux fermés comme si cela allait pouvoir alléger la douleur d’une collision frontale, il avait foncé tête la première dans… du vent. La désorientation le fit tituber pendant quelques pas, avant qu’il ne décide de se retourner. S’il n’y avait personne, il aurait pu mettre cela sur le coup d’une hallucination passagère. Pourtant, une élève se tenait bien devant lui. Elle s’excusait même de l’avoir bousculé – alors qu’il venait de lui foncer dedans –. Cette situation était lunaire, et le sorcier devait avoir l’expression d’un cerf surpris d’être épargné par le chasseur.

Sans refermer sa mâchoire, il gesticula maladroitement, incapable de trouver une meilleure manière de communiquer et d’exprimer sa confusion. Trois pauvres phrases bataillaient dans son crâne, avant qu’il ne se décide d’articuler d’une voix hésitante. « Je… oui, bien. » Otobis n’avait jamais été bon avec les mots, et les moments comme celui-ci ne faisaient qu’empirer son syndrome d’inaptitude verbale. Il espérait que l’élixir de puissance changerait cet aspect de sa personne. Heureusement, il avait maintenant l'opportunité de tester cette hypothèse puisqu’il disposait de tous les réactifs nécessaires pour concevoir la potion tant rêvée. À moins que...

Cette pensée réconfortante en engendra une autre, bien plus alarmante. Il avait les deux mains libres. Où étaient donc passés les ingrédients ? Un rapide balayage de son environnement lui apporta la réponse. Dans la précipitation et la panique causée par cet impact fantomatique, son panier lui avait échappé, renversant au passage son contenu aux quatre coins du couloir. « Oh non ! Non non non ! » L’apprenti sorcier pointait du doigt les émincés de limaces qui étaient en train de faire connaissance avec le sol.

Ce genre de potion nécessitait l’utilisation de produits frais et, si possible, dénués d’impuretés. Il suffisait d’un grain de terre amené par la botte d’un élève peu hygiénique pour compromettre la réaction alchimique. Otobis se précipita pour sauver ce qu’il pouvait. Le temps était précieux : il ne pouvait se permettre de perdre une seule seconde. Son cœur battait la chamade. Tout ses plans de domination étaient désormais compromis. « Mes ingrédients ! Aide-moi s’il te plaît ! » lança-t-il à la fille, comme s'il ne venait pas juste de la traverser. Sa panique était telle qu’il avait complétement oublié l’événement surnaturel qui venait de se produire. Il aurait l’occasion de lui demander s’il lui était rentré dedans ou non plus tard : ce qui comptait, c’était ces fichues limaces.