Otobis n’était pas de bonne humeur, aujourd’hui. Dire qu’il se sentait inefficace serait un euphémisme. Il avait l’impression de ne rien accomplir, et ce n’était pas qu’une impression. Titubant dans les couloirs — car il boîtait encore depuis l’accident, il n’avait pas même pris la peine de vérifier que l’Original était dans sa chambre. Si quelqu’un les croisait les deux à l’extérieur, et bien… tant pis. Le pot aux roses serait révélé. Tout changerait, mais ça ne pouvait pas vraiment être pire.

Alors, il déambulait. Pendant quelques minutes, ou peut-être quelques heures. Toujours est-il qu’il finit par atteindre un cul-de-sac, dont la seule issue était une porte. Trop las pour se retourne, il prit la peine de lire l’intitulé de la salle qu’il s’apprêtait à envahir. « Club d’échecs » Hm. Il n’avait jamais vraiment joué aux échecs, mais il lui semblait que les règles étaient simples. On lui avait parlé de certains joueurs connus, un jour. Il ne s’y était pas intéressé, mais, puisqu’il n’avait rien d’autre à faire et que l’alternative était de rester contempler le mur, il s’engouffra dans la pièce.

Il y avait cinq ou six personnes. Des amateurs d’échecs, visiblement. Ils n’avaient pas remarqué la présence du garçon chétif. Ce qu’Otobis trouvait étrange, cela dit, c’était la configuration de leurs chaises. Cette salle de club était vétuste, et il n’y avait aucun échiquier à l’horizon. Tout ce beau monde était donc assis en cercle. Le sorcier imagina qu’ils devaient échanger à propos de stratégies d’échecs. Pourtant, plus il restait là à absorber ce que ses sens lui amenaient, moins cette hypothèse tenait debout.

« En fait, ça a commencé en quatrième année. Je voyais pas l’intérêt d’être ici et j’avais pas l’impression d’apprendre grand-chose ici. J’étais pas malheureux, après… juste perdu. Puis, avec mon groupe d’amis, on blaguait beaucoup sur à peu près tous les sujets. Mais bon, on a vite fini par voir qui rigolait juste, et qui était prêt à pousser la blague un peu plus loin. J’étais dans la deuxième catégorie, forcément. Après… pour être honnête, je regrette pas mes premiers souvenirs avec la racine d’Az. C’était des expériences incroyables, mais j’ai eu quelques problèmes ensuite, donc ça m’a forcé à m’arrêter. Mais quand j’en mâchais tous les jours, j’ai encouragé un de mes amis à faire pareil et il y a pris goût très vite. Il a même fini par aller trop loin. Ses parents l’ont su, parce qu’il prenait dans leur argent pour nous fournir. Ils n’ont pas cherché à comprendre, et ils l’ont retiré de Basphel aussitôt. Ils l’ont aussi interdit de nous parler à nous, ses amis, parce qu’apparemment on est une mauvaise influence. Et le pire, c’est qu’ils ont peut-être raison sur ce point. Mais il était malheureux à Avalon, et, surtout, il n’aura pas de mal à se fournir là-bas s’il le veut. C’est ironique… même si c’est à cause de Basphel qu’il a commencé, c’est aussi nous qui faisions en sorte qu’il n’aille jamais trop loin. On le soutenait au possible. Là, seul, interdit de nous parler, coincé dans la cité des Vices… je n’ose même pas imaginer ce qui va arriver. »

Otobis avait comme l’impression qu’il ne s’agissait pas d’un club d’échec classique. Fasciné par ce qu’il entendait, il n’avait même pas vu qu’une autre personne était entrée dans la salle. « Ton échec, c’est ta scolarité ? » – « Même pas, je dirais que c’est surtout mon amitié avec lui… et je me sens responsable. » – « Je vois. Avant de parler un peu plus de ton histoire, nous devrions inviter les deux nouveaux à s’asseoir. » Celle qui semblait organiser le groupe se retourna vers les deux garçons perdus. « Bienvenue au club d’échecs. Ici, on parle de nos échecs. Vous avez des échecs à partager ? »

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