Un message avait été envoyé au port duquel était parti Alþjófr pour rejoindre Ryvië. Son séjour commençait à s'éterniser et, bien que particulièrement intéressant, il ne pouvait s'attarder plus en ces lieux. Lorsque le navire pénétra la frontière maritime de l'île et qu'une embarcation fut mise à l'eau pour rejoindre la terre et récupérer le voyageur, l'un des résidents vint prévenir ses comparses et leur Roi. La liesse qui avait accueilli son arrivée se transforma alors en une peine de le voir s'en aller. Une effervescence désolée s'était alors emparée du village, qui ne s'atténua que peu lorsqu'Alþjófr les quitta, accompagné jusqu'à la rive par Naya. « Nous espérons tous que vous nous reviendrez bientôt, Roi de la Montagne. » salua la conseillère dans une courte révérence, en réponse de quoi le Nain lui sourit. Il ne pouvait rien promettre. Il avait sa famille qu'il avait déjà quittée depuis trop longtemps. Il y avait son peuple, pour lequel il était parti. Son Roi, à qui il devait lui-même allégeance. Il n'écartait cependant pas l'idée de revenir. Il avait une idée en tête et, pour cela, il lui fallait retourner chez lui, au sein de la Terre de Feu. « Nous nous reverrons, c'est une certitude. » lui affirma-t-il alors plutôt en passant son baluchon par-dessus l'épaule.

Toute la durée du voyage, Alþjófr n'avait que peu quitté les ponts inférieurs. Il n'était pas forcément atteint de mal de mer, cependant il ne se sentait pas à l'aise si loin des terres. La première fois que ça lui était arrivé, il y a plusieurs années déjà, ça avait été lors de la venue des Voyageurs et des Baspheliens. Le vaisseau naviguait alors sur les nuages et, si la curiosité l'avait poussée à demeurer sur le pont supérieur au départ, l'absence de toute matière minérale le rendit vite mal à l'aise. Il avait compris à cet instant quel lien étroit liait le peuple des mines à leur terre nourricière et protectrice. Les légendes disaient qu'ils étaient nés de la terre, et ces sentiments qui le traversaient chaque fois qu'il s'en éloignait le poussaient à croire cette histoire vraie. Ainsi, ce fut un voile de douceur qui enroba son cœur lorsque Utgard entra dans son champ de vision, faisant passer le froid mordant de la montagne rougissant son visage au second plan. Un sourire fleurit sur ses lèvres à l'abri derrière une épaisse écharpe de mohair. Il était rentré, enfin. Un sentiment de nostalgie le gagnait chaque fois qu'il empruntait ce passage. C'était ici que son aventure avait véritablement commencé, en une envie germant dans sa tête et enlaçant de ses racines secrètes ses songes. Ce jour lointain où il eut dépassé pour la première fois la frontière des montagnes pour se diriger vers la forêt noire des Elfes sombres. L'un des lieux les moins hospitaliers du continent, et pourtant celui qui lui avait donné le goût de l'aventure. « Alþjófr ? » - « Bonjour brótnir. » fit le voyageur en saluant le Nain gardien de l'entrée après avoir retiré son écharpe. « J'ignorais que tu rentrais aujourd'hui. » reprit ce dernier en jetant un œil par-dessus l'épaule de son comparse. « Tu es seul ? » - « Oui, les autres sont encore à Utopia. » confirma Alþjófr avant reprendre. « Mais je m'attarde pas. J'ai une requête envers notre Roi, je repars directement après. » - « Depuis que tu as vu le monde extérieur, tu es intenable. » ria le gardien comme Alþjófr s'éloignait déjà. « Tu serais parti également, tu comprendrais pourquoi. » rétorqua-t-il à son tour en disparaissant dans les tunnels.

C'était le milieu de la journée. Il n'espérait pas trouver Án et Jari chez lui, et il ne pourrait échanger avec le Roi que dans la soirée, aussi préféra-t-il aller directement trouver son mentor dans les Forges. Avec lui aussi, il avait prévu d'échanger à propos de l'île. « Ginarr ! » le héla-t-il en le voyant enfin. Le roux cessa son travail et leva la tête à l'interpellation, un large sourire se dessinant alors sur son visage couvert de suie et de sueurs. « Alþjófr ! Je te croyais chez les Humains. Vous êtes rentré quand ? » accueillit-il son apprenti en écartant les bras pour une embrassade fraternelle. « Je suis le seul à être rentré. » corrigea Alþjófr en enlaçant Ginarr. « Je devais parler avec l'Elu d'Estella. Je retourne dans le Désert ensuite. » répéta-t-il ses explications en se détachant de son maître pour s'asseoir sur un support à proximité. « Ah ouai ? Qu'est-ce qui peut être assez important pour que tu fasses l'aller-retour comme ça ? » interrogea ce dernier en se remettant à la tâche, plongeant l'ébauche d'une lame dans les flammes. Alþjófr fouilla alors dans son balluchon. « T'as entendu parler des Archipels de Maggie ? ». Les sourcils froncés, l'aîné des deux posa le regard sur son apprenti. Il avait assez frappé l'enclume pour pouvoir se vanter connaître les différents lieux qui composaient ce monde, même sans avoir voyagé comme l'avait fait son cadet. « Ces îles sont apparues du jour au lendemain dans la mer d'Ostëra. C'est là-bas que j'étais avant d'arriver. » expliqua le plus jeune en s'approchant de son mentor, un assortiment de petites gemmes brillantes dans le creux de la main. Curieux, l'attention de Ginarr se porta alors sur les pierres. Il décida finalement sortir la lame des flammes pour la poser sur l'enclume et observer en détail ce que le voyageur lui présentait. « C'est quoi, une sorte d'émeraude ? » fit-il en même temps qu'il se saisit d'une petite gemme verte pour l'observer sous toutes les coutures. « Ça en a l'air, mais j'en avais jamais vu de ce genre. » - « Hum. C'est pour ça que tu veux voir Ragnar ? ». Il rendit le minerai à son propriétaire, prenant ensuite appui sur l'enclume dans l'attente de savoir ce que son apprenti voulait réellement faire de ces pierres. « Pas seulement. Mais ce sont elles qui m'ont poussé à revenir aussi vite, oui. Il y a que dans ces Forges que je peux être certain de tester correctement la dureté et la malléabilité de ce genre roches. Sans parler du fait que ce sera pas chez les Humains que je pourrais voir la façon dont la magie réagit à leur contact. ». En proie à la réflexion, Ginarr se passait la main dans la barbe, silencieux et l'œil rivé sur les cailloux. Son apprenti avait toujours été curieux du monde, il n'était donc pas étonné de sa réaction face à cette nouveauté. « Très bien, je finirai ça plus tard. » conclut-il son fil de pensée en débarrassant l'enclume de la lame qui gisait dessus. Il reprendrait son travail de forge après.

Nípingr avait été réquisitionné pour aider Alþjófr et Ginarr dans leur tâche. Ce dernier avait une compétence que ne possédaient pas les deux autres : celle de la joaillerie. Car, quitte à travailler avec des pierres précieuses, autant en faire quelque chose de beau. Chacun à son poste, tous travaillaient de concert pour un résultat qu'ils espéraient des plus beaux. Quand Ginarr mettait les gemmes à l'épreuve des éléments, Nípingr s'occupait de les tailler et les enjoliver avant de les incruster sur les supports créés préalablement par Alþjófr. Bagues et médaillons s'étalaient au fil des heures sur une table à proximité. Ne restait plus qu'une pierre nue, fusion de ce qui semblait être du rubis avec du jaspe noir. Une épaisse pince en main, Alþjófr fit couler le métal chauffé — un mélange d'or et d'estak — dans un moule en terre cuite. Lorsqu'il fut certain que le métal eut durci, il brisa d'un violent coup de marteau la brique pour en sortir un large anneau qu'il tendit à l'orfèvre. C'était la dernière pièce. Avec finesse et dextérité, Nípingr y glissa la pierre de sorte à la bloquer à l'intérieur du bijou. Il en testa le maintien, avant esquisser un sourire ravi en constatant que la pierre ne bougeait pas. « C'est où que t'as trouvé ces pierres déjà exactement ? Je les aime beaucoup. » commenta Ginarr en détaillant un médaillon brillant de couleurs ambrées. « Elles poussent sur Ryvië, une île de ces archipels dont je t'ai parlé et que je dois également évoquer à notre roi. » répondit Alþjófr. Ses aînés le fixèrent alors, surpris par ce qu'il venait de leur dire. Non pas qu'il dût parler de cette île à Ragnar. Ça n'était que secondaire face à ce qu'il venait de dire à propos des gemmes. « Comment ça "elles poussent" ? Depuis quand les pierres ça pousse ? » s'étonna Ginarr. À l'évidence, le monde avait déjà bien changé depuis la dernière fois qu'il avait mis les pieds dehors. « On les trouve à la place des noyaux dans certains des fruits qui poussent là-bas. C'est d'ailleurs pour ça qu'elles sont pas énormes. Mais au moins j'ai pas à m'inquiéter du problème de l'épuisement de la ressource. » - « Par Estella, je serais bien curieux de voir ça. » commenta Nípingr à son tour en posant le bijou qu'il tenait encore en main. « C'est justement ça la raison pour laquelle je souhaite parler à Ragnar. » répliqua Alþjófr, le regard se portant sur le médaillon que tenait son maître en constatant la lueur claire qui en émana sous l'impulsion magique du roux. « Cette île est sous ma protection. Les résidents m'y ont nommé roi. » - « Ils sont au courant que tu ne l'es pas ? » l'interrompit Ginarr en reposant le médaillon. « Bien sûr. C'est une des premières choses que je leur ai dit même. Mais rien n'y fait, pour eux je suis leurs souverains. Ce qui fait que, indirectement, ils sont soumis au règne de l'Elu d'Estella. ». Sans compter que, si l'île lui appartenait, alors il avait toute autorité sur ce qu'il s'y déroulait. La dernière fois avait été évoquée une colonie sur Orahza pour maintenir des échanges avec le monde plus facilement que présentement. Le temps que la chose se fasse, Ryvië pouvait être une première plateforme pour ça.

Le balluchon était maintenant plein des créations issues des gemmes de l'île. N'en demeuraient que trois qui n'y avait pas trouvé leur place. La première, un anneau d'argent et de quartz blanc, avait fini dans un petit écrin, acheté sur le chemin de la maison. Pour Án. La seconde, une broche d'acier matifié dont la forme évoquait un oiseau, laquelle était sertie de jaspes rouges, d'opales blanches dendritiques, de quartz rose et de tourmaline paraiba, trouva l'abri d'un petit pochon de cuir. Pour Jari. La dernière, également dernière création du lot, se retrouva dans une pochette de velours pourpre. Pour Avalon. Un de ces peuples qui avait également subit la vie par le passé. D'une écriture épaisse et rugueuse, Alþjófr nota quelques mots brefs sur un morceau de papier, avant l'y glisser également. « Brinðald protège son peuple des maux. Il protégera son porteur. ». Mais Brinðald était également un justicier qui ne tolérait que peu les humeurs assassines, y compris lorsque cela concernait son propre peuple. Ceux-là étaient purement et simplement délaissés du héros de jadis.