La matinée était bien entamée. La Terre de Feu grondait déjà de son activité quotidienne. Les établis étaient installés, les marchands discutaient de tout et de rien avec leurs voisins, les enfants reproduisaient les histoires de la Vólþruspa et, si l'on tendait suffisamment l'oreille, l'on pouvait entendre les Forges hurler, chanter et siffler. Pourtant, ce n'était rien de tout cela qu'Alþjófr allait rejoindre. Un éclat de rire attira son attention un instant avant qu'il ne se replonge dans la préparation de son sac de voyage. La veille, Ginarr lui avait signifié qu'il rejoindrait la Surface ce jour-ci, sans plus de précisions toutefois sinon qu'il aurait des chances de s'aventurer par-delà les frontières naines. Il supposa donc qu'il devait se préparer pour plus qu'un simple travail de chasse et de cueillette. Car si ce genre d'expédition était régulière, c'était bien lors de ces voyages-ci que le Petit Peuple se retrouvait le plus démuni, et donc en danger. Les humanoïdes de ce monde n'étaient pas les seules menaces auxquelles ils devaient se confronter. Ainsi, une fois prêt et habillé d'une tenue de voyage adaptée à de potentiels longs et éprouvants trajets et la barbe coiffée d'un unique anneau de métal maintenant l'ensemble proprement, Alþjófr quitta la maisonnée pour rejoindre le groupe d'aventurier non loin de Nidavellir, prêt à quitter la Terre de Feu. Son regard balayant l'assemblée à la recherche du visage familier de son mentor, il constata finalement le Forgeron absent en plus des pioches, pelles et d'épais sacs disposés un peu à l'écart. Le jeune Nain se tourna vers l'un de ses comparses afin de confirmer le fait qu'il soit simplement arrivé avant son maître. « Excuse-moi ? Ginarr n'est pas encore là ? » - « Ginarr ? Il sera pas là aujourd'hui. » répondit sobrement son aîné, une ride inquiète marquant alors le visage du jeune Chercheur. Non seulement il laissait planer le doute et le mystère sur sa destination du jour, mais en plus il ne serait pas là pour lui fournir les explications adéquates en temps réels ? C'était un abus de confiance, non mais ! Pourtant il n'arrivait pas vraiment à lui en vouloir. Il aimait voir le monde autant que souffrir de la chaleur des Forges. Alors songer qu'ils iraient au-delà encore la Terre de Feu le laissait rêveur.

Le groupe au complet, les Nains se dirigèrent à pas mesurés vers la Surface. Le Soleil éclairait la forêt d'une pâle chaleur. C'était le matin. L'aurore, s'il avait bien retenu ses leçons. Cette apaisante transition entre le jour et la nuit, quand tout était si calme malgré l'éveil de certaines créatures et la disparition temporaire des autres, telle la Lune laissant lentement place à son homologue diurne. Un moment hors du temps, où tout semblait possible et le monde vivre dans une paix mystique. « C'est ta première fois ? ». Alþjófr fut surprit lorsque l'on s'adressa à lui, bien trop perdu dans ses songes. C'était le même Nain qu'il avait lui-même interpellé plus tôt. « Oui. Enfin, pas pour sortir, mais pour partir chercher les matériaux. » précisa -t-il bien que ce soit logique. Tous étaient là pour ça après tout. « Alors suis-moi et reste prêt de moi. On va s'éloigner des sentiers qu'on te fais prendre habituellement. ». Sous-entendu qu'ils allaient rejoindre une zone plus risquée qu'habituellement.

Alþjófr ne connaissait pas cet endroit. Jamais il n'avait été ni mené ici. Ils se trouvaient de l'autre côté des montagnes. Sur le flan ouest. Haut sur le massif, leurs visions se portaient loin sur l'étendue émeraude qui leur faisait face. Un regard en arrière et c'était seulement le blanc de la neige et le noir de la roche qu'il percevait. Il était déjà monté sur les pentes abruptes de l'Edelweiss enneigé. Son regard ne s'était toutefois contenté que de la forêt abritant l'entrée de la Terre de Feu. Derrière lui, à l'ouest, il s'était jusqu'alors imaginé que le reste du continent était aussi pâle que la poudreuse et sûrement pas aussi vaste que l'est. Aujourd'hui, tandis qu'il découvrait enfin ce "derrière", il se rendait compte qu'il était totalement dans l'erreur. « Comment ça s'appelle ? » demanda le jeune Nain à son aîné, les yeux pétillants de la découverte. « Les Terres d'Émeraude. ». Un nom tout à fait approprié. « C'est une terre riche en pierres et minéraux. D'où son nom je suppose. » ajouta le Nain. « Pourquoi n'y creusons-nous pas si elle st si riche ? » s'interrogea le Chercheur. « Parce que d'autres y creusent déjà. ». On sentait la déception dans la voix du Forgeron. C'était compréhensible. « Nous on va un peu plus loin, un endroit où les pierres sont peu exploitées. ».

Loin était la vision enchanteresse de ces Terres d'Émeraude. Face à la dense forêt, un frisson d'effroi saisit le petit corps d'Alþjófr. « Reste prêt de moi. » se répéta son aîné. La voix grave avec laquelle il eut prononcé ces mots n'allait pas pour rassurer le plus jeune. « Où on est ? » - « Sur une terre hostile. Des animaux, aux plantes, à ceux qui y résident. » - « Des êtres vivants peuplent cet endroit ? » s'étonna le Chercheur. Outre la flore, impossible à manquer, cette forêt semblait morte de toute présence. À nouveau, il était dans l'erreur. Sans même avoir encore mit un pied à l'intérieur, il eut peur de la forêt. Peur de ses résidents humanoïdes. Peur de ses résidents animaux. Peur de ses résidents végétaux. Pourquoi toutes les forêts n'étaient pas comme celle surplombant la Terre de Feu ? C'est donc collé au basques du Forgeron qu'Alþjófr s'enfonça dans la brume.

Le Chercheur était totalement perdu. Sans l'aide de son aîné, probablement se serait-il déjà fait piéger par les ténèbres et happer par les murmures des arbres. Son guide marquant l'arrêt, il fit de même. « Pas par là. » murmura le premier, la mine grave. « Pourquoi ? » s'interrogea le second. Il n'avait rien vu de particulier ni entendu de bruit suspect. « Le passage récent d'une créature. Grande, griffée. Donc avec des crocs probablement. Il vaut mieux éviter de tomber sur elle, on sait jamais. ». Alþjófr se pencha pour observer l'environnement comme on lui avait apprit. Le sol. Les arbres. Les buissons. D'éventuels carcasses d'animaux. Il ne perçu rien. Alors il leva les yeux vers le Forgeron et comprit. Le Dnoûde. Voir ce qui n'était pas visible était l'un de ses pouvoirs. Il ne maîtrisait encore que peu cette capacité, malheureusement, et ne pouvait compter que sur ses sens primaires et ce qu'ils étaient capable de remarquer. Comme l'ordonna son aîné, ils firent tout deux un détour afin de rejoindre la source qu'ils étaient venus trouver et suivaient dans le silence. Et, comme le plus expérimenté se concentrait sur la trace que l'Esprit du Forgeron lui indiquait afin de ne pas se perdre dans ce bois maudit, Alþjófr gardait son attention rivé sur son guide pour une même raison. Il ne leva les yeux que lorsque sa propre magie découvrit le chemin à quelques pas seulement du gisement. Songeant que son aîné l'avait trouvé bien plus tôt, le Nain fut légèrement contrarié. Il ne pourrait pas se débrouiller seul s'il devait à ce point compter sur les autres. « Dépêchons-nous. Moins nous mettrons de temps, mieux ce sera. » déclara le Forgeron en même temps qu'il se mit à creuser, mettant ainsi fin aux pérégrinations mentales d'Alþjófr.

Les sacs à moitié pleins des minéraux, le duo sorti enfin du bois et de la brume qui l'habitait. Alþjófr avait comprit ce que son aîné avait voulu dire en parlant de terre hostile en la traversant, aussi fut-il bien heureux de ne plus s'y trouver. « On rentre directement. » ordonna le Forgeron en devançant le plus jeune qui répondit d'un signe de tête. En même temps, à présent que l'angoisse et l'inquiétude disparaissaient, c'était l'excitation qui le gagnait. Ça c'était une histoire à raconter, pour sûr. Du même genre que l'on pouvait trouver dans la Vólþruspa. Soudain il fut marqué d'une évidence. Il n'avait rien vu de ce Continent et, pourtant, il avait déjà découvert une telle diversité de paysages. Suivi l'interrogation. De combien ce monde était-il composé de continent ? Étaient-ils tous comme celui-ci ? À moins que chaque continent ne dispose de paysages propres à ses terres, avec une faune et une flore unique. Quelle taille faisaient-ils tous d'ailleurs ? Aussi grand que celui-ci ? Plus ? Moins ? Est-ce que les ruines de leurs ancêtres se trouvaient encore sur l'un d'eux ? Lequel dans ce cas ? Puis le jeune Chercheur se mit à rêver. Il rêva de voyages. Il rêva de découvertes. Il rêva de rencontres insolites. Il rêva de mondes impossibles et de territoires magiques. Il rêva de se lever sous ce soleil d'or et cette lune d'argent. Sous ce ciel d'aigue-marine ou celui d'obsidienne. Sous les diamants piquetant l'obscurité de la nuit ou sous ces nuages aussi clair et fragile que le calcaire. Il rêva de ces choses interdites par les Sages et l'Élu d'Estella. Avaient-ils sûrement raison. Ne se laisseraient-ils pas ignorer du monde comme cela sinon. Pourtant il ne pouvait empêcher son esprit de vagabonder loin, très loin de chez lui. De chez eux. Loin des Forges brûlantes, de la montagne glacée, et de la forêt illuminée. Il vagabonda auprès de ces géants foulant ce monde inconnu, de l'architecture de leurs villes, de leurs différences avec son peuple. Mais il se tut et n'en dit rien. Ceux rêvant telles choses étaient souvent considérés comme fou. Peut-être était-ce le cas. Lui pensait plutôt que ces personnes désiraient seulement savoir. Véritablement. Pas uniquement à travers des écrits et des récits. Pas seulement par leurs voyages éphémères leurs laissant tout juste le temps d'observer correctement leur environnement. Ils voulaient connaître la texture de l'herbe verte de ces Terres d'Émeraude sous un temps orageux — ignorant par ailleurs que cela n'arrivait jamais. Il voulait connaître l'origine de cette brume dans cette sombre forêt. Pourquoi était-elle si sombre d'ailleurs ? Pourquoi s'y sentait-on si mal à l'aise ? Il voulait également découvrir le véritable visage des habitants de la Surface. Leurs cultures, leurs langues, leurs croyances. Ne plus compter seulement sur les on-dit. Il voulait savoir, apprendre, découvrir, visiter et s'émerveiller. Puis raconter. Séparer le vrai du faux ; le mythe de la vérité. Qui plus est, il était certain que ce ferait une super histoire digne de la Vólþruspa. Meilleure encore que sa traversée de cette forêt brumeuse. D'ailleurs « Comment ça s'appelle la forêt où on a été ? » - « La Forêt des Murmures. ». Des murmures. Est-ce que ça voulait dire qu'ils étaient réels ces murmures qu'il avait entendu. Est-ce que ça voulait dire qu'ils étaient constant ? Est-ce que ce brouillard était donc constant également ? À chaque information qu'on lui offrait, c'était un millier de questions sans réponses qui venaient pulluler dans son esprit. C'était décidé. Un jour il irait chercher ces réponses. C'est donc avec un sourire aux lèvres et les étoiles pleins les yeux qu'il suivit son guide. C'est avec un élan de tristesse qu'il redescendit sous terre.