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 [Q] Sous l'esquisse des encres

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Sól
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Sól
Jeu 10 Nov 2022, 16:48


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Sous l'esquisse des encres
Bellone

Intrigue ; Bellone va chercher une manière de devenir plus forte, en s'inspirant des rêves qu'elle a fait.
RPs liés ; Le téhâtre d'Ombres - premier message
« D'où viennent les rêves ? » Bellone était assise sur la table de la cuisine. Les jambes pendues dans le vide, elle les balançait l'une après l'autre, à un rythme régulier. Pensive, elle pencha la tête en arrière. « Lorsque j'étais petite, ma mère me racontait souvent des histoires sur ce monde mystérieux qui contenaient tous les rêves qui nous hantent la nuit... Elle prétendait qu'il s'agissait du domaine du Dakao... Que Línggǎn, débordant d'imagination, y abandonnerait ses idées à la dérive... » Owen avait levé la tête du plat qu'il était en train de préparer, pour écouter l'adolescente. Il l'observait en silence, drôlement attentif à ses paroles. « Et, pendant notre sommeil, nous serions capables de créer un pont jusqu'à son univers, et d'y découvrir ses pensées oubliées... » La narratrice plaça ses mains dans son dos et y pris appuis. Elle sentait le regard de la créature qui se tenait à ses côtés. Elle avait fini par s'y habituer. Elle ne le craignait pas : bien au contraire. Malgré son apparence hideuse, il était sans doute l'une des personnes à qui elle pouvait le plus faire confiance, excepté leur maître. Son physique avait beau être repoussant, il brillait d'une vérité qui manquait cruellement au cœur de la Majestueuse. Il ne se parait d'aucun faux-semblant et affichait sa nature à la vue de tous. Ce n'était pas de son dû : il était simplement soumis à l'évolution du Sarethi. Mais cela rassurait quelque peu sa camarade. « Grâce à cela, grâce à cet infime contact avec un Dakao aussi pur, nous pourrions donner naissances à des créations poétiques, des dramaturgies émouvantes, des compositions envoutantes et des peintures sublimant le réel... » Les doigts de la musicienne pianotèrent nerveusement sur le bois de la table. « Seulement, il n'y aurait pas uniquement de beaux ersatz de ce qu'étaient les inventions de notre divinité. Son temple renfermerait également les Dakao dont personne n'aurait voulu, les opportunités qui n'aurait jamais été saisies et les ébauches qui n'auraient jamais abouti. En d'autres termes, le Dakao qui aurait été corrompu par le Neishan. Ces rêves là seraient sombres, et c'est ce que l'on appellerait les cauchemars. » La brune se pinça les lèvres, comme plongée dans ses propres tourments. Elle avait suffisamment côtoyé ces abominations pour une éternité entière. Elle avait été enfermée dans une spirale infernale durant plusieurs années : cela avait suffit à combler son existence jusqu'à la fin de ses jours. Elle ne voulait plus jamais retourner dans le monde onirique, quand bien même cela signifierait aussi de se priver des Rêves. Elle n'aurait qu'à trouver une autre solution pour se connecter au présent de Línggǎn. « Pourtant, même ces bribes imprégnées de la malédiction de Geomi seraient capables de nous inspirer... Des œuvres plus ésotériques... Ou bien, pour ceux qui parviendraient à les déchiffrer, ils auraient alors accès à l'idée originelle offerte par notre divinité... » Le sourire de la brune se fit plus doux ; une pointe d'amertume ternissait cependant toujours son masque. Elle se demandait si elle parviendrait à décrypter les messages envoyés par la déesse de l'inspiration.

« Qu'en penses-tu ? » interrogea de nouveau la Soerei en se tournant vers l'Hère. Ce dernier garda le silence pendant un instant, avant de livrer le fond de sa pensée. « J'en pense que tu ressembles à un fantôme. » Son ton était froid, détaché comme à l'accoutumé. « Tu es revenue de ton long... voyage... Pourtant, tu donnes l'impression de continuer à chasser un esprit qui n'existe pas. » Le Mur haussa ce qui lui servait d'épaules et reprit la préparation du repas. « A t'entendre, je me demande parfois si tu t'es vraiment échappée de cet endroit, et si tu es bien ici, avec nous... » Bellone garda le silence. Son visage s'était de nouveau assombri. Elle-même se demandait parfois si elle était bien ressortie du dédale de ce monde infernal. Seul son combat constant avec la fatigue la rassurait dans ses craintes, lui prouvant qu'elle continuait à lutter, qu'elle n'était plus prisonnière de cet univers mensonger. « Ton corps est ici, avec nous, mais ton esprit ne l'est pas complètement. C'est comme si tu avais abandonné une part de toi, là-bas. » Bellone esquissa un sourire qui n'avait rien de tendre. Elle paraissait presque effrayante, de la sorte. « Peut-être que tu n'as pas tout à fait tort. » Il avait tout à fait raison : elle avait bien laissé un fragment d'elle-même aux côtés d'Ephira. Owen soupira bruyamment. « Il ne sert à rien de se poser ce genre de question : nous ne trouverons jamais la réponse, seuls les Grands peuvent le savoir. Harabella et A'zar veillent sur leurs domaines, nous ne pouvons que nous contenter de prier pour qu'ils nous bénissent ou nous épargnent, sans espérer comprendre leurs domaines. » La fille acquiesça par automatisme, lentement. Il était vrai qu'en dehors de sa cité natale, les peuplades regorgeaient de légendes bien différentes des siennes. Les rêves, qu'ils soient beaux ou terrifiants, possédaient chacun leurs gardiens. « Rends-toi plutôt utile et aide moi à préparer le repas. » ordonna le domestique.



Bellone promena sa main dans la chevelure d'ébène. Elle était allongée sur la méridienne, Jämiel blottit contre elle. Ses doigts flânaient le long de la silhouette de son Aisuru : elle tournoyait sur son crâne, avant de descendre caresser sa joue, de dégringoler jusqu'à son épaule et de suivre le chemin de son bras ; avant de recommencer dans le sens inverse. Son contact l'apaisait - elle semblait en manquer et, depuis son retour, ces moments de complicités s'étaient faits rares. Le garçon - pouvait-elle encore dire ça à présent ; il lui semblait que l'Arcesi était presque devenu un homme durant son absence - avait eu raison : le retour à la réalité n'était pas aussi simple qu'elle l'avait espéré. Bien qu'elle resta loin de l'endroit qu'elle avait fuit, le départ chaque matin de l'étudiant lui serrait le cœur. Elle craignait de ne plus être là à son retour, malgré ses efforts... Peut-être aurait-il été plus simple pour elle de l'accompagner, mais la Blaise n'avait pas officiellement annoncé son retour. Elle ne doutait pas que des rumeurs s'étaient sans doute échappées ici et là, mais elle se faisait le plus discrète possible. Elle ne souhaitait pas affronter les manigances et les attaques tant qu'elle ne se sentirait pas prête, tant qu'elle ne se serait pas totalement remise de ce qu'elle avait vécu - ou de ce qu'elle avait cru vivre. Elle avait raté beaucoup de choses, des événements importants ; elle devait rattraper toutes ces choses, apprendre à comprendre le monde qui l'accueillait : il semblait avoir bien changé depuis son départ.

L'Orine était occupée à lire un recueil de mythes et légendes issus du folklore de son peuple. Le Sarethi, lui, s'était plongé dans la lecture d'un essai pour l'une de ses classes. Cela paraissait barbant mais nécessaire. Bellone admirait sa détermination. Si elle avait su faire preuve d'autant de dévouement à sa tâche, peut-être aurait-elle déjà pu se mettre à niveau et refaire son entrée dans la société Alfar. A la place, elle se cachait, à l'abri des regards emplis de jugements et des langues fourchues prêtes à siffler des mesquineries qui heurteraient sa sensibilité. Elle s'était imaginé revenir endurcie, protégée par une épaisse carapace, mais la sienne semblait s'être fissurée. « Je ne me souviens pas de mes rêves. » déclara soudainement la brune en refermant son livre, après en avoir marqué la page. « Ou bien, de façon très succincte et nébuleuse... » Elle figea la main qu'elle avait baladé dans les cheveux de son âme-sœur. « En revanche, je me rappelle de mes cauchemars avec une distinction toute particulière ; certains sont encore plus vifs que des souvenirs que j'ai vraiment vécu. » La rêveuse déglutit avec difficulté. C'était la première fois, depuis son réveil, qu'elle se confiait à son Aisuru. Elle savait qu'il avait partagé sa peine, car il ressentait ses états d'âme de la même façon qu'elle percevait les siennes, mais elle ne l'avait jamais formulé à voix haute. Jämiel avait posé son livre pour lui porter son attention. « J'ai même l'impression de ne plus toujours savoir distinguer la vérité du mensonge... Je crois que j'ai rêvé de certains de mes souvenirs, mais que ces derniers ont été altérés par ce que j'ai ressentit là-bas. » Se confier était un peu plus compliqué qu'elle ne l'avait pensé. Pourtant, elle sentait qu'elle avait besoin de percer l'abcès, de briser le silence qu'elle avait elle-même instauré, dans un premier réflexe. « Parfois, je ne sais pas si je suis en train de dormir ou si je suis bien éveillée et... Ca me fait un peu peur. » Un spasme nerveux déforma le visage de la brune et elle soupira, reprenant ses caresses, comme pour retrouver la sérénité qu'elle avait perdu en commençant à parler. Elle n'aimait pas se montrer vulnérable. Elle avait l'impression que de la sorte, Jämiel se ferait davantage de souci pour elle. Or, c'était précisément ce qu'elle voulait éviter. « J'ai rêvé que tu étais mort. Encore, et encore, et toujours... J'essayais de te défendre, de te sauver : je n'ai jamais réussi. » Jamais, à part une fois...  Mais cette fois-là n'avait pas un goût de victoire et était noyé dans le flot de ses échecs. « Je veux devenir plus forte. Je veux réussir à pouvoir te protéger du danger, s'il devenait réel. Je ne veux plus rester impuissante, comme ces fois-là... » Son cœur se serra douloureusement ; ses yeux s'emplirent de larmes qu'elle maintint difficilement. Elle posa sa joue contre la tête de l'adolescent. « Je pense que je mourrais de chagrin, si je te perdais pour de vrai. » Ou bien peut-être serait-elle consumée par la rage. Elle avait déjà entendu parler des Gaisi, ces Orines reniées de Hahanaru Shizen elle-même. Elle avait entendu une histoire, d'une femme qui avait ravagé la Nature pour se venger de l'homme qui avait assassiné son Aisuru. En punition, elle aurait perdu l'enfant qui aurait dû donner naissance à sa réincarnation. Bellone avait beaucoup songé à cette légende, tandis qu'elle s'inquiétait à la moindre variation d'émotion chez le Sarethi. « Ce serait une bêtise. Ca m'arrivera forcément un jour : les miens connaissent rarement une fin paisible. Ce n'est pas une raison pour que tu sombres avec moi. » Bellone papillonna des yeux, surprise par sa réaction. Ce n'était pas celle qu'elle avait espéré. Etait-ce sa façon à lui de l'aider à s'endurcir ? « Les rêves sont censés être des instants de bonheur. Tu n'as qu'à te raccrocher à ces moments de bonheur pour te dire que tu ne dors pas. » Il marqua une pause, comme plongé dans sa réflexion. « Sauf si le Monde des Songes t'est préférable. Au moins là-bas ma mort potentielle ne sera plus qu'un cauchemars de plus. »

Bellone soupira après avoir grimacé. « Désolée, je ne voulais pas te déranger avec mes pensées... » fit-elle face à la réaction du brun. « Je vais retourner m'entraîner au Xun. » La musicienne se releva puis s'éloigna pour quitter le salon où ils s'étaient installés. « On se revoit au souper. »
1814 mots sans les dialogues de Jämiel
Merci à Kyky de m'avoir laissé le jouer.  nastae
Merci Mancy pour le titre du RP.  nastae
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Ven 11 Nov 2022, 16:19


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Sous l'esquisse des encres
Bellone

Bellone se tenait debout devant le miroir de sa chambre. Elle avait laissé tomber son Kimono au sol, et observait désormais son reflet avec une intensité particulière. Comme si ses prunelles essayaient de voir à travers sa peau, de discerner des choses qui n'existaient pas. Ou plutôt, qui n'étaient plus. Depuis qu'elle avait discuté avec son Aisuru, la fille de Maëlith n'avait eu de cesse de réfléchir à un moyen de devenir plus forte, de ne plus être qu'une simple fleur sans défense. Elle devait apprendre à faire pousser des épines. Le moyen le plus simple d'y parvenir était sans doute de prendre des cours martiaux, d'apprendre à se défendre physiquement. Sans doute essayerait-elle, un jour. Mais cette méthode manquait cruellement de sensibilité, et plus encore de subtilité. La brune n'avait jamais été tournée vers les arts de combats et, si elle reconnaissait qu'ils pouvaient être utiles dans certaines circonstances, elle n'avait jamais ressentit aucun penchant envers eux qui l'aurait suffisamment motivée à s'y dévouer.  Elle voulait trouver un moyen qui lui correspondrait davantage, qui n'effacerait pas sa propre personnalité. L'esquisse d'une idée s'était alors formée dans les méandres de son esprit. Les réminiscences de l'un de ses songes. Il n'avait été ni plaisant, ni effroyable ; pourtant, elle en gardait un souvenir vivace. Une pluie de météorite colorée, s'écrasant sur elle ; l'encre infiltrant ses veines pour dessiner un panel d'animaux sauvages sur son épiderme ; surtout, elle se souvenait de l'impression de puissance qu'elle avait ressentit en parvenant à les matérialiser devant elle, pour venir en aide à la chimère de Jämiel. C'était ce sentiment qu'elle voulait de nouveau ressentir. La sérénité de savoir qu'elle était capable de se défendre, de riposter en cas de besoin. Qu'elle n'était plus vulnérable à la moindre attaque. Qu'elle était capable d'affuter ses propres armes. Oui, c'était cela : elle voulait faire de ce rêve une réalité.

La Sœrei avait maigri, durant son sommeil artificiel. Par endroit, ses os se faisaient saillants, ressurgissant de sous sa chaire de façon anguleuse. Elle avait repris du poids, depuis son réveil, mais pas suffisamment pour masquer définitivement le passage du temps. La première fois qu'elle avait aperçu son reflet, Bellone avait été surprise. Il lui avait fallut du temps pour assimiler l'information : tout avait changé, dans ce monde-là, même elle, bien qu'elle ne s'en soit pas rendue compte. La jeune fille passa une main sur sa clavicule, puis repoussa l'une de ses mèches de cheveux derrière son oreille. Elle ne les avait toujours pas coupé.

L'artiste porta sa main vers son sternum, puis redescendit jusqu'à son nombril - elle se remémorait les silhouettes qui avaient marqué sa chaire. Horde de canidés ; essaim d'insectes ; nuée d'oiseaux ; banc d'animaux marins ; clan de félins... Il n'en restait plus aucune trace. La peau de la fille des Arts était vide. Elle était un canevas vierge, libre de toute création. Seule une fleur de Lotus rose marquait le creux de son poignet. Vestige d'un projet qu'elle avait abandonné, plus jeune. Comme beaucoup d'autres croyantes de Kennocha, Bellone avait espéré pouvoir devenir une œuvre d'Art. Pas seulement en être à l'origine. Elle avait rêvé de pouvoir être une Muse, ou bien de devenir le réceptacle du Dakao d'une autre de ses sœurs. Elle n'aurait plus seulement incarné l'Art, elle le serait devenue - une œuvre vivante, mouvante, capable de montrer le travail d'une autre Artiste. C'aurait été un honneur. Dans son engouement de jeunesse, elle avait commencé quelques travaux : l'une de ses camarades s'était exercé sur elle, lui laissant en souvenir indélébile cette fleur délicate à l'intérieur du bras. Elle avait également imprimé d'autres dessins sur son corps, mais dans une encre éphémère : la réceptacle avait perdu toute trace de ces tatouages-là, à mesure du temps.

La Muse soupira, avant de se rhabiller. Elle avait ce désir de répéter son rêve, mais elle n'avait pas la moindre idée de la manière de s'y prendre. Il lui faudrait tout d'abord parvenir à encrer sa peau. Elle ne possédait pas ce talent et, pour son projet, chaque parcelle de son corps devrait être recouvert : il s'agirait d'une coopération, à minima. Elle avait appris à dessiner, à Maëlith, mais jamais suffisamment bien pour envisager une carrière dans ce domaine. Elle devrait donc s'offrir les talents d'un autre Artiste. Une fois qu'elle aurait trouvé son partenaire, elle devrait se décider sur les motifs à faire parcourir sur sa peau. Elle y avait déjà songé un peu. Elle aurait pu envisager de reproduire le même schéma que dans son rêve en n'invoquant que des animaux, mais elle se sentait insatisfaite par cette idée. Elle voulait que cette fresque sur son corps révèle une histoire - celle qu'elle aurait décidé de conter. Elle aurait besoin de gardiens et de protecteurs, mais pas seulement. Dans cette société élitiste et dangereuse, elle ne pouvait se contenter de contre-attaquer ses ennemis : lorsque la menace serait trop grande, elle devrait être en mesure d'agir la première. Quelques idées avaient commencé à fuser, l'autre soir, lorsqu'elle avait parcouru le recueil de contes Orines. Des symboles qui avaient bercé son enfance, et qui faisaient un peu partie d'elle, désormais : c'était grâce à ces légendes qu'elle s'était construite comme elle l'était désormais. Mais il n'y avait plus que cela. Elle désirait également incorporer des éléments de sa nouvelle vie,  apprivoiser cette culture dans laquelle elle évoluait désormais.

Ce n'était que la première étape : une fois qu'elle aurait été recouverte des chevilles jusqu'au cou, il lui faudrait parvenir à matérialiser ces créatures mythiques, en chaire et en os. Elle savait la chose possible, mais parvenir à maîtriser ces pouvoirs requerrait des recherches approfondies. Elle n'était pas certaine de pouvoir y accéder aussi facilement. La brune secoua la tête. Peu importait : du temps, elle en avait à disposition, désormais.



« Elles ont commencé à éclore quand tu es revenue. » Bellone s'éloigna du buisson qui avait poussé le long du mur de sa chambre. La plante était presque plus grande qu'elle, désormais. A travers les nombreuses feuilles, des petites perles noiraudes se découpaient. Elles ressemblaient à de petites cerises qui auraient trop mûries. « Elles n'étaient pas aussi grandes, avant. » « En effet. » se contenta de répondre Owen avant de repartir. L'Orine le suivit, se mettant à chantonner à voix basse.

« Alors ? » demanda-t-elle en s'approchant du Mur. « Est ce que tu en as trouvé ? » La créature hocha de la tête. « Sur la table basse, dans la bibliothèque. » Bellone esquissa un sourire ravissant. Elle aurait sans doute enlacé son camarade pour le remercier, si elle n'avait pas craint qu'il la repoussa tout bonnement - elle doutait qu'il soit friand de démonstration affective. La fille se contenta donc de tourner les talons et de se rendre dans la salle indiquée par son camarade. Là, l'attendaient plusieurs petits livres. L'étrangère avait essayé de se renseigner sur les légendes de son peuple d'accueil. Elle avait pensé que tous les jeunes enfants en connaîtraient des tas. Il s'était avéré que la demeure des Arcesi n'abritait plus ces enfantillages depuis que le fils de la demeure n'avait plus l'âge de ce genre de chose : il avait aussitôt dû faire de la place pour accueillir des livres d'histoire, des essais et des manuels scolaires. L'Orine avait donc fait appel à l'aide de son camarade pour que celui-ci l'aide à se fournir ce dont elle avait besoin.

« Recueil de fables Alfars, par Manialla Vezria. » lu Bellone en s'emparant du premier livre. Sa couverture était rouge, et des arabesques dorées habillaient l'ouvrage. L'illustration ainsi tracée représentait un bouquet d'amarantes. La jeune fille en parcouru distraitement quelques lignes, prises sur une page au hasard. L'intérieur était sobre, avec quelques dessins à l'encre noire ici et là. Le texte, lui, était rédigé en Llandreri.



La fillette s'arrêta une nouvelle fois sur le chemin. Sur la route se tenait une créature d'au moins deux fois sa taille. Elle n'était faite ni de ronces, ni de champignons, mais son apparence était tout aussi terrifiante que les monstres desquels elle venait de réchapper. Il avait l'apparence d'un chat à la maigreur maladive et au visage mesquin.
« Que viens-tu faire ici, insolente étrangère ? » demanda le monstre en dévoilant ses longues dents pointues.
« Je viens apporter un pot de crème à ma tante. » répéta la Thaliel*
Le monstre s’assit en plein milieu du passage, si bien que la fillette ne pouvait plus passer ni devant ni à côté de lui pour continuer sa route.
« Quelle drôle de bête tu es. » fit remarquer la demoiselle.
« Je suis un Morgant. » expliqua la bête.
« Que tu as de grandes oreilles. » souligna l'innocente.
A sa remarque, le sourire du chat s'élargit.
« C'est pour entendre tous les secrets qui se chuchotent dans mon dos. » répondit le Morgant.
« Que tu as de grands yeux ! » s'exclama ensuite la candide.
Le sourire de l'animal grandit encore.
« C'est pour mieux voir les manigances qui s'orchestrent secrètement : point de poison ni de dague ne saurait échapper à mon regard. »
« Que tu es famélique, n'as-tu pas faim ? » s'inquiéta l'ingénue.
Ce sourire n'en finissait plus de s'allonger.
« Je me nourris des fous qui osent se perdre dans ma forêt. »
« Et cette bouche immense, te sert-elle à répandre le trouble dans le cœur de ceux que tu croises ? » soupçonna la voyageuse.
Cette fois-ci, le sourire prit une allure lugubre et effrayante.
« Elle ne me sert qu'à murmurer ce que l'on veut entendre de moi. »
« Et si ce que l'on désire entendre n'est pas la vérité ? » insista la blonde.
Désormais, l'air inquiétant s'était répandu jusqu'aux pupilles du chat.
« Il n'y a pas qu'une seule vérité. »
L'enfant réfléchit à sa réponse sans parvenir à la comprendre.
« Sais-tu où se trouve ma tante ? » demanda finalement la nièce.
« Bien sûr. Veux-tu que je fasse un bout du chemin avec toi ? »
« Volontiers. »
Et alors, le duo s'enfonça plus profondément dans la forêt obscure.
Bellone fit passer son doigt sur l'illustration du Morgant en train de discuter avec l'étrangère. Elle esquissa un sourire. Elle avait déjà entendu parler de ces créatures, réincarnations des âmes perdues, condamnées à veiller sur le peuple de Drosera. Elle n'avait jamais su s'il fallait considérer comme des menaces ou des protecteurs.

1822 mots
* Etranger en Llandreri.
Merci à Kyky pour son aide avec le conte.
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Lun 14 Nov 2022, 10:59


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Sous l'esquisse des encres
Bellone

La rose noire ouvrit son petit carnet. Il ne lui ressemblait guère mais, depuis qu'elle s'était éveillée, elle avait pris plaisir à l'utiliser. C'était un peu comme-ci, en lui soumettant ses fantasmagories, son esprit se libérait d'un poids. Elle avait commencé à y consigner ses pensées, ses doutes et ses réussites. Elle avait confié entre ses lignes les bribes du songe dont elle se souvenait, et l'envie folle que cela lui inspirait. Le journal avait accueilli l'esquisse de son projet : son objectif, puis les recherches qu'elle avait fait à ce sujet, afin de parvenir à atteindre son but ultime. Elle avait commencé à rédiger quelques noms sur une page : des artistes dont elle avait apprécié le travail, afin de leur demander, peut-être, de réaliser l'esquisse de ses futurs tatouages ; d'autres noms identifiaient des personnes susceptibles de lui apposer l'encre sur le corps. Ces artistes là étaient moins connus, et elle avait dû faire des recherches plus avancées pour parvenir à les dénicher. L'art corporel était moins valorisé chez les Alfars que chez les Orines. Mais à force d'entêtement et d'espionnage, la brune avait réussi à dégoter quelques noms. Il faudrait qu'elle se renseigne encore davantage sur leurs travaux pour choisir celui ou ceux dont elle subirait le passage des aiguilles. Restait encore à venir avec un projet complet. La Muse désirait construire et ficeler correctement son idée avant de la présenter à qui que ce fut d'autre. Notamment parce qu'en s'adressant à des enfants de Drosera, elle devrait choisir méticuleusement quels mots utiliser, quelles informations divulguer ou maintenir. Si elle se livrait tout bonnement, à cœur ouvert et sans retenue, elle risquait de porter sur l'Arcesi des foudres dont il se passerait volontiers. A voir un concurrent s'armer, les autres Sarethi risquaient d'affuter leurs propres lames pour une riposte à venir - peut-être même finiraient-ils par porter le premier coup, usant de l'adage barbare mais pas moins efficace selon lequel l'attaque serait la meilleure des défenses. Lorsqu'elle se livrerait au savoir faire des manieurs d'aiguilles, Bellone devrait donc rester vigilante - autant parce qu'ils pourraient ruiner ses efforts en quelques secondes à peine que parce qu'ils pourraient lui arracher des informations susceptibles de porter préjudice à celui qu'elle souhaitait tant aider et élever. Il était hors de question que cela arrive, de manière générale mais encore moins par sa faute. Elle ne devait donc rien laisser au hasard et réfléchir précisément à ce qu'elle pourrait confier ou non.

C'est en s'usant à ces réflexions que les premiers obstacles s'étaient portés sur sa route. Tout d'abord, l'étudiante en était venue à la conclusion qu'elle devrait trouver un moyen ou un autre de maîtriser un art semblable à celui que maniaient les habitants de sa nouvelle terre d'accueil. La population de la Majestueuse possédait cette capacité étonnante de donner vie à ce qu'ils avaient créé. C'était, en quelques sortes, ce que la brune tentait de faire. Elle s'était donc documenté sur le sujet. Elle avait emprunté plusieurs livres sur ce thème, et s'était plongée dans une lecture assidue. Elle avait alors annoté toutes les nouvelles informations qui lui semblaient pertinentes dans ce petit carnet, surmonté d'un cerfeuil d'Od. Elle avait lu sur la théorie, mais puisque chaque Alfar naissait avec ce don inné, il lui avait été impossible de trouver des sources sur la façon de développer une telle capacité chez quelqu'un qui n'appartiendrait pas aux protégés de Dothasi. Était-ce au moins possible ? L'optimiste se raccrochait à l'idée que oui mais, même si c'était le cas, il était peu probable que des manuels soient disponibles sur la manière de cultiver un tel don. Les Alfars étaient un peuple sournois, qui usait de ses capacités afin d'espionner leurs opposants. Ils se méfiaient déjà suffisamment les uns des autres pour avoir besoin de se rajouter de potentiels ennemis. Ce secret là devait être jalousement gardé par ceux qui en avaient la connaissance ; les élus devaient être rares et surveillés de près. Peut-être même la Blaise s'attirerait-elle la suspicion de certains, si elle n'était pas prudente dans ses recherches - elle avait donc préféré porter son attention sur autre chose pour le moment, comprenant qu'elle ne trouverait pas aisément ce qu'elle cherchait précisément. L'Artiste en herbe s'était donc mise à récolter des informations sur les formes de magies que l'on prêtait aux Elfes Noirs. Elle s'était tout autant renseignée sur la Magie des Ténèbres que sur la Magie de Perle. Pour cela, elle s'était réjouit d'avoir trouvé un recueil qui lui semblait complet sur ces deux sources de pouvoir, expliquant consciencieusement les mécanismes et les débouchées de telles puissances. La première conférait l'accès à des arcanes maudites, sombres. Elle était utilisée par ceux qui ne désiraient aucun bien à leurs proches, et moins encore à leurs ennemis. La magicologie était une chose complexe et, bien que cela ne soit en réalité qu'une introduction au sujet, Bellone avait déjà eu du mal à saisir toutes les implications de cette sombre magie. Elle avait saisie, cependant, que l'aura malfaisante que l'on portait à ce peuple amoureux des Arts leur venait sans doute de cette maîtrise. L'ouvrage apportait une déclinaison de tous ce qui pouvait être effectué avec un  peu d'entrainement et de talents, et les propositions qui avaient été faites avaient donné froid dans le dos à la lectrice. En continuant son apprentissage sur la seconde forme de magie, cependant, les choses lui étaient devenues plus logiques, plus instinctives : les siennes partageaient cette capacité avec les enfants de Ronces. Le processus de fonctionnement lui paraissait plus clair, plus évident car instinctif. Il restait encore des notions qu'elle peinait à saisir mais elle se reconnaissait davantage dans ces explications, et cela la rassura un peu. Elle se sentait confortée dans l'idée qu'il lui serait possible, un jour, d'atteindre son objectif. Elle trouva d'ailleurs quelques inspirations nouvelles qu'il lui faudrait envisager pour le futur. Elle les nota dans son petit cahier, pour pouvoir y revenir plus tard, lorsqu'elle aurait achevé son premier projet. Il ne servait à rien de s'éparpiller dans tous les sens : de la sorte, elle n'aurait abouti à aucun résultat.

La brune s'abreuvait de connaissances - peut-être trop complexes pour elle - nuit comme jour. Elle en délaissait presque sa pratique quotidienne de la flute et du Xun. Elle aimait toujours autant l'Art Divin qu'elle avait développé mais, en cet instant, elle se trouvait obnubilée par ses nouvelles idées. Seuls les moments passés en la compagnie de Jämiel lui permettait de faire une pause - puisqu'elle ne dormait plus, ou si peu, elle usait de son nouveau temps libre pour étudier ce sujet qu'elle trouvait désormais passionnant. Pourtant, après plusieurs semaines de recherches, ses idées avaient commencé à se confondre les unes avec les autres - le tourbillon de pensé, si clair au début de sa consommation de potion, se faisait de plus en plus chaotique à mesure que l'addiction prenait place, sans qu'elle ne s'aperçoive du piège dans lequel elle sombrait lentement. Son alimentation était devenue de plus en plus anarchique - elle pouvait passer une journée entière sans se sustenter, si personne ne le lui rappelait, avant d'enchainer des périodes de fringales. Son humeur, rendue mélancolique par les mésaventures qu'elle avait subit, se teintait également d'irascibilité, d'impatience et d'une méchanceté qui ne lui était pas naturelle. Cela passait par des réponses sèches, parfois odieuses. Des tensions commençaient à se mettre en place dans son habitation. Elle essayait de cacher son secret mais la tâche devenait de plus en plus complexe et elle ne trouva d'autre solution que de s'isoler davantage encore dans sa chambre.

L'Orine s'était ensuite heurté à un second obstacle, en réalisant enfin quelque chose d'essentiel. Le don des Alfars divergeait significativement de son objectif final, dans le sens où les amateurs d'Art n'invoquaient pas leurs créations. Ils devaient dans un premier temps les matérialiser, les réaliser en cire ou peinture, pour ensuite pouvoir les utiliser à leur guise, dans la contrainte qui était liée au support utilisé. C'est en interrogeant Jämiel que la brune avait été frappée par cette réalisation. En effet, lors de l'une de leurs discussions où la curieuse l'avait interrogé à ce sujet, l'Aisuru avait assuré qu'un personnage de tableau ne pouvait, contrairement à ce qu'avait cru l'Orine, quitter sa toile pour aller espionner quelqu'un. De la même manière, une statue ne pouvait parler sans bouche, ni ne pouvait voir sans yeux ou  entendre sans oreilles. Les plans de la brune s'en trouvaient compromis. Elle était peu intéressée par l'idée d'éveiller des dessins sur sa peau : ils ne lui apprendraient rien qu'elle ne sut déjà et ne pourraient pas la défendre ainsi. L'Orine s'en serait trouvée abattue si son partenaire ne lui avait pas donné une autre piste de recherche. « Ce n'était pas ce que tu avais en tête mais tes recherches ne t'ont pas servi à rien. Contente toi de les réorienter. » avait-il dit d'un air évident. « Tu ne veux pas animer des œuvres, tu veux les invoquer. Renseigne-toi sur ce sujet. » Et, aussi simplement que ça, il avait replongé le nez dans ses propres recherches.

C'est sur ce sujet que la brune était en train d'écrire dans son petit carnet, désormais. Bellone soupira et posa sa plume pour se frotter les yeux. Ils lui piquaient désagréablement, et elle avait la sensation que quelqu'un y plantait des aiguilles pour venir lui faire mal au crâne - signes que la fatigue se faisait de nouveau insistante. Elle avait essayé de repousser le moment fatidique - après tout, elle en avait déjà versé quelques gouttes dans son thé ce matin - mais elle sentait de nouveau les symptômes du sommeil venir envahir son comportement. Avec un geste hâtif, elle se redressa, ouvrit un tiroir de sa commode et prit une petite fiole, presque vide. Elle constata son niveau bas de façon alarmante, avant d'en verser dans sa boisson - un thé aromatique. Elle cacha son poison au même endroit puis bus le contenu de sa tasse en quelques gorgées. Presque aussitôt, elle sentit ses muscles se détendre, sa migraine se dissiper, ses pensées s'éclaircir. Dans un soupir d'aise, elle retourna s'installer à son bureau et continua à noter ses trouvailles.

1803 mots
Merci à Kyky de m'avoir laissé emprunter Jämiel.
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Sous l'esquisse des encres
Bellone

Geomi déteste par dessus tout Línggǎn, car elle fut la première à inspirer aux dieux comme aux hommes. Ses fidèles étaient, disait-on, bénis d'une énergie créatrice perpétuelle : qu'il s'agisse de l'art, de l'artisanat, de la science ou de la culture, ceux qu'elle avait choisi d'aider ne connaissaient jamais la tourmente, ni le doute, ni le vide d'une perte d'idées. Ceux-ci étaient aimés et choyés de tous, car ils parvenaient à manier tous les Arts, jusqu'à pouvoir charmer les dieux eux-mêmes. Sa haine envers sa némésis nourrit ainsi le dégoût qu'elle éprouva pour ses élus. Alors, tandis que l'Inspiratrice trouvait de nouvelles idées, la Mère des monstres s'approcha de ses protégés.

Elle trouva d'abord Katsuno : il était un peintre virtuose, dont le talent éblouissait même Kennocha. Celle-ci acceptait parfois de poser pour lui, ou s'octroyait ses services. Il avait peint, dit-on, les palais des premiers rois et des premières reines. « Que tes tableaux sont beaux. » le flatta la fallacieuse. « Mais dis-moi : comment peux-tu être le plus brillant des artistes, lorsque ton Art n'atteint pas tous les êtres ? Ceux qui ne peuvent voir ne reconnaîtront nullement ton talent, et tes pigments jamais ne seront assez éblouissants pour eux. » Ainsi s'en alla-t-elle.
Geomi rencontra ensuite Ryôta. Il avait développé un talent pour le
Kintsugi, la réparation de la porcelaine, que Jang-in lui avait appris. Ses mains étaient faites d'or, et leur délicatesse parvenait à réparer tout ce qui avait été abimé ou brisé, le rendant comme neuf. Son talent était si grand qu'il parvenait à apaiser les cœurs et calmer les querelles qui gangrénaient les humains. « Toi qui uni tous les esprits, peux-tu m'aider ? » supplia la manipulatrice au conciliateur. « Fais que ces deux personnes s'aiment sans jamais se quereller de nouveau : que Sōzō et Hakai ne rentrent plus jamais en conflit, et les hommes suivront. Telle est ta mission, pour que l'humanité ne souffre plus de discorde. » Ainsi s'en alla-t-elle.
La créatrice des Hùipà rejoignit Shika, celle à qui Kēxué confia les premières traces de magie. Elle usait de ses dons pour mieux comprendre le monde qui les entourait. « Toi qui comprends l'univers, peut-être pourras-tu me renseigner. » questionna la sournoise. « Pour exister, toute chose a besoin d'un début, d'un commencement. Alors révèle moi comment les Ætheri sont nés. » Ainsi s'en alla-t-elle.
Enfin, la fille de Hakai aborda la fille de tous les royaumes : Masuyo, qui avait appris à parler toutes les langues, de toutes les contrées du monde. Parce qu'elle pouvait comprendre tous les dialectes, elle écouta toutes les histoires qui avaient été inventées et un jour contées. Elle les appris tous, si bien qu'elle devint la mémoire de Munhwa, pour qui elle rédigea le recueil de tous les contes. Tous les hommes et toutes les femmes et tous les enfants désiraient entendre ses histoires, celles venues d'ailleurs et que l'on n'avait encore jamais entendu. « Toi qui a écouté tous les récits du monde... » commença la monstrueuse, en s'exprimant en Juyushou, le dialecte que seuls ses enfants comprennent, et qu'elle n'a jamais partagé aux hommes. « Peux-tu m'imaginer une histoire, que ton lecteur ne connaîtrait pas encore ? » Ainsi s'en alla-t-elle.

C'est ainsi que Geomi distilla son venin le plus puissant, car elle ne pouvait tolérer que des mortels puissent créer sans fin. Et l'un essaya de trouver comment faire éprouver le beau, à ceux qui ne pouvaient percevoir ce qu'il transmettait. L'autre s'obstina en vain à réconcilier ce qui s'opposait si durement. Et l'une usa des dons qu'elle avait reçu pour essayer de comprendre le divin, qui dépasse la raison des mortels. Et l'autre essaya de comprendre une langue qui n'existait que pour les êtres qui étaient différents d'elle. Tous connurent l'incompréhension, le sacrifice, la solitude et le désespoir. Il en fut ainsi et, bientôt, ils en
perdirent la tête.

Ainsi naquirent les Karyôshima originels, ces hommes et ces femmes qui se laissèrent corrompre par le Neishan. Ne reste d'eux plus que la tête, devenue immortelle, qui répand les maux aux oreilles des artistes qui oseraient se croire digne des Ætheri que ces disciples servaient autrefois. Parfois, ils dévorent les corps, d'autrefois, ils transforment leurs cibles jusqu'à ce que leur tête leur en tombe.

Bellone referma le recueil de contes Orine qu'elle avait lu : « L'oeuvre de Geomi, Histoires de Hùipà* ». Elle esquissa un sourire et, aussitôt, s'empara de son petit carnet, où elle nota quelques idées, et commença à dessiner quelques esquisses inspirées de la dernière histoire. Quatre visages : deux femmes, puis deux hommes. Bien qu'elle ne fut pas douée en dessin, elle parvint à ébaucher des expressions tourmentées. Chacun avait une langue fourchue et venimeuse. Les pages du journal intime avaient été griffonnées de ces croquis hasardeux, et gribouillés d'annotation pour ne pas oublier ses idées : les origines des légendes, les points centraux des récits, les effets qu'elle souhaitait ajouter à ses créations...


Le sourire ne voulait plus se décrocher de ses lèvres, les yeux scintillaient après avoir été si subjugués par les merveilles dont ils avaient été témoins, les oreilles résonnaient encore des mélodies tragiques et envoutantes de l'orchestre. Bellone avait le cœur tambourinant, les pommettes rosies par l'émotion. « C'était merveilleux ! » répéta-t-elle à Jämiel, avant de laisser échapper un rire fluet et innocent. En cet instant, elle n'avait pas l'impression d'évoluer au sein de la Majestueuse. Elle avait la sensation d'être retombée en enfance, lorsque sa mère l'avait emmené voir ses premières représentations artistiques. Lorsqu'elle s'était laissé éblouir par la beauté de la représentation plutôt que de s'être plongée sur un regard critique et analyseur. L'Orine passa un bras sous celui de son Aisuru, de façon à se rapprocher de lui. Elle noua leurs mains ensemble puis lui destina un sourire spontané et authentique. « Merci. » souffla-t-elle. « Ca m'a fait du bien de voir quelque chose d'aussi beau. » confia-t-elle presque pudiquement. Ces quelques mois avaient été compliqués. Malgré ses efforts, elle avait encore du mal à se réadapter au monde et à la société dans laquelle elle évoluait. Parfois, elle avait l'impression que les Rêves ne l'avaient pas seulement figé dans le temps. Elle avait la sensation d'avoir été envoyée en arrière. Souvent, elle se perdait dans ses pensées, dans un tourbillon de questionnements angoissants dont elle était incapable de se sortir elle-même, sans l'intervention de quelqu'un d'extérieur. Il lui arrivait encore régulièrement de confondre la réalité et le monde onirique, et elle était prise du doute horrible de ne jamais en être ressortie. L'endormie avait essayé de prendre des mesures, peut-être radicales : les potions d'insomnies auraient dû lui assurer ne jamais retourner dans la tourmente. Pourtant, la jeune femme ne pouvait s'empêcher de s'imaginer s'être endormie sans s'en être aperçue. Les élixirs consommés n'étaient pas sans risques, et son usage compulsif avait développé quelques effets secondaires. Les distorsions de la réalité - des pics de sensibilité à la luminosité, une confusion temporelle, des difficultés mémorielles qui amenaient à des situations déstabilisantes - se faisaient de plus en plus fréquentes. Pourtant, le spectacle avait été comme une bulle d'air frais, qui lui aurait permis de sortir la tête de l'eau. Elle se sentait soudainement apaisée.

« Ce doit être une sensation bien particulière, que d'être danseuse de ballet. » pensa tout haut la musicienne. Tandis qu'ils se dirigeaient vers la sortie, elle posa la tête sur l'épaule du violoniste. « Lorsque notre corps est notre propre instrument artistique... Tu imagines ? C'est un peut comme d'être une œuvre d'art vivante. » L'idée attirait la brune d'une façon évidente. « Ce doit être tellement gratifiant, de pouvoir devenir un réceptacle de Kennocha, non pas seulement lorsque l'on s'empare de son instrument, mais en chaque instant. Pas besoin de support pour s'exprimer, on se suffit à soi-même et on incarne la beauté du divin... » La spectatrice repris une posture plus naturelle pour continuer à marcher, sans pour autant relâcher la main de son partenaire. « Bien sûr, ce doit être tout aussi exigeant. Il doit falloir traiter son corps avec rigueur et précaution. Car une blessure peut-être fatale. » La jeune femme se plongea dans ses réflexions quelques secondes. « Je crois que je suis quand même jalouse. » avoua-t-elle sans détour. « Je crois que c'est ce à quoi aspire toute Orine. Devenir une pièce d'Art à elle seule. Une Muse pour les autres, le réceptacle du Dakao... » C'était ce qu'elle avait longuement fantasmé, en tout cas. Distraitement, sa main vint chercher le tatouage qu'elle avait au creux du poignet. Elle avait essayé d'approcher ce but en acceptant de se laisser tatouer par une amie. « J'imagine que c'est un peu pour ça que je me suis lancée dans mon projet. » Bellone avait d'abord craint la réaction de Jämiel : et s'il n'approuvait pas son désir de devenir la toile sous l'encre ? Bien sûr, ces marques indélébiles n'auraient pas seulement un but esthétique, mais si elle parvenait à concrétiser son objectif, la brune s'apprêtait à porter ses armes sur sa peau. Cet art avait beau être coutumier chez le peuple des Arts, il étaient beaucoup moins répandu chez les enfants des ronces. Pourtant, l'Arcesi n'avait porté aucun refus, lorsqu'elle lui avait énoncé son idée. En réalité, il avait plutôt parut soulagé de la voir s'investir de nouveau dans quelque chose, et de quitter sa léthargie. Il l'avait soutenu et même encouragé, lui partageant son avis sur ses idées, la conseillant et l'écoutant patiemment.

Bellone se figea. Elle venait de poser les yeux sur une affiche. Un parchemin promouvant un autre spectacle. Il n'aurait pas lieu sur ce plateau ci, car les meilleurs artistes étaient toujours réservés pour l'élite. Cela n'empêchait pas les plus aisés de chercher à narguer le petit peuple. Si l'atmosphère n'avait pas été si venimeuse, Bellone aurait volontiers songé que ce genre de publicité était là pour encourager la population à se dépasser, et à pouvoir un jour gagner le droit d'accéder à ces représentations. La brune ne se faisait néanmoins plus d'illusion. Ces petits papiers étaient davantage là pour rappeler au bas peuple qu'ils n'avaient aucune chance de voir ces représentations. Une façon sournoise supplémentaire de leur rappeler leur place. Pourtant, l'Orine ne chercha pas à réfléchir à ces inégalités révoltantes. Elle venait de lire le titre donné à la représentation. « Yoona, l'Invocatrice. »

1840 mots
* Conte inspiré de "Le fantôme à la tête coupée", Histoires de fantôme du Japon par Lafcadio Hearn
FIN
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