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 [Q] Le théâtre d'ombres

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Lun 18 Avr 2022, 17:36


Images par Wlop, Wlop et inconnu (fanart de White Snake)
Le théâtre d'ombres
Bellone

Intrigues ; Bellone fait une série de rêves qui, une fois éveillée, l'inspireront pour ses formes d'art privilégiés.

Tu flottes. Comme en apesanteur, tu oscilles entre ciel et terre. Ou plutôt, entre surface et profondeur. Car tu ne reposes pas au dessus du sol. Tu baignes dans une eau trouble et sombre. Cette fois-ci, néanmoins, l'eau n'est pas ton ennemi. Elle ne t'angoisse pas, ne cherche pas à t'engloutir. Elle ne s'infiltre pas par ton nez ou ta gorge pour remplir tes poumons d'une façon mortelle, ne compresse pas tes tympans ni ton corps; tu ne te noies pas. L'océan est vide, mais la solitude ne te bouleverse pas pour autant : le calme t'étreint, tu es apaisée, protégée des tourments de l'extérieur. Tu patientes tranquillement, comme on s'extirpe d'un rêve étrange qui nous laisse avec la sensation d'avoir dormi pendant des siècles, sans pour autant s'être reposé : tu ne sais pas si tu désires te réveiller une bonne fois pour toute ou si tu espères te replonger dans le sommeil, comme pour grappiller quelques minutes de repos salvateur. Tes yeux verts-d'eaux scrutent ce que tu supposes être le ciel - ton horizon, l'étendue qui tangue à quelques dizaines de mètres de toi. Sans doute parviendrais-tu à percer la surface de cette limite en quelques brasses, mais tu n'essayes pas de te tracter vers cette délivrance. Tu restes là, inerte. Tes pupilles s'attachent à la mince lueur qui valse avec le clapotis des vagues. Peut-être est-elle vive, à l'extérieure, mais dans ton monde, elle peine à percer le cocon opaque du liquide. Seuls quelques fragments de rayons timides t'atteignent. Chatouillent ta peau, avant de se fondre en picotements diffus. D'être balayés par le courant, emportés par les flux du monde qui t'entourent. Tu oscilles, te brouilles : aussi intangible que la lumière, tu pourrais te dissoudre dans les flots, rejoindre ce Tout qui t'entoure. Fusionner avec cet univers.

Tu es à deux doigts de céder lorsque le ciel s'embrase. D'abord faibles, les lueurs n'attirent pas immédiatement ton attention. Puis elles deviennent de plus en plus imposantes, grossissent, jusqu'à recouvrir entièrement la toile qui s'étend au dessus. Contrairement à la faible lueur qui t'éclairait jusqu'alors, leurs couleurs sont éclatantes, vives, elles percent la barrière qui dissimulent l'autre Monde et t'atteignent en plein cœur. Elles semblent te faire retrouver les émotions qui te faisaient défaut jusqu'à présent. Anesthésiée, tu ne percevais pas le manque, ce qui t'avait été ôté. Pourtant, en voyant s'approcher les Couleurs, tu les convoites enfin. Tu veux les sentir. Les apprivoiser. La possibilité que certaines d'entre elles puissent être douloureuses t'effleure l'esprit mais cela n’amenuise pas ton appétence : ces émotions, ce sont les tiennes, elles t'appartiennent et il te faudra les apprivoiser tôt ou tard. Tu as hâte de pouvoir renouer avec elles. Enfin. Finalement, tu tends ta main vers ces souvenirs arrachés.

Des étoiles filantes. C'est ce à quoi les lueurs te font penser. Une pluie d'étoiles filantes, fondant droit sur toi. Tu clignes des yeux. Les météores fracassent la surface de l'eau plane. Les tréfonds de ton être vacillent : l'Océan accueille les comètes, mais pas sans en être déstabilisé. C'est une explosion, un chaos maîtrisé mais pas moins chamboulant. Le rouge de la colère, le bleu de l'espoir, le vert de l'inspiration, le jaune de la tendresse, le violet de l'attachement. Le doré de l'amour, inconditionnel, pur, fraternel, amical, passionnel. Comme de l'encre qui peine d'abord à se mélanger avec l'eau, les astres de lumière plongent profondément, hermétiques. Certains atterrissent plus ou moins proches de toi, t'entourent sans oser t'envelopper. Après l'impact, les pigments semblent timidement oser se diluer, se mélanger à cette matière soluble. Un sourire traverse ton visage tandis que tu vois des filaments s'approcher, s'enrouler autour de toi, dessinant un cocon protecteur. Un réseau complexe et puissant, qui redéfini ton univers.

Tu pointes l'index en direction de l'une des teintes. Tu en effleures l'un des axones. Aussitôt, comme une assoiffée boirait à l'eau d'un puits, tu absorbes le bleu et toutes ses nuances. Les teintures s'infiltrent par tes pores, dessinent une nouvelle texture à ton enveloppe charnelle, redonnent vie à tes sensations. Tu te sens submergée par l'espérance pastelle, l'optimisme turquoise, la rêverie azurée, la conviction marine. Les teintes imprègnent tes veines, tâchent tes tissus : elles remontent le long de ton bras et y gravent des arabesques indélébiles. Des oiseaux recouvrent ton avant bras, battent des ailes jusqu'à ton épaule, s'extirpent de leur cage au niveau de ton omoplate. A peine l'encre s'est-elle implantée en toi que tu en redemandes davantage : tu te tournes vers d'autres coloris. C'est au tour du jaune qui s'infiltre par tes orteils - tes racines. Une nuée d'insectes rampe le long de ta jambe : un scarabée ocre-bienveillant, une araignée miel-protecteur; un mille-patte ambré-réconfortant, une chrysope topaze-gardienne, une fourmi soufre-dévotion, un syrphe vénitien-guérison. Puis le vert, qui s'emmêle à tes cheveux, s'immisce sur ton crâne, gagne ton front, tes paupière, tes lèvres : cette fois-ci, c'est une cascade d'animaux marins qui t'envahie ; baleine, orque, méduse, narval, tortue - la beauté, l'ingénuité, le dakao, l'enchantement, la concentration - de jade, d'émeraude, d'opale, de viridien, de menthe. Suit alors le rouge qui éclate autour de ton nombril : au tour des reptiles de grouiller sur ton épiderme. Le serpent envenime dans une aversion écarlate ; la salamandre éclot d'une ire vermeil ; l'alligator mord d'une jalousie carmine ; le caméléon ondoie dans un mensonge pourpre ; le dragon engloutit la vengeance rubis. Une nuée violette se cogne alors à ta colonne vertébrale, et de cette fusion naît un tigre qui enlace d'une admiration violine, au dessus d'un lynx nouant un respect prune, surplombant un ocelot scellant une dévotion améthyste, qui culmine  le caracal ancrant sa fidélité d'une teinte glycine ; débordant sur le puma qui se lie d'une intimité magenta. Puis, finalement, comme un dernier acte décisif, une poudre dorée s'imprime sur l'épiderme, sur les espaces restés vierges, comme un ciment comblant le vide. Émerge alors différentes silhouettes de canidés : des loups, des renards, des hyènes, des tanukis, des coyotes.

L'obscurité t'englobe de nouveau, maintenant que tu as aspiré toutes les sources de lumières, toutes les teintes. Pourtant, tu sembles y voir plus clair que jamais, comme si ces nouvelles émotions te permettaient d'appréhender ton monde d'une manière totalement différente. Au fond de l'eau, des épaves centenaires, comme les regrets que tu souhaiterais laisser derrière toi. Au dessus, la ligne de l'horizon qui t'appelle.

Tu esquisses un pas. Ton pied rencontre la surface tangible d'une praire, baignée par un soleil doux. « Bellone ! » La voix se détache des éclats de rires. Ton regard se pose sur des silhouette familière : Wakiya, ton amie d'enfance ; Sun-Hi, ta compagnonne de voyage, qui t'a accompagné jusqu'aux portes de Drosera, aux côtés du mercenaire qui vous y avait conduit; Vénusia - une étrange personnalité, qui te semblait intime sans que tu puisses y associer de souvenir. D'autres visages agrandissent la foule mais sont éclipsés par celui qui se tient debout, au milieu du groupe, t'adressant un geste de la main pour attirer ton attention - non pas qu'il en eut besoin : tu le reconnaîtrais toujours, et trouverais immanquablement le moyen de retourner auprès de lui. Un adolescent au visage grave et pourtant rassurant, aux prunelles dorées et à la chevelure de jais. Sa vue t'arrache un sourire, tandis que tu t'élances vers l'Alfar.

L'atmosphère change alors que tu essayes de t'approcher de ton Aisuru. Malgré tes pas dans sa direction, la distance qui vous sépare semble s'allonger. Tu essayes d'accélérer, mais cela ne fait que vous éloigner davantage. Autour de lui, les silhouettes apaisantes explosent en nuages de fumé toxique, l'auréolant d'un poison nocif. Ton angoisse grandissante se répercute sur le faciès de Jämiel, qui exécute désormais des gestes d'alertes, t'astreignant à rester loin de lui, de ne pas t'approcher du danger. La confirmation de ton pressentiment t'inquiète et, au lieu de l'écouter, tu insistes pour essayer de gagner ses côtés : tu cours jusqu'à ce que tes poumons en deviennent douloureux, jusqu'à bout de souffle, tandis que la nuée de particules cendrées danse mortellement autour de ton âme-sœur. Finalement, tu te heurtes à un un mur invisible qui t'empêche d'avancer. Tu essayes de briser cette vitre en la frappant de tes poings, en appuyant tes paumes contre la surface intangible, en poussant de toutes tes forces sur cette barrière. Tu n'avances pas d'un millimètre. Comme les restes vaporeux des rêves précédents, comme des souvenirs qui auraient marqués ta chaire, la peur de la mort happant ton Aisuru fait soudainement bouillir ton sang dans tes veines. C'est alors qu'un phénomène étrange se produit : ton épiderme est parcouru d'un étrange picotement, un fourmillement brûlant qui rampe jusqu'aux arabesques récemment matérialisées sur ta peau. Là, les lignes se mettent à briller, des cloques gonflent sous ta peau. Puis, sous tes yeux médusés, un tas de chrysope éclate, de sous ta peau, suivi par une armée d'araignées. Le phénomène se répète et donne naissance à un dragon rougeoyant. Les tatouages qui s'étaient gravés dans ton corps prennent vie, et s'élancent vers le Sarethi, qui commence à s'effacer au profit du brouillard épais, opaque, suffocant. Comme guidées par ta volonté et tes émotions, tes créations s'enroulent autour de ton partenaire, le défendant du danger, créant un bouclier, une protection autour de lui ; ou repoussant farouchement les volutes de fumée qui oseraient s'en prendre à ton élu. Absorbée par la scène, tu admires le spectacle qui s'y déroule : une danse prend forme sous tes yeux. Une danse guerrière, harmonieuse d'une certaine manière, un affrontement non pas pour détruire, mais pour se découvrir... Au milieu des ombres, des visages se dessinent, des visages qui ne t'évoquent rien, qui appartiennent à une autre réalité. Qui t'intriguent.

Finalement, Jämiel parvient à s'extraire de la brume, posant un pied hors de sa prison. D'un même temps, le mur invisible semble voler en éclat, tandis que le corps du dragon se mêle aux corps des insectes pour former un pont, reliant ta rive à celle de l'Aisuru. Sans une once d'hésitation, et oubliant les visages qui t'avaient interloqué plus tôt, tu t'élances vers le brun, sautant à bras ouverts dans l'étreinte à laquelle il aspire.

Toute à tes retrouvailles, tu ne remarques pas la silhouette qui t'observe, et qui semble se briser sous l'effet de ce contact.
1848 mots
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Lun 18 Avr 2022, 17:37


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Le théâtre d'ombres
Bellone

La scène est plongée dans une obscurité totale. Une ombre privant les yeux de la vue, et semblant plonger le reste du monde dans un silence tout aussi profond : il paraîtrait presque criminel qu'un son puisse vibrer en ce lieu. Le temps semble suspendu, comme si tu retenais ta respiration. Non. C'est exactement ce qu'il se passe. Tu maintiens ton souffle dans tes poumons, les yeux clos. Tu te concentres sur ce qui t'entoure - sur les présences invisibles mais que tu discernes malgré tout. Après quelques secondes de flottement, tu expires enfin, libérant ton souffle dans une fente légère entre tes lèvres, tes paupières se soulevant en rythme. De nouveau source de vie, ta respiration anime les alentours : des lumières s'éclairent en un cercle parfait, dont tu es le centre. Des bougies noires, projetant des ombres faites d'une densité différente, sur un public anonyme. Tu es assise sur les genoux, en appui sur les talons, les mains jointes l'une dans l'autre, reposant sur tes cuisses. Nouvelle expiration : une seconde rangée de chandelles s'éclaire, sans percer davantage l'identité de tes spectateurs. Désormais, la luminosité se calque sur ta respiration. Pourtant, les flammes restent parfaitement immobiles : elles ne vacillent pas, ne grandissent ni ne rapetissent. Non, tu n'influences pas le feu qui brûle : tu contrôles directement la lumière qui en émane. Tes inhalations font briller davantage les flammèches, tandis que tes exhalations diminuent sa portée. Il ne te faut qu'un instant pour apprivoiser ce sentiment instinctif. Dans cet univers, il s'agit d'une évidence. Tu es à la fois source de cette illumination et des ténèbres qui l'entourent. Tes prunelles émeraudes captent l'éclat de ton reflet, sur le sol : tu sembles flotter sur l'eau, et la scène se répercute en parallèle sous sa surface. Tu portes un ample kimono de cérémonie, dans les tons bordeaux et ocres, finement décorés, avec des broderies dorées. Des pans de ta tenue, plus sombres, font ressortir les couches supérieures. Tes longs cheveux, quant à eux, ont été remontés à l'aide de lourds pics, au bout desquels pendent des grelots et des tubes en métaux, ressemblant à des carillons. Devant toi repose un objet cérémoniel, reprenant les mêmes accessoires que ta coiffe, et dont la poignée se termine par un long ruban doré, brodé d'une fresque contant une histoire mystique.

Une histoire. C'est bien pour cela que tu es ici. Pour raconter la tienne. Celle que tu dois faire passer, pour étendre la connaissance du monde à tes spectateurs.

« Au commencement, l'univers était vide. » Comme pour illustrer tes propos, l'obscurité s'épaissit un peu plus autour de toi, malgré les lumières éclairées. « Il n'existait que le néant. » Ta voix n'est qu'un murmure. Dans le silence absolu, elle ne peine néanmoins pas à se faire entendre de ton auditoire. « C'est dans ce rien qu'apparût le Dragon d'Air.* » Tu lèves une main, délicatement, étendant ton bras au dessus de ta tête. Ton ombre se répercuta sur le plafond, sur les murs, de partout à la fois. Tes doigts ondulèrent et, soudainement, la forme sombre se métamorphosa pour prendre celle d'un Dragon sans ailes. « Le Premier des Dragons fit tomber l'eau des cieux, et la Pluie se déversa dans le Lac de la création. C'est sur ses rives que vint s'abreuver le Yinshô* originel. » Ta première main avait continué à illustrer ton conte : de la gueule de la créature avait dévalé une cascade qui s'était répandu en une grande surface plane et circulaire. Tes mains se rejoignirent, créant une ombre supplémentaire qui se superposa aux précédentes : tu fis naître ta représentation de Hahanaru Shizen, sous sa forme de Yinshô. Un long serpent venant entourer le lac ; dont les écailles étaient recouvertes de bourgeons, de fleurs et de plantes. « Les deux créatures tombèrent sous le charme l'une de l'autre et, de leur union naquit le monde que nous connaissons. » Tes mains virevoltèrent autour de toi, dessinant un arc atour de ton buste : là où tes mains passaient, les ombres dessinaient des formes permanentes représentant les animaux, les créatures et la flore, les premiers hommes et les premières femmes. « Leur idylle néanmoins était observée d'un mauvais œil par le Yuheim*, le frère du Dragon d'Air. » Tes mains se réunirent de nouveau pour former un oiseau imposant et inquiétant, flottant au dessus du monde qui venait d'être créé. « L'oiseau de cendre profitait de chaque crépuscule, lorsque son frère n'était plus là, pour charmer le beau Yinchô, qu'il convoitait jalousement. Finalement, un amour se tissa entre les deux divins, et leur affection donna naissance à une créature monstrueuse, capable d'insuffler le Neishan* : Geomi. » Le serpent géant glissa vers l'oiseau, fusionnant pour donner une nouvelle forme. Cette fois-ci, ce fut ton corps tout entier qui projeta son ombre : distordue, avec des membres en trop, des excroissances perturbantes, elle engloutit la scène précédente ; telle était l'image de Geomi. « Cette création était cependant pauvre, en comparaison de la première union du Yinshô, et le Yuheim en fut mécontent. Animé par une haine farouche, il déversa son aversion sur son frère et enferma celui-ci dans les entrailles du monde qu'il avait lui-même façonné. » Les ombres avaient suivi tes paroles et l'image d'un dragon en cage horrifiait désormais les spectateurs. « L'Aube avait beau être prisonnier, il continuait à abonder sur la terre, au travers de ses premières Créations. Pour se défaire de l'affront que laissait son frère, le Yuheim exigea à se lier de nouveau avec son amante. Celle-ci, n'acceptant pas le châtiment qu'il avait infligé à son premier amour, lui refusa son aide. L'Oiseau de Cendre n'eut d'autre choix que de choisir une autre concubine : Geomi, qui devint par cette union la Mère de tous les Hùipà*. » La silhouette monstrueuse explosa en centaines de plus petites ombres, qui se matérialisèrent à chaque fois que le bout de tes ongles s'accrochaient à leur silhouettes, créant une constellation d'horreur.

« Ainsi naquirent les Tusayana - » Tes mains dessinèrent une femme, dont le cou s'allongea, encore et encore, jusqu'à être capable de s'enrouler autour de sa silhouette. Son visage, représenté de profil, affichait un sourire démoniaque aux dents pointues, tandis qu'elle s'approchait pour arracher le cœur d'un autre humain. « - les Otohûan - » Un vieillard se griffonna contre les surfaces du temple. Il portait sur la tête un chapeau de paille, et s'appuyait non pas sur une canne mais sur un bâton où pendait une lanterne. « - les Jiwaqin - » Un duo de femmes, collées par le dos, et s'abritant soit sous une ombrelle, sois derrière un éventail, accompagna le reste des Hùipà. « - la terrible Hwanpeh - » Une femme mi-humaine, mi-cigogne, portant entre ses bras un bébé, se découpa dans l'ombre.  « - les Soneba - » Des créatures humanoïdes, au crâne avec trois orbites oculaires et un bec à la place de la mâchoire, des ailes et des serres d'aigle en place de membres, éclatèrent un peu partout au milieu de la constellation. « - des Beûsong - » Cette fois-ci apparut un simple masque ovale, dans lequel la lumière marqua une mimique étrangement joyeuse - un sourire forcé qui en devenait malveillant - paré de hautes cornes pointues et recourbées. « - les Noeyang - » Une silhouette disposant de plusieurs queues et d'une paire d'oreilles de chat vint compléter ta collection. « - et tant d'autres. Chacun de ces enfants avait pour but de détruire les créations de la Première Union du Grand Dragon et du Yinshô. » Tes créatures avaient toutes été dessinées avec une attention minutieuse.  Sans doute parce que, plus jeune, lorsque l'on t'avait raconté la genèse du monde, c'étaient ces personnages qui t'avaient le plus fasciné.

« Si la vengeance du Yuheim fut ainsi satisfaite, ce ne fut pas le cas de la rancœur qui animait Geomi à l'encontre de sa rivale. Si la Mère des Hùipà adorait son créateur, elle haïssait sa créatrice, et par extension tous ceux qui lui étaient proches. » Autour du Yinshô se dessinèrent une biche, un cerf, une gerbille et une cigogne. Tous étaient reliés par un fil, non pas fait d'ombre mais d'une lumière pure, que tu traças du bout de l'index : le Gwanjiè* se matérialisait. « L'incarnation des Arts, de l'Artisanat, des Sciences, des Connaissances, et tout ce qui les unissait, au lieu d'inspirer la contemplation, rependirent le dégoût chez leur sœur. Ainsi, Geomi décida de les maudire un à un par le Neishan. » Tu baisses les mains et t'empares de l'instrument qui était resté jusqu'ici devant toi, sur le planché de la scène. « Ainsi répandit-elle la convoitise -  » Délicatement, tu assènes une légères pichenettes sur l'une des clochettes en métal. La vibration crisse, et la biche se fit poignarder par une artiste jalouse. « - puis le sacrifice - » De nouveau, tu fais claquer ton ongle contre un carillon. Une note résonna dans l'espace, tel une nuée d'aiguilles perçant les tympans. Le cerf, jusque là majestueux, dû se séparer de l'un de ses bois pour continuer à travailler. « - les erreurs - » La gerbilles, qui s'activait sur une drôle de machine à compter, sembla se perdre dans sa manœuvre et  se retrouva ensevelie sous un tas de grava qui l’ensevelis, tandis que tu agitais ton instrument : le fracas de l'éboulement se répercuta entre les murs. « - et l'oubli. » La cigogne s'évapora soudainement en fumée, tandis que tu attrapais fermement les grelots de ton instrument, les immobilisant : la scène retomba dans un silence pesant, tandis que ton souffle final éteignait les bougies qui t'entouraient depuis le début de ta représentation.

Tu restes silencieuse. Ton cœur pourtant, dans ta poitrine, semble battre plus fort que jamais auparavant. Serais-tu la proie du Neishan ? Geomi n'aurait-elle pas apprécié ta performance ? Non. C'est tout le contraire. Les deux mains sur le manche de ton instrument, tu le secoues d'un unique coup sec : ses clochettes et carillons s'illuminent. La lumière qui s'en émane ne se répercute pas, si bien qu'il s'agit de l'unique source lumineuse de la pièce. « Sa malédiction se répandrait sur toutes celles et ceux qui honoreraient les divinités qu'elle avait rejeté. Ses protégés, pour se reconnaître, porteraient des masques de Hùipà. » De nouveau, tu fais résonner ton instrument d'un geste sec. Le visage d'un spectateur s'illumine. Il porte un masque blanc, cachant son faciès. Un cercle entourant un rond y est dessiné, tel un œil unique. De nouveau, le son glaçant de ta mélodie. Un second masque brille dans la foule. Celui-ci est plus détaillé, plus monstrueux. Sans un bruit, tu te redresses et commence à esquisser une danse que personne ne peut admirer - à part Geomi elle-même, peut-être. Chacun de tes gestes se termine par le tintement caractéristique de ton carillon. Et à chaque fois, un nouvel adepte apparaît à travers la foule. Bientôt, l'ensemble de tes spectateur est visible grâce à son masque. Aussi dessines-tu un cercle final sur toute la périphérie de la scène, secouant frénétiquement ton instrument. Tu t'immobilises de nouveau au centre de la scène, agenouillée en signe de prosternation devant l'ombre de la Déesse des Horreurs que tu fais apparaître, se découpant dans la pénombre ambiante. « Et pour ses favorites, celles que le Yuheim aurait désigné comme étant dignes, elle façonna le Suzugi. » Dans la main de la Mère des Monstres, un objet fait de clochettes et de carillons apparut, semblable à celui que tu brandissais. « De cette manière, elles pourraient charmer ses filles et ses fils et échapper à leurs tourments. »

Nouveau tintement. Les masques avaient disparus, dévoilant les visages qu'ils avaient gardé anonymes jusqu'ici. Les Hùipà observèrent la silhouette de leur Mère. Finalement, ils disparurent, sans dévorer la manieuse de Suzugi.

2007 mots
*Clés de compréhension : cf mythologie des Orines
Dragon d'Air : représentation symbolique de Sozo, AEther de la Création
Yinshô : représentation symbolique de Hahanaru Shizen, figures mélangeant animaux et plantes, Aether de la Nature.
Yuheim : représentation symbolique de  Haikai, figure d'un grand oiseau renaissant dans les cendres, Aether de la Destruction.
Neishan : concept de l'ombre artistique : tous les sacrifices, les doutes et la douleur qui se cachent au cœur de la célébrité
Hùipà : créatures monstrueuses nées de l'union de Geomi et Hakai
Gwanjiè : concept de lien entre les individus, sous toutes les formes possibles.
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Ven 29 Avr 2022, 07:36


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Le théâtre d'ombres
Bellone

La pluie se déverse en un épais rideau, s'abattant des cieux comme une sentence irrévocable. Son martèlement incessant couvre les cliquetis de la roulotte qui te suit à quelques mètres. Elle n'est tirée par aucune bête, mais avance de son propre chef - ou plutôt, selon ta commande. Ses roues tressautent sur les pavés de la ruelle étroite. A part toi, personne ne perçoit les notes de musiques sinistres qui s'en évadent par à-coup, à chaque entrechocs des instruments ; même si l'on se montrait attentif, l'ouïe ferait défaut au présage que tu laisses deviner dans ton sillage. Ton ascension à travers la cité est longue, rendue lente par les détours que tu effectues, passant par les traverses et les venelles plutôt que de suivre l'artère principale. Les volets se claquent sur ton passage ; les courageux qui affrontaient le déluge se hâtent de changer de voie avant que tu ne les rattrapes. Tous connaissent ta silhouette chaotique : tous préfèrent l'éviter, de peur d'attirer ton attention. Tu les ignores tous sans exception. Derrière le large chapeau de paille duquel pendent quelques grelots tintant au rythme de ta marche, ton sourire s'élargit à mesure que tu te rapproches de ta cible. Le temps file, s'échappe, mais personne ne peut courir éternellement pour se dérober à ta sentence. Le temps est venu que tu viennes récolter ton dû. Qu'il soit prêt ou non à te le céder, peut t'importe. Il est l'heure, un point c'est tout.

Tu marches jusqu'au haut rempart cerclant la demeure. Deux gardes surveillent le passage. « Qui va là ?! » gronde le premier. Tu t'immobilises un instant, gardant le silence sans décliner ton identité pour autant. La carriole s'arrête également. « Avez-vous une invitation ? » continue le molosse. Devant ton mutisme, l'impatience semble le gagner. « Pas de laisser-passer, pas de visite. C'est la règle. » Son acolyte s'est approché de ton chariot et a commencé à l'inspecter, essayant de découvrir les secrets qu'il renferme. « Qu'est ce qu'il y a là-dedans ? » questionne-t-il en tirant sur l'une des fenêtres crasseuses sans parvenir à l'ouvrir. « Oh, t'es sourde ? On t'a posé des questions. » râle le premier. Ton sourire s'élargit d'autant plus que la ride creuse son front de mécontentement. En guise de réponse, tes mains passent sous ta cape. Les corps se tendent, surveillent tes gestes, guettant un signal menaçant. Tu les ressors patiemment, tenant entre tes doigts un long tube qui n'a pas l'air d'une arme. La vigilance tombe, redescend lorsqu'ils reconnaissent l'instrument. « Punaise, on est tombés sur une demeurée. » ricane l'autre en revenant près de son poste. Sans t'offusquer de son manque de courtoisie, tu portes la flûte à tes lèvres et commences à jouer une mélodie grave, lente. « C'est bien notre veine, il fallait que... ça tombe sur... nous... » Le regard des deux hommes se fit brumeux. Pendant un instant, personne ne dit mot, rien ne bougea à part tes doigts rebouchant les trous si bien que le temps sembla se suspendre. Puis, lentement, comme s'il lui était difficile de bouger, le garde qui s'était amusé à espionner ton attelage dégaine son sabre. Il se place face à son collègue puis, tout aussi lentement, vient glisser le tranchant de sa lame contre la gorge de la statue. Le jet de sang écarlate fuse, telle une abondante fontaine. Le corps s'effondre, secoué par des spasmes. Le liquide vital s'écoule abondamment, se mélangeant aux larmes du ciel, formant des tourbillons dégringolant la rue. Celui des deux qui n'avait pas encore perdu la vie entreprend d'ouvrir la porte pour te laisser passer. Une fois que tu l'as dépassé, tes doigts s'arrêtent de jouer. Le garde place la pointe de son épée contre son abdomen, puis la plonge jusqu'à ce qu'elle dépasse dans son dos. Tu ne te retournes pas pour observer le spectacle de la vie s'échapper de lui.

L'intérieur du manoir est tout aussi somptueux que l'extérieur, voire encore plus opulent. Tu t'approches du centre de la salle de réception, où tu te figes. Les invités se poussent sur ton passage, comme s'ils craignaient ton contact - telle la pestiférée contagieuse que l'on avait dépeint de toi. A l'intérieur du bâtiment, à l'abri du temps diluvien, l'étrange mélodie sortant de ta calèche résonne sombrement. Elle semble magnifiée par les murmures inquiets qui s'élèvent autour de toi. Bientôt, tous les regards sont rivés dans ta direction. Le silence plane, incertain, pendu à tes lèvres. Tu te débarrasses de ta cape de voyage trempée, la laissant tomber au sol. Sa chute dévoile un kimono noir de jais. Pourtant, à chacun de tes mouvements, d'étranges ombres d'une obscurité pure se dessinent sur le tissu, ondulent avec ton corps, des formes tremblent, essayant de s'en échapper. Ton sourire délicat flottant toujours sur tes lippes, tu t'abaisses en une révérence humiliante. Lorsque tu te redresses, ta flûte borde de nouveau tes lèvres. A la première note, la porte de ta roulotte s'ouvre et des pantins descendent du convoi, guidés par la musique qui s'échappe de ton instrument.

Le cercle autour de toi s’agrandit, laissant la place pour tes poupées qui se positionnent docilement sur la piste. Une fois que toutes se tiennent prêtes, n'attendant que ton signal, tu souffles dans ton instrument. Les pantins s'activent, les fils tenant leurs articulations se mouvant en rythme avec ta mélodie. Ils entrent dans une ritournelle, valsant gracieusement en ronde. Seules deux fantoches dérogent à la règle. Ces deux là ont été sculptés et peints avec une attention particulière : leurs visages figés dans une expression tristement heureuse reluisent ; leurs déguisements -une robe noire soyeuse et un costume rouge étincelant - ne sont pas de simples haillons et ont été cousus avec soin ; enfin, le bois utilisé pour leur confection est de meilleure qualité que tous les autres. Ils sont les héros de ta mascarade, les protagonistes de ta tragédie. La marionnette noire déambule gracieusement, élongeant ses longs membres en une danse solitaire tandis que la rouge l'observe. Son ballet se termine et son spectateur l'applaudit, visiblement comblé par sa prestation. La danseuse s'incline et l'autre en profite pour se lever et marcher jusqu'à elle. Il lui demande sa main, que l'artiste décline respectueusement avant de s'éloigner pour élaborer une autre chorégraphie. La seconde silhouette la suit et s'installe de nouveau pour l'observer. Le manège se répète inlassablement, le spectateur se faisant néanmoins de plus en plus insistant à la fin de chaque représentation - d'abord une accolade non consentie, puis une caresse, puis une enlaçade, un baiser, puis... Lorsque le duo de bois atteint son point de départ, au devant de la scène, l'admirateur se fait inquisiteur et s'impose à celle qu'il avait contemplé, cherchant à la posséder de toutes les manières qu'il n'avait pas obtenu jusque là. La danseuse refuse, se débat, cherche à s'extraire à sa prise. Malgré ses efforts, elle ne parvient pas à le repousser. Brisée, blessée, salie, elle s'effondre sur le sol lorsqu'il en a fini de s'amuser avec elle. Pourtant, telle une dernière injure, le Rouge se retourne une dernière fois, la pointe du doigt. Les autres personnages cessent leur farandole et imitent le souverain, désignant hargneusement celle qui gît à terre. Leurs faciès, tout à l'heure souriant, sont devenus tour à tour cruels, moqueurs, acerbes, féroces, colériques, malveillants. Ils jouissent de la peine endurée, se délectent des larmes qui s'écoulent, convoitent cette chaire qui les tente tant. Un rideau d'obscurité s'abat sur la scène. On perçoit cependant les silhouettes des sujets déambuler sans but, tandis que le monarque s'avance vers la carriole, rejoignant son trône haut perché. Les silhouettes flânent encore un moment, avant de s'immobiliser lorsque la lumière s'éclaire de nouveau. La danseuse s'est relevée. Le bois de son corps s'est assombrit, comme teinté par l'amertume de son âme. Elle s'avance pas à pas, lentement, vers celui qui a engendré ses malheurs. Sur son passage, les badauds se prosternent. Lorsqu'elle ne se trouve plus qu'à quelques pas de son ancien tortionnaire, la vengeresse lève à son tour son bras. Les rôles se sont inversés. C'est désormais elle qui mène la danse : une pluie de doigts s'abat en direction de l'odieux personnage. Et à chaque nouvelle dénonciation, l'accusé est percuté par un coup invisible, déformant sa silhouette, fracassant son enveloppe, détruisant son corps. Les coup volent, encore et encore, jusqu'à ce que le pantin se désarticule totalement, se disloque, les parties de son corps se balançant au bout des fils.

Un silence persistant s'installe à la fin de la scène finale. Si chaque spectateur avait pu se sentir familier avec les premières scènes, la fin, elle, est inédite. C'est que l'Empereur - le Rouge - est encore bien vivant et en un seul morceau, installé aux premières loges. Son visage est déformé par la colère. Il s'agit d'une menace pure et dure, pas même dissimulée. Sans oublier les calomnies proférées à son encontre - personne, dans son assemblée, n'oserait témoigner des scènes qu'ils avaient aperçu et qui auraient pu le mettre dans une situation délicate. La vérité était sue de tous mais se taisait pour complaire le Puissant dans sa position confortable. Si personne n'osait parler, il était encore moins envisageable que l'on puisse s'en prendre à lui de façon aussi frontale... Et pourtant, lorsqu'il redresse la tête vers la foule de ses sujets, le souverain a le sang glacé. Toutes les faces sont tournées vers lui. Les visage se font à la fois vengeurs, avides, jouissifs, rieurs, accusateurs.

Tu pianotes une dernière fois sur ta flûte, dans un enchaînement déraillant. Une première silhouette s'avance, menaçante. « Restez où vous êtes. » exige le dirigeant. Pourtant, sa parole est ignorée, et déjà un deuxième se mis en marche. Ils ne sont plus ses loyaux fidèles. A force de ne faire qu'observer et répéter les actions du meneur, ils sont devenus les Pantins de l'Artiste - tes sbires, pour exécuter ton dessein. Ils ne sont plus maîtres de leurs actions, envoûtés par ton enchantement. Des fils invisibles s'étaient enroulés autour de leurs corps, de leurs âmes et de leurs esprits tandis qu'ils observaient ta représentation : ils ne sont plus différent, finalement, de tes marionnettes. « Ne m'approchez pas ! » Tandis qu'il se lève pour essayer de fuir, deux gardes s'interposent et le maintinrent assis sur son trône. « Non ! » Un sourire arque tes lèvres tandis que tu tournes les talons. Dans ton dos, les hurlements harmonisés des bruits lugubres d'os qui craquent résonnent comme une douce mélodie.
1843 mots
FIN
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[Q] Le théâtre d'ombres

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