Kitoe rouvrit les yeux et les tourna, plissés, vers Dorian. Son attention se perdait sur les parts dénudées de son corps. Ses halètements berçaient son esprit embrumé. Son appétit pour celui-ci avait disparu, mais elle appréciait le voir dans cet état : transpirant, sauvage et délabré. Elle adorait constater la destruction qu’elle avait causé sur son image à leur premier contact. Toute cordialité avait disparu en un éclat, et en plus de cela, elle avait gagné un secret sur lui. Cerise sur le gâteau, lui-même avait l’air dépité par son propre état. Les redescentes les plus violentes étaient aussi les plus drôles à regarder.
-J’en ai, mais je ne pense pas qu’ils seront à ta taille.
Neah avait beau être plus grand qu’elle, il n’atteignait pas l’altitude du Vampire. Dommage. Elle aurait bien vu cette asperge austère dans les accoutrements les plus extravagants de sa détestable identité.
-Autrement, tu peux faire ta lessive ici. En les étendant près du four dans la cuisine, ça sera sec en un rien de temps. Elle laissa passer un silence, le temps de reprendre doucement sa respiration. En plus, ce n’est pas comme si te voir nu allait me poser problème.
Elle venait d’être témoin du principal atout de sa physionomie, alors le reste ne risquait pas de la choquer. Contrairement aux gens de son espèce, Dorian ne pouvait pas cacher de mauvaise surprise sous ses vêtements. En cela, Kitoe pouvait saluer son courage d’avoir osé la pénétrer. Certaines d’entre elles avaient des dents, d’autres des dards ou des crocs à venin.
-Effectivement. Fit-elle dans un soupir. Sa bouche était molle et pâteuse. Ceci dit, tu sais où me trouver si l’envie te reprend.
Ce coït avait tout intérêt à être le premier comme le dernier. Briller en société avait ses limites ; c’était les anecdotes ponctuelles qui avaient le plus de succès. Cependant, à défaut d’être une pute, Kitoe l’invitait à voir en elle son exutoire de la vie trop cordiale et protocolaire qu’il avait choisie. Peut-être que par l’ensauvagement, il pourrait devenir sa pute à elle.
-Hm, non, pas nécessairement.
Les étrangers avaient beaucoup trop de préjugés sur leur manière d’établir des contrats, mais Kitoe ne trouva pas la force de s’offusquer. Plus souvent qu’on ne le croyait, une signature et une poignée de main cordiale, au pire un verre d’alcool, étaient de rigueur. A bien des égards, les Démons pouvaient être anormalement banals et humains, en particulier ceux qui n’étaient pas nés en Enfer. Ils étaient une flopée. Cela dit, Kitoe utilisait régulièrement le sexe dans ses diverses relations, plus qu’elle ne voulait l’admettre. Le propos de Dorian n’était finalement pas si erroné. Moins qu’elle ne voulait l’admettre. Il était pour autant important de noter qu’elle n’avait pas couché avec Astriid suite à la signature de leur pacte. L’étreinte et le bisou qu’elle lui avait offert avaient été d’une chasteté exemplaire.
-De nous deux, tu as été le plus vilain, je te signale.
Certes, Kitoe l’avait incité à la consommation de psychotropes, mais elle avait seulement souhaité le détendre un peu. Ça n’aurait pas dû se terminer en bain de sang, ni en orgie. Tout était sa faute à lui, quand on y réfléchissait bien.
-Sur les fesses, c’est le cas de le dire…
Elle rit et toussa. Son humour était au plus bas et il n’aurait plus manqué qu’un pet de la part du suceur de sang pour l’achever pour de bon, mettant le doute sur la cause de son décès : l’étouffement par le rire, ou l’hémorragie par la réouverture de sa blessure.
-J’ai l’air d’aller bien ?
A deux doigts de lâcher un “connard”, sa jovialité factice l’avait rattrapée. Comprenant les obligations de son client, la Démone roula tant bien que mal sur le côté, prit appui sur ses bras et se redressa. Elle tanga jusqu’à un tiroir d’où elle sortit de quoi écrire. Elle s’avachit par terre pour écrire. C’était plus stable.
-J’t’assure que t’as le temps de faire une lessive.
Elle écrivait lentement. Sur le parchemin, le crayon hésitait. Sa concentration était le résultat de son envie de vomir et celle de produire un texte un minimum lisible, tout en prêtant attention à l’orthographe. En venant à bout du contrat, elle expira, exténuée. Elle tendit le papier à son client, pour qui elle avait réservé un espace blanc, à côté de sa propre signature : son nom, suivi d’un petit cœur.
