Alþjófr était assis sur un rocher, surplombant de plusieurs centaines de mètres le village. Il passait un temps énorme à côtoyer le volcan, et plus encore depuis quelque temps maintenant. Il s'était fait la réflexion qu'il pourrait retrouver le don du Dnoûde en méditant aux côtés du géant de lave, en laissant ses sens en alerte à la recherche du moindre changement d'état, d'une micro perception de la géologie qui composait ce mont, ou même du sentiment diffus qui imprégnait l'être en suivant un gisement. Qui plus est, la vue était imprenable d'ici. C'était d'ici qu'il avait pour la première fois réellement découvert l'île. Sa végétation. Sa typographie. Le sable, noir au plus proche du volcan, blanc sur le reste du littoral. La forêt luxuriante au pied de la montagne, la coulée solidifié sombre ponctuée de germes pâles à proximité. Sa contemplation fut finalement stoppée par un éboulement de cailloux à quelques mètres en-dessous de sa position. Redressant légèrement le buste, il put apercevoir Naya escaladant la pente pour le retrouver avant de s'effondrer à ses côtés à bout de souffle. « Et vous faites ça tous les jours ? » commenta-t-elle dans un même temps, la voix devenue rauque par l'épuisement. « Il y a une chaîne de montagnes par chez moi. Avec le temps on apprend à repérer les meilleurs chemins et points d'ancrage pour atteindre plus rapidement la destination voulue et se fatiguer le moins possible. C'est d'autant plus nécessaire quand on a de la neige jusqu'à la taille. » ria le Nain. Puis il exhala un souffle nostalgique. Sa maison lui manquait. Il était peut-être temps de rentrer ? « Une chaîne ? Cela veut-il dire qu'il y a plus d'une montagne chez vous ? » - « En effet. » sourit Alþjófr. « Elle porte communément le nom d'Edelweiss enneigé. Et, eh bien, comme son nom l'indique, elle est enneigée. Elle traverse tout le continent du Nord au Sud, le séparant en deux parties Est/Ouest distinctes. ». En même temps qu'il commença à parler de la chaîne de montagnes, son regard se plongea dans l'horizon, loin au-dessus des arbres et loin par-delà les océans. Chez lui. « Enneigé ? ». Le forgeron fixa la conseillère, intrigué, avant de comprendre. « Il n'y a jamais eu de neige ici ? » - « J'imagine que non. ». Avec un nouveau sourire, le Nain s'appliqua donc à lui expliquer ce dont il s'agissait. « La neige est comme une pluie de plumes immaculées. Elle tombe du ciel avec flegme en petits flocons doux et gelés pour recouvrir le sol d'un tapis épais blanc et froid. » commença-t-il ses explications, détaillant avec la précision des conteurs cette météo inconnue des habitants de Ryvië. La conseillère, elle, était hypnotisée des mots qui couraient jusqu'à son oreille. Le verglas, les congères, les engelures. Tout ces mots qu'elle ignorait jusque là elle les absorbait avec une gourmandise intellectuelle insatiable. « Et vous résidez dans cet environnement glacé ? » s'étonna finalement celle-ci une fois que son roi eut fini, ce qui eut pour effet de faire éclater un rire de la part du fils d'Estella. « Non. Le peuple auquel j'appartiens se trouve sous les montagnes, dans la partie est du continent. »- « Sous ? ». Plus elle l'écoutait, plus la conseillère était curieuse des origines de son Roi, et cette dernière précision l'étonna autant que le concept de la neige. « Oui. Ça n'a pas toujours été ainsi. Mais plusieurs générations sont passées depuis le jour où les galeries de la Terre de Feu ont été creusées et il n'y a plus personne pour parler de cet ancien temps. ». La nouvelle ère du Petit Peuple était l'une de ses histoires favorites dans la Vólþruspa. Le silence de sa vis-à-vis l'invita à continuer. « Tout un réseau de tunnels parcourt les sous-sols de l'Est du continent. Ils sont ponctués de cavernes aussi larges que le volcan et hautes comme un baobab. ». Heureusement qu'il y en avait quelques-uns sur Rivyë, il n'aurait pas à expliquer à quoi cela ressemblait bien qu'il en ait maintenant l'habitude avec les résidents de l'île. « Ce doit être impressionnant. » commenta Naya entre deux inspirations. « Les habitations sont taillées à même la pierre. Et qu'importe où l'on se trouve, il y aura toujours un chemin pour mener à la salle de la couronne. Des statues colossales, les visages des Héros de jadis, accueillent les visiteurs et les guident jusqu'à l'Élu d'Estella. » - « L'Élu d'Estella ? » - « Notre roi, Ragnar Tamgör. ». La conseillère semblait perdue. Un roi sous l'autorité d'un autre roi ? Le forgeron devina ce qui traversait l'esprit de la jeune femme. « Je ne suis roi que sur cette terre en ce monde. Hors des archipels de Maggie, sur le reste de la Terre de Sympan, je ne suis que sujet. ». Car ce n'était pas la seule couronne qu'il portait en réalité. Il lui serait cependant trop compliqué d'expliquer le concept du Rêvarium. Lui-même n'était pas certain d'en comprendre tout les rouages. Pourtant cette seule information semblait tout de même avoir suffit pour dépasser Naya, ce qui arracha un rire bruyant au Nain. « Cet endroit, la Terre de Feu, il semble vous manquer. » fit remarquer la conseillère en se tournant à son tour vers l'horizon. « Lorsque l'on est bercé par le son des marteaux et du fer battus sur l'enclume, ou celui des flammes grondantes et rugissantes, oui, il y aura toujours une part de soi qui ne sera jamais satisfaite du silence qui accompagne son voyage. ». Il marqua un temps. Il avait l'impression de ne pas avoir approché de forge depuis une éternité. Ça aussi ça lui manquait. « Mais ce qui me manque plus que ma terre natale, c'est ma famille qui y est restée. ». Un silence ponctua cette dernière remarque emplie de mélancolie. « Ivar m'a parlé de cette nuit. Celle que vous avez passé à veiller au pied de la montagne. Il s'agit d'une coutume de chez vous ? ». Elle n'obtint pas de réponse immédiate. Alþjófr n'aimait pas cette partie de l'histoire. Elle s'avérait être l'une des plus tristes de la Vólþruspa. « En effet. C'est une façon de se souvenir de la raison qui a poussé notre peuple à s'installer sous terre. » souffla-t-il enfin, une ombre voilant son visage.

À nouveau ce fut par le silence qu'on lui demanda la suite de cette histoire qui semblait être particulièrement sinistre à en voir l'expression du Nain. « Il existe des peuples qui sont mal aimés dans le monde. Il s'agit le plus souvent d'êtres mauvais et égoïstes. La part ténébreuse des Terre de Sympan. Les Démons sont l'une de ces races dépréciées. Ils sont l'incarnation du Mal sous sa forme la plus brute. ». Sa vis-à-vis ne quittait pas son souverain des yeux. Elle n'était pas certaine de comprendre le rapport entre ce peuple apparemment malveillant, et les larmes de son chant. « Puis il y a des populations exclues simplement pour ce qu'elles sont ou pour ce dont elles sont capables. Parmi eux se trouvent les Humains, des êtres que l'Histoire dit être à l'origine de l'ensemble des races composant notre monde. Un peu de leur sang coulerait ainsi dans les veines de chacun. » - « Pourquoi sont-ils exclus s'ils sont les parents de tous ? » - « À cause de ce dont ils sont capables justement. ». Le Nain expira un souffle avant expliquer. « Contrairement à l'ensemble du monde, les Humains ne peuvent user de magie. Au contraire, ils ont le don de l'annihiler. Lorsque l'on apprend à vivre exclusivement par le biais de celle-ci, c'en devient rapidement handicapant. ». Et celui qui se croyait supérieur se trouvait ainsi réduit à moins encore que celui qu'il abhorre. Il ponctua sa phrase d'une pause, se plongeant dans les souvenirs de l'Histoire. « C'est en partie à cause de ça qu'un jour les Démons les ont attaqués jusqu'à presque réduire leur existence à néant. Un génocide comme on en voit peu. ». Normalement car ces dernières années ils s'étaient multipliés. Le forgeron s'abandonna dans la contemplation du couchant. La lueur du crépuscule baignait le ciel d'un rouge sombre, comme si la course du soleil et les palettes qu'il offrait était guidée par son récit. Le contexte était à présent posé. Maintenant commençait l'histoire du génocide que son peuple subît. Son ton se fit plus grave encore que précédemment. « Notre peuple ne prenait que peu part aux conflits du monde. Il ne cherchait pas l'affrontement et, en cela, il n'avait pas d'ennemis véritables. Ils n'avaient pas que des amis non plus, il faudrait être naïf pour croire ça. ». Le monde était plein d'ambitieux et d'envieux déjà à l'époque. « Ils ont été sollicités par les Démons pour leur fournir des armes en vue du massacre du peuple Humain. Seulement ce sont avant tout des œuvres uniques, pleines des âmes de leurs créateurs que nous forgeons. Pas des outils de meurtre et encore moins quand elles seraient destinées à anéantir toute une population. ». Un nœud serra son estomac. Il connaissait cette histoire par cœur. On le lui avait conté et raconté et ressassé et rabâché. Il l'avait lu et relu et conté à son tour. Aujourd'hui il pouvait se visualiser ce chapitre de leur histoire comme s'il y avait été. Ça ne le rendait que plus terrible. « Votre peuple a refusé, c'est cela ? ». L'intervention de la conseillère eut l'effet d'un tremplin l'aidant à finir son récit. « En effet. Et à cause de ça nos ancêtres ont subi un sort équivalant à celui des Humains. Les survivants se sont alors cachés sous terre pour échapper à la terreur du monde, et ils ont laissé l'Histoire les oublier pour ne faire d'eux plus qu'une légende. ». À une époque il avait fantasmé ce monde si cruel et le voyait bien plus comme une aventure palpitante que comme une terre à éviter. Puis il s'était retrouvé au milieu d'un conflit opposant des croyances divergentes. Il s'était alors questionné sur l'état mental du peuple. Comment pouvait-on être prêt à tuer au nom d'un dieu sans prendre la peine d'ouvrir un dialogue qui aurait été tout aussi efficace. Il avait appris également que les Démons avaient livré la guerre aux Anges, encore. À croire que l'histoire n'était que répétition des mêmes événements. Il s'était finalement décidé à rentrer lorsque ce qui n'était qu'une guerre devint un massacre. Lorsque les Anges subirent à leur tour l'éternelle ire des Démons. « C'est cela que raconte ce chant. L'histoire de nos aïeux tombés à cause de la folie d'un peuple. Des représailles pour avoir suivi leurs convictions et osé dire non. Une oraison à leur attention, alors qu'ils ont été nombreux à périr pour ne sauver qu'une poignée. La mémoire de ces héros à qui nous devons la vie. ». Un long silence s'installa à la fin du récit. Aucun des deux protagonistes n'osa le rompre. C'était quelque chose de mystique qui avait envahi l'air, comme si les esprits défunts se mêlaient aux fumées du volcan, baignant l'île dans un univers où se côtoyaient morts et vivants. Ils restèrent ainsi longtemps sans parler, le regard perdu sur l'océan et la lumière qui s'atténuait de plus en plus. Bientôt, ciel et mer ne donneront plus l'impression de ne faire qu'un.