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 Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa (Kaahl)

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Jun Taiji
✞ Æther de la Mort ✞

✞ Æther de la Mort ✞
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Jun Taiji
Jeu 07 Juil 2022, 14:42

Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa (Kaahl) E8us
Image par inconnu et titre de Louis Aragon
Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa



Sa main droite était perdue quelque part, dans les poils de l’un des nombreux animaux qui partageaient sa vie. Devant lui, flottant à quelques centimètres de son nez, une lettre se tenait. Il n’avait pas besoin de la lire pour en connaître le contenu mais il y avait cette douleur, dans sa poitrine, qui ne le quittait plus et qui le poussait à s’accrocher davantage à un semblant de mortalité. Il devait être masochiste pour ne pas refuser la souffrance, ce je ne sais quoi qui creusait un puit dans son cœur. Mais les choses étaient ainsi : elles devaient advenir. Il était bien trop proche des Mortels pour ne pas jouer son rôle auprès d’eux. Du moins, il le croyait. Parfois, il lui semblait oublier, ou vouloir oublier. Il errait dans une vie remplie de contradictions et le Temps le perdait, créait chez lui un flou, un bordel. En se limitant, il façonnait en lui-même le chaos. Il ne s’ennuyait pas, à l’image d’Edelwyn qui n’avait jamais supporté l’Immortalité. Il s’amusait la plupart du temps, même. Néanmoins, il y avait toutes ces choses qui l’attachaient à celui qu’il avait été, toutes ces choses qui l’attachaient à la stupidité de la condition de non-Æther. Ces choses lui rappelaient que toute sa vie durant, il avait été esclave de bien trop de forces paradoxales. Ses parents, sa jumelle, sa sœur, son frère, son devoir puis, fatalement, en haut, le Destin. Ses amours avaient été malheureuses et des jours comme celui-ci le lui rappelaient farouchement. Parfois, il s’interrogeait sur ce qui était important dans une vie de Mortel. Souvent, il croyait déceler que ce qui ne pouvait rien détrôner était la relation à autrui, aux êtres aimés, aux êtres avec lesquels des souvenirs étaient créés. À la fin – une fin qu’il ne connaîtrait jamais – quand le corps était trop faible pour encore pouvoir se déplacer, lorsque les rêves semblaient soudain ne plus être seulement envisageables, il n’y avait que ces visages familiers et ces souvenirs à demi-oubliés à demi-idéalisés pour bercer l’âme et rassurer l’esprit. Mais la Mort n’était qu’une fiction. Elle n’était pas une fin. Elle était une continuité. Elle était la libération de la Vie, la fin de la soumission au Destin. Jun voulait renverser le Destin, faire en sorte qu’il ne régnât plus, qu’il se disloquât et rendît aux êtres leur libre-arbitre. Sans lui, peut-être que le Monde s’effondrerait, que les Mortels erreraient devant leur trop grande liberté, devant leurs trop grandes possibilités. Peut-être s’inventeraient-ils des problèmes, incapables de supporter cette condition ? Il ne pouvait le voir. Les Ætheri aussi ont des limites, celles que leur imposent les Dieux plus puissants qu’eux. Il les ferait tomber, une à une. Mais ce combat-là lui semblait étrangement bien moins complexe que celui qui aurait lieu bientôt.

Il se leva en froissant la lettre, s’habilla plus chaudement et sortit de chez lui pour se diriger vers le lieu du rendez-vous. Ce serait sans doute bref. Il n’avait pas envie de regarder. Il savait ce que le requérant voulait. Il y avait cette chose, entre eux, cette chose qui rendait presque son rôle de père caduque. Les Génies avaient rebattu les cartes avant même la naissance d’Ârès et Jun savait qu’ils étaient bien plus semblables que parents. Il avait couru après son autre toute sa vie, comme il avait couru après Edelwyn. Il n’avait eu qu’un silence assourdissant, un silence pesant, presque assassin, pour toute réponse. Petit à petit, en grandissant, il lui avait de plus en plus ressemblé. Le père s’était modelé à partir du fils. Le fils était né du père. La boucle était risible, digne des manigances des Vendeurs de Rêves. Maintenant qu’il était libéré, qu’il pouvait de nouveau être lui-même, sans interférences, il restait attaché à son passé. Ses sentiments étaient enchainés à ceux d’Ârès et la situation n’en était que plus complexe. L’inverse était vrai et le serait de plus en plus car le Temps s’en mêlerait. Geminae pouvait rendre fou. Enfant, il s’était idéalisé un autre et, à présent, parce que leurs intérêts divergeaient – ou convergeaient bien trop, cet autre nourrissait des sentiments belliqueux à son égard. Entre amour et haine, il n’y a presque rien. Peut-être étaient-ils à l’intersection ?

En avançant, un ciel verdâtre avait commencé à le suivre. Puis, le ciel s’était étendu à la campagne de Nementa Corum, comme une malédiction de plus. Sur place, il tua l’attente en écartant la terre afin de créer un lac séparé en plusieurs îlots de quelques centimètres de diamètre. Certains étaient plus grands. L’herbe de ces monticules était verte, pour le moment. Pourtant, elle ne tarderait pas à prendre un autre visage. Rien ne reste fertile au sein du territoire des Sorciers ; à cette époque du moins. Pour l’instant, l’eau était encore saine. Jun avait décidé de faire de cet endroit l’illustration de sa relation avec son fils. Plus ils se haïraient, plus l’eau deviendrait salée. Plus ils s’apaiseraient, plus elle serait douce. La douceur partirait vite parce que, lui aussi, était rempli de rancœur. Plus il se rapprochait de la mortalité, et plus la rancœur était tenace : pour ce qu’il avait fait et, surtout, pour ce qu’il n’avait pas encore fait mais ferait. Il n’était pas le seul à s’approcher de bien trop près de ceux que l’autre aimait. Jadis, il ne lui en avait pas tenu rigueur. Aujourd'hui, il semblait que sa tolérance se disloquait.

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Kaahl Paiberym
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Kaahl Paiberym
Lun 25 Juil 2022, 23:32



Il advint qu'un beau soir

l'univers se brisa


« Récupérez ce que vous pouvez et faites-en de l’engrais. » terminai-je, sèchement. Après mon départ, quelques individus présents dans l’assemblée se demandèrent si j’avais le droit de donner de tels ordres mais les plus sages les firent taire.

Je montai sur les remparts, une colère glacée cramponnée au cœur. J’aspirai mes joues plusieurs fois, plongé dans un silence de mort et préoccupé. Une fois à l’air libre, je serrai les dents. Mes mains se posèrent sur la pierre. Le visage baissé, je relevai les yeux et fixai le paysage d’un regard noir. Doucement, un rictus de haine se dessina sur mes lèvres. Sous mes doigts, la matière crissa, un bruit annonciateur de son agonie. Je déglutis. J’inspirai, concentré sur les scènes de vengeance qui tournoyaient dans mon esprit. Je ne m’arrêtais jamais de songer. Que faire en cas d’échec ? Quelle stratégie de secours adopter ? Et si celle-ci venait à échouer à son tour, comment m’en sortir ? Pourtant, cette fois, j’avais beau tourner et retourner le problème dans ma tête, je savais qu’il était insoluble. Mon père n’était pas le genre de soucis facilement éradicable. Je ne gagnerais pas, probablement pas. Je ne pouvais néanmoins pas me permettre de perdre la face. L’imaginer payer me faisait du bien et je n’étais pas le seul à jouir des fantasmes de mon imagination. En moi, les émotions de Devaraj entraient en totale contradiction avec mes essais de rationalité. C’était à en devenir fou. Les griefs de mon frère étaient marqués et profonds. Devrais-je détruire ses temples, moi-aussi ? Devrais-je me rebeller ? Je savais que ça n’aurait aucune portée, aucun sens. Mais alors, quoi ? Le laisser continuer à intervenir à son bon vouloir, à tronquer les cartes à sa guise ? À ce stade, je ne pouvais plus croire qu’il ne se passait rien entre Freyja et lui. Il me semblait cependant inconcevable qu’elle pût m’avoir trompé avec lui. Alors qu’était-ce ? Une amitié tordue ? Un amour inavouable ? Un désir réciproque ou à sens unique ?

À l’horizon, un nuage fait d’un vert inhabituel attira mon attention. Je me redressai, constatant que l’intéressé avait répondu à ma lettre. Que devais-je penser ? Qu’il était bien plus sain que ce fût lui ? Lui à la place d’un autre ? À la place d’un Val’Aimé qui aurait tué l’Ange ? À la place d’un Cyrius qui… J’avais du mal à envisager la façon dont Cyrius aurait géré Laëth. Il l’aurait probablement mise quelque part, au risque de l’y oublier. Il n’aurait sans doute pas osé la toucher de trop près. Elle l’aurait certainement dégoûté. Il n’était pas fait pour la compagnie. Il avait accepté Érasme à ses côtés mais le lien qui les unissait était d’une tout autre nature. Je me demandais souvent si ce dernier se renforcerait avec le temps, s’il deviendrait à l’image de celui que j’entretenais moi-même avec le blond. Je soupirai.

Lorsque j’apparus, je constatai la présence d’un paysage nouveau. Je connaissais les cartes de Nementa Corum par cœur. Sur le papier, j’avais déjà entrepris des plans aux fins de verdir l’endroit. Il m’avait fallu étudier chaque paysage, chaque particularité. Le projet serait difficile sans être pour autant impossible. J’avançai et enjambai quelques butes de terre dans l’objectif de réduire la distance entre lui et moi. Pas trop. Ce qu’il fallait pour être entendu et entendre à mon tour. Je levai les yeux vers le ciel un instant. Cet endroit, ce ciel, c’était lui. Pourquoi ? Était-ce un message ? Un présent après sa traitrise ? Peut-être n’en était-ce pas une mais je la vivais comme telle. Seule ma rationalité retenait le passage à l’action de ma rage. Bien sûr, il n’était pas venu avec elle. Il était seul. Je n'avais pas précisé les modalités dans ma lettre. Il aurait pu me la livrer. Son action me coûtait. Gagner les enchères était un crachat au visage des Réprouvés mais il s’agissait également d’un coup qu’il portait à la réputation d’Elias. J’avais défendu l’Ange pour pouvoir la posséder et mes actes avaient été dénués du moindre résultat. Il balayait le plateau sans état d’âme. Si les choses n'avaient été qu'une question de sentiments, peut-être ne l'aurais-je pas pris de la même façon. Mais il me faisait du tort, en plus du reste.

J’étais vêtu d’une tenue parfaitement réglementaire, noire. Un manteau long entourait mon corps. Je croisai les bras sur mon torse. « Explications. » articulai-je, avec un ton autoritaire. Il avait beau être mon père, je paraissais plus âgé. Il avait beau être mon père, je doutais qu’il eût une seule idée de ce que cela signifiait vraiment. Je ne pouvais pas ignorer qu’il était plus que mon père mais je préférais, de toute façon, le considérer simplement comme un homme.

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Jun Taiji
✞ Æther de la Mort ✞

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Jun Taiji
Dim 31 Juil 2022, 20:06

Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa (Kaahl) E8us
Image par inconnu et titre de Louis Aragon
Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa



Jun esquissa un sourire. Il n’était pas désolé d’avoir gâché les prévisions de l’homme qui se tenait devant lui. Il ressemblait trop à Edelwyn pour son propre salut, à vouloir absolument tout contrôler. Ça ne l’étonnait pas trop qu’ils se fussent si bien entendus. Tout ceci était loin et flou, ou n’était pas encore advenu, mais le sentiment perdurait. Il y avait des sensations éternelles. Finalement, les tordus allaient toujours bien ensemble. Il n’y avait que lorsqu’ils jouaient avec les gens équilibrés que tout s’effritait. « Je trouvais qu’il manquait un petit quelque chose à Nementa Corum. » dit-il, en désignant sa création. Ârès ne parlait pas de ça mais il s’en foutait. Il faisait fi de ses volontés, parce que c’était le meilleur moyen de pousser les stratèges dans leurs retranchements. La perspective de l’acculer était à la fois tentante et effrayante. Un côté de lui cherchait la guerre. L’autre était plutôt en faveur de la paix. Il avait toujours désiré être proche de son fils. Un temps, ils l’avaient été, proches. Plusieurs sujets les réunissaient et peut-être était-ce ça le problème. Peut-être y en avait-il trop ? Leurs deux existences étaient si emmêlées qu’il était impossible de savoir quelle émotion appartenait à qui. Son interlocuteur n’avait probablement pas encore mesuré toute l’ampleur du souci. Qui avait commencé à aimer Freyja le premier ? Qui avait commencé à aimer Edelwyn le premier ? Pour Adam, les choses étaient si simples. Tout était simple lorsqu’il s’agissait du Déchu. Mais le reste était imbriqué dans différentes chronologies et, finalement, leurs amours étaient liées et souffrantes. Les échanges de corps perpétuels avaient renforcé Geminae et son monde du passé était également devenu celui d’Ârès, tout comme le futur d’Ârès était devenu son monde. Le fait qu’il fût à présent un Æther les sauvait du naufrage total. Il n’était plus soumis à Geminae et aux échanges de corps. Son présent était sauf mais ce n’était pas suffisant. En plaçant Oni dans le passé, il avait aussi rebattu les cartes et, maintenant, tout lui semblait flou au point de se déliter sous ses pieds. Il ne tenait rien, il ne savait rien. Il avait simplement ces sensations dérangeantes, de la jalousie peut-être. Même sa relation avec Laëth était floue. Il ne voulait pas voir, pas vraiment. Finalement, ils étaient trop liés. Cela ne voulait pas dire que ceux qui aimaient l’un étaient obligés d’aimer l’autre mais il y avait une similarité troublante. Eux, en tout cas, avaient des goûts semblables. Peut-être même, qu’à force, ils étaient devenus un même individu en deux réalités distinctes. Il l’ignorait et ne voulait pas savoir. Il avait trop couru après lui, après la sensation de fusion, de complétude. Et il y avait Edelwyn aussi. Geminae l’incluait forcément, elle aussi. Ils étaient comme un triptyque effrayant. Maintenant que Jun était libéré, les problèmes seraient portés en totalité par son propre passé. Lui, en tant qu’Æther, avait d’autres priorités. C’est ce qu’il pensait. Pourtant, il était intervenu et il gardait des espoirs foncièrement mortels. C’était la partie problématique.

Il finit par rehausser la terre et par créer un rocher. Il s’assit dessus et planta son regard dans celui de son fils, pour aborder le sujet qui les opposait. « Dis-moi, qu’aurais-tu fait, ensuite ? Lorsqu’elle aurait été ta propriété ? » Il n’attendit pas de réponse et continua. « Tu as fait une erreur dès que tu as fait apposer la marque des esclaves sur elle. Tu voulais la punir et tu n’as pas réfléchi. » C’était vrai, il le savait. Il y avait une part de vengeance mesquine là-dessous, un dérapage incontrôlé. Le reste avait été brodé mais le résultat restait le même : peu importât qu’elle lui fût acquise ou non, il n’aurait pas pu justifier sa libération avant des années. « Tu comptais faire comment ? Demander aux Mayfair de retirer la marque, comme ça, sans raison ? Non. Il t’en aurait fallu une. L’épouser, par exemple. C’est ça ce que tu avais en tête ? L’enchaîner à Elias contre son gré, en lui murmurant que c’était la seule solution ? Avoue que tu en crèves d’envie, malgré les risques. Tu sais que c’est le meilleur moyen de la garder près de toi. Chez les Magiciens, il pourrait toujours lui prendre l’envie de partir. À Amestris ce serait fini. » Il sourit. « Surtout qu’il y a une femme qui t’attend chez les Magiciens, non ? Une femme prête à tout pour t’épouser. » Il cherchait. Il n’aurait pas dû et il le savait. Peut-être cherchait-il la vérité sans prendre la peine de la regarder par ses propres moyens, par jeu, par vice. « Mais ne t’inquiètes pas, je ne comptais pas la garder près de moi. Je l’ai libérée. Tu peux donc ravaler ta jalousie. »

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Kaahl Paiberym
Dim 07 Aoû 2022, 13:07



Il advint qu'un beau soir

l'univers se brisa


« Très drôle. » répliquai-je, sans qu’aucun sourire ne se manifestât sur mon visage. J’étais comme lui. Je déviais les questions embarrassantes, souvent par lâcheté ou par volonté de contrôler. Néanmoins, il me semblait déceler chez lui un réel plaisir à montrer qu’il pouvait se le permettre : se permettre de ne pas répondre, de faire abstraction de ses interlocuteurs. Mon père n’était pas un excentrique tout droit sorti d’un asile. C’était un Dieu et, en tant que Dieu, il savait parfaitement ce qu’il faisait. À ce titre, je ne considérais pas ses non-dits comme des oublis, ni ses mensonges comme involontaires. Il maîtrisait son monde, sous couvert de vivre normalement. Il n’était pas normal. Il n’était pas un homme, même si je préférais le considérer comme tel. Personne ne peut rivaliser avec les Ætheri mais je refusais pourtant de le laisser agir comme bon lui semblait sans répliquer.

Je le fixai s’asseoir, sans en faire autant. Je préférais être debout. J’entendis les questions et les accusations en restant immobile. Seuls mes yeux se plissèrent lorsqu’il évoqua l’autre femme. La remarque était mesquine et sans fondement. Je n’aimais pas Mirabelle, bien qu’elle m’intriguât pour ses habiletés à la manipulation. Elle savait ce qu’elle désirait et s’employait à l’obtenir, en usant de chaque moyen en sa possession. Peut-être étais-je flatté malgré moi de son intérêt, bien qu’elle fût bien plus une enfant capricieuse à mes yeux qu’une femme. Elle était déjà dangereuse. Il ne faisait aucun doute qu’elle le serait davantage à l’avenir, si je la laissais avoir un avenir. Quant au reste de ses paroles…

Je soupirai et décidai de m’asseoir à mon tour. Ma magie déforma la matière et je me plaçai en face de lui. Séparés par l’eau et quelques bandes d’herbe, j’avais l’impression de fixer un miroir légèrement déformant. Légèrement. Je songeai quelques secondes au comportement à adopter. Si je continuais à laisser la haine m’envahir, j’agirais mal. Mes yeux contemplèrent le paysage et grimpèrent jusqu’au ciel. Je plaçai mes mains dans les poches de mon manteau. « Lorsque je songe à verdir Nementa Corum, je ne songe pas à ce type d’ambiance. Néanmoins, si ça peut dissuader quiconque de venir mourir aux portes d’Amestris à l’avenir, j’accepte le présent. » Cette fois, un sourire en coin apparut sur mon visage. Je pensai que nous aurions pu nous entendre bien plus s’il n’y avait pas eu les souvenirs de Devaraj en moi, ses émotions, et s’il n’avait pas la fâcheuse tendance à agir comme bon lui semblait en dépit de mes intérêts. Il me fallait reconnaître, cependant, qu’il m’avait aidé plus d’une fois. Le fait est que, malgré cette aide, je ne pouvais m’empêcher de penser qu’il jouait une mélodie qui n’arrangeait que lui. La grande question était donc celle-ci : que voulait-il ? Quels étaient ses objectifs ? Qu’aurais-je souhaité si j’avais été un Dieu ? « Oui. » finis-je par répondre. « J’envisageais de l’enchaîner à Elias. » Je marquai une pause, conscient que l’aveu n’était pas complet mais ne souhaitant pas apposer mon « mais » tout de suite. « En fait, je l’aurais enchaînée à Elias uniquement si aucun autre moyen n’avait fonctionné. » Je sortis les mains de mes poches et me relevai. « Tu a l’air de penser que je suis comme toi, à jouer avec les autres impunément. Mais tu te trompes. Je ne joue pas. Je me sers des autres uniquement s’il y a un intérêt pour moi ou pour mon peuple. Ce n’est pas de l’intérêt des Sorciers que leur Roi soit marié à une Ange dans ces conditions. Ce n’est pas dans mon intérêt de voir mon Ange dépérir entre les murs de la Vorace, bannie de son peuple, bannie de sa famille, exilée du moindre avenir. » Je mordis l’intérieur de mes joues et avouai. « Bien sûr que je la fantasme à mes côtés, en Impératrice Noire. Bien sûr que je la fantasme en Sorcière. Et, oui, parfois, je songe que les choses seraient bien plus simples si nos objectifs étaient les mêmes et si nous les construisions ensemble. Mais ce n’est pas le cas et ça me va. Je n’ai pas besoin d’une autre femme. » Mes yeux se perdirent sur l’eau. En y réfléchissant, il était clair que je n’avais jamais pensé arriver à l’aimer un jour. Je l’avais choisie, au début, justement parce qu’elle était une Ange, parce qu’elle était jeune et qu’elle se laissait happer par ses émotions d’une façon si dérangeante que ça en devenait adorable. Pas pour moi en priorité. Pour les autres. L’excès d’émotivité me mettait mal à l’aise, pour être franc. Je préférais mille fois les tensions et les non-dits, les messages subtils et les coups bas, que les disputes retentissantes et les cris ponctués de larmes. Et lui ? Pourquoi continuait-il à agir comme il le faisait, avec elle ? Que cherchait-il ? Il l’avait relâchée, certes, mais je ne pouvais pas croire qu’il avait manigancé toute cette mise en scène, participé aux enchères et été présent au procès, pour simplement la laisser s’échapper in fine. Comment justifierait-il la perte de cette pièce ? Surtout, je doutais qu’il considérât Laëth comme un simple pion. Il y avait quelque chose entre eux.

À force de fixer l’eau, des formes s’y déployèrent. Elles n’étaient pas réelles, elles n’étaient que l’effet d’une magie que je ne contrôlais pas. Les formes mutèrent en silhouettes et… J’écarquillai les yeux et oubliai de respirer, tout à ma contemplation des mouvements dans le lac. Je serrai les dents avant de remonter lentement mon regard vers lui. Ce n’était pas vraiment l’homme de la vision mais je connaissais celui qu’il avait été jadis. La rage, en moi, fut comme un poison. Elle se répandit à la façon du venin, parcourant mon sang pour irriguer chaque parcelle de mon être, chaque organe, jusqu’à mon cerveau. J’étais pourtant trop sidéré pour agir. Je ne l’avais pas cru, précédemment. Je n’avais pas cru qu’il pût l’avoir touchée, lui. Et j’avais eu raison, en un sens. J’avais eu raison sur le Dieu, mais j’avais omis son passé. J’avais omis ce qui avait pu se produire bien avant mon existence. Je restai totalement muet mais le ciel, lui, déjà d’une couleur affreuse, fut séparé en deux par un éclair qui déversa, par la suite, un son déchirant et une pluie acide qui me griffa la peau. Le problème était double. Il y avait lui et il y avait elle. Il l’avait aimée, jadis, et il devait encore l’aimer aujourd'hui. Et elle, forcément, elle l’aimait dans le présent qu’elle partageait avec moi. Et si j’aurais pu croire que ce que je voyais encore dans l’eau n’était qu’une manifestation folle de mes craintes, je n’en fis rien. Je savais que c’était la vérité, aussi crue que possible. J’avais passé des heures à tenter de la sortir d’Amestris vivante et, maintenant, j’étais debout, en face de mon père qui était en train de lui faire l’amour ailleurs, dans un autre corps, dans une réalité contre laquelle je ne pouvais rien. Que faire ? Les rejoindre ? Les tuer ? Un dégoût profond entoura mon cœur et celui-ci se cadenassa d’une forteresse de givre. « Je crois que nous avons fait le tour de la question. » articulai-je enfin, la gorge sèche. Mon corps entier me semblait être contracté. « Je sais à quoi m’en tenir, maintenant. » Je m’entendais parler mais je me sentais à des kilomètres de là. Je me défendais par un immobilisme froid. Je jouais avec la réalité, en essayant de croire qu’elle ne me touchait pas, qu’il me suffirait de ne plus y penser et de l’effacer, de la nier. « Tu m’excuseras mais j’ai du travail. » Et la pluie me blessait, même si ça ne m’importait pas. Je n’étais pas comme elle, à sauter dans les ennuis, armé de mes émotions. J’étais le roi qui se détache à l’horizon, stoïque et droit, assis sur un trône de marbre. Un roi aux mouvements limités. Et, elle, elle était loin d’être un pion, elle était le cavalier, fougueux et inarrêtable. Si j’avais prévu que ma tour finirait par succomber aux charmes du cavalier, et vice versa, je ne pensais pas que mon cavalier me ferait des infidélités avec le roi situé de l’autre côté du plateau, mon autre, mon ennemi.

Je disparus dans la clarté de la foudre qui s’abattit au loin avec la volonté de briser l'univers.

1401 mots
Fin
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