Partenaire : Solo
Intrigue/Objectif : Étreint par son élément et couvert de vérités, il est offert le choix à Isaris d'embrasser sa destinée.

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" Nuaaaz ! "

Sa voix porta le plus loin possible, indifférente au fait de déranger son entourage, les passants, les obstacles. Je suis sûre de l'avoir vu ! Et là où se trouvait Nuaz, se trouvait Isaris. Ce qui en soi relevait de l'impossible, puisque le fameux Lyrienn ne devrait pas être dans les parages… à moins qu'il ait cherché à attirer son attention ? Qu'il la guidait dans ses méandres ?

Nex masqua que trop peu son scepticisme. Elle avait toujours considéré l'Ange d'autrefois comme son frère. Ils possédaient le même âge, partageaient le même foyer, le même quotidien ; et depuis un certain temps, ils furent étreints par le même élément. Preste et fluide comme la rivière de leur voisinage, la Lyrienne se faufila sur les traces du petit cumulus. Étant donné son affinité avec l'eau, elle était amplement capable de remonter son parcours. Nuaz était en quelque sorte son petit-frère, une transposition fidèle de son tendre frère adoptif. Il faisait comme parti de la famille. Toute cette importance pour les liens du sang, cette manie d'élever sur un piédestal la chair de sa chair, Nex ne le comprenait guère. Si ses parents avaient eu un fils ou une autre fille, elle ne l'aurait sûrement pas plus considéré qu'Isaris. La vie était pimentée de sentiments, des flots qui s'évitaient ou s'entrelaçaient, à l'instar de magnifiques aquarelles. Isaris représentait l'un de ces flux ; l'un de ceux qu'elle se refusait de laisser s'échapper.

Pour autant, l'Amaranthinos savait que le Kaesra s'envolerait de ses propres ailes. Ceci lui était devenu de plus en plus évident le jour où Isaris fut étreint, à son tour, par la bénédiction de Lyë. Si pour Nex, ce rite de passage s'était déroulé sans encombre et avec le moins de dégât possible, il n'en fut rien pour son frère. Laisser l'Élément s'écouler dans ses veines s'était apparenter à un calvaire sans précédent, comme si les flots apportaient avec eux une immense étendue de cauchemars. Il ne fit preuve d'aucun signe de délire, d'affliction psychologique majeure, mais cet océan constant de souffrance ne le quittait pas et apportait des images qui ne lui appartenaient pas. Des signes récurrents revenaient plus souvent, notamment un en particulier qui mettrait la puce à l'oreille n'importe quel Lyrienn de son entourage : un nuage relâchant des plumes immaculées. À l'époque, Nex s'était montrée bien plus inconsolable que le principal concerné, puisqu'elle imaginait que les Anges le rappelaient à eux et que son départ serait alors imminent. Des caprices d'adolescente, rien de plus. Puisqu'il fallait bien croire qu'au fil des jours que oui, Isaris était un authentique Lyrienn. En témoignait sa toute première confection, sa toute première bénédiction : Nuaz.

" Ah, te voilà ! De ses mains habiles et chargées de magie, la Lyrienne se saisit du cumulus et lui chatouilla le haut de sa "tête". Vilain chenapan, à venir me narguer et flotter partout ! "

D'un clin d'œil, la manifestation magique – et étrangement permanente – d'Isaris parvint à affaisser l'emprise de la Lyrienne et à lui tournoyer autour. Fier comme un paon, le nuage lui décocha son sourire caractéristique, celui-là même que son ami de toujours serait bien incapable d'étirer. Lèvres pincées, Nex croisa les bras face à cette effronterie. Aux dires de ses géniteurs, Nuaz avait toujours été présent pour Isaris, bien avant de venir en Aeden. Il représentait, en quelque sorte, la raison pour laquelle l'Ange d'autrefois avait dû résider sur l'archipel, au lieu de… Elle baissa les yeux à cette sordide réflexion et troqua pour une nouvelle bien plus inspirante : Lyë avait choisi Isaris pour l'épargner du traumatisme de la Terre Blanche. Aeden devenait alors son paradis et Nex l'avait accueillie à bras ouverts dans sa fratrie inexistante. Maintenant que Nuaz était revenu, il saurait l'accompagner dans ses futures épreuves, puisqu'en ce jour, un invité de marque s'était présenté à leurs portes.

Et en temps normal, Nuaz était censé être avec eux ! Cette bestiole – si on pouvait la qualifier ainsi – lui était si étrange, même pour une éveillée de l'Eau. Loin d'être une experte, Nex gardait pour elle cette impression que Nuaz ou Isaris, la différence n'existait pas. Était-ce une nouvelle capacité de se dédoubler, ça, elle l'ignorait encore. Le fait étant que face au visage impassible ou trop peu inexpressif du Lyrienn, le nuage révélait au grand jour ses pensées les plus enfouies. Cela pouvait être à double tranchant – de telles conséquences s'étaient malheureusement déjà présentées – pourtant, le Kaesra ne semblait guère s'en formaliser. Il vivait avec et pour son ami de toujours, son soi-disant confident imaginaire. Il persistait alors une connexion avérée entre le Lyrienn et la Manifestation, aussi limpide qu'avec l'Eau. Nex se rappelait que cet événement chamboulât plus que de raison leur foyer et que ses parents passaient leur temps à envoyer des missives. La jeune fille avait réussi à intercepter en cachette l'une de ces lettres, pour découvrir qu'elles étaient adressées à nul autre que Leonhard Marx Kaesra.

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" Je me souviens. "

Ces mots furent empreints d'une mélancolie palpable. Leonhard retint un soupir, de soulagement ou tristesse également, il ne saurait dire. Le fait étant qu'Isaris – son cher Isaris – était devenu un homme. Grand, impérieux, aussi altier qu'un Ange et aussi serein qu'un Lyrienn de son type. Il était différent de son ancienne vie et cette seconde chance ne saurait être gâché une ultime fois. En cela, le rescapé en faisait le serment. Il laissa échapper un demi-sourire satisfait et lui tapota l'épaule.

Isaris confié aux soins des Amaranthinos, Leonhard crut longtemps que le Czírnúma (Génocide) l'empêcherait de renouer contact avec le jeune homme. De sa tour d'ivoire, ce dernier aurait pu croire que son père adoptif l'abandonnât. Sur son honneur, et par respect pour leur lignée commune, le rescapé du massacre n'aurait jamais arrêté de retrouver ces liens désunis de son frère. Le cas d'Isaris s'avérait bien plus compliqué, mais les Lyrienns, de par leur franchise, l'avaient aidé dans cette tâche. Maintenant que les horreurs se situaient derrière eux, Leonhard sut que le moment était venu d'entraîner le jeune Kaesra sur cette pente glissante. Les mystères n'étaient plus permis, tant la chance semblait tant lui échapper.

" Nous aurons… beaucoup à rattraper. Ils prirent place à cette table, face à face. L'employée s'empressa de prendre leurs commandes, ils ne se contentèrent que de simples apéritifs. Et d'une boisson gazéifiée pour le jeune homme. Les années passent, mais les visages ne changent pas. "

D'un hochement mou de la tête, Isaris approuva cette vérité. Il se souvenait parfaitement de son paternel par procuration, comme s'il l'avait tenu dans ses bras depuis tout petit. À l'instar de Nex, le Lyrienn cultivait une certaine philosophie sur le concept de famille. De sang ou de vide, on choisissait soi-même les noms chéris de son existence. En l'occurrence, même avec ces nombreuses correspondances et ses rares visites en chair et en os, Leonhard Kaesra faisait parti de sa famille et de son cœur.

" Les Amaranthinos m'ont confié que tu avais vécu ta révélation. Je me suis donc empressé de te rendre visite afin de te féliciter en personne. "

" Merci, cette attention me touche. "

La serveuse revint avec son plateau, chargé d'une large coupelle remplie de bouchées de prune au fromage frais et aux herbes, et d'une modeste bouteille de nectarine.

" Il nous a été guère difficile de remarquer ton affinité avec l'eau. Je l'ai su dès l'instant où… Nuaz s'est manifesté. Il se saisit d'une bouchée, perplexe. Tu es devenu un Lyrienn, mais tu restes un Kaesra. Le concerné sirotait tranquillement sa boisson, l'air attentif et pourtant si détaché. C'est également à ce propos que je suis ven— " Coupant court à son élan, Leonhard suivit le regard d'Isaris en direction de l'entrée de l'établissement.

À peine eut-elle pénétré les lieux que Nex sentit le poids de l'attention des Kaesra. Nuaz se précipita auprès de son créateur, insouciant de la gravité de la situation. Quant à la Lyrienne, d'un signe de main et d'un sourire maladroit, elle s'excusa de son intrusion et esquissa un premier pas vers la sortie afin de laisser les adultes responsables discuter. Pourtant, l'Ange l'invita à se joindre à leur table, nullement incommodé par la présence de la jeune femme.

" Prends donc place, Nex. Je m'apprêtais justement à révéler… une vérité à Isaris. Je suis bien au fait de votre proximité, tu as le droit de savoir aussi. "

" De savoir ? " Malgré son embarras, la Lyrienne répondit favorable à la proposition.

" Tes parents sont au courant, ainsi que notre famille… En partie, mais il pouvait garder ce détail pour plus tard. D'une nouvelle bouchée, Leonhard les poussa sur cette pente glissante. Tu sais déjà que je ne suis pas ton père biologique et je t'ai promis de te révéler l'identité de tes parents. Ce moment est venu. "

Aussitôt, le regard d'Isaris changea du tout au tout, amplement intéressé par ce qui se tissait sous son nez. En miroir, Nex exprima son intérêt. Ils étaient si captivés, si jeunes et insouciants.

" Tu es né Isaris Deklan Kaesra, un Ange, le cadet d'une fratrie de trois enfants. Ton père est mon frère, Béor Roman, et ta mère était Tia Kaesra. Naturellement empathique, Leonhard lui laissa tout le loisir de digérer ces nouvelles informations. Ce qui fait de moi ton oncle, mais je t'ai toujours considéré comme mon propre fils. Un sentiment que ne partageait pas ton père. "

" Pour… Pourquoi ? " Nuaz reflétait une incroyable confusion.

" Béor est… Hum, ton père est un homme terni de chagrin. Il y a tant à comprendre à son sujet, néanmoins, en ce qui concerne ton cas, il n'a pas supporté de perdre ta mère alors que tu venais à peine de venir au monde. Une pause, un nouveau sursis d'introspection. Il a préféré te confier à moi. Crois-moi, Isaris, que l'enfance que tu as vécu ici était ta meilleure option. Pas seulement pour ta nature élémentaire, mais surtout pour ton nom. "

" Mon nom ? Je ne comprends pas… " N'importe quel père, de sang ou non, aurait préféré s'en tenir là. Leonhard ne pouvait absolument pas faire machine arrière.

" Ton lien avec Béor remonte jusqu'à la Compagnie Yuërell. En te confiant aux Lyrienns, j'ai eu l'occasion de te protéger de leur potentielle influence, et surtout de leurs ennemis, puisque deux membres éminents de cette milice sont proches de toi. Une nouvelle bouchée. J'ai évoqué une fratrie plus tôt dont tu es le cadet : avant toi, Tia avait donné naissance à des jumeaux, du nom d'Isiode et Isley. Tu les connais probablement sous leur nom Yuërell… "

Initialement neutre, Nuaz passa par toutes les émotions possibles et imaginables lorsque nous nous révélions une telle vérité. Incompréhension, hallucination, effroi, joie, un seul cumulus ne suffirait pas à retranscrire le typhon qui s'emparait de son âme.

" Isiii, tu-tu-tu es une célébrité ! " Nex le secoua avec entrain, encore plus joyeuse que le principal concerné. Pour autant, l'oncle Kaesra ne se laissa pas amadouer par la naïveté de ces jeunes pousses.

" Ce lien… est un fardeau. Une dernière bouchée. Dont tu ne ressentiras les effets que si tu l'acceptes à plein cœur. "

La vie était un torrent de sentiments, une aquarelle de décisions.

1966 mots ~