Posée avec délicatesse sur un coussin épais, la dernière création d'Alþjófr brillait de l'éclat des armes juste sorties des forges. En silence et les yeux tout autant lumineux, le Nain la comparait à Nótt. Il s'était amélioré, non ? Il l'espérait et le croyait en tout cas. Les lignes de l'arme lui paraissaient plus droites, son tranchant plus effilé, et les impuretés moins nombreuses. On voyait déjà l'épée émoussée des coups donnés et encaissés quand la hache était encore vierge de toute blessure. Peut-être s'était-il montré un peu ambitieux à l'époque. Il le saurait pour les prochaines fois. Déjà pour Leidhr il avait revu ses prétentions à la baisse. D'ailleurs, quelles leçons allait-il tirer de la création de la hache ? De son utilisation ? Il s'était également autorisé quelques fantaisies malgré tout, mais est-ce que ce serait plus ou moins problématique que la teinte qu'il avait donné à Nótt et dont l'éclat ténébreux avait disparu à certains endroits ? Quoiqu'il ne voyait pas vraiment dans quelles mesures des gravures pouvaient altérer l'efficacité d'une arme. Il le saurait bientôt. Tout à l'heure Ginarr allait l'emmener dans la mine de vernil. Le gisement était étroitement surveillé, tout d'abord parce que les gemmes étaient difficilement accessibles et donc la mine pas des moins dangereuse, mais également parce qu'il s'agissait de l'unique gisement connu à ce jour. Un stress supplémentaire pour le jeune Nain donc. De l'excitation également, bien sûr.

Enfin Ginarr arriva pour récupérer son disciple et l'emmener aux mines. D'abord ils durent descendre un tunnel qui s'enfonçait à une profondeur à laquelle Alþjófr ne s'était encore jamais confronté. Et même une fois arrivés au bout leur route n'était pas terminée. Ils s'orientèrent vers un chemin surplombant une large crevasse qu'ils traversèrent et là, et seulement là, ils furent arrivés. Quasiment arrivés. Le Chercheur d'Estella pencha la tête au-dessus de l'immense trou à ses pieds qui se prolongeait encore plus profondément dans la terre qu'ils ne l'étaient déjà. Des seaux remontaient de façon régulière, à peine remplis des joyaux, pour être vidés et retourner dans les entrailles d'où ils venaient. « T'es jamais venu ici hein ? ». Alþjófr nia d'un signe de la tête. « Est-ce qu'il y a un fond ? » questionna-t-il alors. Il y faisait si sombre qu'il était impossible de l'assurer à moins de s'y rendre. Seul la lueur des quelques flammes éclairant les mineurs étaient visibles depuis leur position, trop faible pourtant pour dessiner les rebords du précipice en détail. « Oui, évidemment. Mais ça fait longtemps que plus aucune pioche n'a percé ce fond. » répondit l'aîné, son regard à son tour perdu dans les ténèbres des profondeurs. Alþjófr le fixa, interrogatif. « On pourrait après tout. Si tu utilises l'Esprit du Forgeron tu pourras sentir que le gisement se poursuit encore plus bas. » - « Pourquoi personne ne mine plus alors ? » s'étonna le plus jeune. « Par précaution. Et par respect. On dit qu'une fois en bas, on peut entendre le battement du cœur de la terre. Personne ne sait où il se trouve cependant. Ni à quelle profondeur. Peut-être n'est-il plus qu'à quelques mètres sous terre ? Peut-être se trouve-t-il en fait à une centaine de kilomètres encore, mais il serait si énorme et si puissant qu'on l'entendrait quand même ? Personne ne le sait et personne ne veut le blesser. C'est pour ça qu'on a arrêté de creuser en profondeur. » expliqua Ginarr. C'est avec un nouvel œil qu'Alþjófr fixait le trou. Ce n'était non plus la crainte des ténèbres qu'il ressentait, mais le respect d'un géant invisible.

La passerelle permettant de descendre dans les profondeurs de la mine apparue, trois Nains à son bord, le visage noir de terre et la barbe pleine de poussière. On aurait cru des petits Golems. « Oh, Ginarr ! Ça fait longtemps t'es pas v'nus dans l'coin. » - « Ouai, j'ai un gamin dans les pattes qui me prend pas mal de temps. » répondit celui-ci à l'interpellation en jetant une œillade moqueuse à son apprenti qui se tourna vers lui, courroucé. « Hé ! » objecta-t-il en même temps. C'était faux, il ne lui prenait pas tant de temps qu'il le sous-entendait. Le trio de mineurs offrit un large sourire amusé à leur cadet avant que l'un d'eux ne reprenne la parole. « C'est quoi ton nom petit ? » - « Alþjófr. » - « Hum, intéressant. » murmura le seul qui n'avait pas encore prit la parole, attirant par la même l'attention du concerné. L'éclaireur. Un nom riche de sens. Car s'il y avait une chose en laquelle les Nains croyaient, c'était bien la puissance des noms. Un nom pouvait déterminer le destin de son possesseur à leurs yeux. En cela, jamais un nom n'était donné à la légère et des parents pouvaient mettre parfois plusieurs jours à se décider après la naissance de l'enfant. Et c'est pour cela que le Nain se montra soudainement curieux vis-à-vis du plus jeune. Pour quelles raisons ses parents avaient décidé de le nommer ainsi ? Qu'en attendaient-ils ? « Vous descendez ? ». Ginarr opina du chef. « Faîtes gaffe alors. Toutes les structures ont pas encore été revues. » prévint le premier des mineurs. « Très bien, merci pour l'avertissement. » répondit le mentor. Depuis l'éboulement du tunnel au nord, toutes les infrastructures étaient passées au peigne fin pour en déterminer l'usure et la résistance. Cette entreprise prenait un temps monstre toutefois tant les galeries étaient nombreuses et la Terre de Feu vaste. « Bonne chasse aux pierres ! » salua alors le groupe qui s'éloigna pour céder sa place au duo.

Avant qu'il ne pose un pied sur la plateforme, Ginarr se tourna vers son apprenti. « T'as déjà utilisé l'Esprit du Forgeron ? » - « Quand je sors j'essaie parfois mais c'est rarement très concluant. » répondit ce dernier avec une moue ennuyée. « Eh bien on va réessayer. D'autant que tu sais ce qu'on cherche et que ça se trouve à tes pieds, ça devrait être plus simple donc. » - « Tu veux que je trouve les gisements de vernil ? » s'étonna Alþjófr en fixant son mentor. « J'aurais pas mieux résumé. » ricana celui-ci en voyant la réaction de son apprenti. Les yeux grands ouverts, le Chercheur se demandaient ce qui prenait à son maître. Il voulait qu'il les trouve là, de suite, maintenant ? « Bon. D'accord. ». Faisant à nouveau face au trou béant, il obéit finalement et se concentra pour laisser s'exprimer sa magie. Les yeux clos, il se visualisa un immense réseau vasculaire parcourant chaque parcelle des montagnes. Il se concentra dessus, à la recherche de toutes irrégularités que ce soit. Ce fut après plusieurs minutes silencieuses qu'il ressenti la présence de petites pierres enfoncées dans la roche plus bas. Certains coins en était totalement dépourvus cependant. « Pourquoi y a des endroits où il y en a pas, du vernil ? ». Ginarr sourit, une brève inquiétude ponctuant son rictus. S'il lui posait cette question c'est qu'il avait vu l'absence de gemmes, donc qu'il avait réussi à utiliser sa magie correctement. Qu'il le lui fasse remarquer lui laissait le sentiment déplorable de la précarité de cette mine. Alþjófr, lui, avait déjà perdu le contact avec les pierres. À l'instant où il avait ouvert la bouche à vrai dire, ce que son mentor comprit à l'expression qu'il affichait. Il monta alors sur la plate-forme, suivi par le plus jeune, et répondit enfin à l'interrogation qui lui avait été posée. « Certaines galeries sont épuisées. Tout ce qu'on peut en tirer c'est du carbone et du fer, et encore. Arrêtons-nous ici. » conclu-t-il en arrêtant la passerelle devant un tunnel obscur. Il se saisit de la lanterne à leurs pieds pour la tendre devant lui. « Il n'y a pas de lumières ? » s'interrogea à nouveau le Chercheur sans oser avancer et suivre son aîné. « Il faut juste l'allumer. Le feu s'éteint rapidement ici, il est nécessaire de l'alimenter de façon régulière sinon on se retrouve dans le noir avant même avoir eu le temps de dire Estak. ». Le plus jeune assimilait l'information en silence avant froncer les sourcils. Il avait cru voir quelque chose briller en plusieurs endroits. Ce fut cependant trop furtif pour qu'il en soit certain. Qui plus est, il fut surprit du claquement de doigt qui retentit devant lui. Des étincelles crépitèrent du bout des doigts de Ginarr et, la seconde d'après, une flamme embrasa une coupelle d'argile suspendue au-dessus d'eux. Puis la suivante. Puis celle encore après. Jusqu'à ce que l'entièreté de la galerie brille du feu magique et du reflet de celui-ci sur les gemmes incrustées dans la pierre. Le tunnel scintillait comme les étoiles de la nuit, et Alþjófr ne put contenir l'émerveillement que lui procurait cette vision. « Allez viens. On va pas passer la journée à végéter là. ». Le Chercheur se contenta suivre son maître sans un mot. Cependant lui aurait parfaitement pu passer ses jours et ses nuits ici, dans la contemplation de ce tableau féerique.