Le message n'avait pas tardé à faire le tour de la ville. La fille du vieux Feryn allait se marier. Quelques jours plus tôt elle avait fait sa demande à Athnal, tenancier de son état. Celui-ci avait intérêt à payer des coups pour fêter ça jusqu'à la date des épousailles et plus encore. C'est ce qu'il fit, évidemment. S'était-il toutefois un peu emballé. Il avait clamé haut et fort, après une soirée fortement arrosée et n'ayant laissé personne y étant présent indemne, qu'autant qu'il y aura de trésor dans les mines il offrira de verre. Une proclamation exagérée dû à sa joie intensifiée par l'alcool et dont il ne prit conscience que le lendemain. Le pauvre homme a dut faire montre de beaucoup de patience et autant de persuasion afin de corriger le tir. Il ne put cependant que minimiser à la prochaine Lune identique à celle du soir où il eut fait sa proposition, soit jusqu'à son mariage qui aurait lieu dans une dizaine de jours et une quinzaine de jours après encore. Un temps bien long pour un tavernier qui craignait que ses stocks ne tiennent pas jusque là. Vùi, la future mariée, en fut cependant plus amusée qu'ennuyée. C'était le bonheur qui le mettait dans telle situation, et c'était pour ça qu'elle l'aimait.

Les gemmes nocturnes éclairant d'une faible lumière la grotte, ce fut un large attroupement qui prit la direction de la taverne, prêt à fêter dignement et longuement les fiancés. Le petit groupe d'Alþjófr en faisait bien évidemment parti. Tous apportèrent par la même chaises, tables, vaisselles mais également boissons et nourritures car tous s'attendaient à ce que la quasi-totalité de la ville serait présente. Il serait dommage de vider l'entièreté des stocks de l'envahit dès le premier soir. D'autant que le pauvre Athnal ne possédait pas un établissement assez grand pour recevoir tant de monde ni une réserve suffisamment importante pour tous les nourrir. La fête s'étendit ainsi jusqu'à une centaine de mètres en périphérie du commerce au grand désarroi, pas si inattendu cependant, du futur marié.

Installés à une longue table, la troupe de jeunes Nains riaient, buvaient et chantaient en compagnie de leurs voisins dans un chœur tout à fait approximatif. Mais ça n'avait aucune importance à leurs yeux, surtout ce soir et tout les soirs à venir. L'attention de Þorinn fut néanmoins détournée de la tablée durant une petite seconde à la perception d'une longue crinière rousse, quelques tables plus loin. La Naine leur jetait de temps à autre de vives œillades tantôt agacée, tantôt attristée. « Hey ! Alþjófr ! » interpella-t-il ce dernier. L'appelé porta son attention sur celui au nom d'un héros de jadis. C'est alors que son visage se referma en constatant l'étrange sérieux de son compère qui détonnait fortement avec l'ambiance du moment. « Qu'est-ce qui y a ? » lui demanda-t-il d'une voix forte pour se faire entendre. « T'as parlé à Án ? ». Le questionné garda le silence, un air gêné prenant place sur son visage. Brusquement Þorinn se redressa et frappa de la paume le front de son ami, s'attirant le regard éberlué de ses voisins et de l'agressé. « T'es con ma parole ! Depuis le temps elle va vraiment croire qu'elle t'ennuie ! » gronda le brun. Alþjófr ne répondit pas immédiatement, puis laissa échapper un grognement contrarié. « Je sais pas comment m'y prendre, voilà ! » s'expliqua-t-il brusquement. Son ami répondit sans attendre. « Tu sais quoi, on s'en fout. Tu y vas maintenant et tu te démerdes pour te réconcilier avec elle où tu vas t'en vouloir toute ta vie ! » râla à nouveau Þorinn. Son vis-à-vis croisa les bras, boudeur. Il avait l'impression d'être un gosse à qui on faisait la morale. Pourtant il avait raison. Il était lui même attristé de cette situation. Et si elle décidait de ne plus jamais lui adresser la parole ? Pas même le regarder ? Puis partir, ailleurs, dans une autre ville, à suivre un autre. Un brasier s'alluma en lui à cette idée et, avec une intense conviction, se leva à son tour, plaquant ses mains sur la table dans un bruit sourd. « T'as raison ! Je vais y aller ! » clama-t-il en même temps avant abandonner ses amis, s'éloignant d'un pas décidé. Tous retinrent un rire jusqu'à ce qu'il soit assez loin pour ne pas les entendre. « Eh bah. Je m'attendais pas à c'que ce genre de coup de pied au cul ait cet effet. » commenta Norðri entre deux éclats.

Avec détermination, Alþjófr traversait l'assemblée droit en direction de la rouquine. Pourtant, plus il se rapprochait d'elle, plus il sentait sa volonté s'effriter. Ce n'était pas tout à fait la crainte qui le gagnait. Plus l'appréhension. Celle de sa réaction, celle de mal s'exprimer et la fâcher réellement, celle de se faire rejeter avant avoir dit le moindre mot. Marquant une courte pause, il avala avec difficulté sa salive avant reprendre la marche et se faire une place aux côtés de la Naine. « Salut ! » l'interpella-t-il avec un sourire et un nœud dans le ventre. Án tourna à peine le visage vers lui, répondant malgré tout de même, bien plus sèchement et son expression bien plus neutre cependant. Ceux ayant entendus l'échange furent interpellés par les deux Nains. La tension était apparente et tous en était triste, surtout lorsque cela se passait un jour de fête. Quant à Alþjófr, il eut l'impression qu'une main venait d'empoigner son cœur pour le serrer violemment entre ses doigts. Après un court silence et un visage accablé où son regard venait se perdre avec désolation dans le sol, il redressa la tête pour de nouveau fixer la Naine et lui sourire avec avenance. « Tu viens danser ? » lui demanda-t-il dans une inspiration en lui tendant la main. La Chercheuse posa alternativement son regard sur la main et le visage du Nain. Après trois allez et retour, elle fixa son attention dans les yeux smaragdins de son comparse. Elle y vit l'insistance qu'il n'osait formuler de vive voix. Avec un soupir, elle glissa sa main dans celle tendue, ce qui eut pour effet d'éclairer le visage de son cavalier qui la mena sur la piste improvisée.

Calant leurs pas sur le rythme de la musique sautillante, Alþjófr cru apercevoir un éclat de contentement dans le regard de sa partenaire. Sa parole n'en demeurait pas moins encore bien sèche. « Pourquoi tu m'as invité ? » interrogea-t-elle le Nain. « Parce que j'avais envie. » répondit celui-ci sans se départir de son aménité. « Ça fait pourtant plusieurs jours que tu me parles plus. » rétorqua-t-elle avec tristesse. Alþjófr ne put cacher sa surprise. « Mais... Si je t'ai pas parlé c'est parce que c'est toi qui voulait plus me parler. ». Án le fixa à son tour avec surprise. Puis, après un court silence, le duo ricana. Alþjófr s'était figuré un malentendu. Il n'avait pas imaginé à ce point là cependant. « On m'a dit que tu avais été blessée l'autre jour quand tu es arrivée avec Ólvir pendant notre partie de Myotír. ». Cette fois elle ne répondit rien. C'était vrai. Pendant toute la journée et les jours suivants elle avait ruminé cet instant, croyant que lui-même lui faisait la tête. Elle avait tentée à plusieurs reprises de s'expliquer. Elle n'avait jamais réussi, finissant par exagérer ses propres sentiments en espérant une réaction quelconque. Ça avait été sans effet, et elle s'était mise à croire qu'elle avait réellement fait quelque chose qui l'avait blessé lui. « C'est pour ça aussi que je suis venu. Je voulais m'excuser. » l'entendit-elle, ses mots prononcées d'une voix désolée. Elle sourit tendrement comme elle quitta le Chercheur des yeux le temps de quelques pas qui la menèrent dos à dos avec lui. « Mmh mmh. C'est à moi de m'excuser. J'ai été bête. » rétorqua-t-elle doucement, tournant légèrement le menton de sorte à se faire entendre de son partenaire. À son tour un sourire chaleureux se dessina sur les lèvres d'Alþjófr tandis que les pas suivants lui firent retrouver les yeux bleus de la Naine. Leurs mains se joignant l'une à l'autre, ils échangèrent un sourire tendre.