Ne parlons pas de Bruno

Musique : We don't talk about Bruno

« Tenez, je vais vous mettre un peu plus de fraises. » « Merci. » Il sourit. « Vous prendrez bien ce melon ! Je peux vous préparer une salade délicieuse, si vous avez cinq minutes ! » « Il faut que je rentre, ma Maîtresse va s’impatienter. » « Votre Maîtresse ? » L’une des marchandes envoya un petit coup de coude non discret à l’autre. « Tu vois bien qu’il est habillé avec un kimono. » « Et alors ? Ici aussi y a des… » Elle le fixa. « C’est vrai que… » Ses longs cheveux étaient attachés d’une façon complexe et raffinée, il sentait bon et avait des manières particulièrement délicieuses. « Oh ! Vous êtes une Orine, n’est-ce pas ? » Il rit aimablement. « Elle en a de la chance, votre Maîtresse. » « Allons ! Tu vas le gêner. » « Vous ne me gênez pas, mesdames. » Au contraire, elles l’amusaient profondément. C’était rafraichissant de se trouver à Avalon. Ici, il n’avait à jouer ni le Magicien, ni le Sorcier. C’était comme se trouver au Cœur Vert, avec Alaster, et laisser son côté « homme manuel » ressortir. Il aimait beaucoup réparer tel ou tel objet, construire des enclos pour de nouvelles bêtes ou aider à la vente des fromages. Il songeait à se rendre chez les Réprouvés un jour, en changeant de visage, forcément. Il deviendrait éleveur de Bicornes. Les autres Ætheri jaseraient encore mais ces derniers n’étaient pas même le cadet de ses soucis. Ils perdaient autant de temps à discuter de son cas qu’il en prenait pour faire le marché et ses autres activités annexes. « Qui est votre Maîtresse ? » « Tu es bien curieuse ! » Elle tourna son visage vers lui. « Ça, c’est parce qu’elle va essayer de vous marchander. Elle marchande tout ! Même son mari, elle l’a eu au rabais. » « Non, ce n’est pas exact ! J’ai eu mon mari et certains biens précieux de sa famille en prime. Ses parents étaient bien heureux de se débarrasser de lui et ont eu peur lorsque j’ai fait mine de ressentir un peu moins d’intérêt. J’ai le commerce dans le sang ! » plaisanta-t-elle, en lui faisant un clin d’œil. « Et mon mari, libéré du joug de sa famille, a pu se développer d’une façon divine. » Elle semblait très heureuse de le faire savoir, très heureuse tout court. Elle ne feintait pas. « Alors, qui est votre Maîtresse ? » « Oriane Natey. » « Oh je vois bien ! » « Moi aussi. » « Vous faites les courses mais c’est vous qui risquez de lui servir de déjeuner. » Elles rirent toutes les deux, une même lueur dans le regard.

« Brunooo ! Reviens ! Voyons ! Et mon bisou ?? » Jun tourna la tête vers le concerné. Bruno. « Qui est-ce ? » « Oh ne parlez pas de Bruno. C’est censé être un Luxurieux mais la patronne du bordel n’arrête pas de se plaindre de lui. Je ne sais pas ce qu’il lui prend mais il est incapable de passer à l’acte. Il doit être socialement empoté. » « Oui, ou alors il bande mou et il n’assume pas. Ce n’est pas si rare chez les jeunes Luxurieux. » « Il a quel âge ? » « Dix-huit ans je suppose. » « Il paraît plus jeune… » « Je suppose aussi qu’elle a vérifié mais c’est vrai que certains Luxurieux essayent de tricher pour pouvoir le faire plus vite et avec le plus de monde possible. » « Ou alors c’est un faux Luxurieux qui veut juste fuir… » « Peut-être. Mais il va finir par se faire virer. » « Hum. Je vois… » Il se tourna vers les deux femmes, paya et prit ses provisions. « Je vous remercie mesdames. Passez une bonne journée. » « N’hésitez pas à revenir surtout ! » « On vous fera un prix ! » « Merci. » dit-il encore, en les gratifiant d’un sourire en coin et d’une petite révérence.

« Bonjour. » « Ah ! » Le Rehla avait sursauté. « C’est toi, Bruno ? » Bien sûr que c’était lui. L’autre semblait à bout. « Écoutez ! Si jamais je n’ai pas honoré notre contrat, je suis désolé ! Je ne me sens pas très bien en ce moment… Je me rattraperai plus tard. » « Hum… Et si tu venais avec moi ? » « Hein ? » « Viens. » rectifia-t-il, de façon plus convaincante. Oni ne surveillait pas assez ses soldats. Celui-ci était complètement inapte à la tâche. « Nous allons arranger ton cas. J’espère. Sinon, tu risques de rater ta mission. » « Ma… » « À d’autres. Suis-moi. Je vais te présenter quelqu’un. »

Quelques longues minutes plus tard, Bruno était assis à la table d’Oriane. Jun préparait à manger en chantonnant. Parfois, il faisait quelques petits pas de danse. « Euh… » « Nous sommes chez ma Maîtresse, Oriane Natey. Une vraie Luxurieuse, elle. » « Ah… » « Nous allons lui parler de ton cas lorsqu’elle rentrera. Elle pourra te donner des conseils. » « C’est que… C’est juste que ça ne me fait pas envie. » Jun soupira. « Malheureusement, que veux-tu que je te dise ? Si les Rehlas étaient consentants, ça se saurait. Vous avez des missions qu’il convient de remplir. Ça s’arrête là. »

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Jun sourit au commentaire. « C’est sûr que ces quelqu’un ne font pas la cuisine mais je me suis dit que changer ta routine te divertirait davantage. » Il tenta un air sérieux et convaincu mais, dans ses yeux, un soupçon d’espièglerie trônait. Il laissa ses doigts en place, en faisant mine de ne pas remarquer son regard. C’était un art que celui de paraître pur et innocent. Ça ne lui allait pas du tout mais cet exercice l’amusait, bien plus que lorsqu’il oubliait de maintenir sa puissance muselée et que les Mortels qu’il croisait sur son chemin tombaient littéralement comme des mouches autour de lui, d’admiration ou de mort instantanée. C’était toujours fâcheux.

Les yeux du brun se fixèrent sur Bruno qui semblait soudainement très mal à l’aise. Finalement, en l’observant, il ne semblait pas étonnant qu’il fût un piètre amant. Il semblait terrorisé par tout ce qui pouvait effleurer sa peau. Même si l’Æther avait toujours su qu’Oni avait un humour plus que douteux - plus douteux que le sien, ce qui était un exploit digne d’un livre des records - il ne pouvait s’empêcher de plaindre le Rehla. Il devrait pourtant réussir à faire germer un semblant de désir sexuel dans son corps et son esprit, sinon sa mission serait d’autant plus pénible. Lui-même avait déjà connu ce genre de déconvenue qui pouvait s’apparenter à bien des égards à un viol. La victime, dans ce cas, venait simplement d’elle-même provoquer les choses, ce qui avait un aspect bien plus terrible en soi. « Il s’appelle Bruno. » articula Jun, en constatant que le jeune adulte était incapable de répondre aux questions. Elle l’intimidait, ce qui ne faisait que révéler l’ampleur du problème. Un Rehla moins introverti et timide aurait été bien plus apte à la tâche. Choisir Bruno était une erreur. « Il travaille dans un bordel du coin en se faisant passer pour un Luxurieux. » « Mais ! » La plainte était sortie de la gorge du blanc comme le cri d'une souris acculée. Le regard de Jun se posa sur lui. Il avait oublié le problème momentanément. Sa langue se déliait très facilement lorsqu’il était en compagnie d’Oriane ; peut-être parce que, inconsciemment, il adorait la tourmenter. « Oh ne t’inquiètes pas. Oriane ne dira rien. Et puis, ce n’est pas comme si je lui avais dit que tu appartiens à une race inconnue qui modèle le monde dans l’ombre. » Bruno devint livide, ce qui arracha un rire au brun.

Il reporta son attention sur Oriane. « Donc… » Son index monta sur son visage pour se poser juste en dessous de sa lèvre inférieure. Il sembla perdre le fil un instant, comme s’il réfléchissait d’une façon appuyée, puis reprit le cours de la conversation normalement. « Il lui faudrait une sorte de mentor et je me suis dit que tu étais la personne idéale pour ça même si ça reste délicat. » Il avait raison, ça l’était. « Bruno n’a aucune appétence pour le sexe et ne sait pas comment s’y prendre. Il faut pourtant qu’il puisse se fondre dans la société avalonienne, sans quoi sa mission échouera. Les conséquences pourraient être terribles comme hum… une météorite folle qui s’écrase sur la cité. » Il sembla visualiser la scène, les yeux perdus dans un monde où l’impact avait probablement eu lieu. Le Rehla, lui, paraissait sur le bord de l’évanouissement. Il s’était senti, tout à coup, investi d’une mission de la plus haute importance. Et si une météorite s’écrasait véritablement ? Dans les faits, c’était faux. Il avait une mission à effectuer mais Jun savait que son échec ne déclencherait pas la colère du ciel. « D’ailleurs, il devrait y avoir quelques pluies de météorites bientôt. Quelque part. » Il était tellement divertissant d’avouer ses bêtises avant même de les réaliser. Cependant, la dernière personne à qui il avait un peu trop parlé avait fini brûlée sur un bûcher. Le savoir n’était pas forcément bien vu partout. Peut-être devrait-il arrêter de faire des petites confidences dans ce style ? Au moins pour le bien-être du confident non consentant. « Et pour en revenir à la conversation, tu n’es bien sûr pas obligée de lui montrer ce que tu sais. Je me dis que la magie pourrait l’aider, au moins à éprouver du désir. Il faut bien comprendre qu’il n’a pas le choix alors… autant que ça devienne agréable. » Il allait devoir se faire à cette prison dorée que représentait le statut de Rehla. Il souffrirait, parfois ou toujours. Il ne serait jamais libre. Seuls les Bannis du Temps avait le courage de se rebeller, au risque de leur vie. C’était, cependant, ainsi qu’il était possible de changer ses conditions de vie. Rester immobile ne faisait qu’aggraver les choses. L’attente détruisait les derniers espoirs. Néanmoins, puisque Bruno n’avait aucun pouvoir lié au temps, il était forcé de vivre ; du moins, s’il ne voulait pas mourir. « Sinon, tu vas bien ? »

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« Qui sait ? » répondit-il, lorsqu’elle évoqua une potentielle chute de météorites à Avalon. Ce n’était pas prévu mais c’était une idée, après tout. Il sourit avant d’ouvrir la bouche pour y fourrer un morceau de carotte. Il l’écouta par la suite conter sa vie parfaitement normale. « Oh je vois. Heureusement que j’ai décidé de te rendre visite alors. Je ne voudrais pas te voir moisir dans ton ennui trop longtemps. » Il semblait amusé mais, à vrai dire, il ne comprenait pas pourquoi elle persistait à s’enterrer dans une routine. Peut-être lui en avait-il trop dit, la dernière fois qu’ils s’étaient vus ? Peut-être avait-elle peur pour sa vie ? Lui-même ne connaissait pas franchement ce concept de monotonie de l’existence. Il y avait, bien sûr, la partie de lui qu’il laissait au Cœur-Vert avec Alaster, mais il faisait toujours plusieurs choses à la fois. Lorsqu’il était Mortel, il n’avait eu aucun temps à lui. Le Temps se chargeait de le bousculer, si bien qu’il avait toujours apprécié plus que de raisonnable les rares occasions qu’il avait eu de ne rien faire. Cependant, il savait aussi qu’au-delà de quelques jours à ne rien faire, le temps se dilatait insupportablement. Les secondes passaient alors comme des heures et il se mettait presque à prier pour qu’on le sortît de sa mélancolie naissante. « Léto ? Je vois très bien. » Son Élue chérie. Il sourit. « Je crois que je l’ai déjà vue en homme… » Il n’était pas certain. Une partie de lui ? Son passé ? Son futur ? Lui ? Tout était parfaitement brouillé dans sa tête dès qu’il commençait à réfléchir à ce qu’il avait vu ou non. Il y avait ce qu’il voyait par omniscience mal contrôlée et ce qu’il voyait vraiment, en tant qu’entité proche des Mortels. Le problème c’est qu’il était trop vieux et trop multiples. Il y avait trop de réalités alternatives et, finalement, parfois, il était convaincu d’un fait qui n’avait existé qu’ailleurs, dans une autre potentialité, un autre Temps, un autre Espace. « Je me fais vieux. » souffla-t-il, pour lui-même, avec un amusement étrange. S’il oubliait tout un instant, peut-être deviendrait-il profondément heureux ?

« Te faire à manger me rend heureux. » dit-il. « Plus que les météorites tueuses. » C’était vrai. Il y avait quelque chose de jouissif dans la symétrie qu’il s’employait à créer en cuisine. C’était comme créer un continent ou une énorme montagne. « Je devrais peut-être créer une nouvelle montagne au cœur du Voile Blanc. La plus grande du monde ! » fit-il, enthousiaste. Il le ferait, plus tard, quand il aurait un moment. En attendant, il étudia le comportement d’Oriane avec Bruno. Ce dernier était on ne peut plus gêné. Il ressentait du désir, c’était sûr. Il ne savait juste pas comment l’exprimer ou même s’en servir. Jun ne comprenait pas qu’on pût l’avoir assigné à cette mission. C’était comme si la connaissance des Rehlas commençait à s’effriter, qu’ils n’arrivaient plus à placer correctement les Enfants de la Lune et des Étoiles. « Elle est belle, hein ? » demanda-t-il au jeune homme qui faillit avaler sa salive de travers. Jun rit, bien content de l’effet créé. Peut-être devrait-il penser à être un peu moins infernal à l’avenir ?

« Je t’écoute. » articula-t-il. Il ne tarda pas à sourire. Elle marchait sur un terrain glissant. Finalement, elle pouvait lui avouer presque aimer cette vie ennuyeuse, elle posait des questions propices à effacer l’ennui au profit de la dépression. Quelle drôle de femme. Et il ne fut pas au bout de ses surprises. « Des excuses ? Mais… » Il rit. « … C’est que… Je ne suis pas du tout désolé. » Il coinça sa langue entre ses dents, son sourire toujours bien présent. Dans ses yeux, l’espièglerie prenait toute la place. Son rire se calma mais ses lèvres restèrent étirées. Il plaça son ongle sur sa canine inférieure et chercha un instant comme faire des excuses sincères dans le vent. Il préféra revenir à sa première question et libéra sa bouche de toute présence étrangère. « Bruno est comme… » « Vous ne devriez pas… » commença le concerné. « Tu tu tu. » lui objecta l’Æther, en prenant quelques crudités qu’il disposa sur la table. « On va dire que, ça, c’est la ligne du temps. Là, on est dans le présent. Et ça c’est le futur. Les gens comme Bruno, eux, savent ce qu’il y a après, parce que c’est écrit. Mais, parfois, il y a une forme de choix alors ils décident de ce qu’ils désirent voir advenir. Parfois, c’est même plus vicieux car un événement doit arriver pour maintenir un équilibre mais, sans eux, l’équilibre s’effacerait et… paf. » Il exécuta une pichenette qui envoya un bout de carotte devant Bruno. Il sourit et cala de nouveau son dos contre le dossier de sa chaise. « Bien sûr, Bruno n’est pas capable de voir. Il débute et il fait ce qu’on lui dit de faire. Hum ? » L’autre était tout blanc ; encore plus que ce qu’il était déjà à la base. Il continua, sur le deuxième sujet. « J’ai réfléchi. Puisque je ne suis pas désolé, peut-être pourrait-on plutôt opter pour une juste compensation, dans le cas où ma présence te déplaît bien sûr ? » Il sourit, plaça ses coudes sur la table et posa son menton entre ses paumes réunies. « Je te déplais ? » demanda-t-il.

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« C’est ça. » Elle ne pouvait rien faire, puisque personne ne le pouvait. C’était ainsi que fonctionnait le Monde. Les Mortels pensaient être maîtres de leur vie mais ils n’avaient aucun contrôle sur celle-ci. Ils étaient pris au piège, entre le Temps, les Ætheri et parfois, lorsque c’était possible, la volonté des Rehlas et des Maîtres du Temps. L’ensemble n’était qu’une bobine qui passait et qui se brisait parfois sans que personne n’en sût rien. La vision même du Temps et de l’Espace était complexe et, lui, en perdait souvent le fil, parce qu’il était trop proche de ceux qui n’étaient pas des Dieux. « Voilà, exactement. » ajouta-t-il. Bruno ne faisait pas ce qu’il fallait. Il le comprenait, parce que son rôle avait été mal choisi. Pourtant, il n’avait pas le choix. C’était ainsi. Il devait répondre à sa mission, qu’il consentît ou pas. Ses propres volontés n’avaient aucune importance. Le Temps et le Destin étaient bien plus importants que lui. Il devait répondre aux impératifs qui lui avaient été donnés.

Le regard de Jun se posa un instant sur la tête du Rehla. Son visage trahissait ce qu’il se déroulait sous la table. Étrangement, il commençait à prendre réellement conscience de ce qu’il avait demandé à Oriane. Il était venu ici, avec ses instructions, comme s’ils allaient tous se contenter de manger et de boire. Il ne s’était pas dit que, peut-être, il serait témoin de quelques gestes déplacés. « Hum… » émit-il, en détournant les yeux pour les fixer sur la fenêtre. Il regarda le carreau, en détailla la composition. La matière était fascinante. « Je suppose que… » commença-t-il, en oubliant instantanément ce qu’il désirait dire. Il pensait vaguement à Léto et au fait que si Oriane l’avait vu en homme, ils n’avaient pas dû simplement parler de la météo. Cela dit, ça ne le regardait pas franchement. Lui était l’Orine de la Luxurieuse. Si elle ne désirait pas partager sa vie privée avec lui au-delà de quelques allusions, il devait respecter ses silences. D’un autre côté, il trouvait qu’elle ne l’utilisait pas suffisamment. Elle aurait pu lui demander de la masser, d’aller chercher des choses pour elle et de lui rendre plusieurs autres services. Certes, il ne venait pas la voir si souvent mais il essayait de le faire ; lorsqu’il s’en rappelait. Parfois, il oubliait des détails. Il doutait et se demandait comment est-ce qu’il avait fini par être ci ou ça, par faire ci ou ça.

Il ramena ses yeux dans ceux de Bruno, qui haletait. Jun avait participé à plusieurs orgies. Il ne couchait pas souvent, eu égard à la longueur de sa vie, mais les orgies chamaniques avaient quelque chose d’étrangement naturel, bien plus naturel qu’un Rehla en train de prendre du plaisir sous la main d’une Luxurieuse, dans un appartement silencieux. Il avait l’impression d’être la cinquième roue du carrosse, en quelque sorte, de ne pas pouvoir s’imbriquer. Sur Awaku’No’Hi, la question ne se posait pas. Il suffisait de venir pour être intégré immédiatement. La séduction existait mais ce qui comptait surtout tenait du Divin. Les Chamans couchaient pour honorer la vie, autrement dit : lui. « Hum… » recommença-t-il, bien décidé à parler à un moment ou à un autre. Se remémorer les mouvements des Chamans ne l’aidait pas franchement. « J’ai croisé ton grand-père l’autre fois. Adam. » précisa-t-il. Devait-il lui en parler ? Il savait que non. « J’ai l’impression qu’il est en forme… » ajouta-t-il, sur le ton de la conversation. Son regard chercha de nouveau à s’ancrer. Cette fois, il fixa Oriane. Il resta deux secondes comme ça et finit par plisser doucement les yeux et par se déplacer pour être à ses côtés. Il voyait bien que l’entre-jambe de Bruno n’avait plus rien d’exsangue sous ses vêtements. « Je pense qu’il vaut mieux que je vous laisse tous les deux. » dit-il. Ce n’était pas tant la présence d’Oriane qui le dérangeait mais plus celle du Rehla. Il n’avait que très rarement le goût des hommes. C’était même tout l’inverse. Même durant les orgies, il avait toujours pris un soin particulier à ne le faire qu’avec des femmes. Adam était une exception, à cause de sentiments qui ne lui appartenaient pas mais qu’il ressentait parfois. Il sourit, se pencha et posa ses lèvres sur celles d’Oriane. À quelques millimètres de ces dernières, il susurra : « Avant que je ne fasse échouer la mission de Bruno en prenant sa place sous tes doigts. » Son humeur venait de changer. Il était taquin, à présent. « Amusez-vous bien. » dit-il, avant de s’en aller.

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