L'Enfer corrompt tout

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Lorsque les reflets passeront de l’autre côté du miroir, que la Reine Blanche embrassera le Roi Noir et que le plateau entier choisira de s’unir sous le joug d’un seul Monarque, alors des échecs il ne restera plus que des cendres dispersées en l’honneur des Étoiles.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Celle qui était considérée comme l’Impératrice Blanche renvoya son espion. Son regard se perdit sur le tableau qui se trouvait en face d’elle, une toile représentant Suris et Yaveäth. Le fait qu’il eût changé de camp n’arrangeait pas ses affaires. C’était même tout le contraire. Auparavant, elle aurait pu le faire amener au Temple de Lyre par surprise, afin de prouver à tous ce qu’il était. À présent, elle allait devoir être plus subtile. C’était un jeu, un jeu de dupe au sein duquel ils ne tarderaient pas à valser. Jusqu’ici, il s’était montré effacé. Elle doutait qu’il continuât sur cette lancée. Viendrait un temps où il se présenterait à elle afin de réclamer son dû. Beth avait un choix à faire : le rejoindre ou le combattre. Des deux options, elle penchait pour la seconde. Peut-être était-ce une histoire d’ego ? Peut-être cherchait-elle un adversaire à sa hauteur ? Il était difficile pour elle de savoir car elle avait été le Reflet de personnages imminents. Le profil d’Edwina s’effaçait petit à petit. Elle pouvait toujours incarner son rôle et convaincre la foule, mais la personnalité déjà discutable de la véritable Reine des Magiciens n’était plus hermétique à d’autres personnalités. Celle qui ressortait le plus, lorsqu’il était question de Kaahl, appartenait à une jeune femme blonde aux yeux verts, une jeune femme qui avait déjà perdu aux échecs contre lui par le passé et qui n’admettait véritablement aucune défaite. Chaque perte méritait une juste compensation et, finalement, au sein de l’esprit de Beth, il n’y avait qu’une envie : celle de lui pourrir la vie et de l’empêcher d’atteindre son objectif.

La Reine des Reflets avait songé mettre en œuvre son projet à de nombreuses reprises. Elle l’avait retardé maintes et maintes fois. À présent, l’heure était venue d’utiliser ses sujets et de les propager sur le territoire des Mages Blancs. Petit à petit, les Reflets remplaceraient les Magiciens, afin de lui fournir un peuple obéissant, un peuple qui ne désirerait pas se placer sous l’autorité d’un autre qu’elle. Le monde, de l’autre côté du Miroir, se remplirait de Mages plongés dans l’incompréhension. Ils ne pourraient jamais en sortir seuls et elle ne serait pas celle qui les délivrerait de leur malédiction. Beth tendit un miroir devant elle et regarda son reflet. « Faites en sorte de rendre inopérante quelques secondes l’Extinction qui prive la prison du Cœur-Bleu de magie. » ordonna-t-elle. Il y avait, en son sein, un individu qui ne manquerait pas de saisir l’occasion pour s’échapper. Un nouveau Fou entrerait sur le plateau, un Fou aussi dangereux qu’une Reine. Un Fou qui pouvait voyager dans le temps et qui adorait égorger ceux à qui son autre tenait. Beth savait ô combien elle jouait d’une façon crasse. Néanmoins, elle se fichait des conséquences. En tant que Reflet, elle ne possédait pas de corps véritable. Ârès était, contre elle, impuissant. Elle avait bien l’intention de contrôler sa partie du plateau d’une main de maître. Elle manierait chaque pièce avec brio, jusqu’à faire tomber le Roi adverse.  

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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Lhéasse regardait Conrad Caïn Taiji. Le Magicien ne manquait pas d’humour, puisqu’il avait gardé ses ailes blanches sorties, alors même qu’ils étaient en Enfer. « Quoi ? » lui demanda ce dernier, d’un ton de Réprouvé bourru mais taquin. Le Chancelier des Ténèbres sourit. « C’est vrai ce qu’on dit sur la Reine Blanche et vous ? » demanda-t-il, pour faire la conversation. « Que nous sommes amants ? » Lhéasse leva un sourcil en l’air. « Non... Bien sûr que non. Je voulais parler de cette rumeur qui dit que vous l’auriez poussée dans le lac. » « Oh ! Bien sûr. Oui, j’ai fait ça, c’est vrai. » Il rit et plongea de nouveau son nez dans son livre. Le Grand Bâtisseur était également très bien bâti. Il avait engendré Adam Taiji qui, lui-même, avait engendré Edelwyn Taiji. Adam était devenu Roi des Magiciens en son temps, bien qu’il fût décédé depuis. Son père, lui, avait survécu et servait à présent la Royauté. Ce que Lhéasse ne savait pas, c’est qu’Edwina et lui ne se voyaient plus. La Reine était distante avec ses conseillers et ne prenait que peu de décisions. Quant à savoir si oui ou non ils avaient été amants, il aurait été très mal avisé d’en discuter avec un Sorcier.

Après quelques minutes à lire, chacun dans leur coin, Conrad releva la tête vers Lhéasse. « C’est vrai ce qu’on dit, sur Aliénor Vaughan et vous ? » Lhéasse sourit. « Que nous sommes amants ? » répondit-il, sur le même ton que son confrère Magicien avait employé plus tôt. Une lueur amusée s’alluma dans les prunelles du concerné. « Non, vous n’auriez plus de tête si tel était le cas. Je parlais du fait que vous aviez été son garde du corps fut un temps. » « Oui, c’est vrai. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles j’occupe mon poste actuel. J’ai vécu longtemps avec les Magiciens. » « Oui, et puis vous connaissez très bien certains Archimages, si je ne me trompe pas. » « C’est exact. » avoua-t-il. « Et… si ce n’est pas indiscret, pourquoi est-ce que l’Empereur Noir a décidé de faire le déplacement pour chercher l’Ashiril avec nous ? » Lhéasse inspira. « Qui sait ? Vous lui demanderez lorsqu’il sera arrivé. » Conrad sourit, tout en songeant que ce n’était peut-être pas une bonne idée. Cet endroit en lui-même n’était pas une bonne idée. L’Enfer corrompait tout et bien qu’il fût bénéfique, il ne doutait pas qu’une exposition prolongée à cet endroit lui serait néfaste.

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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]« Hum. » fis-je, en avançant mes doigts vers les rideaux. Je les caressai avant de les écarter légèrement, pour observer la plèbe. « Cette alliance est une opportunité, bien que la question de la Terre Blanche risque de revenir sur la table. » Les Démons étaient bien trop affaiblis pour demander quoi que ce fût. Néanmoins, là où l’idiotie régnait, les requêtes du même acabit trouvaient un royaume fertile. Pour autant, le Monarque Démoniaque était loin d’être un idiot, contrairement à son peuple qui laissait très sérieusement à désirer. « J’ai bien peur, également, que la Princesse Sundara Baran ne finisse par avoir une très mauvaise influence sur le Prince. » « Ancien Prince. » Je souris et me tournai vers le Dorak. « Épargne-moi ton numéro de grand naïf, Eustache. Nous savons tous les deux que ta famille ne restera pas sur le trône éternellement. » « Peut-être. Néanmoins, ce raccourci m’étonne venant de toi qui aimes tant la précision. Je sais que tu tiens à l’hégémonie de ta famille, Gwendolène, mais il ne faudrait pas qu’un excès de zèle te fasse articuler des mots que tu serais amenée à regretter à l’avenir. » Je soupirai. « L’ancien Prince. » dis-je, en levant les yeux au ciel avec une retenue mensongère. Bien entendu, comme toute Sorcière digne de ce nom, la place de ma famille au sein de la hiérarchie nobiliaire m’importait. Ces nouveaux nobles, venus tout droit de Valera Morguis, heurtaient ma définition de ce qu'était qu'un sang valable. Ils n’étaient que des opportunistes sans aucun pédigré. Les Windsor en faisaient partie, bien que le cas de Cyrius fût bien plus préoccupant, du fait de son adoption. Finalement, nul ne savait ce qu’il était au juste, hormis l’homme de paille d’Elias Salvatore. En attendant, ceux qui portaient le même nom se retrouvaient tous dans l’incapacité de passer les portes, comme si un bâtard pouvait leur apporter gloire et honneur. Ridicule.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Je repris le fil de la conversation. « Qu’importe. » J’étais de haute extraction, là où Eustache était un parvenu. Nous nous disputions souvent sur ce point mais c’était bien le seul. Il acceptait ma présence au sein du gouvernement avec élégance, ce qui n’était pas le cas d’autres hommes qui voyaient dans la nomination d’une femme un outrage. Nous étions deux, avec l’Astarté. Celle-ci ne pouvait néanmoins pas faire figure d'alliée. Ils avaient tous peur d’elle, tellement qu’ils n’osaient pas ouvrir leur sale bec. J’étais donc celle qui devait essuyer les injures et autres commentaires à peine voilés. J’étais aussi célibataire ce qui, visiblement, n’était pas au goût de ces messieurs, à l’instar de ma façon de m’habiller. « L’union entre Érasme Salvatore et Sundara Baran pourra apporter à l’économie. Les Démons ne sont pas en position de négocier mais nous pourrions faire un geste afin que les échanges soient plus ou moins équitables. Leurs drogues sont particulièrement efficaces. Nous pourrions nous en servir sur les esclaves. » dis-je. J’avais beaucoup d’idées afin de faire de ce mariage quelque chose de grandiose, tant sur le plan diplomatique qu’économique. Il nous faudrait, néanmoins, construire les choses petit à petit, quitte à utiliser le Pacte Démoniaque pour que nous fussions certains qu’il n’y eût aucune trahison des deux côtés. L’honnêteté ne m’allait pas au teint mais je savais en faire preuve pour construire un avenir radieux pour mon peuple et cauchemardesque pour les autres. « Nous devrons nous entretenir avec l’Imseli, avant de proposer quoi que ce soit. Comme il tient les ficelles de la bourse, il sera difficile d’agir sans son accord. Il te faudra aussi consulter l’Isekel, que cette coopération n’entre pas en contradiction avec les avancées que nous avons faites concernant les Magiciens. » « Les Magiciens… » Lhéasse Taiji s’occupait de leur cas et c’était tant mieux, puisque si le sujet n’avait tenu qu’à moi, il aurait été enterré depuis bien longtemps. Une alliance me semblait de mauvais goût. Je préférais, quant à moi, me focaliser sur les peuples nés des ténèbres. Les Anges, par exemple, ne m’intéressaient pas. Ils me semblaient si peu nombreux que leur cas était dérisoire. Que pouvaient-ils faire, actuellement, avec leurs petites ailes immaculées, hormis renvoyer la lumière du soleil ? Rien.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]La porte s’ouvrit sans que personne ne nous eût annoncé qui que ce fût. Mon regard heurta la silhouette de l’Empereur Noir. Celui-ci nous fixa un instant puis, sans une salutation, nous pria de le rejoindre. Derrière lui, se tenait ce qui ressemblait au Marquis Kaahl Paiberym mais qui n’en avait visiblement pas la puissance. L’homme n’était pas dénué d’intérêt mais, à nous trois, nous le rendions fade au possible. « Marquis. » le saluai-je enfin, avant que le téléporteur ne nous envoyassent tous en Enfer sans plus d’explications. S’il m'avait rendu curieuse, je l’oubliai dès que nous fûmes dans ce qui ressemblait à la salle d’attente d’un palais. L’air vicié de l’antre du Diable s’infiltra dans mes narines et mes prunelles s’attardèrent sur Lhéasse Taiji et Conrad Caïn Taiji, assis tous les deux, un livre à la main. Je les saluai à leur tour, avant de me tourner vers Cyrius. « Grand Chaos, si je puis me permettre… que faisons-nous ici ? » Suivre son Roi était une chose, le suivre à l’aveugle en était une autre. « L’Ashiril a disparu et se trouve vraisemblablement ici. » « Je vois… Et ? » En quoi cette pouffiasse de Magicienne pouvait-elle nous concerner ? Ils semblaient tous avoir oublié qu’entrer en Enfer était le meilleur moyen de ne jamais en ressortir. Surtout, je voyais d’un très mauvais œil que nous fussions quatre Sorciers pour deux Magiciens à partir à la recherche de celle-ci. Eustache, lui, ne semblait pas avoir envie de s’opposer.

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L'Enfer corrompt tout

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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]« Vas-y, essaye. » Ezechyel baissa légèrement la tête, tout en gardant les yeux ouverts droit devant lui. Ses mains se refermèrent pour devenir des poings. Sa magie était branlante mais ils avaient répété ensemble la théorie des centaines et des centaines de fois et un artefact était là pour l’aider, réunissant des magies plus puissantes que la sienne afin de ne pas l’épuiser. Il se concentra, sentit un halo presque magnétique envelopper son corps et, quelques secondes plus tard, le garçon se trouva ailleurs, dans un autre temps, au milieu de tiges de blé qui lui parurent immenses. Il resta là un instant, incapable de savoir que faire. Normalement, son père viendrait le chercher. C’était ce qu’ils avaient convenu. Comme il n’avait appris ni à jauger le temps, ni à jauger l’espace, l’exercice consistait simplement en une téléportation au hasard, tout en évitant les zones de turbulence. Le Temps pouvait être capricieux. « Alors… » commença-t-il, avant de s'interrompre pour lever les yeux vers la Lune Blanche. Il lui sourit, comme à une vieille amie. Vu son âge, la comparaison aurait pu être risible mais, avec le temps, Phoebe deviendrait véritablement son amie.

Il allait sortir du champ, afin de faciliter le travail de son père mais un autre phénomène se présenta, un phénomène qu’il avait déjà vécu une fois et contre lequel il ne pouvait pas lutter. La magie d’un être nettement supérieur à lui était en œuvre et, contre les Ætheri, on ne peut se battre. Il se retrouva ailleurs, quelque part, dans un endroit inconnu, face à un homme dont l’aura le cloua immédiatement sur place. Il savait que ce dernier venait de s’adresser à lui mais il lui fallut un temps avant de réaliser ce qu’il avait dit. « Kaahl ? » répéta-t-il enfin. Il connaissait Kaahl Paiberym. « Je… Je ne suis pas le Baron. » bégaya-t-il. Son interlocuteur lui semblait étrange mais terriblement puissant. Il faisait trembler quelque chose à l’intérieur de lui. Il baissa les yeux, le temps de récupérer. Il avait l’impression que le blond pourrait le tuer en un mot. « Je suis Ezechyel… » Il préférait ne pas lui dévoiler son nom de famille. « Ça… ça nous arrive d’échanger… Parfois… » Ezechyel sentait cet écart entre son corps d’origine et celui-ci. Kaahl était un homme. Lui était un garçon. Tout était comme plus petit autour de lui. « Je… Qui êtes-vous ? » Quelqu’un d’important, sans aucun doute.

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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]La haute porte du palais s’ouvrit. Elle devait mesurer dans les six mètres. Personne ne se trouvait derrière mais l’Enfer savait délivrer des messages. Un tapis rouge sang se précipita jusqu’à la salle d’attente, afin d’inviter les visiteurs à entrer. Conrad regarda Lhéasse qui regarda Eustache. « Je suppose qu’il faut y aller. » Ils avaient à peine eu le temps de se saluer mais Conrad préférait. Il n’était pas ravi du trop plein de Sorciers. Lhéasse était une valeur sûre, puisqu’il s’occupait des questions magiciennes et n’était pas doté d’une aura de magie aussi sombre que dévastatrice. Cependant, l’Empereur Noir – bien que son aura magique ne parût pas non plus – lui donnait quelques sueurs froides. Il sentait le mal quand il le voyait. Il était trop vieux pour être berné par quelques farandoles correctement exécutées dans l’objectif de détourner l’attention du principal. S’il devait classer, il placerait le Grand Chaos en première position des dangers imminents. Ensuite, la femme, Gwendolène Salvatore. Ensuite… il hésitait entre le Dorak et l’Isekel. Il aurait néanmoins le temps de les pratiquer. Quant au Baron Kaahl Paiberym, il lui semblait étrangement éteint.

Lorsqu’ils se levèrent tous pour entrer dans l’antre du Diable, Conrad se rapprocha de ce dernier. « Est-ce que vous allez bien ? Vous me semblez… étrange. » Impuissant était le terme exact. Il n’avait jamais approché Kaahl, même s’il avait eu vent de sa mission en Enfer près de l’Impératrice Blanche. Néanmoins, le temps avait passé depuis et il connaissait l’avis d’Alister sur ce dernier. En d’autres mots, le Chef des Armées pensait qu’il cachait sa puissance réelle pour d’obscures raisons. Conrad n’avait jamais cherché à creuser la question, notamment parce que ce n’était plus de son ressort en tant que Grand Bâtisseur. Néanmoins, à présent, il ne comprenait pas l’absence de puissance du brun. L’Empereur Noir l’avait-il vidé de son énergie d’une quelconque manière ? Si tel était le cas, ce n’était pas opportun juste avant une visite en Enfer.

Aodh Baran, assis sur un trône dont le dossier devait mesurer la moitié de la porte posa sur eux un regard étrangement amusé. « Cela fait bien longtemps que je n’ai pas eu de visite en ces lieux. » commença-t-il. « Mais je vous écoute. » Conrad revit son jugement : le pire de tous, ici, c’était lui. Il n’aimait pas cette situation, celle où il savait que les choses pouvaient déraper à tout moment, sur simple décision du Monarque Démoniaque. Il inclina doucement la tête, afin de le saluer silencieusement, et tourna les yeux vers Cyrius Windsor.

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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Je me figeai. Un tic nerveux s’empara de ma lèvre au bout de quelques secondes. Il s’étendit dans ma nuque, au point d’en faire bouger ma tête, comme les petits soubresauts qu’il était possible de distinguer peu avant l’endormissement. Il n’était pas le Baron… Il n’était pas le Baron. Un sourire crispé se dessina sur mes lèvres. L’envie de le tuer monta. « Ezechyel. » Ezechyel. Je ris de façon aussi gênée que gênante. Ça leur arrivait d’échanger. Oui. Oui oui oui. « Ha ha. » Dans un mouvement compulsif, je me rapprochai du corps de Kaahl, ma main s’avançant dans l’objectif de saisir son cou. Pourtant, à deux centimètres de lui, mes doigts se contractèrent et s’immobilisèrent. Ce corps était bien trop chéri pour que je lui fisse du mal. « Ezechyel. » répétai-je, mes yeux fous rivés sur l’imposteur. « Ce… ce n’était pas ce qui était prévu. » articulai-je, la bouche sèche. Où était Kaahl ? Dans le corps d’Ezechyel si je suivais la logique de la magie à l’œuvre. Néanmoins, ça ne m’indiquait pas sa localisation. Nous devions nous rendre en Enfer. « Tu… » Je le fixai. Il n’irradiait rien. Il était faible et inutile. La Magie des Ténèbres ne le hantait pas. Je l’effrayais comme le soleil effraye les Vampires. Je fouillai en lui, à la recherche de sa musique. Je l’analysai. Ses émotions, ses tonalités, ses rythmes. Je lus sa partition sans rencontrer aucune résistance et plissai les yeux. Il y avait quelque chose qui… « Qui es-tu pour lui ? » Leurs musiques étaient identiques, à quelques détails près. Ezechyel… Je réfléchis. Puisqu’il était si identique à celui que je chérissais, alors je le chérirais également. « Viens. Nous allons en Enfer. » C’était un enfant. Tout en lui était neuf. Le son était hésitant. « Sais-tu jouer du pipeau ? » Je posais cette question à absolument tous les enfants, car il me semblait que cet instrument était l’un des meilleurs pour commencer. Facile à transporter, il était accessible à tous les budgets et indiquait également beaucoup sur le caractère de celui qui le détenait. Érasme, par exemple, adorait jouer faux et fort afin d’agacer son auditoire, alors même qu’il avait appris à jouer sans trop de difficultés. Je fis apparaître un instrument et le lui tendis. « Avant d’aller en Enfer, j’aimerais que tu joues. » Était-il comme Kaahl ? Avait-il l’oreille absolue ? Pouvait-il se rendre à un degré de maîtrise où les émotions se propageaient de l’artiste à l’auditeur ?

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« Il va très bien. » avais-je répondu, à la place d’Ezechyel, en fixant Conrad Caïn Taiji d’un air étrange, avant que nous entrâmes dans la salle du trône. À présent que j’étais face au Monarque Démoniaque, j’étais préoccupé par autre chose que la proximité que pourrait essayer de créer le Grand Bâtisseur vis-à-vis de mon faux Kaahl. En Enfer, l’on disait que le Roi était tout puissant et qu’il pouvait commander à l’entièreté du Monde de l’Œil. Pour autant, ma folie me poussait à penser que nul lieu ne pouvait être accessible à la Lune Noire, qu’importât qu’elle apparût dans le ciel ou non. Ici, les astres n’étaient pas ceux que nous côtoyassions habituellement. D’autres forces étaient en jeu. « Aodh. » le saluai-je, d’un ton tellement normal qu’il devait paraître étrange aux oreilles de ceux qui m’accompagnaient. Néanmoins, il était rare que mes interlocuteurs entendissent la même chose que moi. Ils étaient comme… sourds aux bruits qui les entouraient. Comme anesthésiées, leurs oreilles ne captaient presque rien. Elles ne comprenaient pas les nuances, n’enregistraient pas toutes les tonalités. Leur monde était un monde de pauvres, car leurs sens ne réagissaient qu'à une infime partie des stimuli environnants. Leur spectre des possibles était donc réduit et leur existence tout autant. « Nous sommes venus vous demander un service. » En m’exprimant comme eux, en faisant semblant, j’entrais dans le monde ennuyeux de ceux qui étaient soi-disant normaux. Je plaçais sur mon visage un masque de normalité. Je cachais ce que j’étais, tout en me sachant incapable d’en abuser durant des jours. À vrai dire, je n’en voyais que très peu souvent l’utilité mais Aodh Baran était un Souverain puissant et nous étions sur son territoire. Ma foi en Ethelba restait la même mais je me devais d'être inflexible, pour protéger le corps de Kaahl et l'esprit d'Ezechyel. « Il semblerait que l'Archimage Ashiril ait été téléportée en Enfer et ait disparu depuis. Afin d'éviter des problèmes diplomatiques qui feraient perdre un temps précieux à chaque partie en présence, nous requérons votre aide. Nous aimerions que vous confirmiez sa présence ici et que vous nous la remettiez. Si la chose s’avère impossible en l'état, nous vous prions de nous donner sa localisation tout en nous permettant d’aller la chercher nous-même. » Autour de moi, je sentais l’atmosphère maléfique de l’Enfer. Les sons presque muets du mal à l’état pur n’osaient pourtant pas encore s’attaquer à moi. « Afin de ne pas abuser de votre temps, j’ai également demandé à l’Archimage Sabnac de venir avec nous, afin que le sujet du mariage de votre fille avec Érasme Salvatore puisse être abordé. » Gwendolène fit un mouvement de tête respectueux tandis que mon regard se plantait dans celui du Bhūta Rāja. Je détestais regarder les autres dans les yeux. Je ne le faisais jamais de façon naturelle. Il fallait toujours que je me forçasse.

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L'Enfer corrompt tout

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Ezechyel fit un pas en arrière. Il se sentait dépassé. Il avait envie de pleurer. Ce fut pire lorsque le blond approcha sa main de sa gorge. Seule la peur le maintenait immobile. Il avait tellement peur, en réalité, qu’il était tétanisé. Peut-être qu’en face d’un adulte normalement constitué, un adulte qui n’aurait pas ricané étrangement ou fait des mouvements sporadiques de la tête, il aurait pu s’apaiser. Cependant, Cyrius n’était pas comme son père ou ceux que l’enfant avait l’habitude de côtoyer. Il était aussi dérangeant que dérangé. Muet par obligation, il sentait le corps de Kaahl lui peser. Il craignait de s’effondrer. La distance de la hauteur de la tête de l’adulte par rapport au sol lui paraissait gargantuesque. Il se dit que s’il tombait, il se ferait forcément mal. « … » Lorsqu’il essaya de parler, sa gorge se noua tellement qu’il eut peur de s’étrangler. Qui était-il pour Kaahl ? Ce n’était pas très clair. Ils avaient juste échangé une fois et… il n’en savait pas beaucoup plus.

Il se sentait stupide et perdu, tellement qu’il était prêt à suivre l’autre n’importe où, si tant est que son corps voulût bien se mouvoir de nouveau. Heureusement, le voyage en Enfer fut retardé. Il réussit à se saisir de la flûte, aussi parce que l’Empereur Noir le lui avait demandé. Il l’observa, se raccrochant à elle comme un naufragé à une bouée de sauvetage. Il regarda les mains de Kaahl posées sur le pipeau et plaça ses doigts sur les trous. Il connaissait le principe de l’instrument, bien qu’il n’en eût jamais joué. La concentration qu’il mit à le découvrir eut le mérite de lui faire oublier le blond quelques minutes. Il porta le bec à sa bouche et souffla doucement, en modifiant la position de ses doigts afin d’entendre les sons qui en sortaient. C’était un petit timide. Il ne fonçait jamais tête baissée face à ce qu’il ne connaissait pas. Il prenait toujours le temps de se familiariser avec les choses. Il testa plusieurs fois des combinaisons et s’amusa à composer un air sans prétention, amusé par l’exercice et désireux de continuer à se perdre dedans. Il était double : la mélodie mais, également, réussir à maîtriser les grandes paluches de l’adulte. Quand il se dit qu’il avait obéit correctement, il remonta les yeux vers Cyrius, toujours craintif. Il réussit cependant à parler. « C’est bien, comme ça ? »

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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Aodh regarda ses visiteurs avec un petit sourire, comme s’il était doté de la faculté d’être complaisant. Ils étaient tous puissants, à l’exception de l’un d’eux qui devait déjà ressentir le mal s’infiltrer à l’intérieur de son cœur. Les faibles ne survivaient jamais longtemps. Les Péchés les gagnaient, apparats du mal à l’état pur. La perspective de voir ce gratin d’Archimages s’entretuer lui plaisait affreusement. Il fallait être fou pour mettre les pieds en Enfer. « Cyrius. » dit-il, pour répondre à l’Empereur Noir. Ses yeux, pourtant, se posèrent sur le Marquis Paiberym. Il n’eut rien à demander. Il sut que ce n’était pas lui et se questionna sur l’intérêt d’amener un individu dénué de puissance en Enfer, dans le corps du Marquis. À moins que… Son sourire s’agrandit doucement. Il pensait avoir compris et, de cette compréhension découlaient deux considérations distinctes : soit c’était fait exprès et, dans ce cas, c’était parfaitement bien joué. Soit ce n’était pas fait exprès et la chance sourirait peut-être à ceux qui se targuaient de pouvoir rester en Enfer plus que de raison. « Je suis ravi de constater que les relations entre les Sorciers et les Magiciens se portent on ne peut mieux. » Parce que venir en Enfer repêcher une pauvre âme en perdition supposait forcément une réelle volonté d’alliance. Néanmoins, ça l’étonnait. Il était au fait que le précédent Souverain avait à cœur de rapprocher les Mages, comme le prouvait ce qu’il se passait à Lagherta, mais il avait toujours pensé – avant les événements de la Terre Blanche – qu’il s’agissait d’une stratégie pour exterminer les détenteurs de Magie Bleue. Depuis sa cuisante défaite dans la Mer de Cristal, il était plus réservé mais pas au point de croire que les intérêts des Mages Blancs et des Mages Noirs pussent converger. Que Cyrius se rendît lui-même en Enfer lui paraissait donc étrange. Pourquoi faisait-il le déplacement ? C’était déraisonnable.

« Concernant cette Archimage… » Il utilisa la magie qui lui avait été conférée par l’Œil pour chercher l’information. Il lui suffisait de visualiser les entrées au sein de l’Enfer et de suivre la trace de la Magicienne. Il pouvait sentir le changement d’essence s’opérer dans son parcours, jusqu’au Royaume d’Ānanda. La jeune femme en question était toujours vivante mais plus pour longtemps. Elle avait dû se faire déchirer de toute part vu l’état dans lequel il la pressentait. Néanmoins, il n’allait pas donner cette information au groupe d’aventuriers téméraires et fous qui lui faisait face. Aodh voulait voir s’ils allaient oser s’aventurer davantage dans l’antre du Diable. « Je ne peux malheureusement pas l’amener jusqu’ici. » Il mentait. Il pouvait amener qui il désirait devant lui. Il lui suffisait de le vouloir. Cependant, personne ne le traiterait de menteur et il n’était même pas certain qu’ils sussent qu’il disposait d’un tel pouvoir. « Je peux vous faire conduire là où elle se trouve cependant, dans le Royaume d’Ānanda. Vous apprécierez sans aucun doute l’ambiance. » Oui, il n'avait aucun doute sur le fait qu'ils finiraient par se complaire dans le sexe et les autres vices qui y régnaient en maîtres. Il avait hâte de voir Cyrius Windsor touché par les Péchés. Peut-être pourrait-il le faire chanter, ensuite. De plus, il avait une petite vengeance à prendre sur les Sorciers. L’union de sa fille et d'Érasme se ferait, parce qu’il n’était pas en position de refuser et qu’il valait mieux qu’ils s’allient aux Sorciers pour le moment, mais s’il pouvait éliminer quelques-uns d’entre eux, il ne refuserait pas l’occasion.

Aodh fit apparaître un halo noirâtre à sa droite. « Vous pouvez emprunter ce portail. Il restera ouvert afin que vous puissiez revenir dès que vous aurez retrouvé l’Archimage Ashiril. » Ils ne penseraient bientôt plus à revenir. « Archimage Sabnac, je serais ravi de parler de la façon dont les Démons organisent les mariages royaux et princiers avec vous. » Beaucoup de sang et d’organes. « Néanmoins, peut-être que le Dorak pourrait également rester avec moi. Nous parlerons économie ainsi. » Il sourit, en se demandant lequel des deux survivraient. Il avait senti des tensions palpables entre la Duchesse et le Duc. Jusqu’à quel point pourrait-il les magnifier ? Il le verrait bien assez tôt. Si un Sorcier en tuait un autre, ce ne serait officiellement pas de son fait.

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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Je ris, en sentant le mal me chatouiller l’épiderme. À droite, un bordel à ciel ouvert offrait un spectacle que ma vision omettait de m’offrir. Les sons suffisaient. Ils créaient chez moi une sorte de dysfonctionnement. Ānanda était un endroit affreux. « Il mentait. » soufflai-je en direction des trois autres, en songeant de nouveau aux mots du Monarque Démoniaque. Sa tête de vicelard ne me revenait pas, pas plus que la façon dont sa silhouette avait de hanter mes pensées. Elle apparaissait, par spasmes visuels. Je le voyais, lui et ses sourires, lui et sa musique démoniaque. Mon pouce et mon index se mirent à s’entrechoquer du côté droit, puis du côté gauche. Quelque chose, à l’intérieur de ma poitrine, se brisait petit à petit. Peut-être ce qu’il était de coutume d’appeler la raison ? Les cris des maisons de plaisir me parvenaient comme des échos horrifiques. Le bruit d’une craie sur un tableau n’aurait pas pu être plus désagréable à mon oreille. « Taisez-vous… » susurrai-je, en baissant la tête. Mes yeux, relevés vers ce chemin qui ne nous guidait nulle part, commençaient à devenir mauvais. Je le sentais, le mal, qui rôdait, plus noir encore que celui qui m’entourait déjà. Il tentait de défoncer les barrières de ma magie pour s’infiltrer et révéler des choses qui devaient demeurer cachées. J’avais la sensation d’entendre un tictac agaçant à l’intérieur de mon crâne, comme si le bruit de mon horloge interne me prévenait que le temps m’était compté. Le temps avant quoi ? Avant que je n’étranglasse Lhéasse pour les sentiments immoraux qu’il nourrissait envers une femme qui n’était pas la sienne ? Avant que je lui écrabouillasse sa sale gueule de fouine, pour s’être lié d’amitié avec des Magiciens ? Je ris. Je pourrais. Je pourrais le tuer, mais il n’était pas le seul coupable. Je savais que Kaahl n’était plus un Sorcier, à cause de cette maudite femme et de ses charmes angéliques. J’aurais dû la tuer, ne pas l’écouter. Il se serait remis. Elle était si… petite, si détestable, dénuée de talent. « Taisez-vous ! » criai-je, en me tournant vers les groupes occupés à s’adonner aux plaisirs de la chair. Bien en face d’eux, je vis réellement tous ces amas de chair répugnante se rapprocher et s’éloigner. Il n’y avait rien d’harmonieux dans le sexe. Il n’y avait rien de beau. Ils me donnaient tous envie de vomir. Et Ezechyel, qui me privait de Kaahl… mais qui était si semblable à lui…

Mes yeux se tournèrent lentement vers la silhouette du Marquis avant de revenir vers les obsédés. Sa façon de jouer du pipeau m’avait convaincu mais, à présent, j’avais bien plus envie de le lui enfoncer dans la gorge que de lui apprendre à en jouer. Les Péchés, autour de moi, semblaient hésiter. Depuis combien de temps étions nous en Enfer ? Je n’arrivais pas à en être certain. C’était comme si l’atmosphère de l’endroit nous privait de repères. J’avais l’impression d’être passé à côté de ce bordel plusieurs fois mais tout ici se ressemblait. Les racoleurs avaient le même visage. Le goût de l’air était inchangé. Les positions étaient jumelles. Rien n’avait de sens. Tout tournait et mes doigts ne cessaient de se rejoindre, de plus en plus vite. L’envie de hurler devenait de plus en plus prégnante. Je sentais la tension monter, cette envie destructrice qui était déjà mienne en temps normal mais qui ne sortait pratiquement jamais en dehors des salles de spectacle. Il n’y avait que lorsque Kaahl aimait d’autres individus plus que moi que ma colère s’illustrait. C’était la raison pour laquelle j’avais tué ce morceau de lui, caché au cœur du ventre de Laëth. Parce qu’il l’aurait aimé plus. Plus qu’elle, plus que moi, plus que les enfants qu’il avait créés en y étant forcé, plus que ceux qu’il avait adoptés. Et lui… Ezechyel… Qui était-il ? Je ris, en voyant l’aura bleuté du Magicien vriller. Ce n’était qu’une question de temps et le temps s’écoulait inexorablement. Si l’un d’eux me parlait, je n’entendais pas. J’étais à l’intérieur de moi, au milieu des cris de jouissance que je transformais en cris d’horreur et de douleur.

J’arrêtai de marcher et penchai la tête sur le côté. J’entendais leur musique, les cordes à l’intérieur de toutes ces silhouettes sans importance. Je ricanai et laissai ma magie les couper. C’était si peu de choses, une vie. De moi, une musique dysharmonique commença à émerger. Je sentais la folie créatrice me gagner et lorsque je créais, je tuais aussi. Le sang était mon inspiration. Je devrais faire craquer les os afin de les aligner. Ils donneraient la partition, encore vierge de toutes notes. Les notes seraient leurs cris. Le rythme serait la distance entre chacun d’eux. Et j’en profiterais pour éliminer ce Magicien qui nous suivait… ou le corrompre davantage. Que cherchait-on déjà ? L’Ashiril ? Elle était morte. C’était son cadavre, là-bas, accroché sur une croix comme les membres de l’Ordre des Justes, longtemps avant elle. Notre mission n’avait aucun but. Nous recherchions la mort depuis le début.

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L'Enfer corrompt tout

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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Conrad envoya une œillade à Lhéasse. « Qu’est-ce qu’il fout ? » demanda-t-il, sur la défensive, en visant le blond. Il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond avec l’Empereur Noir. « Cyrius ! » l’interpella le Magicien. « Oh ! Cyrius ! » L’Isekel le regarda à son tour, avant que ses pupilles ne se fixassent sur la silhouette du Marquis Paiberym, visiblement peu concerné par l’état de son Roi. « Lhéasse ! » cria Conrad, comme s’il venait de se rendre compte que le Chancelier des Ténèbres n’allait pas mieux. Son visage était rongé par les stries de Magie des Ténèbres. Il déglutit en constatant l’augmentation progressive des marques noirâtres, comme un labyrinthe de ronces qui se formaient progressivement sur chaque parcelle de peau du Sorcier. Conrad pensa brièvement qu’il était étrange que Cyrius n’eût pas les mêmes. Tout lui semblait flou et incertain. Quant au Baron… « Kaahl… » murmura-t-il, en se dirigeant vers lui. Il posa sa main sur son épaule. Elle était molle. Ses pupilles remontèrent jusqu’à son visage. Les yeux du brun étaient perdus dans le vide et ses lèvres bougeaient en des invocations silencieuses. Il tendit l’oreille et essaya de déchiffrer. Au bout de quelques secondes, il fronça les sourcils, incapable de comprendre. Que disait-il ? « Kaahl ! Il faut vous ressaisir ! » fit-il, brutalement, en le secouant par les épaules tout en sentant la colère gravir le chemin menant à son cœur. Ils commençaient tous à lui taper sur les nerfs. « Lhéasse ! Calme l’Empereur Noir ! » La situation devenait ingérable. « … » « Lhéasse ! » Le Yavinor vit avec agacement un sourire noir se dessiner sur le visage de l’Isekel. « L’Empereur Noir fait bien ce qu’il veut. En plus, je trouve que cet endroit a besoin d’être nettoyé… » Les cris de jouissance s’étaient tus pour la plupart. Il n’y avait que les masochistes absolus qui continuaient de bouger au rythme d’une pénétration frénétique en tentant de braver la mort. Certains ne se rendaient pas compte que leur partenaire n’était déjà plus de ce monde. « Bordel ! » gronda Conrad, en s’approchant de Cyrius. « Cyrius ! Arrête tout de suite ! » Il n’était plus l’heure des vouvoiements. La musique discordante qui s’élevait était une torture pour les oreilles et le Magicien se sentait, avec horreur, sombrer de plus en plus au fur et à mesure que les secondes s’écoulaient. Il ne pouvait pas décemment s’en prendre au Grand Chaos. Il ne pouvait pas mais… mais s’il ne faisait rien, il y aurait un incident diplomatique avec les Démons. Cyrius avait déjà commencé à tuer, immobile au milieu d’Ānanda.

Alors qu’il tentait de contenir le Roi avec sa magie, le regard du Yavinor tomba sur le corps de la jeune femme qu’ils cherchaient tous. Ses yeux s’écarquillèrent et, après avoir ouvert ses ailes, il se précipita sur elle. Ses doigts se posèrent sur sa gorge. Il n’y avait plus aucun pouls. Conrad laissa sa magie filer vers elle, dans l’espoir de tromper la Mort et de faire revenir la Vie. Pourtant, le bleu de ses sortilèges était fade, presque éteint. Il tremblait. En lui, des émotions contradictoires se battaient. Il l’avait trouvé belle dès qu’il l’avait vue et cela faisait longtemps que son amour pour la Souveraine s’était éteint. Il avait envisagé que, peut-être, il pourrait apprendre à connaître l’Ashiril. Il s’était porté volontaire pour venir, parce qu’il voulait la revoir. Et maintenant… Maintenant…

Soudain, il sentit une douleur le saisir au niveau de l’épaule. Il ne put retenir un cri, tout en se retournant pour faire face à son assaillant. Lhéasse venait de lui planter quelque chose dans la chair. Conrad se retourna, son dos heurtant les jambes suspendues de l’Ashiril. L’Isekel était affreux, affreusement rongé par les dons d’Ethelba. Partout autour d’eux, les corps s’étalaient sur le sol. N’y aurait-il pas un Démon pour intervenir ? Que faisait le Monarque Démoniaque ? « Argh… » La douleur irradiait de son dos, comme si la noirceur se propageait davantage par le trou que le Ténébreux avait créé. « Lhéasse… Écoute-moi… » commença Conrad. Il se sentait de plus en plus vicieux, de plus en plus énervé, de plus en plus prêt à tout. Il vit à peine la silhouette du Baron Paiberym muter et s’écraser par terre, sous les traits d’Elias Salvatore. Son cerveau n’imprima pas, parce qu’il était occupé à faire face à Lhéasse. Les deux hommes étaient proches à présent, Conrad toujours en position défensive. « Lhéasse… C’est l’Enfer qui… » Il ne termina pas sa phrase car il dut se protéger du sort lancé par le Sorcier. Ses idées étaient sombres, de plus en plus sombres. Lorsqu’il voulut créer la matière pour maintenir les bras de l’Isekel en arrière, la réaction ne fut pas celle attendue. Il entendit un craquement osseux atroce, qui fut relayé par les cris du brun. Son bras droit… Il avait désarticulé son bras droit… Petit à petit, une idée s’installa dans l’esprit de Conrad : ils allaient tous mourir ici. Ils allaient tous mourir ici et c’était exactement ce qu’Aodh avait voulu.

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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Mon regard se posa sur le corps d’Elias, étendu sur le sol. J’eus l’impression qu’un bourdonnement grondait à l’intérieur même de mes oreilles, comme le son d’une vague géante destinée à déferler sur l’ensemble du monde. Je ricanai des morts à venir, de l’apocalypses et de la fin. Ethelba était ma muse et le chaos était mon emblème. Le cliquetis de l’horloge n’aurait jamais pu être aussi métallique, désagréable. Je me sentais loin, très loin. Pourtant, ce corps, étalé, comme mort, me maintenait accroché à la réalité. Je me fichais que Lhéasse mourût. Je me fichais encore plus que Conrad se disloquât dans les abîmes. Mon univers ne tournait qu’autour de deux choses : la musique et lui. Mes épaules firent de petits cercles, mes bras comme perdus dans l’immensité du Mal qui me guettait et me guidait. L’une de mes mains se mit à battre la mesure, à l’aide des doigts qui la composaient. Rien n’était harmonieux. Mes mouvements étaient désarticulés, saccadés, comme la respiration d’un cancéreux après l’effort. Mes articulations semblaient tousser, s’exciter et se tordre. L’étirement douloureux se ressentait dans les sons et s’illustrait dans les corps craquelés. Il y eut un vide et les morts se relevèrent d’un coup, avant de s’écraser violemment sur le granit. Il n’était pas mort. Je ressentis comme un soulagement, un soulagement que le Mal lut comme une faiblesse. Il s’engouffra, s’enfonça plus profondément, s’agrippa. Je levai les yeux vers le ciel du Royaume, curieux. Cet astre, si discret et à son zénith, n’était-ce pas un ersatz de Lune Noire ? Je voulus regarder autour de moi mais tiquai. Quelques secondes plus tard, alors que le Mal se projetait pleinement en moi, le paysage ne m’importa plus. Je me reperdis dans mon univers de musique, à la recherche de la folie créatrice. Je redevins sourd à tout ce qui ne pouvait constituer une mélodie. Je le savais vivant. Là était l’unique élément qui m’importait. Tout ce qu’il me fallait pour laisser le pouvoir de l’Enfer me transpercer. Ces ténèbres étaient plaisantes et j’avais comme la certitude absolue qu’un enfant pourrait naître dans ce décor aux allures de sombre berceau. Les os craquèrent, comme pour confirmer mes certitudes. Le bourdonnement dans mon esprit était de plus en plus sourd. La vague arrivait. Elle arriva et m’engloutit à l’intérieur de moi-même, laissant à mon environnement que mon corps mouvant, en adoration devant la destruction que ma magie créait dans l’antre du Diable.  

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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Lorsque j’ouvris les yeux, je sentis le sol sous mes mains. La terre tremblait, secouant d’un même temps ma conscience migraineuse. La Magie Bleue m’entoura, comme un bouclier protecteur face à la morsure du Mal. Je me tournai sur le dos. Le bruit qui s’infiltra jusqu’à mes tympans raviva les douleurs à l’intérieur de ma boîte crânienne. Où étais-je ? Était-ce une main qui volait, à plusieurs mètres au-dessus de ma tête ? Je fermai les yeux une seconde. Je me sentais pâteux, comme si mon esprit était englué dans une mer de miel. Ce que j’observais me paraissait à la fois étrange et tout à fait normal. Ce fut le cas quelques secondes, avant que je ne retrouvasse pleinement mes facultés. Là, mon buste se redressa vivement. « Cyrius ! » soufflai-je, comme si je venais de me souvenir d’un élément oublié depuis bien trop longtemps. La mélodie était la sienne. Ce Chaos avait sa saveur. Mon regard balaya le paysage, repérant le Chef d’Orchestre, point central d’un spectacle macabre où les morts volaient autour de lui, dans des arabesques aussi folles que spectaculaires. Nous étions en Enfer. L’air m’y faisait penser. Tout ici ne faisait qu’affirmer cette idée. Mes yeux se posèrent sur Lhéasse et Conrad. Je remarquai avec effroi la silhouette de l’Ashiril, corps décédé élevé au-dessus de la scène comme un juge silencieux et aveugle. Et Cyrius… « Cyrius… » murmurai-je, en me relevant. Je fis quelques pas vers lui, repoussé dans tout ce que j’étais par une puissance macabre qui ne lui appartenait pas. Le Mal semblait l’englober et le maintenir dans un cocon infranchissable. Ma peau me tira, comme une aiguille qu’un Démon aurait planté dans ma chair en surface et se serait amusé à balader sur mon épiderme. Je reculai. La priorité n’était ni Lhéasse ni Conrad. La priorité était d’arrêter ce qui était à l’œuvre et qui avait le pouvoir d’hérisser chaque parcelle de mon être. Cyrius était effrayant, entouré d’une magie si sombre. Sa peau était pourtant toujours diaphane.

J’inspirai et me rendis compte que l’air qui s’infiltrait dans mes poumons était si vicié que les souvenirs des sensations qui me tiraillaient lorsque j’étais encore Sorcier refirent surface. Je tendis la main devant moi, conscient de l’urgence de la situation. Il ne m’avait fallu que quelques secondes pour comprendre : nous étions en Enfer. Lhéasse avait plongé dans les ténèbres, suivi par Conrad. Cyrius, quant à lui, vivait une expérience bien au-delà de ce que pouvaient vivre les deux autres. Parce qu’il était l’Empereur Noir. Parce qu’il était particulier, hypersensible et d’un talent qui pouvait être qualifié de génial. Mes doigts se refermèrent sur le violon. Il m’avait été confié jadis par une enfant et avait la capacité de transposer mes émotions sur mon auditoire. Je préparai l’archet et ma magie, afin que d’autres instruments, créés par elle, pussent m’accompagner. Je vidai mon esprit de la dysharmonie de Cyrius et me concentrai assez pour gommer l’environnement. J’imaginai le même, vidé des êtres vivants et morts. Dans ma vision, tout était gris et une pluie de poussières tombait doucement.

Le silence.

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Puis le son de mon propre instrument. L’archet caressa les cordes. Ce que je jouais, je le jouais pour lui, mon Roi, mon frère. La mélodie, calme, me rappela les champs d’or de Lumnaar’Yuvon et tous ces instants où le temps semblait figé. Je jouais l’accalmie dans le chaos, je jouais la tranquillité des feuilles tombant sous la caresse de la brise pour finir leur course sur la surface du Lac Bleu. Je jouais la beauté de ce qui était précieux. Ce qui l’était avait parfois son visage, lorsqu’il s’endormait après s’être lui-même bercé, lorsqu’il se perdait dans ses pensées ou lorsqu’il souriait. Je désirais que ma musique touchât son cœur et qu'il me revînt.

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L'Enfer corrompt tout

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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Iseult stoppa son labeur et posa les yeux sur le joueur de violon. Ârès Taiji. Ârès Taiji, Esprit contenu dans une Âme recomposée. Ce phénomène était intéressant aux yeux de l’Ombre, bien plus que l’identité cachée de celui qui avait été adopté par les Windsor. Néanmoins, Iseult, mère d’un Salvatore et ancienne chanteuse d’opéra au cœur de Somnium, était bien plus qu’une simple Ombre de passage, éternellement plongée dans la mélancolie. C’était une artiste qui savait reconnaître le talent et s’en saisir. Si elle avait conscience de sa condition et des entraves qui l’empêchaient d’être libre, elle se savait également damnée pour toujours. Alors, prise d’une envie irrésistible, elle décida d’apparaître et d’accompagner la mélodie de sa voix de soprano. Son corps se matérialisa donc, au milieu du Royaume de l’Enfer. Elle portait son éternelle robe de scène, d’un bleu sombre et richement brodée. C’était dans cette tenue qu’elle avait décidé de se suicider. Cela faisait des centaines d’années, à présent. Iseult était la grand-mère de Niklaus Salvatore. Avant sa mort, elle avait aimé son fils comme la prunelle de ses yeux et, bien qu’il fût à présent mort, elle observait parfois sa descendance avec intérêt, dans l’ombre de sa condition.

Alors qu’elle pensait aux yeux bleus de son enfant, aussi bleus que les siens, elle entama le chant de la liberté. Beaucoup tomberaient aujourd’hui. Beaucoup étaient tombés, sans que le Seigneur lié à ce lieu n’apparût pour autant. Elle pouvait voir le Clepsydra des protagonistes défiler. Certains n’avaient plus beaucoup de temps. D’autres survivraient. Parfois, il valait mieux mourir. Son visage, encadré par ses longs cheveux noirs, était tourné vers Ârès. Puisqu’elle était en mission, la magie de l’ancien Roi ne pouvait pas l’atteindre. Elle sourit entre deux paroles, profitant du délice de la musique qu’il jouait. Il suffisait d’un rien pour être touché par la grâce. Elle avait cette impression étrange de se trouver dans un de ces fameux instants, quand tout semble vain à côté de la beauté.

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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Aodh avait finalement laissé les deux Chanceliers des Ténèbres au soin d’un Seigneur des Péchés. Son choix avait été fait plus rapidement qu’il ne l’aurait cru. Il s’était néanmoins rendu à l’évidence : il préférait regarder les fous mourir au cœur du Royaume d’Ānanda que de discuter de bain de sang et d’organes avec les deux Sorciers, quand bien même il aurait pu les faire s’entretuer. Confiant, il s’était dit qu’ils y arriveraient très bien sans lui. Il s’était donc confortablement installé sur son trône pour admirer la mort de l’Empereur Noir et des larbins qui le suivaient.

S’il avait bien entendu pensé assister à un spectacle fabuleux, il devait à présent avouer que l’ensemble dépassait largement ses attentes. Il était ravi. Ravi de découvrir la métamorphose de Kaahl Paiberym en Elias Salvatore, et son regain de puissance. Ravi d’assister à une amitié si profonde entre le premier et Cyrius Windsor. Ravi de constater la mort effective de l’Ashiril et de ressentir le morcellement du petit cœur blessé de Conrad Taiji. Ravi d’assister à une confrontation entre le Magicien et son homologue Sorcier. Le seul point noir était cette femme, au beau milieu d’Ānanda. Elle le questionnait. Il n'avait strictement aucun pouvoir sur elle, ce qui avait tendance à titiller sa curiosité et à propager le goût de l’agacement dans sa bouche. Il sourit néanmoins alors que son regard se posait sur le portail. Il l’avait ouvert pour un certain délai. Autrement dit, s’ils ne revenaient pas très vite, celui-ci allait se refermer. Il avait peut-être omis de donner l’information mais personne ne lui avait posé de questions. Néanmoins, il espérait vivement qu’Elias pût au moins s’en sortir. Il avait hâte de l’avoir devant lui et de le tuer lui-même pour la prise de la Terre Blanche. Avant, il lui poserait quelques questions, car il n’était pas sûr de comprendre cette aura bleutée qui s’échappait de lui. Aodh, comme tous les Alfars – et il l’avait été un certain temps, n’aimait pas ne pas saisir totalement les concepts.

Lorsqu’il constata la magie d’apaisement à l’œuvre, le Monarque Démoniaque grimaça. S’ils pensaient tous pouvoir s’en sortir, ils se trompaient. Maintenant que l’Empereur Noir et les Archimages étaient empêtrés dans son antre, il ne leur permettrait plus de sortir. Jusqu’ici, il avait songé ne pas intervenir, en laissant la magie de l’Enfer agir, mais il venait de changer de plan. « Dēśadrōhi. » commanda-t-il. « Tue-les. » Il n’avait aucun besoin de convoquer les Kāmada Byāran pour qu’ils lui obéissent. Par esprit de compétition, il choisit néanmoins de maintenir le portail ouvert jusqu’à son terme initial.

Peu après son ordre, Aodh constata que, faute de se rendre lui-même sur les lieux, le Dēśadrōhi avait envoyé des Démons à sa botte, particulièrement monstrueux.

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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Conrad fut le premier à remarquer la présence d'indésirables. Si, auparavant, le regard du Magicien s’était noirci du fait d’une volonté irréfutable de tuer tout ce qui lui passerait par la main, y compris Lhéasse s’il ne se reprenait pas vite, la musique avait quelque peu apaisé les ténèbres qui grignotaient son cœur. « … ELIAS ! » cria-t-il, en direction du concerné. Bien sûr, il se posa des questions, mais les questions devraient obtenir des réponses plus tard, faute de quoi, ils risquaient de tous mourir. « Lhéasse… appuis-toi sur moi… on doit regagner le portail… » dit-il au Sorcier qu’il avait visiblement blessé plus que ce qu’il avait cru. « Lhéasse ? » Il attendit. « Putain, tu m’écoutes ? » le questionna-t-il, avant que la douleur de son propre dos n’irradiât de nouveau. « Merde… » Il ne savait pas ce qu’il lui avait fait mais… Il tourna les yeux vers Elias de nouveau. « Elias ! Je crois que Lhéasse est paralysé ! » Il ne savait pas s’il l’entendait, à cause de la musique et de cette femme qui chantait. Conrad avait l'impression désagréable d’être dans un cauchemar où rien n’avait de sens. « Il faut qu’on regagne le portail avant de se faire buter par ces Démons ! L'Ashiril est morte ! » cria-t-il.

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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Mes yeux s’étaient égarés sur la chanteuse dès qu’elle était apparue. Malgré la situation, l’envie de la suivre et d’être suivi par elle m’avait étreint. Le moment que nous avions vécu ensemble continuerait de me hanter longtemps. Il fut néanmoins brisé par la voix du Yavinor. Je cessai de jouer pour le regarder. Ma magie entoura mon corps et effaça la silhouette d’Elias Salvatore au profit de l’apparence d’Ârès et, par là même, du physique que j’aurais dû avoir si j’avais vécu comme lui. L’instrument disparut et ma main balaya la position des trois Mages afin de les envoyer droit sur le portail. L’Ashiril était déjà morte mais s’ils restaient ici, la liste ne ferait que s’agrandir. Rapidement, je fis apparaitre le Brouillard et l’utilisai pour plonger une partie d’Ānanda dans un clair-obscur brumeux. Je repérai Cyrius grâce à sa musique et me téléportai près de lui. Je savais que ce don ne pourrait nous servir à quitter le Royaume. Il ne fonctionnait pas entre les différentes parties de l’Enfer et notre seule porte de salut n’était nulle autre que le portail laissé ouvert par le Bhūta Rāja. Je collai mon dos à celui du blond. « Cyrius… » Ma magie était une lueur dans la buée ambiante mais pour combien de temps ? Je n’arrivais pas à évaluer celui qu’il me restait. Les secondes semblaient se tordre et les heures se perdre dans un labyrinthe qui les transformait en minutes. Chaque instant comptait et j’avais conscience que je ne pourrais pas résister au Mal longtemps. Ma vie était un champ de ruines et ma rancœur n'avait plus cessé de marteler mon cœur depuis la trahison simultanée de mon père et de ma fiancée. « Cyrius, il va nous falloir regagner le portail. » J’aurais pu m’y rendre directement mais ce dernier ne semblait pas disposé à sortir d’Ānanda.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Je l’entendis rire et sentis ses mains s’agripper aux miennes. « Je me dis… si nous quittons cet endroit, tu repartiras chez les Magiciens. Je ne le veux pas… » J’inspirai, plus que jamais conscient du problème. Il ne voudrait pas partir. « Cyrius… si nous ne partons pas d’ici, nous allons mourir. » « Je me fiche de mourir. Je veux qu’on reste ensemble… » « Tu ne peux p… ! » Je me décalai, m’arrachant par là-même à l’emprise du blond. Il ne touchait jamais les autres normalement, et j’aurais préféré ne jamais le lâcher, mais si j’étais resté à l’exacte place qui était la mienne précédemment, l’arme m'étant destinée m’aurait tranché la tête. « Cyrius ! » Si je voulais qu’il bougeât, je devrais lui mentir ou… Je bondis sur la droite, pour éviter les griffes d’un autre Démon. Ce même Démon explosa lorsqu’il essaya de s’en prendre à l’Empereur Noir. Je serrai les dents. Bien. Très bien. Au moins, il ne se laissait pas dépérir. « Cyrius… Si tu ne viens pas, je pars sans toi. » articulai-je. J’eus une réponse boudeuse. « Tu n’as qu’à partir. De toute façon, tu m’abandonnes tout le temps. » « Quoi ? Mais… ! » Je soupirai et contrôlai l’un des Vils par télékinésie pour le balancer sur un autre Démon. « Ce n'est pas le moment ! » « Ce n’est jamais le moment avec toi. » Il me tuait.

Soudain, je sentis une mâchoire commencer à se refermer sur mon flan. La douleur cessa rapidement. Dans la blancheur ambiante, je vis la lance du blond, enfoncée dans le crâne de mon assaillant. L’Empereur Noir me regarda. Il était différent du spectacle qu’il avait donné plus tôt, comme si entendre ma musique l’avait débarrassé de tous ses démons. Sa peau était toujours diaphane. « Je veux que tu redeviennes Sorcier… » Il exécuta un mouvement précis, avec l’autre côté de son arme. Elle vint s’encastrer dans la cage thoracique d’un énième suppôt de Dēśadrōhi. Je plissai les yeux. « Cyrius… je veux ton sang. » lui dis-je. Il s’évanouissait vite, lorsque je m’abreuvais contre sa peau. Une fois inconscient, je le porterais afin de passer le portail. Je ne vis pas la lueur dans ses yeux lorsqu’il s’approcha pour m’offrir son cou. Je me penchai afin de le mordre, envoyant un autre Démon le faire avec la poussière d’un même temps. J’allais percer sa peau mais son arme perça la mienne plus rapidement. Mon souffle se coupa net et ma vision, déjà obstruée par le brouillard, se dégrada à la même vitesse que mon corps sombra. Je le sentis me rattraper.

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« … il a toujours été un espion des Magiciens. » Mes paupières étaient lourdes. J’entendais la voix de Cyrius, sans pour autant parvenir à ouvrir les yeux. Je me sentais faible. « C’est la raison pour laquelle il a pu bénéficier de l’aide de bénéfiques sur la Terre Blanche. Mais… » « Hum… » émis-je, faiblement. Ma poitrine me faisait mal. Les sons variaient en intensité. « Impossible. » Que disait-il ? « … en sorte qu’il devienne un Sorcier… » Je sombrai de nouveau. « Érasme et Sundara pourront s’unir dans… » Je transpirai tout en me sentant gelé. Au fond de mon cœur, je sentais le début de la noirceur. Je l’aurais tué. Oui, si j’avais pu bouger, je l’aurais tué. « … la musique de l’Enfer m’intéresse… » Combien de temps se passait-il, à chaque fois que j’entendais sa voix ? Celle d’Aodh me semblait lointaine, inaccessible. Cyrius parlait-il seul, finalement ? Ou étais-je trop lié à lui, au point de n’entendre que lui aux portes de la mort ? Je pensai brièvement à cette dernière. Allais-je mourir ? M’avait-il trahi ? Je tressaillis et poussai un gémissement de douleur. « … lier à l’Enfer… » Je tentai d’ouvrir les yeux, sans succès. « Un Pacte me semble réalisable… » Non. Quel Pacte ? Non. « Si vous parvenez à… » Parvenir à quoi ? Je grimaçai. J’allais le tuer. J’allais vraiment le tuer. « Gwendolène… Ce n’est pas un problème… » Je ne comprenais rien. « En échange… » Ma tête était lourde. « Oui, Conrad. » J’entendis des pas venir jusqu’à moi. Dans ma cage thoracique, j’eus l’impression qu’une corde fut tirée puis relâchée brutalement. Ce fut de nouveau le noir absolu.

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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Lorsque j’ouvris les yeux, je sentis une magie étrangère m’entourer et maintenir mes artifices. Le temps que je reprisse le contrôle de la mienne, celle de Cyrius me quitta totalement. En face de moi, se tenait l’Iten. « Vous êtes réveillé. Tant mieux. » Je voulus me redresser mais une douleur au niveau de ma cage thoracique m’en empêcha. « Vous ne devriez pas bouger pour le moment. L’Empereur Noir a dit que la blessure se résorberait toute seule, avec le temps. » « Qu’est-ce que c’est ? » demandais-je, un grondement certain dans la voix. « Il n’a malheureusement pas été explicite. L’Enfer a perverti votre esprit et il a dû se défendre pour éviter que vous ne le tuiez. » « Quoi ? » « Ce n’est pas important, Paiberym. » trancha-t-elle, d’une voix autoritaire qui me donna envie de lui trancher les veines. « Le Grand Chaos a ramené le corps de l’Ashiril. Elle est morte. » « Je sais ! » aboyai-je, ce qui la fit frémir. Elle avala sa salive. « Je sais que vous savez. Vous y étiez. Si nous avions su… » « Laissez-moi deviner ! Vous auriez envoyé plus de renfort que le Yavinor ? » Elle inspira, visiblement peu encline à entrer dans les détails. « Le Yavinor a été tué en Enfer et l’Ultimage Noir nous a informé que, malheureusement, il n’avait pas pu ramener son corps. » Elle qui se tenait jusqu’ici debout devant moi s’avança afin de s’asseoir. Je vis son masque de fermeté se fissurer. J’en ressentis de la peine. Ce fut comme si une lame venait de s’enfoncer dans mon cœur en une douleur aigüe. « Je m’excuse de m’être énervé. » dis-je. « Je suis juste… fatigué de tout ça. » « Je vous comprends. »

Nous restâmes quelques minutes dans le silence le plus absolu. Elle finit par soupirer. « Il y a autre chose dont je devais vous parler. » « Je vous écoute. » soupirai-je, à mon tour. Cette conversation était pénible pour nous deux. « L’Empereur Noir semble vous apprécier. Il a tenu à nous faire part du vœu que vous soyez nommé Ashiril. » Elle émit une sorte de rire. « Comme quoi, ma fille n’est pas la seule à… » Le reste de sa phrase me parut presque sans importance. La simple mention de Mirabelle venait de créer un malaise sourd en moi. Mirabelle avait-elle parlé à Cyrius ? Cyrius avait-il discuté avec Mirabelle ? Je ne savais que croire. Je voyais mal le blond désirer que je fusse Ashiril. Et pourtant… « Vous semblez perturbé. » J’amenai ma main à mon front. Je me sentais dépassé. J’avais envie de pleurer, pris entre une colère qui ne voulait pas s’apaiser et l’incompréhension. « Vous n’êtes bien sûr pas obligé d’accepter maintenant. Néanmoins, nous sommes tous tombés d’accord sur le fait qu’il serait préférable que l’Ashiril plût un minimum à l’Empereur Noir. » Elle se tut une seconde. « Vous avez tout de même réussi l’exploit de le faire se déplacer, avec trois Sorciers, pour rechercher une Chancelière d’Ivoire. » « Ils n’étaient pas en Enfer uniquement pour cela. » « Certes mais Lhéasse Taiji est actuellement dans le coma. » Elle se mura de nouveau derrière sa barricade. Je pensai que parler de faits devait l'empêcher de laisser ses émotions prendre le pas sur sa raison. « Il s’en remettra. Nous l’avons confié aux soins de médecins compétents. Ce ne sera cependant pas le cas pour Gwendolène Salvatore. L’Empereur Noir a dû négocier pour sortir de l’Enfer… » « Elle est restée là-bas ? » « Il n’a pas précisé dans quel état mais oui, vraisemblablement. » « Et Cyrius ? » « Il m’a interdit de vous parler de son état. » « Quoi ? » « Il a simplement mentionné qu’il vous invitait sur Lagherta comme premier violon de son orchestre et que vous n’aviez pas intérêt à décliner. » Je sentis mon cœur tambouriner dans ma poitrine. J’allais le… « J’accepte. » « Vous le lui direz. » « Non. J’accepte d’être Ashiril. » « Bien. » « Et je veux voir votre fille au Temple de Lyre dès que je pourrai m’y rendre. » « Pardon ? » « J’ai mes raisons. » articulai-je fermement. Elle soupira mais acquiesça. « Une dernière chose... Ârès s'est échappé de la prison du Cœur-Bleu. » « Il... quoi ? » Un problème de plus ou de moins, quelle importance ? J'allais finir par devenir fou.

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Fin