Aramis ignorait ce qui lui était passé par la tête. Alors que ses semelles s'enfonçaient dans le sable, en quête désespérée de stabilité sur une surface versatile, l'Elfe s'interrogeait sur les motivations qui l'avaient poussé à accepter la proposition d'Oriphiel. L'avait-il fait par fierté? Par mauvaise foi? Ou bien par curiosité sincère envers un sport qu'il n'avait jamais pratiqué? Si la réponse lui avait paru claire quelques instants plus tôt, ce n'était plus le cas désormais, comme si les événements antérieurs n'avaient été que le fruit d'un rêve. Pourtant, ce n'était pas dans ses habitudes d'agir de manière irrationnelle ou, tout du moins, sans objectif précis en tête. L'Archonte ne l'avait jamais contraint à participer à un entraînement de Havā dā Ōcara : c'était lui qui s'était obligé à le faire. Il aurait pu refuser l'offre de son compagnon de voyage et aller dans une station de massage, comme il l'avait initialement souhaité. Mais non. Pour une raison ou une autre, ses pas l'avaient plutôt guidé en direction d'un terrain sablonneux, là où se déroulait la fameuse activité sportive. Heureusement pour lui, l'Ygdraë avait refusé de s'inscrire au Tournoi qui battait son plein à proximité, et ce, malgré l'insistance déplaisante de l'homme aux cheveux gris. Néanmoins, en constatant l'enthousiasme de ses partenaires de jeu avant l'envoi du premier service, il réalisait subitement que sa session d'entraînement ne serait pas de tout repos, d'autant plus qu'il ne prenait même pas en compte le facteur lié à la chaleur accablante du Désert. Combien de temps espérait-il survivre dans de telles conditions? Il n'avait aucun chiffre exact à donner, mais il se doutait bien que ce dernier devait correspondre à « très peu » en faisant preuve d'optimisme. Dans le meilleur des mondes, il arriverait à tenir le coup suffisamment longtemps pour compléter une première manche, voire deux s'il répartissait correctement ses énergies entre les parties. Seulement, il ne croyait pas en ses chances d'y parvenir, notamment parce qu'il affrontait des joueurs expérimentés, mais aussi parce qu'il s'épuisait relativement vite en demeurant trop actif. En toute honnêteté, il serait reconnaissant envers les Dieux s'il parvenait à rester conscient jusqu'à la fin de son entraînement. Avec un peu de chance, ses trois coéquipiers se rappelleraient d'ajuster le niveau de difficulté du jeu pour accommoder les besoins du débutant qu'il était. Après tout, ils avaient tous les trois été engagés pour assurer sa sécurité tout au long de son séjour à Utopia : il s'agissait d'une mesure de précaution qu'Aerin Elfinleth, sa supérieure, l'avait obligé à prendre en échange de sa permission de vacances.
Même s'il apprenait toujours les ficelles de son métier, il n'en restait pas moins un ambassadeur officiel de sa nation. Il devait constamment prendre garde à ne jamais se déplacer sans escorte, au cas où il rencontrerait des individus aux intentions malveillantes. Depuis que le gouvernement humain avait remis de l'ordre dans la Cité, notamment en renforçant la présence militaire et les contrôles routiers, Utopia était sans conteste devenue plus sécuritaire pour les voyageurs et habitants confondus. Cependant, en dépit des améliorations qui avaient été apportées dans l'administration de la ville, la Dignitaire d'Iyora n'avait souhaité prendre aucun risque, misant sur la prudence au détriment de l'insouciance. Si elle ne remettait pas en doute la compétence des autorités humaines, elle devait néanmoins restée parer à toutes sortes d'éventualités. C'est pourquoi elle avait sollicité les services de gardes du corps pour veiller en tout temps à la sûreté de son collègue jusqu'à la fin de ses vacances. Elle avait non seulement engagé trois Enök qu'elle avait fait venir de Melohorë, mais également deux Soldats humains qu'elle avait généreusement payés après avoir passé un accord avec l'Āramī nin Hashri – l'Armée des Humains. Le Cyraliel jouait donc au Havā dā Ōcara avec les membres de son escorte, à l'exception de deux militaires elfes qui avaient préféré profiter d'une session de massage en toute intimité, d'après ce que l'autre Ygdraë lui avait révélé. Malgré le mécontentement qu'il avait ressenti à l'égard de cette information, l'Ildra n'avait pourtant pas émis le moindre commentaire, jugeant qu'il serait préférable de ne pas le faire. Au lieu de quoi, il avait plutôt fait valoir qu'en leur absence, il serait possible de former deux équipes sans effectuer de rotation. Devant l'évidence, les trois Soldats restants lui avaient entièrement donné raison, amorçant dès lors la formation des équipes. L'un d'entre eux, un Enfant de Sympan dénommé Khalid, l'avait invité à se joindre à lui, sans conteste pour voir de quoi était capable un Elfe. N'ayant trouvé aucun motif valable pour le priver de cette opportunité, Aramis avait accepté sa requête sans toutefois oublier de lui préciser qu'il n'était qu'un débutant. Après avoir ri sur un ton amusé, l'Humain lui avait assuré qu'il n'avait aucune raison de s'inquiéter, qu'il était toujours plus facile d'apprendre un nouveau sport en le jouant plutôt que d'en retenir toutes les règles. Il lui avait tout de même enseigné les bases du jeu en insistant tout particulièrement sur les postures, les façons de marquer des points et les principales fautes de jeu. Lorsqu'il se fut assuré que son coéquipier avait bien compris ses explications, le jeune homme l'avait guidé jusqu'au terrain d'entraînement, lui indiquant sa position avant de prendre la sienne.
Alors que ses trois partenaires de jeu établissaient la méthode pour désigner l'équipe qui débuterait le service, le sylvestre sonda ses environs du regard afin de retrouver l'Archonte qui s'était dérobé à sa vigilance. Au terme d'une recherche qui dura à peine quelques secondes, il finit par le repérer à l'extérieur du terrain de jeu, tout près des lignes qui en démarquaient le périmètre. L'homme avait les yeux ancrés sur lui, l'observant attentivement comme s'il n'était qu'un cobaye utilisé dans une expérience. Ravalant le grognement qui pendait sur le bord de ses lèvres, l'Ygdraë reporta son attention sur la zone de jeu. En voyant Khalid en possession du ballon, il comprit d'emblée que son équipier avait remporté le droit d'amorcer la mise en jeu. « Prêt? », lui demanda-t-il en souriant. Il attendit d'obtenir son aval avant d'effectuer son service.
À bout de souffle, Aramis se laissa glisser dans le sable. Haletant bruyamment, il se passa une main sur le front, essuyant les gouttelettes de sueurs qui lui tombaient dans les yeux. Sans baisser les doigts qu'il avait levés dans les airs, l'Elfe s'en servit comme visière afin de se protéger contre les rayons solaires qui irradiaient à pleine intensité. S'introduisant sur le terrain de jeu, Oriphiel s'était rapproché de lui afin de le scruter gravement, à la manière d'un scientifique qui essayait de comprendre pourquoi son expérience n'avait pas fonctionné. Penchant la tête au-dessus de la sienne, l'Archonte projeta son ombre sur ses traits. « Tu manques d'exercice. », lui annonça-t-il sur un ton presque accusateur. Sans souffler un mot, le sylvestre le foudroya du regard. Si sa bouche n'avait pas été aussi sèche, incapacitant ainsi ses facultés vocales, il l'aurait sans conteste assiégé d'insultes et d'injures pour se défouler. Sur l'instant, le fait qu'il fût le seul à pouvoir interagir avec l'homme ne lui traversa même pas l'esprit, tant sa colère était virulente. Pour autant, au bout de quelques minutes, l'Ygdraë parvint à reprendre le contrôle sur lui-même, prenant une grande inspiration pour calmer l'ouragan causé par son ire disproportionnée. Tout est de votre faute, Oriphiel., songea-t-il en braquant l'azur de ses yeux dans l'or des siens. Seulement, son compagnon d'infortune ne se laissa pas intimider par l'amertume contenue dans ses pensées. À l'inverse, un sourire fleurit sur la commissure de ses lèvres, moqueur, enjoué, insolent. « Moi? », posa le concerné sur une intonation faussement vexée. « C'est toi qui a décidé d'apprendre à jouer au Havā dā Ōcara. » Sur la recommandation de qui? L'Archonte haussa des épaules. « Je t'ai seulement fait part d'une suggestion. Tu avais le choix de refuser. » Alors qu'il s'apprêtait à s'objecter contre les propos de son interlocuteur, une main se posa subitement sur son épaule.
Pivotant la tête en direction du nouvel arrivant, Aramis croisa le regard céruléen de son partenaire d'entraînement – Khalid. Ce dernier tenait un verre d'eau entre les mains : à sa vue, la gorge du sylvestre se resserra. Il avait terriblement soif. « Est-ce que vous allez bien? », s'enquit Khalid en lui tendant le gobelet d'eau. Sans attendre sa permission, l'Elfe s'empara du verre qu'il but goulûment. Assoiffé, il s'assura d'en vider le contenu avant de prendre la parole. « Hāṁ, mukrën. », croassa-t-il en déposant le récipient par terre. Son Alikir était un peu rouillé, d'autant plus qu'en absence de Magie, il ne pouvait utiliser les Savoirs Ancestraux pour combler ses lacunes en matière de prononciation. Néanmoins, il avait mémorisé les principales formules de politesse qui prévalaient dans la langue des Humains, d'où la spontanéité avec laquelle il prononça ces mots. L'Enfant de Sympan parut satisfait de ses connaissances linguistiques, acquiesçant vaguement de la tête en signe d'approbation. « Vous devriez faire attention. Avec la chaleur qui règne ici, le risque de déshydratation n'est pas à prendre à la légère. » Il s'interrompit brièvement en se pinçant les lèvres. « Êtes-vous en mesure de vous lever? », reprit-il doucement. « Je crois, oui. », affirma-t-il en ponctuant sa déclaration d'un signe de tête. « Dans ce cas, vous devriez vous relever. Le sable ne vous aidera pas à vous rafraîchir. » Reculant d'un pas afin de lui laisser un peu d'espace, le militaire attendit qu'il se redresse avant de poursuivre son discours. « Voulez-vous reprendre l'entraînement? » Le Cyraliel refoula un rire sarcastique. « Non merci. J'ai eu ma dose de sport pour aujourd'hui. » À proximité, Oriphiel leva les yeux au ciel. Pour autant, il garda le silence, observant plutôt l'échange qui se déroulait entre les deux hommes d'un œil inquisiteur. Une ombre de déception flotta brièvement au-dessus du visage de Khalid, mais ce dernier reprit vivement contenance, affichant un sourire radieux. « Nous formions une bonne équipe, pourtant. » - « Vous le pensez vraiment? » - « Bien sûr. » - « Ta performance laissait à désirer. », lui chuchota l'Archonte à l'oreille. Taisez-vous., songea-t-il, ce qui provoqua le rire de son compagnon de voyage. Puis, il eut un silence qui se prolongea pendant plusieurs secondes, avant que l'Humain ne le brise subitement en posant une question qui lui chatouillait depuis trop longtemps les lèvres. « Si ce n'est pas trop indiscret de ma part, qu'est-il arrivé à votre visage? » L'Elfe se figea instantanément.
À peine quelques secondes après avoir prononcé ses mots, l’Enfant de Sympan détourna brusquement le regard. La question était partie toute seule, ses lèvres ne pouvant résister à l’appel de sa propre curiosité, mais en y réfléchissant bien, il réalisait que ses propos étaient indiscrets, d’où les regrets qu’il éprouvait à présent. Il n’aurait jamais dû interroger l’ambassadeur sur un sujet qui était sans conteste personnel. Lentement, Aramis glissa une œillade en direction de Khalid. Ses traits semblaient s’être figés dans de la pierre, bloqués dans une expression aussi glaciale qu’une banquise, tandis que son corps, plus tendu qu’une flèche, se dressait sans bouger. Sa posture n’était pas sans rappeler celle d’un vigile en service. Pourtant, malgré le sang-froid qu’il essayait de conserver, ses yeux, eux, brisaient l’illusion de son détachement. Crépitant comme des éclairs, ses prunelles s’étaient métamorphosées en puits de noirceur, suffocant la bienveillance au profit de la défiance. Retenant son souffle, le Soldat n’osait plus parler. Même Oriphiel se taisait, observant son compagnon de route d'un air intéressé, visiblement curieux de voir sa réaction. Inspirant profondément, le sylvestre effleura sa cicatrice du bout des doigts. « Rien qui vous regarde. », répondit-il avec froideur sans abaisser sa main. Si son ton avait froissé son interlocuteur, ce dernier n’en laissa rien paraître, hochant simplement de la tête en signe de compréhension. « J-je comprends tout à fait, Sire Borghild. », bredouilla-t-il en s’entortillant nerveusement les doigts. À ses côtés, l’Archonte semblait hésiter à rire ou à émettre un commentaire. Heureusement pour l’Ygdraë, il n’eut jamais à se prononcer sur une décision, l’Enfant de Sympan reprenant presque aussitôt la parole. « Veuillez m’excuser. C’était indiscret de ma part. » Afin de prouver sa sincérité, il s’inclina courtoisement devant lui. Pour autant, l’Elfe ne réagit immédiatement à ses propos. Éloignant lentement sa main de sa joue calcinée, il laissa ses iris courir sur les joueurs d’Havā dā Ōcara aux alentours, sans conteste pour permettre à la tempête qui grondait en leur sein de s’apaiser légèrement. Puis, il reporta son attention vers Khalid, dont le faciès s’était fendu d’un sourire anxieux. Si son objectif avait été de détendre l’atmosphère, alors sa manœuvre avait lamentablement échoué. Près de son oreille, le sylvestre crut entendre un rire en provenance d’Oriphiel. De toute évidence, cette situation l’amusait – sans doute un peu trop. Ce constat agaça l’Ildra, mais au lieu de s’en offusquer, ce dernier décida plutôt de l’ignorer, non seulement parce qu’il n’était pas d’humeur à répondre à ses provocations, mais également parce qu’il était le seul à pouvoir l’entendre et le voir.
Conservant le silence pendant quelques secondes supplémentaires, l’Ygdraë s’autorisa enfin de parler. « J'accepte vos excuses. », murmura-t-il faiblement. « Je suppose que j’aurais dû m’y attendre. Je vous pardonne pour cette fois, mais que cela ne se reproduise plus. » L’Humain ne dit rien, mais le soupir qui s’enfuit prestement de ses lèvres trahit le soulagement qu’il ressentait. Contre toute attente, le Borghild esquissa un sourire. « Vous savez quoi? Je pense avoir récupéré suffisamment d'énergie pour commencer une nouvelle partie. Est-ce que votre offre tient toujours? », lui demanda-t-il pour changer de sujet. Retrouvant subitement sa bonne humeur, le Soldat acquiesça en hochant de la tête.
![[Q] - Une épreuve sous le soleil Henry-11](https://servimg.com/r/1916180476/henry-11.jpg)
