Ma tante, Veronika Paiberym, me portait en horreur. À ses yeux, je n’étais qu’un insecte à écraser au plus vite. Elle ne pouvait cependant pas se permettre de m’assassiner elle-même. Si cela venait à se savoir, elle risquait gros. J’étais le chef de famille. Pourtant, mon statut de Magicien heurtait sa conception de mes fonctions familiales. Comment pouvais-je contribuer à la gloire des Paiberym si je n’étais pas un Sorcier ? Elle se fichait bien de mes titres et de ma proximité avec la royauté magicienne. J’aurais pu devenir Empereur Blanc qu’elle n’aurait toujours eu aucune considération pour moi. Je n’étais pas du bon côté et ce simple fait justifiait à ses yeux les mesures drastiques qu’elle s’apprêtait à prendre. Puisque je refusais d’aller contre la tradition familiale et de me retirer au profit de l’un de mes frères, elle avait décidé de m’y forcer. Veronika avait beaucoup de défauts mais elle n’était pas dupe concernant la puissance que je possédais. Elle ne pouvait clairement pas se contenter de m’empoisonner. Elle n’était pas certaine d’y arriver et, en plus de cela, elle avait peur de ce que je pourrais lui faire. Ignorante sur les us et coutumes Magiciens pour refuser catégoriquement de s’y intéresser, elle redoutait beaucoup de choses. En cela, elle m’avait appris dès mon plus jeune âge qu’il n’y avait rien de pire qu’une personne inculte. La peur pouvait alors s’insinuer partout, une peur préjudiciable qui rendait souvent aveugles et haineux ceux qui la ressentaient. Ainsi, l’histoire que je m’apprête à raconter est celle de la fin de ma tante, assassinée par sa propre stupidité. Tout commença par un après-midi pluvieux.

« Êtes-vous sûre, ma chère ? » « Tout à fait. » La Sorcière prit sa tasse de thé entre ses doigts étrangement pâles. Elle ne voyait que très peu le soleil. « Je vous comprends, vous savez, Veronika. Je détesterais avoir l’un de ces Magiciens à la tête de ma famille. Quelle honte… » La blonde n’était pas idiote et sentait bien la moquerie dans le ton de sa semblable. C’était une des raisons qui la poussait à agir. Elle ne pouvait plus permettre à une telle chose d’exister. Khaal et Kaalh seraient bien plus aptes à prendre la suite de Kaahl. Un Mage Blanc, chef d’une famille de Mages Noirs, il n’y avait pas pire configuration. Heureusement qu’il n’était pas marié et qu’il n’avait pas encore d’enfants. Et si ces derniers étaient, eux-aussi, malades ? Pour la femme, il ne faisait aucun doute que le bien était une sorte de maladie de l’âme, quelque chose qui était venu pourrir son esprit. Pourtant, Kaahl était prometteur dans sa jeunesse. Tout était la faute de la femme de Zachary, cette blonde qui avait trahi la cause sorcière dès qu’elle avait vu son ventre s’arrondir. Elle ignorait ce que l’ancien Chancelier des Ténèbres avait fait de sa femme mais elle espérait qu’il l’avait torturée durant des heures avant de la laisser moisir au fond d’un puits. « C’est pourquoi je dois l’écarter. Je contacterai donc cet homme que vous dîtes un chasseur d’exception. Tuer une ou deux de ses précieuses amies devrait suffire à ramener Kaahl à la raison ou à le faire céder. » « Il en va de la réputation de votre famille, en effet. » Quelle chienne, pensa Veronika. « C’est vrai qu’il est bien dommage que le titre de Marquis soit en la possession d’un Magicien. J’ose espérer que la perte pourrait noircir son cœur de nouveau. Dîtes-moi, quel est le titre le plus haut en la possession de votre famille, déjà ? » La Sorcière but une gorgée, ses yeux ne trompant personne. Son interlocutrice avait souhaité jouer à la plus fine mais il ne fallait pas oublier non plus que son frère était un ancien Archimage Noir et que les siens possédaient des titres qui allaient en conséquence. Les frères de Kaahl, en plus de cela, étaient prometteurs, sans parler de ce Gideon qui avait été promis à la reine des Magiciens en geste diplomatique.

Une fois que Veronika eut fini de remettre à sa place cette gueuse, elle prit la décision d’écrire à l’homme que celle-là même lui avait désigné. Elle y mit les formes, tout en expliquant la situation. La Sorcière promettait une somme d’argent pour l’assassinat d’au-moins une amie de son neveu, des Magiciennes, sans doute bien trop naïves pour résister. Elle souhaitait que cela soit fait en toute discrétion et elle s’occuperait ensuite de la partie qui concernait le Magicien, autrement dit, moi.

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Chopin - Océan
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Les notes du piano me tirèrent du sommeil. Inutile de chercher bien longtemps qui jouait. Aucun des membres de ma famille n’avait développé de talent pour cet instrument, sauf un. Ma mâchoire se serra. Je fermai les yeux. Il était particulièrement difficile pour moi de le reconnaître mais Kaahl avait développé un certain savoir-faire avec le temps. Il jouait depuis l’enfance. Je me redressai et réajustai les oreillers afin d’être dans une position se prêtant davantage à mon éveil. Le jeu grave devait avoir dérangé chaque personne se trouvant ici. Quelle heure était-il ? Depuis quand était-il là ? Le fait qu’il n’en fasse qu’à sa tête me déplaisait, contrairement à l’air qui résonnait contre chaque mur. Je finis par me lever, attrapant ma robe de chambre. J’entourai ma silhouette avec et la fixait avec soin pour que nulle partie de ma peau ne puisse être révélée ultérieurement. La mode sorcière était stricte et je m’y plaisais. Je descendis dans le salon et le trouvai là. Son visage n’était éclairé que par la lueur d’une bougie qu’il avait posé sur la queue de l’instrument. Je me perdis un instant sur sa silhouette, maudissant les Ætheri d’avoir fait de cet homme un Magicien. Avec le temps, ses traits avaient muri et il ne ressemblait plus ni à son père, ni à sa mère. Concentré, une douce torture flottait sur son visage. Il vivait la musique, un moment qui fut troublé lorsqu’il me remarqua enfin. Il s’arrêta et fixa ses yeux sur moi. Il sourit, un sourire en coin qui annonçait déjà une couleur déplaisante. « Je ne pensais pas que vous aviez le sommeil si léger. » me fit-il. Sincèrement, pour qui me prenait-il ? Il s’ennuyait et avait décidé de jouer, en toute connaissance de cause. S’il n’était pas si bon, j’aurais pu saluer la performance, celle du neveu égoïste n’ayant que faire de sortir du lit toute la maisonnée. Il était particulièrement irritant et il le savait. Il faisait exprès, pour me faire sortir de mes gonds. Pourtant, curieusement, il n’attendit pas ma réponse. « Vous vous souvenez, lorsque j’étais enfant. C’est vous qui m’avez appris à en jouer. » C’était vrai. Si j’avais su que cela servirait l’art des Magiciens, je me serais abstenue. Si j’avais su qu’il deviendrait meilleur que moi, sans doute lui aurais-je fait couper un ou deux doigts. « Je m’en souviens oui. Tu étais un élève attentif. J’aurais dû me douter, à cette époque, que tu étais bien trop calme et obéissant pour faire un bon Sorcier. » Il ne sembla pas relever et, au lieu de faire le moindre commentaire désobligeant, se décala légèrement sur son siège. « C’est dommage que vous ayez dû arrêter votre carrière. » me dit-il en me faisant signe de venir m’asseoir à côté de lui. Je restai interdite un temps avant d’obtempérer. « Jouez avec moi. » souffla-t-il. Je le regardai puis posai mes doigts sur l’instrument. Pourquoi était-il un Magicien ? Un agaçant, irritant, incapable de Magicien. Pourquoi devait-il ternir ainsi l’honneur de notre famille, en en ayant la direction, en réussissant à me mettre dans des positions délicates ? J’aimais jouer en sa compagnie, parce qu’il était le seul à avoir développer cette passion que nous avions en commun. Pourtant, je ne pouvais pas laisser celle-ci nous rapprocher d’une quelconque manière. La direction de la famille devait revenir à un Sorcier. Il devait céder. Je le lui avais déjà demandé calmement et il n’avait pas écouté. À présent, il ne restait plus que deux possibilités : soit son cœur se noircissait de nouveau, soit il lâcherait ce qu’il possédait par la force.

Lorsque je revins dans ma chambre, je sortis du tiroir la missive que j’avais reçu quelques jours plus tôt. Savait-il ? Ce qui expliquerait cette volonté de rapprochement ? Non. Impossible. J’hésitais encore à me rendre à la Tanière des Enchanteurs. Je n’avais aucun moyen d’être sûre qu’il ne s’agisse pas d’un piège. Pourtant, je devais faire le nécessaire. Certains Paiberym avaient tendance à devenir bons avec le temps et laisser ce sale Magicien à la tête de ma famille était comme envoyer un message positif à tous ceux qui seraient tentés. C’était impensable. Mon frère s’était hissé haut dans la hiérarchie sorcière. Je devais sauvegarder notre honneur, coûte que coûte.

Le jour du rendez-vous venu, je me rendis au lieu indiqué, vêtue d’une robe noire. Son col remontait jusqu’à ma mâchoire. La tenue était stricte et sévère et me donnait une certaine assurance. Lorsque j’étais adolescente et jeune adulte, j’avais connu des périodes où mes cheveux étaient relâchés, non noués en un chignon austère. Ces périodes, je préférais les oublier. Il m’arrivait encore de rire mais jamais avec ce rire là, celui de l’insouciance et de la joie véritable. J’étais sans doute devenue aigrie. Mon regard parcourut la foule à la recherche d’un symbole semblable à celui du sceau de la lettre que je finis par trouver. Je m’approchai de la jeune femme et m’assit à sa table après un bref mouvement de tête en signe de salut. « Je suis Veronika. » dis-je, sans mentionner mon nom. Je préférais être prudente. « Vous avez parlé de manipulation dans votre lettre afin d’amener notre ami commun à exécuter ce que nous souhaitons. Pouvez-vous m’expliquer ? » J’avais amené un dossier avec moi, sur la cible à assassiner. Il y avait quelques informations à son sujet mais rien de bien précis. Je l’avais fait légèrement surveillée. Ce n’était pas évident, en territoire Magicien.

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« Bien. » soufflai-je. J’avais croisé mes doigts sur les documents que j’avais apportés avec moi, comme pour les protéger. Avec des manières qui ne laissaient aucun doute possible quant à mon lignage, je déplaçai mes mains et ouvris le dossier. Je relevai pourtant la tête vers la jeune femme, avant de parcourir mes notes, simplement pour préciser quelque chose. « Je n’ai, pour le moment, aucun objet lui appartenant. Je m’en procurerai un à l’avenir. Ça pourrait me prendre du temps puisque me rendre sur le territoire des Magiciens n’est pas une chose aisée. Le faire et approcher cette fille le sera d’autant moins. » Si je pensais à envoyer quelques esclaves ou domestiques, rencontrer celle que je m’apprêtais à faire tuer serait sans aucun doute agréable. Peut-être ferais-je le déplacement moi-même, dès que j’en aurais l’occasion. « Puisqu’il est évident que nous ne désirons pas que cela s’ébruite, je déposerai l’objet à la banque, dans un coffre prévu à cet effet, en précisant que quelqu’un viendra le chercher. » Je me tus et réfléchis. « Vous vous présenterez donc à la banque Mérélice et prononcerez les mots suivants : Leur vie ne tient qu’à un fil et, si je le coupe, le monde sombrera dans le chaos*. Un employé se chargera de vous guider jusqu’à l’objet convoité. Je l’aurai emballé au préalable, bien entendu. » J’inspirai et murmurai : « Si cela vous convient. » J’espérai qu’elle ne m’opposerait aucune résistance. C’était un moyen sûr d’échanger sans qu’aucune de nous n’eût à se dévoiler davantage.

Je baissai de nouveau les yeux sur le dossier et fit glisser une représentation de la jeune femme entre les mains de mon interlocutrice. Je n’avais d’autres choix que celui de lui faire confiance. C’était détestable mais, si elle y réussissait, elle me vengerait du refus de ce Nostradamus en le convaincant de tuer la Magicienne. Malgré la contrainte qui pesait sur mes épaules, je trouvais la situation distrayante. Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas comploté contre autrui. La réussite de notre opération ferait d’une pierre deux coups. L’idée de la perte d’une Mage Blanche m’était agréable et j’espérais que le chagrin pousserait Kaahl à revenir sur le chemin de sa naissance : celui du mal. Il ressentirait la haine, la rage et l’impuissance. Il réfléchirait, hanté par ses propres sentiments. Peut-être que cela suffirait. Je ne désirais pas tuer un membre de ma propre famille mais s’il ne changeait pas, je n’aurais plus le droit d’hésiter. « Elle s’appelle Adélie Vaughan. » La jeune femme en question était brune. Ses cheveux ondulaient sur son dos et ses yeux étaient bleus. Elle mesurait environ un mètre cinquante-cinq. Son poids était légèrement en dessous de la moyenne. Sa silhouette était fine et élégante. Elle possédait un charme discret et naturel. Son sourire était rayonnant. « Elle s’est mariée il y a peu à un Magicien qui travaille comme Gardien des Pontons. Elle est institutrice et peint sur son temps libre. Kaahl l’a rencontrée par la force des choses puisqu’il a été son professeur. Leur relation est, semble-t-il, proche, sans ambiguïté. Mon neveu, de toute façon, ne semble pas s’intéresser à une autre femme que l’Impératrice Blanche. Néanmoins, la tendresse qu’il lui porte se remarque vite. Ils ne se sont jamais côtoyés en dehors des cours lorsqu’il lui enseignait mais lorsqu’elle a obtenu son diplôme, ils ont commencé à le faire, de plus en plus. D’après ce que je sais, c’est par le biais de la musique qu’ils se sont vus au début, même si elle n’est que spectatrice. » Mes yeux parcoururent les notes de nouveau. « Ils mangent souvent ensemble. Ils cuisinent également. Ils vont aussi apporter leur aide à différentes associations. » Je relevai le regard. « Elle n’a pas de rôle particulier dans la hiérarchie magicienne mais elle a une magie curative étendue. Son père est médecin et elle a appris avec lui. Elle intervient parfois à ses côtés. Comme son mariage est récent, elle va sans doute déménager et chercher à avoir un enfant. J'imagine qu'elle verra un peu moins mon neveu. » C’était tout ce que j’avais pu déceler. C’était déjà beaucoup, même si je ne connaissais pas son emploi du temps. Elle ne semblait pas avoir d’habitudes préétablies en dehors du travail. « Vous avez tout ce que je vous ai dit dans le dossier. J’espère qu’il vous sera utile. »

Après quelques échanges de plus, je me levai, afin de prendre congé. Notre entreprise ne se mettrait sans doute pas en place tout de suite mais tuer quelqu’un n’était pas si aisé.

Pour l'objet ce sera une barrette à cheveux. Je te laisse mettre en place l'assassinat d'Adélie comme tu veux. Tu peux la jouer et inventer tout ce que tu veux autour de ce que je t'ai mentionné. Elle ressemble à l'image du chapeau. On verra pour Veronika ensuite  

* Sinbad : la légende des sept mers