Le menton négligemment appuyé au creux de sa paume, la jeune femme observait d'un air distrait les pages de son manuel. Passer l'examen d'Amestris ne se faisait pas en claquant des doigts, et, sur les conseils de Darius, elle tâchait de suivre un programme d'études. En l'occurrence, elle s'intéressait à un traité sur les poisons particulièrement savoureux. Découvrir les effets qu'une gouttelette provoquait chez celui qui avait le malheur de l'ingérer la réjouissait, et l'idée qu'une plante puisse aussi bien servir de décontractant que de liquide mortel l'enflammait. La motivation ne lui manquait pas : l'impatience qui tiraillait ses neurones était d'une toute autre nature. Plus tôt dans la journée, elle avait été l'heureux témoin d'un événement inhabituel, et elle brûlait de raconter à sa voisine toute l'affaire. Durant de longues minutes, elle se plaisait à imaginer des théories invraisemblables. Pour ses sombres méninges, ce qu'elle avait aperçu en revenant du marché se révélait un terrain fertile, et elle avait hâte de débattre de la chose. De son bureau, elle voyait Adénosyne s'affairer derrière la fenêtre. Son torchon s'abattait joyeusement sur les meubles pour en chasser la poussière. Il s'agissait à ses yeux du seul avantage que présentait Sven ; grâce à lui, elle n'avait pas besoin de s'encombrer d'une tâche si triviale. C'était d'ailleurs la punition que lui avait réservé le vieillard, quelques années auparavant, lorsqu'elle avait raté un entraînement. À cette occasion, elle avait pu constater que le ménage lui faisait perdre patience en un rien de temps, et depuis, elle n’avait plus tenté de se dérober.

Prise d’une inspiration soudaine, la brune se leva et se précipita vers l’entrée. Bavarder avec la bâtarde devenait une habitude qu’elle appréciait sincèrement, et elle n’avait pas envie d’attendre que la nuit se couche. Sans se soucier de savoir si les Thymus se trouvaient chez eux, elle frappa à la porte. Son amie vint lui ouvrir. « J’ai quelque chose à te raconter. » Les sourcils froncés, Adénosyne lui désigna son balai. « J’ai du travail, Isahya. Ça ne peut pas attendre ? » « J’en ai pour une minute. » « Dépêche-toi, alors. » La silhouette de l’hôte s’effaça pour laisser entrer son invitée : il ne fallait pas que des bouches trop bavardes ait l’opportunité de les dénoncer. « Il y a eu une arrestation dans le quartier, ce matin. » De stupeur, elle manqua lâcher son outil. « Quoi ? » Satisfaite de son petit effet, la jeune femme fit quelques pas dans l’entrée, sans égard pour le sol qui venait d’être impeccablement nettoyé. « Tu te souviens, le fils des Peregrine ? Celui qui vient d’avoir quinze ans ? » « Celui qui collectionne les oiseaux morts ? » La jeune femme acquiesça. Il s’agissait d’un drôle de loisir, et il n’y avait que lui pour s’y adonner. « Figure-toi que des soldats sont venus le chercher. Il était couvert de marques noires. » Dans l’attente que sa déclaration fasse sensation, elle joignit l’extrémité de ses doigts en un mouvement ravi. « Oh ! »

Soudainement plus intéressée par la nouvelle que par ses tâches quotidiennes, Adénosyne délaissa son balai. Pensive, elle se frotta la joue. « Si ça se trouve, c’est un Enfant d’Ethelba ? » La Sorcière se maudit de ne pas y avoir pensé. Qu’il soit béni par la Très Grande aurait dû être sa première idée. « Possible. Il est quand même sacrément fourbe. » « C’est vrai qu’il est plutôt doué avec la magie. » Son interlocutrice eut un rire nerveux. « Meilleur que nous, c’est sûr. En plus, il étudie à Asresh, et j’ai entendu Lucius dire que c’était un génie. » Elle haussa les épaules devant son explication. « C’est sûrement juste parce qu’il a maudit Olympe. Après tout, c’est à cause de lui qu'elle doit porter une perruque. » À l’époque, la découverte de la malédiction, véritable crise dans le quartier, les avait fait rire pendant des semaines, et éviter le Sorcier par crainte qu’il ne leur réserve le même sort. Une évidence vint à l’esprit d’Isahya. « Non, ça ne tient pas la route. Il n’aurait pas pu cacher les signes depuis sa naissance. » « Peut-être que ses parents l’ont fait. » « Ou alors, il a juste attrapé la Narcirra. » À présent, la cause de son arrestation lui paraissait limpide. Sans doute ses parents avaient-ils dénoncé leur fils, mus par le sinistre augure qu’était la maladie. « Ne parle pas de malheur. » « C’est plus probable. Tu sais, il s’honore plus qu’il n’honore Ethelba. Je trouve qu'il mérite son sort. » Ayant trouvé une logique à l’histoire, elle haussa les épaules et laissa la bâtarde à ses travaux. Elle regrettait seulement de ne pas avoir remarqué plus tôt qu’elle vivait à deux maisons d’un infidèle : peut-être aurait-elle pu éveiller en lui un soupçon de foi.

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