La jeune femme prétexta la nécessité de se fournir une nouvelle médication plus efficace pour apaiser les maux de sa patiente afin de quitter le désert sans éveiller les soupçons au sein du village qui l’hébergeait actuellement. Le Chaman resta sur place, non sans grommeler son mécontentement. Il avait cherché par tous les moyens de faire fléchir l’Ombre pour qu’elle renonçât à ses plans. En vain. La demoiselle était têtue et le Chaman l’avait un brin trop provoqué pour ne pas en subir les répercutions. Il était convaincu que sa décision avait pour but premier la vengeance. Ce que l’Ombre ne démentit pas. Sa fierté l’amenait toujours à faire des choix dont elle finirait certainement par ne plus assumer les conséquences. De toute façon, faute de plan réalisable pour enlever l’enfant à sa mère, elle n’avait guère d’autre choix qui de se plonger plus profondément dans les ennuis. Le seul plan envisagé lors d’une séance intense de réflexion entre l’Ombre et le Chaman s’était avéré extrêmement risqué et le temps un ennemi bien trop indomptable pour tenter de le mettre en place. Le plan reposait sur la capacité de la jeune femme à ramener un être à la vie pour faire passer l’enfant pour mort le temps de fuir le village. En théorie, il était d’une grande simplicité. Dans les faits, sa réussite tenait sur une suite sans faille d’éléments bien trop imprévisibles. Pour l’accomplir, il aurait fallu que l’Ombre parvînt à provoquer la mort du nourrisson sans se faire remarquer. Avec sa nature humaine, cet acte devenait moins anodin qu’à l’accoutumée. Après, elle aurait dû emporter le corps de l’enfant loin du désert, loin des villages humains pour redevenir Ombre et user de son pouvoir. Le tout dans un délai si court qu’il n’acceptait pas le moindre obstacle. Trop de risque. Trop peu de maîtrise sur l’imprévisible. Il lui fallait un plan solide qui permettait quelques accrocs et qui ne l’obligeait pas à reprendre sa forme d’Ombre dans des délais courts.

Le Ma’Ahid des humains limitait grandement les possibilités, d’autant plus que l’Ombre n’avait pas l’habitude de vivre sans magie et d’élaborer des stratégies sans y faire appel. Il lui faudrait donc composer une tactique capable de tenir tête à l’anti-magie environnante et qui ne comptait pas sur l’empressement. La jeune femme espérait que le sorcier vers qui elle se dirigeait saurait lui apporter une telle solution. Elle n’avait de toute façon pas d’autre choix. D’une part, parce qu’elle souhaitait montrer au Chaman qui n’était pas le seul capable de lui fournir un soutien indéfectible. D’autre part, parce qu’elle n’avait pas vraiment d’autre nom en tête. Et qu’il était probablement la seule personne apte à accepter ses demandes aussi étranges fussent-elle sans s’étonner.

Ce ne fut qu’une fois le désert loin derrière elle, que la jeune femme mis fin au règne de la couronne pour retrouver sa nature brumeuse. Durant un bref instant, le fardeau des Ombres lui semblait moins pesant, elle sentit même comme ravissement. Etre vivant s’avérait plutôt complexe, d’autant plus que cela faisait des siècles qu’elle s’était ôté la vie pour fuir la souffrance. Depuis, elle n’avait jamais autant souffert…

La jeune femme prit le temps de s’imprégner de la magie qui renaissait en elle avant de reprendre son chemin. Elle savait exactement où aller pour rejoindre le sorcier et sa nature d’Ombre retrouvée, le parcours fut aisé et rapide. Aaliah se faufila dans les méandres brumeux qui la guidèrent jusqu’à Avalon, territoire des Déchus qui offrait bien des endroits intimes pour s’adonner à son pécher, quel qu’il soit.  Mais la jeune femme n’était pas là pour s’égarer dans le labyrinthe architectural que formait la ville, ni pour s’attarder dans les bâtisses dans lesquelles d’envoutantes créatures tentèrent de faire entrer. En réalité, un seul bâtiment l’intéressait et rien ne saurait la faire dévier de sa route, pas même le doute. Aaliah n’était pas certaine de recevoir l’aide nécessaire de part du sorcier. Après tout, elle le connaissait peu, mais il avait mis tellement d’ardeur pour répondre à une demande pourtant exprimée que dans un but de tranquillité qui pourrait lui réserver bien des surprises. Devant la grande porte de ce qui ressemblait vaguement à un restaurant, la jeune femme hésita un instant. Il y avait peu de monde à l’intérieur, mais malgré tout l’Ombre souhaité encore plus d’intimité. Aussi, elle reprit l’artefact qu’elle avait ôté pour le reposer sur sa tête afin d’incommoder tous ceux qui tenteraient des indiscrétions en écoutant leurs futurs échanges. La jeune femme s’attirerait probablement des ennuis en devenant humaine en ce lieu, mais elle ne comptait pas s’attarder, ni même porter la couronne plus que de raison.

D’un geste, elle poussa la lourde porte en chêne massif dont les gongs fatigués grincèrent, mais l’anti-magie qui l’entourait annonça sa présence au sein de la bâtisse bien avant. Sans regarder autour d’elle, elle avança d’un pas rapide vers le sorcier dont elle reconnut rapidement les traits. A un mètre à peine, elle s’arrêta et attendit qu’il la remarquât à son tour. Physiquement, elle n’avait pas changé depuis leur dernière rencontre, il ne pouvait donc guère avoir de doute sur son identité. Toutefois, l’Ombre momentanément humaine préférait attendre une première réaction de la part du sorcier. S’il ne souhaitait pas renouer le contact, elle n’allait pas s’avouer en difficulté pour ouvrir le dialogue. La fierté avant tout. Lorsque son regard croisa le sien, elle s’installa à une table désertée et entreprit de picoré dans le plat laissé à l’abandon en attendant d’être rejointe. C’était un avantage de son humanité retrouvée, elle pouvait apprécier le goût des choses. De plus, cela lui permettait d’estimer le temps. Lorsque l’assiette sera vidée, il lui faudra partir. Aaliah espérait avec un plan et non seulement avec un estomac plein…

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Il ne fallut guère longtemps au sorcier pour rejoindre sa table et s’installer face à elle. Cela rassura l’Ombre, il acceptait son invitation tacite à converser malgré le temps qui s’était écoulé depuis leur dernière rencontre. Il s’étonna de sa présence pour ouvrir le dialogue, ce qui fit sourire légèrement la jeune femme. Le Chaman n’aurait pas eu cette délicatesse, il lui aurait directement imposé de se justifier sur sa longue absence. Par contre, ils avaient un point commun. Un mémoire sans faille. L’homme lui rappela son ancienne promesse. Il prit d’ailleurs le soin de formuler cela sous une autre question en mettant bien le terme époux en évidence dans sa voix. Toutefois, le sorcier ne sembla impatient d’avoir une réponse, car il enchaîna sur de nouvelles interrogations, à savoir s’il elle avait besoin de ses services en lui rappelant de précédents missions déjà exécuté par ses soins. L’Ombre l’écoutait sans sourciller comme elle avait tant eu l’habitude tout en faisant rouler un légume étrange dans son assiette. La jeune femme ne parvenait pas à l’identifier, mais ce n’était pas la première fois depuis qu’elle devait se sustenter qu’elle rencontrait ce problème-là. Il lui faudrait certainement du temps pour relier les aliments à leur saveur tant elle avait des lacunes dans ce domaine. Aaliah reporta son attention sur son interlocuteur lorsqu’il se présenta à nouveau comme son humble serviteur. Sa nature humaine fut charmée par la voix de cet homme. Cela la changeait du Chaman constamment irritable et colérique à son encontre. Cela faisait du bien ; c’était apaisant un homme à la voix posée même s’il mettait un peu trop d’entrain et d’ironie dans ses courbettes.  

La seule question qui la perturba un instant fut la commande à passer auprès de la serveuse. Le sorcier semblait être un habitué de la boisson, car il choisit rapidement. Aaliah préférait éviter l’alcool, la couronne lui procurait bien assez de migraine sans en rajouter. De plus, cela faisait des siècles qu’elle n’avait pas consommé des boissons spiritueuses, pour ainsi dire jamais. La jeune femme souhaitait garder les idées claires aussi, elle opta pour un vin léger et épicé. Depuis qu’elle avait goûté aux tisanes thérapeutiques du Chaman, l’Ombre appréciait l’odeur des aromates. Certaines lui permettaient de rester éveillée et concentrée.

« Cela doit être mon côté Eversha, rare sont ceux qui m’échappent lorsque je les traque » Se contenta-t-elle de lui répondre dans un fin sourire. Il devait être certainement très étrange de l’entendre invoquer une capacité raciale lié à la magie alors que le Ma’Ahid l’entourait. Cependant, la jeune femme resta stoïque, comme une personne assurant évoquer la pure vérité ou étant une habile manipulatrice. Elle ne pouvait guère invoquer sa nature Ombre qui lui permettait de tout connaître d’un individu, aussi elle avait appris à défendre ses connaissances et capacités en se faisant passer pour une Eversha martre. Proche de la fouine, cet animal lui convenait très bien.

« Pour répondre à vos autres questions, commença-t-elle afin de ramener la conservation à son principal sujet. J’ai effectivement besoin de vos services et si vous vous montrez à la hauteur, je ferai de vous mon époux et père de mon futur enfant… »

L’Ombrer attrapa le verre de vin afin de faire tournoyer le liquide lentement pour en faire ressortir son agréable parfum. Sur que sa derrière phrase allait dérouter le sorcier. Aaliah elle-même avait dû mal à réaliser qu’elle était l’auteur des mots qui raisonnaient encore à ses oreilles. Toutefois, elle n’avait pas vraiment le choix. Si elle voulait rester discrète sur les origines de l’enfant, il lui fallait bien trouver un père. Et si Nostradamus devenait son époux officiel, autant faire de lui le géniteur du nourrisson. Avant que le sorcier ne s’interrogeât plus longuement sur cet enfant venu de nulle part, Aaliah poursuivit ses explications.

« Dans un village du désert, une femme va mettre au monde un enfant. Je veux que cet enfant soit mien et que personne ne soit au courant de cette subtilisation. Que sa mère, jamais, ne cherche à comprendre ce qui est arrivé à son enfant. La jeune femme ne laissa pas le temps au sorcier de se questionner sur les raisons qui la poussaient à enlever l’enfant, signifiant par là-même que ce détail ne serait pas abordé plus en profondeur. L’Ombre ne pouvait pas tout lui dévoiler, le cycle de la vie et de la mort étant un mystère bien gardé. Je suis parvenue à devenir sa sage-femme, lorsque le moment sera venue, ce serait donc au premier plan pour agir, mais… La jeune femme fit un mouvement pour se désigner, comme vous le ressentez, la magie n’est pas efficace. »

Et c’était bien là tout le nœud du problème. Elle porta le vin à ses lèvres et sirota une gorgée du breuvage rubis. Étrangement, parler lui asséchait la gorge, un inconvénient qu’elle ne connaissait lorsqu’elle était une Ombre. La chaleur du vin épicé la réconforta et lui fit oublier un instant la migraine qui pointait au sommet de son crâne et les risques encourus à s’attarder trop longuement dans un lieu fréquenter par des races appréciant la magie.

« Je suis toute ouïe, termina-t-elle en écho aux paroles du sorcier. Quelles sont vos propositions ? »

La jeune femme aurait certainement pu ajouter : des questions ? Mais elle ne souhaitait pas tendre de perches au sorcier. Répondre à des interrogations serait une perte de temps et elle voulait avant tout des réponses à ses propres demandes. Toutefois, elle était encline à lui fournir des détails si ceux-ci s’avéraient utiles pour le sorcier. Elle porta son regard sur lui avec intensité comme elle le faisait habituellement avant de réaliser qu’elle n’était plus capable de voir l’âme, ni de déchiffrer la clepsydra. Elle ne pouvait que le voir, lui uniquement et tenter de déchiffrer ses émotions sans même pouvoir user de ses capacités. C’était déroutant, mais l’Ombre chercha à paraître sereine malgré cette perte.

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Nostradamus inspira grandement, appuyant ses doigts les uns contre les autres devant son visage, la perplexité habitant ses traits. Aaliah venait de lui livrer un tas d'informations, certains semblant entrer en contradiction les unes avec les autres, le laissant penseur. La jeune femme venait de lui révéler sa race, une information qu'il n'avait jamais réussi à dénicher avant ce jour. Pourtant, elle avait laissé sous entendre qu'elle était à l'origine de ce trouble dans la magie ambiante -sans doute la cause de cette étrange sensation qui le gênait, expliquant par la même pourquoi il ne l'avait pas sentie arriver. Une caractéristique non pas propre aux evershas mais biens aux Humains, ce qui correspondait à la destination dont elle parlait. Beaucoup d'interrogations tournaient dans sa tête mais le mage noir avait appris à les garder pour lui-même. Son interlocutrice se montrait souvent avare en informations et il avais compris qu'il valait mieux se garder d'en réclamer plus que nécessaire s'il ne souhaitait pas la contrarier.

Laissant sa curiosité de côté, le sorcier se laissa tomber sur le dossier de sa chaise, comme pour prendre du recule sur la situation et pouvoir obtenir une vision d'ensemble. « Je suis sorcier moi, non pas faiseur de miracle. » laissa-t-il échapper avec un rictus aux lèvres, sans détacher son regard de la femme. « Mais j'aime les défis, et je dois reconnaître que chacune de nos rencontres promets sa dose de surprises. Aujourd'hui ne fait pas exception à la règle. » D'une main, il joua avec le verre qu'on lui avait apporté tandis qu'il envisageait les possibilités. « Je pourrais demander à une collègue de confiance d'enchanter un objet pour créer une illusion qui ferait passer le nourrisson pour mort, ou de maudire un artefact pour le figer, mais le risque serait d'en voir les effets annulés par votre Ma’Ahid et celle des autres habitants... » Le mage noir bu une gorgée avant de continuer. « Maudire le village entier serait plus irrationnel encore. Je ne suis pas certain que l'Empereur Noir en personne soit capable d'une telle prouesse... Si vous disposez de temps à gaspiller, peut-être pourriez-vous espérer prier tous les Ætheri de ce monde pour qu'ils vous accordent ce vœu mais l'efficacité d'une telle méthode est encore moins fiable que les précédentes. » Utiliser un objet enchanté semblait compromis. S'il fallait utiliser une stratégie efficace contre des Humains, il faudrait se passer de tout intermédiaire et agir directement sur l'intéressé. L'instigatrice de toutes ces manigances en était sans doute venue à la même conclusion que lui mais il la formula à voix haute. « A cet instant, la méthode la plus efficace qui me vienne à l'esprit serait d'user de potions. Un poison serait trop dangereux à manipuler sur un être aussi... innocent. » L'idée qu'un nouveau-né puisse mourir ne sembla pas le peiner le moins du monde, le laissant dans l'indifférence la plus totale. Il n'avait jamais aimé les enfants, même à la naissance de ses propres filles, il n'avait pas montrer plus d'intérêt que s'il s'était agit de celles du voisin. Néanmoins, si Aaliah était prête à kidnapper cet enfant, c'est sans doute qu'il possédait plus de valeur qu'elle ne le disait. Le mage se garda donc d'émettre un commentaire désobligeant qui aurait risqué de la froisser. « Une potion d'immobilisation pourrait être envisageable, mais il faudrait être capable de la lui faire ingérer de façon discrète. Soudoyer la nourrice puis l'éliminer ensuite pourrait être envisageable, à condition que la mère face appel aux services d'une telle aide... » Ce cas n'était cependant pas une constante. « Ce n'est malheureusement pas très propre et manquerait peut-être de discrétion... » Nostradamus se plongea de nouveau dans une réflexion avant de reprendre la parole. « Je ne suis pas un expert dans ce domaine, mais je reste persuadé qu'utiliser un élixir ou toute autre substance resterait la meilleure solution. Pour quand est dû l'heureux événement ? » Le chasseur attendit la réponse avant de continuer. « Si cette voie vous convient, je connais une personne en mesure de trouver une solution à notre problème de façon discrète, et dans les plus bref délais. »

La jeune femme pouvait deviner aisément la perplexité du sorcier. Il faut dire qu’elle n’avait pas pris la peine d’enrober ses demandes pour les rendre plus facilement digérables. Aaliah n’appréciait pas de perdre du temps en tournant autour de l’essentiel et en tant qu’humaine, le temps lui semblait encore plus précieux. Et plus pénible aussi. Si ses migraines la laissaient tranquille pour le moment, la fatiguait commençait à l’étreinte légèrement. La chaleur du désert et ses tourments n’étaient probablement pas étrangers à cela. L’Ombre oubliait que sa nature primaire n’était plus sous le pouvoir de la couronne. Il lui faudrait envisager un repos mérité, même si l’idée lui déplaisait. Elle se sentait vulnérable lorsque le sommeil l’envahissait, aussi, elle repoussait chaque fois un peu plus l’échéance. Afin de rester concentrer sur ses objectifs premiers, la jeune femme plongea son regard dans les yeux du sorcier, attentive à chacune de ses réactions. L’Ombre craignait un refus dont elle ne pourrait se satisfaire, mais contre lequel elle n’était pas en mesure de s’opposer. Quel chantage pouvait-elle exercer sur le sorcier ? Mis à part ne pas l’épouser, ce qui ferait plaisir au Chaman, mais la contrarierait elle. Heureusement, le défi proposé sembla le ravi Il chercha après une solution, lui dictant chaque de ses propositions, allant même jusqu’à prier tous les Aetheri de Terres du Yin et du Yang. La jeune femme émis un rictus amusé, sous sa forme d’Ombre elle pourrait prendre l’éternité pour les prier tous, un par un, mais il n’était pas certain que l’Un d’Eux répondissent dans les temps pour lui permettre d’emporter l’enfant dès sa venue au monde. A ce stade-là, elle pouvait tout aussi bien pactiser avec un démon ou interroger un génie. Nul doute que l’efficacité serait présente, mais l’Ombre appréciait moyennement l’idée de marchander une contrepartie bien trop risqué. Elle savait se méfier des démons sournois et des génies stratégiques aux langages parfois bien trop hermétiques pour espérer comprendre les moindres détails d’un pacte ou d’un vœu qui finirait en sa défaveur.

Le sorcier continua sur sa lancée de proposition, optant alors pour une potion. L’Ombre arqua un sourcil, cette idée ne lui avait pas effleuré l’esprit, mais elle était de toute façon un bien piètre fabriquant de potion. La seule qu’elle maitrisait lui permet de changer un objet en nourriture, mais cela demandait d’avoir un peu de magie pour que le sort s’exerçât sur ledit objet. Et elle ne se voyait tout de même pas transformer un enfant gigot d’agneau pour filer avec… Même pourvu de ses capacités magiques, l’Ombre n’était pas certaine que cela fût réalisable. Aussi, elle écouta le sorcier avec intérêt, intrigué par la proposition. Il parla d’une potion d’immobilisation à faire ingérer à l’enfant de manière discrète. La jeune femme hocha la tête, c’était une évidence. Cependant, sa position auprès de la future mère le lui permettrait aisément. Durant le travail, elle n’aura aucun mal à exiger de rester seule auprès de la mère.

« Effectivement, je tiens à la discrétion. Et l’Ombre ne pouvait pas se permettre de donner la mort à une personne dont l’heure n’était pas venue. Cependant, le sorcier ne pouvait guère le savoir. J’ai déjà pris les dispositions pour obtenir pleinement la confiance de la future mère, il ne me sera guère difficile de me retrouver seule avec elle. » Lorsque le sorcier l’interrogea sur la date de l’heureux événement à venir, probablement pour savoir le temps qu’il avait pour préparer l’élixir, la jeune femme su lui répondre très précisément, ce qu’il fit aussitôt.

« Exactement dans septante-six jours, lorsque le soleil sera à son apogée dans le ciel ». Ni plus, ni moins, l’Ombre savait que l’enfant à venir serait à l’heure, peu importait les difficultés éprouvées par la mère. Cela l’aurait nettement arrangé que la mère succombât lors de l’accouchement, mais cela n’était pas prévu. Dommage, mais elle devait faire avec les règles du destin.

« Eh bien, faisons ainsi, déclara-t-elle en attrapant son verre afin de boire une dernière gorgée du liquide carmin. J’espère que votre connaissance saura répondre avec satisfaction à ma demande, mais il va de soi que vous y veillerez, n’est-ce pas ? Ajouta-t-elle, sachant que l’homme ne souhaitait probablement pas la décevoir. S’il appréciait les défis qu’elle lui donnait, nul doute qu’il ferait tout pour les mener à bien, même à travers d’autres mains. Histoire d’être assuré d’avoir la surprise de découvrir d’autres missions bien plus étranges encore. Il me faut retourner auprès de la future mère, mais soyez assuré de me revoir prochainement. Pour récupérer l’élixir il allait de soi, mais l’Ombre ne prit pas la peine de le préciser. Le sorcier devait assez la connaître pour savoir qu’elle ne se déplaçait pas inutilement. Elle esquissa un sourire poli pour le remercier du temps accordé. Il avait été plus efficace en quelques instants que le Chaman qui maintenait chaque jour la soutenir sans faillir. Il méritait bien une leçon. A bientôt, cher époux » fini-t-elle en guise de salutation pour lui rappeler la promesse faite. Elle ne l’oubliait pas. Certes l’amour ne signifiait rien pour elle, mais pour le Chaman cela semblait bien différent. Sur qu’il se battrait un peu plus pour conserver son cœur. Ce n’était pas parce qu’il communiquait avec son défunt amant qu’il avait un droit sur ses sentiments, qu’ils fussent illusions ou humains.

D’un geste gracile, elle se leva pour mettre définitivement fin à leur entretien et quitta la taverne. Elle mit fin au règne de sa couronne dès qu’elle eût franchi la porte du bâtiment, loin des regards indiscrets des clients attablés. Si quelqu’un avait souhaité la suivre, il ne trouverait déjà plus aucune présence à l’extérieur. Redevenue Ombre, elle avait disparu dans les méandres brumeux environnants.  

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