« On a bientôt plus de parchemin, il faudrait en acheter. » constatait Nejaka en remplissant la feuille d’inventaire de la réserve.
« Je vais aller en chercher. » La jeune femme était un peu las de rester dans le bureau à compléter des dossiers. Elle avait envie de marcher un peu et saisit alors l’unique occasion qui s’était présentée à elle.
« Tenez, prenez ça avec vous. A moins que vous ne souhaitiez tout payer de votre poche ? » Le maître architecte plaisantait que très rarement, à tel point que ses interlocuteurs n’étaient presque jamais capables de faire la différence. Shanxi remerciait son supérieur à demi-sourire, puis leva le pied en direction de la boutique de fournitures. Une fois dehors, l’Okan ne pouvait qu’apprécier les douces caresses du soleil et de cette petite brise sur sa peau. Il ne fallait pas se méprendre. Elle ne détestait pas son travail. Au contraire, l’ancienne captive prenait ironiquement beaucoup de plaisir à être enfermée dans ce bureau, à revoir les contrats et schémas. Bien sûr, œuvrer sur le terrain n’avait rien à voir. La plupart des architectes avaient une préférence pour cet aspect de leur profession. Mais il fallait passer cette étape un peu plus ennuyeuse pour ensuite profiter de l’air extérieur.
Cela pouvait paraître étrange à première vue, voir même cruel, mais le contexte actuel améliorait considérablement dans sa difficulté la situation financière des bureaux d’architectures, qui se voyaient confier si non plus de chantiers, des travaux de grande envergure. Pour les moins compatissants, cela pouvait complètement changer leur regard sur la misère du peuple angélique. La vertueuse, quant à elle, avait perçu ce paramètre, et même si ça avait pu rendre son travail plus intéressant, le jeu ne vaudrait jamais la chandelle à ses yeux. Trop de sang avait été versé et l’idée de construire sur des ossements l’avait toujours rebutée. Ce serait faire comme eux. Ce serait leur ressembler. Et ça, elle s’y refusait catégoriquement.
« C’est tout ce qu’il vous fallait, madame ? » -
« Oui, merci. » Shanxi déposait la petite bourse et la note que le maître architecte lui avait confié, avant de se saisir des parchemins que le marchand avait glissé sur le comptoir devant elle.
« A bientôt, passez une bonne journée ! » -
« A vous également. » La jeune femme avait poussé la porte de sa main libre et retrouvait un vent un peu plus fort que lorsqu’elle avait quitté son bureau.
Elle raffermit alors son emprise sur le bouquet de parchemins qu’elle avait calé sous son bras, et entreprit de rebrousser chemin pour retourner auprès de ses collègues. A peine s’était-elle mis en route que la jeune femme dû s’arrêter soudainement. Elle avait faillit buter sur ce chat. L’ange reculait aussitôt d’un pas, confuse.
« Oh, pardon. Je ne t’avais pas vu. » Puis elle s’accroupit.
« Tu n’as rien ? Je ne t’ai pas marché dessus j’espère. » s’enquérait-elle doucement, une main tendue jusque devant son museau.
« Qu’est-ce que tu fais là ? Tu devrais rentrer chez toi. Le vent se lève, ça pourrait être dangereux pour toi. » Elle ne pouvait pas s’empêcher de sourire. Petite déjà, c’était plus fort qu’elle. Il fallait qu’elle caresse tous les animaux qui pouvaient croiser sa route.
« Qu’est-ce que c’est ? » l’Okan remarquait à peine le petit croissant de lune sur le front du félidé.
« C’est original. Tu es né comme ça ? » lui demandait-elle en lui grattant le derrière de ses oreilles. Après quelques caresses supplémentaires, l’ancienne captive se redressa.
« Je dois y aller. Fais attention à toi. » le saluait-elle en s’éloignant.
Si Shanxi était fière de ne pas avoir perdu trop de temps avec le matou et de ne pas trop faire attendre son supérieur, l’enfant qui l’avait interpellée devant le porte du bureau d’architectes faillit mettre un terme à sa joie.
« Excusez-moi, vous n’auriez pas vu un chat gris foncé ? » La jeune femme haussa un sourcil.
« Avec une petite lune sur le front ? » Le visage de l’enfant s’illumina d’un grand sourire.
« Oui, c’est ça ! Vous l’avez vu ? » -
« Oui, j’ai croisé sa route juste au bout de ce chemin. Tu tournes à gauche et tu devrais tomber dessus. » Pas au sens propre comme elle avait faillit le faire, elle l’espérait.
« Mais il a pu bouger entre-temps. » -
« Ah j’espère que non… Je vais me dépêcher alors. Merci madame ! » s’exclama le garçon qui se mit à courir à grandes foulées. La vertueuse le regardait s’éloigner quelques instants avant de franchir le seuil de la porte devant laquelle elle se tenait. Elle espérait qu’il allait le retrouver.
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