La Lyrienne de la Luxure

L’amour. Un sentiment affreusement détestable. Il était capable de faire ressortir le meilleur comme le pire dans le coeur des individus. Quiconque était en mesure d’induire cette émotion chez l’autre possédait un contrôle absolu sur sa vie. Les témoignages de cette perversion étaient abondants dans la littérature romantique ; ils l’étaient encore davantage dans la réalité. C’était une aubaine pour bien des nôtres : en empruntant les formes de l’être chéri, nous étions capables de corrompre les désirs de nos maîtres. Je n’arrivais pourtant pas à comprendre que la société ne réussît pas à ouvrir les yeux sur la plus grande perfidie de tous les temps. Combien d’hommes et de femmes allaient-ils encore falloir faire souffrir pour qu’ils acceptassent enfin d’embrasser la vérité ?

A nouveau, il avait frappé. D’une manière dont je n’étais moi-même pas vraiment consciente. La douleur dans ma poitrine était insupportable. ‘La souffrance ne disparaît jamais, on ne fait que s’y accommoder.’ Les sanglots meurtrissaient mon esprit bien plus que mon corps. Je maudissais ce sentiment qui surgissait de façon irrationnelle. J’ignorais pourquoi et comment ce bébé avait pénétré mes défenses et dévasté mon coeur ; mais c’était un fait. Je le haïssais tout autant que l’amour.

Fantôme dans ma demeure, je n’étais qu’une brume informe arpentant les tristes couloirs. Les couleurs chatoyantes n’étaient plus que l’ombre d’elles-mêmes. Le décor s’adaptait à ma triste morosité, entretenant mes pensées pleines d’amertume. J’avais besoin de réconfort. Pourtant, ma prison poursuivait le cycle vicieux qui me propulsait vers les ténèbres. Je n’avais qu’une seule option. Bien malgré moi, je descendis les marches qui menaient à la Porte. Un instant plus tard, je fus propulsé dans le monde onirique.

Je me laissai ballotter par les flots, comme une vulgaire feuille au milieu d’un lac. La rivière des songes m’apportait l’écho des souhaits des Arpenteurs de Rêves. Je n’avais pas le coeur à l’ouvrage. Je délaissai mon devoir, laissant mes congénères puiser la puissance de ces voeux. Je dérivai à la recherche d’une scène heureuse, d’un événement anodin, qui pourrait occuper ma souffrance. Finalement, je me glissai dans un phantasme, simple spectateur de son développement. Un instant, la surprise l’emporta sur la tristesse. Quelle ironie du sort de trouver du réconfort dans le mirage d’un démon. « Toi ? T’as couché avec une femelle ? pouffa l’hideuse créature cornue, dévoilant ses dents aiguisées

— Ouais ! renchérit son comparse écailleux. Et c’était un putain de coup … Elle était sacrément versée dans le sexe, si tu vois ce que je veux dire. C’était loin d’être une vierge effarouchée. Et elle était carrément habile ! C’était une vrai, une comme je les aime ! Elle m’a fait ressentir des sensations que tu peux même pas imaginer… J’ignore ce que j’ai préféré avec elle… Elle avait une manière de me titiller le bout avec sa langue, c’était trop bon. En même temps, les chevauchées sauvages c’était grave cool aussi…

— Tu t’es tapé une luxurieuse quoi. Ya pas de quoi s’enflammer. C’est des chaudasses, ces filles-là. Moi aussi j’en ai cartonné une. Elle hurlait comme une hyène pendant que je la défonçai avec ma matraque. Elles sautent sur tout ce qui bouge ces salopes, ça m’étonne pas que t’ai eu ta chance !

— Tu dis n’importe quoi ! s’indigna le plus horrible des deux.

— Ah ouais ? Et t’as des preuves j’imagine ? »

Il fit mine de réfléchir. Malheureusement, il ne connaissait pas grand chose de sa conquête. Il y avait bien l’un de ses amis qui la connaissait également - plus intimement - mais il n’était pas présent pour corroborer ses dires. Finalement, mis à part son nom, que savait-il de la rouquine ? C’était une lyrienne d’électricité. Ça, il en était presque convaincu. Elle avait utilisé ses pouvoirs à faible dose pour ajouter du piment dans leurs ébats. C’était une jeune femme qui connaissait beaucoup de choses. Il pensait avoir retenu qu’elle bossait pour une sorte d’école. Mais il ne savait plus trop dans quel département ; à vrai dire, il ne l’avait pas trop écouté quand elle lui en avait parlé. Les études, c’était pas trop son truc. Lui, ce qu’il préférait, c’était la castagne et le sexe.

« Nan, j’ai pas de preuve. Enfin, si. Tu peux demander à Raziel, mais il est pas là

— Comme par hasard !

— Je sais pas pourquoi, j’étais sûr que t’allais dire ça, face de rat !

— Va te faire foutre, tête de pus ! »

Les deux amis se toisèrent du regard avant de s’esclaffer d’un rire gras.

« Sinon t’as qu’à lui demander toi-même si t’as des couilles. Elle s’appelle Jil.

— Bien sûr que j’en ai, plus que toi d’ailleurs. Et c’est pas moi qui le dit ! ricana le cornu en effectuant ce qui devait être un clin d’oeil. Et je la trouve où ta Jil ? »

Le silence répondit à sa question. L’autre haussa les épaules avec dédain.

« Je vois, repris le premier. Bah, tu me la présenteras quand elle repassera aux Enfers ! J’aurai quelques atouts à lui présenter… »

Soudain, une marionnette géante apparut entre ses bras pour qu’il pût mimer des scènes obscènes. Le démon finit en rut sur la poupée. Son acolyte ne tarda pas à l’accompagner dans des ébats bestiaux. Je détournai les yeux de cette orgie écoeurante. Lorsque je quittai la scène, le pantin avait laissé place à une femme sulfureuse à la chevelure de feu. Je n’avais pas besoin d’en voir davantage. Je m’extirpai du songe pour en rejoindre un autre, plus léger et moins grossier.