Intrigue : Elias a acquis des terres afin d'essayer de se libérer du fardeau de sa magie, devenue trop puissante et destructrice pour ne pas l'anéantir lui-même s'il ne s'en sert pas.

« Je suis désolé, ça ne sera pas possible. » « Pardon ? » « Oui. L’Empereur Noir a acheté toutes les îles vierges qui entourent le continent dévasté et le continent naturel sur une bonne distance à partir des côtes. » Les deux protagonistes se regardèrent, étonnés. « Il n’en reste pas une seule ? » « Non. Il a dépensé une somme colossale. Pour votre projet, vous devriez plutôt vous tourner vers le continent mystérieux ou les mers plus éloignées. J’ai quelques îles charmantes avec beaucoup de potentiel. » « Excusez-moi mais… » Elle hésita. « Est-ce que vous savez pourquoi est-ce qu’il a fait cet achat ? » « Non. Si vraiment vous désirez obtenir l’une de ses îles, je peux essayer de vous mettre en relation avec lui mais… » « Ça va aller, merci. » le coupa la femme. « Nous allons réfléchir à notre projet et revenir vers vous. Une île au large du continent naturel aurait été parfaite mais puisque ce n’est pas possible, nous allons étudier les cartes. Étant donné la nature de notre idée, nous devons être sûrs que la clientèle sera au rendez-vous. » « Peut-être dans la mer du feu bleu… » « C’est une zone très instable. » avertit l’agent immobilier. « Le mieux est que vous réfléchissiez, comme vous l’avez dit, madame. Je suis navré de ne pas pouvoir vous aider davantage. C’était une transaction assez soudaine et il a précisé qu’il désirait acheter les prochaines à se libérer dans la zone qu’il a mentionnée. » Il avait dû faire des concessions sur les prix, de grosses concessions. Quant aux îles qui n’étaient pas à vendre, celles qui n’étaient à personne, il croyait savoir qu’Elias avait contacté un notaire afin de se les faire attribuer.

J’étais seul sur une île d’environ cent mètres carrés. La végétation était absente. Elle n’appartenait à personne jusqu’ici et, bien qu’à moi à présent, je n’avais pas l’intention d’en faire quoi que ce fût de visible. C’était même tout le contraire. C’était bien plus par nécessité qu’autre chose que j’avais acquis des terres récemment. Une réflexion poussée m’avait convaincu du bien fondé de cette solution qui, en plus de m’arranger, se révélerait sans doute prometteuse d’une manière ou d’une autre. J’entrevoyais déjà quelques utilisations stratégiques de mes biens. J’espérais simplement que mes plans fussent réalisables. Je n’avais jamais essayé. Néanmoins, mes ambitions étaient avant tout personnelles. J’avais connaissance de mon statut précaire, de la violence de Lux in Tenebris. Je la sentais en moi, à réclamer son dû. C’était entêtant et incessant. Ma stabilité émotionnelle disparaissait totalement sous ses caprices. Elle voulait faire souffrir et si je n’obéissais pas à ses volontés, si je ne la laissais pas sortir, j’étais convaincu que je ne pourrais plus cacher ses stigmates bien longtemps. La Magie des Ténèbres détruirait ce que je m’évertuais à construire depuis bien longtemps et il était hors de question qu’elle y parvînt.

Au milieu de la terre, je pris une grande inspiration et creusai le sol à plusieurs endroits distincts, supprimant la matière avec une facilité qui me déconcerta moi-même. C’était à la fois plaisant et effrayant. Jusqu’où pourrais-je aller ? Combien de kilomètres cubes avais-je la possibilité d’anéantir ? En combien de temps ? Le nombre de vies qui dépendait à présent de moi seul avait de quoi provoquer des vertiges. J’avais été longuement préparé à cette fonction. Je n’étais néanmoins pas insensible au pouvoir que me conférait cette dernière. Il n’y avait plus que moi en jeu, ni même les espions, quelques affaires courantes et ma personne. Je décidais actuellement du sort d’un peuple entier. Demain, si l’envie m’en prenait, je pouvais déclarer la guerre à n’importe quelle race. Les yeux des Mages Noirs étaient rivés sur mes actions, dans l'attente de grandeur et d'éclats, et les plus puissants d’entre eux ne manqueraient pas d’essayer de m’arracher la Couronne si je faillais à la tâche. Je devrais les museler, ou les anéantir.

Je fermai les yeux, serrai les dents et libérai Lux in Tenebris. Mon corps trembla sous une vive douleur et mes veines ne tardèrent pas à se noircir de nouveau. La magie se vengeait du fait de lui faire subir sa sœur bénéfique. Le mal fut cependant dirigé correctement vers les cavités et contenu dans ces dernières, entouré d’une fine protection de Magie Bleue. L’idée était de l’empêcher de se répandre, d’attaquer des êtres vivants sans objectif préétabli. Je ne voulais pas le chaos, pas tout de suite, mais la Lumière dans les Ténèbres était si brûlante et vive qu’elle ne pouvait rester en moi, sous peine de me détruire. Umbra in Lucem l’éteindrait bientôt, lorsque je serais prêt. Ce n’était pas encore le cas et mon accession au rang de Chancelier d’Ivoire serait délicate, justement parce que des magies contraires se battaient en moi. Elles s’opposaient. Plus elles croissaient et plus elles se déchiraient, menaçantes et épineuses. Finalement, peut-être qu’aucun Sorcier n’avait réussi à s’accaparer le trône blanc pour une raison simple : l’impossibilité à concilier l’inconciliable.

Lorsque j’eus fini, épuisé, j’utilisai un zeste de magie pour recouvrir les cavités d’une couche de terre. J’allais répéter l’opération régulièrement, afin d’apaiser le mal. J’entendais néanmoins déjà les voix de Lux in Tenebris me murmurer presque trop langoureusement que mes tentatives ne seraient pas efficaces ad vitam æternam.

863 mots

Rp précédent : L'eau

Bring Me The Horizon - Parasite Eve

« Vous allez vous rendre chez les Magiciens directement ? » me demanda Cyrius. Je relevai les yeux vers lui. « Non. » Ses iris semblèrent heurter les miennes. Il était curieux de savoir. Je passai brièvement ma langue sur mes lèvres et attendis un court instant, avant d’avouer mes intentions. « Il y a quelques temps, j’ai acquis des îles, aux larges des principaux continents. » Il en avait sans doute entendu parler mais il ne m’interrompit pas. Il semblait captivé, comme s’il attendait un dessein particulier, un plan de génie. Peut-être y en avait-il un. Il fallait être stupide pour ne jamais y avoir songé. « Lux in Tenebris me pose quelques problèmes pour le rôle que je dois jouer chez les Magiciens. » Pas seulement mais je n’avais pas besoin de préciser. « Je la relâche donc systématiquement sur ces terres avant de m’y rendre, afin de la faire taire un temps. Je ne peux pas me permettre de la laisser prendre le dessus lorsque j’évolue au milieu des Mages Blancs. » Un fin sourire apparut sur ses lèvres. « Vous n’arrivez pas à équilibrer, c’est ça ? » « Oui. » « Vous vous y prenez comment ? » « J’enferme Lux in Tenebris sous terre. » « J’espère que vous contrôlez l’air. » dit-il, après quelques secondes de silence pendant lesquelles son sourire s’agrandit. « Pourquoi ? » demandai-je. Je compris une seconde plus tard où est-ce qu’il voulait en venir. Ses conclusions étaient les mêmes que les miennes. « Disons qu’une fois que vous aurez fini votre ouvrage sur toutes les îles qui entourent les continents, il faudra diriger le vent dans la direction des terres si nous voulons que la magie emprisonnée aille s’y disperser. Des explosions, un peu de vent et un orchestre immense afin de jouer la mort de tous les peuples qui y vivent. » Les mêmes, certes, mais je n’étais pas certain de souhaiter la disparition de toute trace de vie. La faune et la flore auraient du mal à se remettre de la charge. Le sol deviendrait sans doute infertile du fait des multiples maladies. Les individus mourraient, touchés par des maux qu’ils n’auraient jamais le temps de soigner avant la phase terminale. Ce qui avait été fait pour me soulager deviendrait, en réalité, avec le temps, une arme de destruction massive, une arme que je n’avais pas l’intention d’utiliser. « Ce n’est pas prévu pour le moment. » précisai-je à Cyrius, en me rendant compte que lui en avoir parlé constituait une erreur. Je savais qu’il n’en discuterait avec personne. Pourtant, au-delà de l’affection que je lui portais et de cette impression profonde que ma vie était liée à la sienne, j'étais conscient du fait qu'il n’était ni stable ni mesuré. Ses lubies prenaient rapidement des aspects assassins et je devinai sans peine ce qui était en train de tourner dans son esprit actuellement. Dans le mien, il n’y avait que cette épée de Damoclès, une lame qui se trouvait au-dessus de ma tête. Si j’étais réellement un Élu de la Lune Noire, mon œuvre serait forcément atroce et chaotique pour le vivant. Je n’aurais pas le choix et, quelles que soient mes tentatives pour m’y soustraire, tous les chemins y mèneraient, comme mes prédécesseurs avant moi. Le Destin ne pliait jamais. Cette vérité était sans doute celle qui avait rendu mon frère fou. « D’accord. » chantonna-t-il. Dans ses yeux, un sablier venait de se renverser, celui qui signait le début d’une fin à venir. Il aimait le Chaos bien plus que moi.

En foulant le sol d’une des nombreuses terres qui étaient entrées en ma possession, je pensai que j’aurais dû lui parler de mon alternative. Celle-ci n’était pas encore au point mais j’espérais obtenir des résultats prochainement. Placer la Couronne des Rêves Interdits sur le sommet de mon crâne me plongeait directement au cœur de ce que je pensais être mon habitacle, sans possibilité d’en ressortir. La Coupe des Nations des Génies m’avait permis une évasion mais c’était la seule à laquelle j’avais eu le droit jusqu’ici. Ça ne m’avançait pas. Si je désirais devenir un Djinn, c’était pour ne plus subir Lux in Tenebris tout en restant viable en tant que Sorcier et en tant que Magicien. Mes problèmes persisteraient tant que je resterai coincé. Je rangeais l’endroit petit à petit mais le nombre d’objets contenus à l’intérieur dépassait de loin tous ceux que j’avais un jour possédé dans mon existence. Certains ne produisaient rien. Ils disparaissaient dès que je les touchais, comme s’ils avaient été entreposés là spécialement pour me faire perdre mon temps. D’autres me rappelaient des souvenirs qui créaient une charge émotionnelle réelle. Il y avait cette barrette en forme de coquillage que j’avais reconnue sans aucun mal. Je l’évitais, depuis. Pourtant, je savais que je devrais la ramasser. Je ne pourrais pas fuir éternellement.

Lorsque je sortis de mes pensées, après avoir marché un certain temps, je me décidai enfin à creuser une cavité et à relâcher Lux in Tenebris. Je la sentais se rebeller contre son utilisation sans dessein. Elle voulait servir à tuer, pas être enterrée et enfermée par la magie d’un pentacle. Le blanc de mes yeux devint noir, sans étouffer, cette fois, le doré musical. Celui-ci sembla étinceler d’autant plus. Pendant que je créais des maux mortels, une symphonie macabre résonnait, m’accompagnant dans ma tâche.

896 mots