Quelques coups furent donnés à la porte d’entrée. Derrière se dessina une silhouette fine, une dame d’un certain âge, l’air aimable. " Bonjour. Dit-elle, joviale. Elle opta pour une révérence des plus classieuses, à la hauteur de sa tenue concordant avec les dernières lubies de la mode. A ses côtés, un grand gaillard, plutôt ennuyé à première vue, gardait deux colis à ses pieds ; à vue d’œil, trop lourds et encombrants pour la femme. Isobella Tibb, styliste de Caelum, pour rendre l’élégance à votre allure. En se redressant, son attitude noble lui permit de s’accaparer toute l’attention. Vous devriez vous demander ce qu’une dame aussi prestigieuse puisse faire sur le pas de votre porte, et je serai, forcément, très touchée par votre sollicitude. Caelum n’est certainement pas la porte à côté. Toutefois, j’ai reçu la visite d’un singulier client qui souhaitait vous faire présent de pièces inestimables. D’un signe de la main, elle dépêcha son larbin pour porter à nouveau les deux caisses. Doucement, il ne faudrait pas que cela se froisse ! Son grognement fut son unique réponse. Isobella se tourna à nouveau vers ses obligés, souriante. Je tenais à vous les faire parvenir en personne. Certaines sont assez… disons… cocasses. Nonobstant, le commanditaire est une personne haute en couleurs, il m’a convaincue avec aisance de me prêter à l’exercice. Elle se tourna vers le jeune Belegad. Mon gentilhomme, je vous prierai de n’enfiler aucunes de mes créations, mais de vous contenter d’en admirer la valeur symbolique. Puis vers sa sœur. Quant à vous, jeune demoiselle, j’ose espérer que votre tour de taille accueillera parfaitement les œuvres qui vous sont destinées. Le porteur se permit de rentrer pour y déposer les présents, le caractère formel des paquets ne permit pas d’identifier l’expéditeur. Seul y fut apposée l’adresse des locaux de Dame Tibb à Caelum. Sur ce, en cette belle journée aux Jardins, je vous adresse une franche bénédiction. " Un claquement de doigts plus tard et l’homme suivit la couturière, pour ne plus jamais avoir à revenir ici.

Le premier colis fut destiné à Priam Belegad. À l’intérieur, la première chose sur laquelle il put tomber – s’il ouvrait le paquet dans le bon sens – était une robe à crinoline, bien trop grande pour être taillée sur n’importe quelle femme du foyer ; encore moins sur l’Ange. Toutefois, cette pièce rappelait forcément une soirée, un bal à Cael lors du douzième cycle lunaire. La copie s’avéra être une reprise de l’authentique tenue portée par Erza Taiji Stark, Impératrice des Deux Rives, lors de cette fameuse soirée. À croire que les stylistes du coin ne purent réprimer l’envie de sauter sur l’occasion pour toucher un public plus… barbare. Quoi qu’il en soit, on pourrait pratiquement croire que c’était la vraie.

Quant au second paquet, pour Laëth Belegad, là aussi on retrouvait des robes, plusieurs exemplaires cette fois. Toutefois, le caractère de celles-ci dépeignait une utilisation pour des occasions moins mondaines, plutôt pour faire plaisir aux mirettes d’un mari, d’un amant, ou de beaux inconnus. Au nombre de trois, ces robes à la fois chiques et coquines suivaient les courbes de l’Ange, mettant en valeur ses formes, comme si quelques anthropométreurs s’étaient emparés de ses mesures. Le coloris de ces habits va du noir profond au rouge désirable, en passant par le blanc affriolant. Tantôt mâts, tantôt transparents, chaque partie de la dentelle fut cousue avec soin. On ressentait tout le dur labeur ayant mené à sa naissance rien que par le toucher.

Cependant, la plaisanterie ne s’arrêta pas là. Car, sous les ouvrages d’Isobella Tibb, au fond de chaque colis, se tapit une écharpe violette – lavande pour Laëth, aubergine pour Priam – de facture remarquable. En déroulant la pièce d’hiver, il était possible de remarquer les initiales "PP" cousues en blanc sur l’une des extrémités, discrètes et stylisées. Mais plus que tout, une missive se déroba en dehors de chaque écharpe, toutes les deux identiques.

Chers Kiir Belegad,

Vos cadeaux m’ont coûté un bras.

Priam, entraîne-toi à danser avec.

Laëth, ne les jette pas dans la cheminée.

Nous nous reverrons bientôt.

Pendrake Hrafninn

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