Isolé dans sa chambre, sans que personne ne puisse troubler ses profondes réflexions, Bæwon faisait face à une feuille encore vierge de tout écriture. Il ne savait guère par quoi commencer, que dire en premier lieu. Le fond, ça, il ne doutait pas l'avoir, mais la forme quand à elle demeurait un mystère à ses yeux. Cela faisait longtemps depuis la dernière lettre qu'il avait échangé avec son frère, Demyr, exilé de l'île pour n'être qu'un humain. Oh certes, pour la plus part des gens ils avaient l'air de parler continuellement, pas plus de deux semaines s'écoulaient sans que l'un n'envoie une lettre à l'autre. Se répondant ainsi succinctement, sauf lors des événements importants dont il ne pouvait attendre d'en faire la nouvelle, mais aujourd'hui voilà deux mois que le jeune Lyrienn n'avait rien envoyé.
La dernière lettre de Demyr, reçut quelques semaines plus tôt, lui avait paru fade, sans réel intérêt. Peut-être avait il grandit suffisamment pour ne plus y voir une importance capital. Même s'il restait son frère, la distance était en train de briser tout ce qu'ils avaient partager, et les nombreuses promesses qu'ils s'étaient faite s'étioler au fil du temps. Le jeune lyrienn, devant encore faire ses preuves, sentait bien que la place que son frère lui avait réserver ne serait bientôt plus la. Voila que sa compagne, humaine également, était tombée enceinte. Dans moins d'une année, Demyr deviendrait père, âgé d'à peine une vingtaine d'année. Si Bæwon en avait les larmes aux yeux de bonheur dans les premiers instants, à la lecture de cette nouvelle, une jalousie amer avait fait son apparition depuis. Il deviendrait oncle, certes, mais il perdrait la place si importante qui l'unissait à son grand frère.
Sa charmante main caressa le bureau de bois clair avec une douceur élégante. Il vint faire tourner ses doigts, avec une extrême délicatesse, autour de la plume qui trempait toujours sa pointe dans l'encrier. Le liquide bleutée était aussi clair que l'océan qui entourait l'île paradisiaque de Su. L'adolescent hésita quelques derniers instants fatidiques puis attrapa avec grâce la plume, dont il laissa le surplus d'encre couler le long de l'encrier pour rejoindre le reste du liquide. Il vint essuyer la pointe contre le buvard nouvellement acquis qui attendait paisiblement dans un coin du bureau que l'on ne vienne le salir. Puis Bæwon entreprit enfin la rédaction.
"Mon cher frère,
Cette nouvelle que tu m'as annoncé m'emplit d'une joie intense, j'espère que ta compagne que tu décris comme si charmante fera de toi un homme épanoui. Mère m'a demandé discrètement si tu comptais bientôt la demander en épousailles. Tu seras un excellent père, je n'en doute nullement, tu as été un frère si exceptionnel pour moi que je ne vois pas d'autres possibilités. Comme tu me l'as proposé, j'ai invité père et mère à venir te rendre visite. Bien sur ils ont été contre, mais je sentais que Mère en avait envie, j'espère qu'ils viendront te voir lorsque ton fils sera né. J'essaie toujours de les y pousser, mais tu sais comme ils sont, ils ne veulent pas quitter notre île.
Ici tout ce passe bien, la vie continue son cours. Aucune étreinte n'est venu pour moi, trois des notre l'ont reçu ce dernier mois, ce qui adonné lieu à une grande célébration. L'humeur joyeuse de la fête était fort agréable, mais elle m'a malheureusement rappelé que je te rejoindrais bientôt.
J'ai surpris Mère l'autre jour à discuter avec notre Müellim, elle était inquiète et voulait savoir s'il y avait des choses à faire pour m'aider à l'atteindre. Lorsqu'ils m'ont enfin remarqués, leur conversation a immédiatement changé de sujet, c'était fort marrant de voir mère gênée, c'est si rare. Je suis sur que tu en aurais ris et que tu vas rire en lisant ceci et l'imaginer ainsi. Je les ai salué poliment avant de les laisser reprendre leurs conversations. Je ne sais pas si les conseils vont porter leur fruits, mais depuis Mère m'a acheté divers nouveau savon et produit afin de m'harmoniser d'avantage avec l'eau. Comme si je ne le faisais déjà pas assez. Père trouve cela ridicule aussi, il n'en dit rien devant elle, mais n'en pense pas moins. Il me l'a avoué durant notre dernier barbotage dans la rivière. D'ailleurs, son niveau à monté, je n'ai pas compris avec exactitude la cause, mais elle a débordé de son lit, sans grande catastrophe, je t'en rassures.
J'ai, moi aussi, une excellente nouvelle à te donner. Certes, bien moins importantes que la tienne, mais elle va t'emplir d'une immense fierté. Avant-hier, de plus jeunes enfants m'ont poursuivis et taquinés avec un peu trop de ferveur, on aurait dit des vrais petits utilisateurs du Deck en devenir. J'ai réussis à les faire fuir. A plusieurs reprises je leur ai gentiment demandé de me laisser en paix, mais rien y faisait. Alors j'ai haussé le ton. L'un d'eux, le chef de la bande, en est venu au mains avec moi, pour prouver sa supériorité aux autres sans doute. Et saches que j'ai triomphé, je n'ai pas fuis mais l'ai combattu, il a fini au tapis en l'espace de quelques mouvements. S'il n'avait pas été moins âgé que moi de trois ou quatre années, j'en aurais été fière. Mais actuellement j'éprouve une certaine honte. Heureusement lui aussi, la nouvelle ne s'est donc pas propagée sur l'île. "
Sa lettre lui paraissait bien, quoi que trop banal, comme il les trouvait de plus en plus au fil du temps. Toujours cet intérêt disparut, cette fougue des premiers échanges qui lui prouvait comme Demyr était fort et courageux. Qu'il parvenait à refaire sa vie sans le moindre soucis. Son frère peignait toujours un portrait grandiose de la ville dans laquelle il vivait dorénavant, tout avait l'air si magnifique que Bæwon rêvait d'y voyager. Mais voila, il ne parlait plus de ces choses la maintenant, presque tout avait été dit et seul les banalités restaient. La vie avançait simplement.
Allumant une bougie, le jeune homme relu ce qu'il avait rédigé, s'interrogeant sur son contenu et hésita même à la déchirer. Chiffonner ce papier et le jeter de l'autre côté de la pièce, partir sur son lit pour penser à tout ça, sans doute pleurer. Il ne le fit pas. Une peur profonde lui rongeait le cœur et il se devait d'en faire partager son frère. Ils s'étaient promis de toujours tout se dire, de tout partager. Il souffla longuement, puis se lança dans la suite de la rédaction.
