Où es-tu ? Où vas-tu ?
[Dahlia]

« Elijah, mon ami,

Tu me manques. Nous nous sommes quittés il y a longtemps, mais pas un jour n’est passé sans que je ne pense à toi. Je m’inquiète. Tellement… Pour toi… Pour moi… Les heures défilent et nous nous transformons à chacune d’elles. Je ne cesse de me demander : Serons-nous les mêmes lors de notre prochaine rencontre ? J’en doute. Mais l’évolution est un nécessaire. La vie nous conduit là où nous devons être. Elle nous enseigne des leçons qu’il nous faut retenir. Certaines sont douces, d’autres terribles. Il faut pourtant continuer. Il faut vivre. Il y aura des individus dont la vie aura été facile. Il y aura aussi ceux à qui la vie n’aura fait aucun cadeau. Et puis, il y aura le juste milieu. Où nous trouvons-nous dans tout cela ? À quel groupe faisons-nous partie ? Je me pose sans doute trop de questions…

Mon ami… Tu me manques terriblement. Je suis, tout comme toi, en train d’apprendre auprès des autres et de voyager. Je vis ce que j’aurais pu appeler mon quotidien. Cependant, cette fois, j’ai entrepris ce nouveau voyage seule. L’étreinte de ton souvenir est ma seule véritable compagne. Je crois avoir brisé mes repères. Cependant, c’est une chose que j’ai choisie. Je ne veux pas rester statique. Je veux être mobile. Je veux dire « oui » à ce que la vie me propose. Je veux découvrir. Et pour cela, il me faut détruire pour reconstruire. Je suis un château de cartes. Je peux prendre différentes formes mais, au final, je suis faite des mêmes matériaux. Je suis la même et je ne le suis plus. Me comprends-tu ? Ressens-tu la même chose ?

Elijah, je rêve parfois de toi. Ta présence chimérique est rassurante… Je dirais même sécurisante. Quand mes yeux se ferment, j’essaye d’imaginer les tiens qui s’ouvrent. J’essaye de voir ce que tu vois. J’aimerais pouvoir être là avec toi. J’aimerais pouvoir être là pour toi. Mais le temps défile. Il défile et insiste : l’heure de notre rencontre n’a pas encore sonné. Il nous faut encore évoluer. Elijah… Où es-tu ? Où vas-tu ? Comment te portes-tu ? J’ai compris que la vie pouvait prendre des tournures inattendues. Et c’est parce que je l’ai compris que je ne peux que m’inquiéter davantage. Tu es si cher à mes yeux… Mon ami, ne te mets pas en danger… S’il te plaît. Je ne pourrais pas le supporter s’il en était autrement. Je t’en prie…

Prier… Je le fais tous les jours, à présent. Durant mon voyage, ma foi s’est renforcée. Je fais confiance en mon Destin. J’emprunterais le chemin que les dieux me désigneront. J’ai décidé de m’en remettre à eux et de tendre l’oreille pour entendre leur conseil. Je ne leur donne pas ma confiance aveuglement mais… j’ai le sentiment qu’en suivant la voie qu’ils ont dessinée pour moi, je pourrais être utile. Je veux être utile. Maintenant, des personnes comptent sur moi - comme moi je compte sur toi pour rester sain et sauf. Je ne veux pas les décevoir. Plus qu’un château de cartes, je veux devenir une montagne. Je veux pouvoir rester forte et inébranlable. Je ne le serais pas tout de suite mais je m’efforcerais de l’être. Seul l’avenir sait déjà si j’y arriverais. Seuls les dieux le savent…

Mon ami… Je prie pour que le propriétaire de l’aigle ne m’ait pas menti sur les capacités de son volatile. A-t-il réussi à te trouver et à t’apporter mon colis ? Si tu lis ses mots, ce doit être le cas. L’animal est dressé pour retourner vers son propriétaire dès qu’il entendra ses mots : « Adriaj » C’est son nom. Si tu veux m’écrire en retour pour me donner de tes nouvelles, n’hésites pas à te servir de l’aigle. Je ne peux pas te dire où je suis pour la simple et bonne raison que je l’ignore moi-même. Le Désert est immense et certaines de ses zones sont encore bien méconnues… Il me faut découvrir. Mais je dois d’abord en apprendre plus sur moi. Je dois apprendre à me servir de mes forces et à maîtriser mes faiblesses. Je dois devenir plus aguerrie. Peut-être que, lorsque tu me reverras, je serais devenue une guerrière de trois mètres, mon ami. Je souris à cette éventualité extrêmement étrange mais qui sait ? Comme je le l’ai écrit, il y a des choses qui dépassent tout entendement.

Et c’est parce qu’il existe ce genre de choses que tu trouveras un petit paquet en lin avec les mots que tu lis. Enfin… J’espère que le paquet ne s’est pas détaché pendant le voyage de l’oiseau jusqu’à toi… Si c’est le cas, alors… Eh bien, tant pis… Mais si ce n’est pas le cas, tu trouveras dans le paquet un petit bijou. Il s’agit d’un pendentif en azurite en forme de cœur. Il est enchanté afin que tu puisses aller là où ton cœur le souhaite. De plus, il existe une légende qui affirme que l’azurite neutralise les énergies négatives. Je ne sais pas si cela et vrai mais j’ai pensé à toi quand je l’ai vu. Je veux que tu sois protégé… Je veux te revoir.

Bien à toi,
Dahlia »

Dahlia appliqua la dernière touche d’encre en signant. Elle releva doucement ses yeux verts. Non : elle ne se trouvait pas du tout dans le Désert. Au contraire, les lieux qui l’entouraient étaient des plus fertiles. Tout comme elle devait l’être pour accomplir la tâche que les dieux lui avaient confiée. Elle devait aider un peuple à se purifier. Mais, tout cela, elle n’en dirait rien à Elijah. Malgré l’amitié extrêmement forte qui les unissait, elle avait promis.

Doucement, elle se leva pour apporter sa lettre au dompteur de faucons. Dahlia comptait sur Adriaj, l’aigle royal, à présent.

Cadeau pour Elijah:

Ce que le cœur murmure n'est pas toujours bon à entendre.

Elijah se mit sur les flancs, tirant le drap jusqu'à lui. Il se sortait lentement du sommeil, sa conscience émergeant progressivement de l'endroit brumeux où elle s'était cachée. Pour la première fois depuis longtemps -probablement depuis la dernière fois où il avait été en compagnie d'Atheria- il avait l'impression de s'être véritablement reposé. C'était un réveil doux, agréable. Ils étaient rares pour le garçon. Habituellement, il ouvrait brusquement les yeux, le cœur battant et les muscles bandés par l'anxiété d'un cauchemar. Ce jour là en revanche, il était parfaitement détendu. Il n'avait fait aucun cauchemar venant le hanter. Au contraire même... Il avait l'impression d'avoir fait un rêve très agréable, de ceux qu'il renouvellerait volontiers si son subconscient voulait bien le laisser tranquille. Sans s'en rendre compte, un sourire se dessina sur son visage encore endormi. Ses pensées commençant à s'organiser, il tenta désespérément de s'accrocher aux fragments de la nuit, aux réminiscences qui lui étaient encore accessibles. Il voulait se souvenir de ce rêve. Il ne savait pas pourquoi, mais une part de lui était certaine qu'il serait malheureux s'il oubliait ce qu'il s'était passé. Alors il fouilla dans sa mémoire, cette traîtresse qui l'avait tant de fois trahit par le passé.

Peu à peu, des fragments revinrent à l'esprit de l'ailé : l'impression d'enfin être retourné chez lui, de là d'où il venait. C'était un sentiment particulièrement agréable. Puis un visage. Dahlia. A cette constatation, son cœur se serra, sans qu'il ne sache si c'était là un signe de joie ou de culpabilité. Mélange subtile des deux, sans doute. Pourquoi ? Il ne savait pas. Il devait creuser davantage. Qu'avaient-ils fait ? Ils s'étaient battus. Pour quelle raison ? S'étaient-ils disputés au point d'en venir aux mains ? Il y avait forcément une autre explication : jamais Elijah ne serait venu aux mains pour régler un désaccord ou un problème avec l'Humaine. La raison ne tarda pas à fuser, telle une évidence : ils s'étaient affrontés pour sceller leurs lèvres. Cela lui semblait grotesque : il n'y avait aucune logique. Pourquoi se seraient-ils battus pour pouvoir s'embrasser... Et puis d'abord, pourquoi aurait-il voulu embrasser la jeune femme ? Il l'aimait profondément, mais pas de façon romantique. Davantage comme une amie très précieuse, comme une confidente. Dahlia était devenue un pilier pour lui, quelqu'un sur qui il pouvait compter dans les moments difficiles - comme lors de l'annonce de cette rumeur sur les élus d'Hel'Dra, par exemple. Échanger avec elle à ce sujet lui avait fait beaucoup de bien. Pour rien au monde, il n'aurait risqué cette relation qu'il entretenait avec elle. Pour rien au monde il n'aurait essayé de faire évoluer les choses dans ce sens ! D'abord, parce qu'il ne l'envisageait pas de cette façon. Ensuite, parce que son cœur appartenait déjà à quelqu'un d'autre. Oui, Dahlia n'était qu'une amie. Et pourtant... Il se souvenait l'avoir embrassé dans ce songe dénué de toute logique. Il s'était penché au dessus d'elle et lentement abaissé, jusqu'à ce que leurs lèvres se frôlent, fusionnent, que leurs langues se cherchent avec avidité... Son cœur tambourina violemment dans sa cage thoracique, comme s'il cherchait à s'enfuir. Bien malgré lui, il fut obligé de constater qu'il avait... apprécié ce baiser. Qu'il avait souhaité qu'il dura plus longtemps, que leur étreinte se prolonge.

Elijah ouvrit brusquement les yeux. Son visage n'était plus du tout serein. Son sourire avait tout à fait disparu, remplacé par une grimace rigide. Il déglutit avec difficulté, tremblant légèrement. Avec toute la force d'esprit dont il disposait, il s'efforça de rejeter ces souvenirs qu'il était allé déterré. Guindé par le malaise, il s'extirpa du lit. Aussitôt, ses yeux se posèrent sur la table de chevet et sur la lettre qui y reposait. Le brun soupira en passant une main dans ses cheveux débraillés. La lettre. Sans doute était-ce la raison de son trouble. Oui, les paroles de Dahlia l'avaient sans doute déstabilisé sans qu'il s'en aperçoive et son subconscient lui avait joué un mauvais tour ! Quel idiot ! Si c'était ainsi qu'il interprétait ses mots, il se fourvoyait grandement. Il le savait. Elle ne l'aimait pas non plus. Du moins, pas en tant qu'amant. Ils étaient amis. Ils le savaient parfaitement tous les deux. Il n'y avait pas besoin de se torturer l'esprit... Oui mais... Même en imaginant qu'il eut mal interprété les propos de l'Humaine... Pourquoi avait-il accepté, lui ? Il fronça les sourcils et secoua vivement la tête, comme pour éloigner cette question dérangeante. Ce n'était qu'un rêve idiot.

Il se leva et quitta sa chambre. Il faudrait qu'il réponde, afin de laisser Adriaj rentrer chez lui, dans le désert. Mais pas tout de suite. Il était trop troublé pour avoir les idées claires.

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Elijah a écrit:

« Dahlia,

Je suis heureux d'avoir reçu ta lettre. Le paquet n'est pas tombé, et ton cadeau m'a fait très plaisir. J'ai également quelque chose pour toi. En les voyant, j'ai immédiatement pensé à toi. Selon la légende, le porteur parveindra troujours à retrouver les êtres qui lui sont chères. Peut-être t'aideront-elles à retrouver tes enfants ? J'espère que tu les recevra bien également, mais je suis certain qu'Adriaj mènera sa mission à bien, comme il l'a fait pour moi.

Tu me manques également. Je ne suis plus dans le désert. En réalité, je ne suis plus en en train de mener cette mission pour laquelle nous nous étions vu la dernière fois. J'ai été missionné pour une autre quête, en attendant que l'équipe reparte. Mais n'ai crainte, je ne risque rien. Je suis accompagné d'autres acolytes et nous veillons les uns sur les autres.

J'espère que tu te portes bien également. Que tes voyages ne sont pas trop éprouvant pour toi. Je sais que tu y es habituée maintenant, mais la routine ne fais pas tout. On n'est jamais à l'abri d'une mauvaise surprise. Sois prudente, donc.

J'ai hâte de pouvoir te revoir.

Elijah. »

La lettre était courte, bien plus que d'habitude. Malgré ses efforts pour oublier, les souvenirs de ce rêve le hantaient encore.

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