Cher Zéphyr,

Aujourd'hui, j'ai appris ton existence. J'étais partie me baigner avec les autres, comme d'habitude. J'ai des amis, des amis fidèles sur qui je peux compter. Peut-être que je t'en parlerai, dans une prochaine lettre. Alors que je barbotais dans les bulles formaient par les remous de l'eau entre les rochers, j'ai perçu une conversation entre deux villageoises. Je les ai très clairement entendu parlé de nous, prononcé notre nom de famille. Les Worthington ne sont pas rares parmi les Lyrienns, mais dans le village, nous sommes les seuls depuis que nos grands-parents sont décédés. J'y pense... les aurais-tu connu ? Je sais simplement que tu es parti quand j'étais petite fille, je n'ai pas eu plus de détails. Mais je m'égare bien trop facilement dans l'écriture de cette lettre... Il faut dire que je suis bouleversée. Lorsque je suis rentrée et que j'ai rapporté ce que j'ai entendu dire sur un supposé aîné qu'on m'aurait caché, Papa a piqué une colère. Ce n'est pourtant vraiment pas son genre, de réagir à chaud... Il m'a interdit de parler de ce sujet, m'a assuré qu'il n'y avait rien à savoir et face à mon insistance, m'a privé de diner et envoyé dans ma chambre.

Plus tard, Maman est venue toquée à ma porte. Ses traits étaient tellement tirés que j'ai cru qu'elle venait de vieillir de dix ans en une seule soirée. Elle était... inquiète, et triste. Elle ne t'a jamais oublié. Elle m'a raconté qu'un jour, tu avais montré des preuves d'anti-magie. Cela a dû être atroce pour toi. Ne pas être ceux à quoi on t'a toujours préparé... Ça devait être tellement déstabilisant ! Pour ne rien arranger, ils t'ont jeté dehors, comme un malpropre. Tu es devenu un paria aux yeux de ton propre peuple... Je ne comprends pas vraiment cette manière de penser. Certes tu étais d'une nature différente que celle que tout le monde avait pensé être la tienne, mais était-ce une raison suffisante pour agir de la sorte ? Je veux dire... Tu n'as pas changé de personnalité pour autant. Il n'y a que les éléments qui forgent le caractère, du moins, de ce que j'en sais. L'anti-magie n'aurait eu aucune conséquence sur ta manière d'être ! Tu n'étais qu'un enfant, comment aurais-tu pu représenter un danger quelconque pour qui que ce soit ?

En tout cas, sache que Maman et maintenant moi, depuis que je suis au courant, nous pensons toujours à toi. J'aimerais tellement en savoir plus à ton sujet... Je suis curieuse. Je n'ai pas beaucoup de souvenir avant l'âge de six ans et absolument aucun de toi. Il n'y a même pas de portraits te représentant à la maison. Tout ce que j'ai, c'est ton nom et le manque que tu as laissé dans le coeur de Maman. À elle aussi, toute cette histoire doit énormément pesé...

Tu ne liras sans doute jamais ces lettres puisque, de toute façon, je ne saurais pas à qui ni où les adresser. Peut-être as-tu changer d'identité en quittant les îles d'Aeden ? Je n'en sais rien, je ne peux qu'imaginer ce qu'est ta vie à présent, loin de ta famille. Imaginer, certes, mais à quel point suis-je loin de la réalité ? Ta souffrance a dû être profonde et réelle. Tu as été abandonné à ton sort, personne ne sait où et depuis, aucune nouvelle. Ici, nous n'avons même pas le droit de faire allusion à ton existence. C'est injuste. Pour toi, pour nous, pour Maman. Pour tous ceux qui ne seront jamais étreint par leur élément.

Tu sais... Moi aussi j'ai peur. Les dames que j'ai entendu, qui ont parlé de toi, et tous les autres, je suis certaine qu'ils s'attendent à ce que je subisse le même sort que toi. Maman ne le supporterait pas et... Papa m'oublierait. Comment as-tu fait pour t'en sortir ? C'est peut-être idiot mais depuis que je connais ton histoire, j'ai préparé un sac, avec les objets auxquels je tiens le plus. Si je dois partir, il me restera toujours quelques souvenirs... J'y ajouterais cette lettre et si un jour nos chemins sont amenés à se croiser, je n'aurais qu'à te les transmettre. Même si je préférerais rester Lyrienne, un jour, j'espère te rencontrer.

Avec toute mon affection,

Ta soeur, Boréa.

784 mots

Cher Zéphyr,

Je t'écris à nouveau aujourd'hui, bien qu'il n'y ait rien de bien nouveau dans ma vie. Enfin, à part la foulure au poignet de maman... Elle se l'ai faite bêtement, en changeant les draps du matelas. La pauvre, j'ai cru qu'elle devenait folle ! Elle avait bien-sûr de quoi s'inquiéter mais quand même... Puisqu'elle ne peut plus tisser, Papa a dû trouver une solution pour augmenter ses revenus. Il a donc ouvert une classe exceptionnelle d'initiation aux arts martiaux. Il a eu des élèves de tout âges et de tous horizons, venant même parfois du village voisin. Heureusement, sa réputation nous a pas mal aidé. Mais figure toi que ce n'est pas du tout les problèmes d'argent qui faisait peur à Maman ! C'était de laisser la maison entre les mains de Papa ! Qu'est-ce que j'ai ris quand elle lui a avoué que sa lessive avait une drôle d'odeur et que les tâches n'étaient pas partie... Il a dû tout recommencer et il était complètement penaud ! On aurait dit un enfant qui se faisait gronder ! Évidemment, moi aussi j'aide de mon côté, comme je le peux. Je dois tout de même aller en cours... Et je n'ai même plus le temps d'aller au lac, avec les autres !

D'ailleurs, en parlant des autres, sache que c'était la raison première de ma lettre. Même si l'anecdocte était drôle et que j'en ris encore en l'écrivant et en la relisant... Je comptais, comme promis dans ma dernière missive, te parler de mes amis. La première d'entre elle se nomme Isilnessa ou Nessy, c'est plus rapide et beaucoup plus simple à prononcer ! Elle a mon âge et il s'agit de la principale descendante des Sohan. Tu dois te souvenir d'eux, c'est forcé ! Ils gèrent tellement de chose dans le village... Et ce sont les meilleurs clients de maman ! Madame Sohan a même ramené une corbeille de fruit en apprenant la nouvelle... Maman dit qu'elle est charmante, Nessy dit qu'elle est psychorigide. J'imagine qu'elles ont chacune vu une facette de la personnalité de cette femme, mais comme je n'en ai jamais vu aucune, je ne m'avancerais pas sur la question.

Enfin voilà, Nessy est une adolescente absolument ravissante. Elle est blonde comme les blé, elle a des yeux marrons qui prennent une magnifique teinte dorée au soleil... Et son sourire ! Elle a un sourire tellement serein que n'importe qui doit se sentir bien en sa présence. En tout cas, je ne lui connais pas d'ennemi. Qui ne l'aimerait pas, et pourquoi ? Cette fille est une véritable crème... Elle est douce, calme et intelligente. Je ne l'ai jamais vu se mettre en colère. Elle cherche toujours la meilleure solution lorsqu'un problème se pose à elle et elle est toujours de bon conseil. J'adore lui raconter tous mes secrets et mes tracas. C'est un peu ma confidente, je lui dit des choses que je ne peux pas révéler à tous...

Le genre de chose que je ne pourrais pas raconter à Miel, sa cousine. En fait, elle s'appelle Ninìel Sohan, mais la première fois qu'elle m'a appris son prénom, je n'avais pas bien entendu. Elle s'est moqué de moi un bon moment mais finalement, le surnom est restée. C'est une petite brune qui est plus jeune que nous, d'un an seulement. Pourtant, elle est si petite et menue qu'on dirait encore une petite fille ! Surtout qu'elle se promène partout avec Teddy, son doudou... Elle nous rabâche les oreilles sur le fait que ce n'est PAS un doudou mais bien son meilleur ami, rien n'y fait. Elle a l'air d'un bébé qui s'est perdu et qui devrait être en train de faire la sieste... Et puis elle a un petit truc carrément innocent quand même. En fait, je ne sais pas si elle est juste encore trop naïve pour dire tout ce qui lui traverse l'esprit, ou si elle le fait juste pour être agaçante. Parce que, je t'assure, quelque fois ce qu'elle dit est vexant ! On dirait qu'elle ne s'en rends pas compte ou alors, c'est qu'elle le fait exprès. Personne ne saurait vraiment donner le fin mot de cette histoire... En tout cas, je les connais depuis que j'ai peut-être huit ans ? J'ai d'abord rencontré Nessy, chez notre professeure. Le lien entre nous s'est créé de lui-même, comme une évidence. Avec Miel, cela a été plus long est difficile. Nessy devait veiller sur sa jeune cousine et moi j'y voyais juste une fille qui me piquait ma meilleure amie. J'ai mis un certain temps à l'accepter... À présent, pour moi aussi c'est comme une petite soeur. On la reprends lorsqu'il le faut, et on l'empêche de foncer dans le tas sans réfléchir. Comme cette fois où elle voulait sauter d'une falaise qu'on avait trouvé, qui était si haute qu'elle se serait rompu le cou si elle s'était raté. Heureusement, Nessy lit presque dans ses pensées, et elle l'a interrompu juste à temps !

On vit tellement d'aventures, tous ensemble... Mais il est tard et si Maman ou Papa me surprennent à trainer à cette heure-ci, ils vont sans doute me punir. J'ai tant de mal à me réveiller le matin, ils vont encore m'accuser de ne faire aucun effort... Pourtant, je n'y peux rien ! J'aime les grasses matinées autant que mes draps tiennent à moi. Sur ce, je vais aller me coucher, avec une dernière pensée pour toi, où que tu sois...

J'espère que tu te portes bien,

Boréa, ta soeur.

995 mots

Cher Zéphyr,

La dernière fois, je t'ai surtout parlé de mes amies, au féminin. Mais je ne t'ai pas encore présenté Elphenior, que l'on raccourcit à Elphen tout simplement et qui se trouve être un de nos cousins. Du moins, nous sommes assez éloignés dans la branche généalogique, du coup de Papa. Ce n'est même pas un Worthington, mais c'est le cas de sa grand-mère. Papa et sa mère eux, sont cousins... Enfin bref, tu imagine bien, la famille et ses histoires de lignées, c'est compliqué ! Toujours est-il que sa mère a décidé d'emménager au village il y a de cela seulement quelques années. Elle en avait assez de devoir faire des kilomètres pour aller au marché et elle espérait que son fils soit plus communicatif en s'entourant de jeunes de son âge. Parce que c'est vrai qu'Elphen est... Un peu renfermé. Ce n'est pas qu'il est timide, pas du tout, mais il préfère rester dans sa petite bulle, généralement avec un bouquin. Il faut de tout pour faire un monde ! C'est ce que Maman a dit à la mère d'Elphen pour la rassurer. Il n'est pas bizarre, juste différent et ça n'a rien d'une tare !

J'ai décidé de prendre les choses en main quand même, en voyant qu'il ne faisait aucun effort pour se faire des amis. Je lui ai dit imposé notre présence, en quelques sortes ! Il a du mal à dire non quand je lui propose quelque chose... Au départ, je l'ai simplement emmené à notre rivière, dans le coin qu'on aime bien fréquenter. Miel lui a directement sauté dessus pour lui poser des tas de questions et Nessy restait en retrait, mais j'ai bien vu dans son regard... Quelque chose l'intriguait. Je ne me doutais pas encore à cette époque qu'elle était tombée amoureuse au premier regard... La pauvre, son premier amour, un garçon qui ne la voit pas du tout parce qu'il a la tête plongé dans un livre ! Ces choses là ne se contrôlent pas, il paraît. Je t'avoue que je n'en sais rien, ça ne m'est pas encore arrivée. L'amour... C'est encore une idée assez abstraite à mes yeux. Et je ne pense pas qu'Elphen soit même intéressé par le concept... Sauf peut-être pour en étudier la théorie !

Il étudie beaucoup, de fait, bien que la plupart des écrits qu'il consulte sont de type romanesque. Il aime beaucoup la fiction, les contes où un héros doit se sacrifier pour la bonne cause. Il est très intelligent, vif d'esprit... Je sais des choses mais pas autant que lui, c'est sûr. Je ne le rattraperai sans doute jamais, à la vitesse où il ingurgite toutes ces informations ! Et il n'est pas douée qu'avec sa matière grise. Lui aussi, suit les cours d'arts martiaux de Papa. Je ne sais pas si je l'avais déjà mentionné, mais il m'apprends l'art des Tessen. C'est moi qui les ai choisi ! Elphen préfère tout ce qui ne nécessite pas d'armes. Il veut être capable de se débrouiller en ne possédant que peu de choses... Il progresse à une vitesse folle, alors qu'il apprends plusieurs disciplines en même temps... Je trouve ça parfois injuste. Papa s'extasie devant ses progrès alors que je stagne. J'essaie de ne pas mal le prendre ou de l'envier mais ce n'est pas facile, tout lui réussi ! Jusqu'à ces derniers temps... Son Élément s'est même révélé, alors qu'il n'a que 15 ans ! C'est plutôt jeune et c'est le premier du village. Tout le monde l'admire et parle de lui... La seule raison d'évoquer notre nom, c'est pour la notoriété de nos parents dans le tissus et les arts martiaux. Je suis tellement banale à côté de lui...

Et d'un autre côté, je suis inquiète. Je le vois utiliser l'Eau pour créer des formes un peu plus complexes et tangibles à chaque tentative, en me demandant si un jour, je serais moi aussi une Lyrienne. Je n'en suis pas certaine du tout et j'attends, puisqu'il n'y a rien d'autre à faire, j'attends et j'espère. C'est un peu égoïste vis-à-vis de toi, mais je n'ai pas envie d'être une humaine. Tu n'as pas eu le choix et tu n'avais peut-être pas envie non plus d'être chassé ou de développer de l'anti-magie, je suppose... Tu as du te sentir triste, seul et abandonné. J'espère qu'entre temps, tu as pu trouvé des gens sur qui compter... Je ne sais pas si j'en serais capable. Nessy, Miel, Elphen, nos parents... Ils ne sont pas parfaits, aucun d'entre eux, et tu dois certainement en vouloir à Papa de t'avoir tourner le dos. Mais j'aimerais tant rester avec eux, pour toujours ! J'ai toujours dans l'idée de chercher à te localiser et à te contacter, plus tard. Il serait préférable que j'ai de l'aide pour cela, j'imagine déjà partir en voyage avec mes amis, ce serait tellement fantastique !

D'autant que, bien que je t'écrive, je ne sais pas comment tu réagirais face à moi. Te souviens tu de ta petite soeur ? As-tu seulement envie de reprendre contact avec cette famille là, que tu as du quitter du jour au lendemain ? Avec tout ce passé qui doit t'être douloureux ? Je ne sais pas. Si tu me chasse et que tu ne veux pas me voir ou me parler, j'aurais besoin de réconfort. Là encore, je préférerais être entourée...

Peu importe, tout comme toi, je devrais affronter ce qui arrivera. Parfois, je rêve de toi et je te vois, parmi d'autres humains, avec une nouvelle famille, heureux. Je voudrais vraiment que ce soit le cas... D'autre fois, j'en fais des cauchemars. Après tout, il a pu arriver tout et n'importe quoi ! Et si tu avais fini esclave, chez les sorciers ? Si tu étais simplement déjà mort depuis longtemps, de faim, de froid, à cause d'une bête sauvage ? Je ne peux qu'imaginer et mon cerveau ne cesse d'inventer de nouveau scénarios pendant mon sommeil. Je m'en passerais bien, surtout lorsqu'il s'agit de fin tragique... D'une certaine façon, je pense que tu me manque. Je ne me souviens même pas de toi, mais maintenant que je sais que tu existe, j'aimerais beaucoup avoir un grand frère. Quelqu'un qui veillerait sur moi...

C'est un peu bête mais quand je regarde le ciel nocturne, je me dis que, peut-être, toi aussi tu regarde les étoiles. Nous sommes loin l'un de l'autre, mais nous serons toujours liés par quelque chose que je peux presque ressentir quand mon coeur bat. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai l'impression que tu es vivant. J'ai l'impression, que toi et moi, on a encore des choses à vivre ensemble. Je me trompe, peut-être. Mais j'ai envie d'y croire...

On se reverra, un jour...

Boréa. (Je ne précise plus qui je suis, tu as compris dans les deux précédentes lettres.)

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