Je me levais, ce matin comme un autre. Automatiquement et encore ensommeillée, je me dirigeais vers la bassine d’eau tiède que ma mère avait déposé devant ma chambre. Je m’empressais de l’utiliser pour ma toilette et me séchais tout aussi rapidement. Mon estomac commençait à gronder, réclamant sa pitance et mon corps son énergie pour la journée à venir. Je me hâtais donc à ranger de ce dont j’avais eu besoin pour me lever, vérifiant au moins trois fois d’affilés qu’il ne restait rien qui ferait tâche dans ma chambre parfaitement ordonnée. J’avais besoin d’avoir un peu de contrôle sur ma vie, et je l’exprimais de cette manière ; en gardant la seule pièce qui m’appartenait dans un état de propreté parfait. C’était là l’un des moyens que j’utilisais pour éviter de penser à la pire angoisse que je portais. Je ne savais même pas ce que je serais demain… Lyrienne ? Humaine ? Magicienne ? Sorcière ou encore un entre deux étrange ? Quoi que je fasse, rien n’était déterminée à l’avance. Un beau jour, les Ætheri m’enverraient un signe et je saurais. Je ne pourrais rien n’y faire, ce sera ma nature. Quoi que je souhaite…

Et ce que je voulais, par dessus tout, c’est être étreint par un élément. L’eau, de préférence puisque c’est avec des représentants de cet élément que j’avais toujours vécu. Mes parents par exemple. Lorsque je me levais, ma mère était déjà devant son métier à tisser. Je ne sais pas pour qui elle travaillait en ce moment, mais la couleur pastel du textile qu’elle créait fil après fil me plaisait bien. Je l’embrassais sur la joue avant de rejoindre la cuisine, un peu plus loin. Ici, c’était le domaine de mon père. Ma mère s’était éloigné des fourneaux après avoir failli nous intoxiquais il y avait de ça bien longtemps, trop pour que je n’en garde un quelconque souvenir… Delmar Worthington était encore dans sa tenue de nuit. Il portait un short et une tunique de soie, conçus par ma mère et d’une très bonne qualité. Il était en train de faire cuir des oeufs et des tranches de lards en sirotant du café.

- Bonjour Réa !

Réa était mon surnom, surtout utilisé dans l’intimité familiale. Je m’avançais vers mon paternel sans lui répondre à voix haute mais lui offrait à lui comme à ma mère un baiser sonore sur la joue. Il ne fit aucune remarque, conscient que je n’étais pas forcément du matin. J’étais encore toute groggy, le dos voûtée, les épaules basses et le visages encore gonflé de fatigue. Je m’installais à table, la tête entre les mains comme si elle était trop lourde à porter. L’image amusa mon paternel qui me servit derechef un grand bol de café noir. Je regardais distraitement le liquide encore fumant, en me demandant si la raison qui me tirait hors du lit en valait vraiment la peine. Manifestement, oui, puisque je devais rejoindre l’enseignante du village ainsi que mes amis pour le cours de la matinée. Et étudier était une chose primordiale. Entre ma mère qui inspectait tous les deux jours mes progrès en orthographe, aussi bien en Erek qu’en commun, et mon père qui m’enseignait l’art du combat à l’éventail, on sentait parfaitement les valeurs que mes parents m’avaient inculqués. S’instruire avant tout. Je soupirais, puis trempé mes lèvres dans le café. Rapidement, la boisson chaude me fit du bien. Déjà rien que par la chaleur qu’elle me transmit en passant dans mon oesophage jusqu’à mon ventre. J’étais instantanément révigorée. Après ça, le petit-déjeuner fut avaler à la vitesse de l’éclair avec un appétit d’ogre. C’était le repas le plus important et aussi celui où je me permettais de me resservir une seconde fois. 

Une bonne demie-heure plus tard, habillée et coiffée comme à mon habitude de vêtement plutôt amples, je m’élançais vers la porte d’entrée pour quitter mon foyer. Je saluais au passage mes parents de là où je me trouvais et je filais en direction de la maison de mon professeur. Duveassha était une femme très douce mais aussi très énigmatique. Elle nous apprenait énormément et de manière très ludique, mais jamais quoi que ce soit sur sa personne. En dehors de son nom, toutes les informations que nous avions d’elle restaient flous et incertaines. J’arrivais chez elle un peu en avance et remarquais qu’Elphen, comme toujours, était déjà là, appuyé contre le mur de sa maison, en pleine lecture.

- Qu’est-ce que c’est, cette fois ? demandais-je en me posant juste à côté de lui.

Elphen était l’un de mes lointains cousins. Cela ne faisait pas si longtemps que cela que sa famille, dont sa mère était la cousine de mon père, avait emménagé dans ce village. Boréa avait alors trainé le pauvre garçon de force dans son groupe d’amis ainsi que dans toutes leurs activités. L’adolescent et Boréa avait également une passion commune qui les liait encore plus : les arts martiaux, que Delmar, le père de la jeune fille, leur apprenait après les cours. Ce soir d’ailleurs, ils en avaient un.

- C’est un récit d’aventure. Il raconte ce que le héros et ses compagnons traversent pour retrouver un artéfact magique puissant et perdu.
- T’as pas envie de les vivres, les aventures ? C’est beaucoup plus marrant !

Un autre voix, plus aigu et fluette venait de s’élever derrière Boréa. Il s’agissait de Miel, une de leurs amies. La petite n’avait qu’un an d’écart avec le reste du groupe mais elle était restée toute petite en taille et se comportait parfois toujours comme une gamine. Elle détestait qu’on lui fasse remarquer et se réfugiait souvent dans un coin avec Teddy, son ours en peluche, pour bouder… La petite brune aux yeux dorées était suivie de près par sa cousine, Nessy. Cette dernière faisait bien plus âgée et à les regarder l’une à côté de l’autre, on aurait pu croire qu’une paire d’années les séparer. L’adolescente, blonde cette fois-ci, était la plus calme et posée d’entre tous. Sans doute la plus mature également, qualité qu’elle développait en vue de prendre un jour la main sur sa famille, fondatrice et gérante du village dans lequel tous les quatre vivaient. Elphen ne fit que soupirer à la remarque de Miel, qui, comme toujours, ne se gardait pas de faire des remarques.

- C’est un peu bête. Tu le vis par procuration alors que tu pourrais le faire en vrai ! Tu serais un héro, Elphen !
- Qui te dis que ça m’intéresse ?
- T’es vraiment bizarre si t’as pas envie de devenir quelqu’un que tout le monde adore. Les filles te courraient après, ça changerait, ahah !

Face à cette dernière pique, quelque peu désobligeante, Nessy donna un coup de coude réprobateur dans les côtés de sa cousine. Elle lui fit les yeux ronds, mécontente qu’on s’en prenne à Elphen, pour qui elle avait un béguin secret. Seule Boréa l’avait remarqué mais elle n’en avait jamais parlé à qui que ce soit d’autres. Elle savait respecter les secrets, d’autant qu’elle en confiait un bon paquet à Nessy elle aussi. D’autres élèves arrivèrent à leur tour avant que la professeure n’ouvre la porte de sa maison.

- Bonjour tout le monde ! intervint-elle avec un énorme sourire. Aujourd’hui, les classes se feront près de la rivière. Alors suivez-moi et ne me perdez pas de vue !

Post I - 1215 mots

Le petit groupe disparate d’élèves de tout âge et d’apparences diverses et variées, séparé en petit clan lié par les affinités, suivait distraitement l’enseignante de loin. Aujourd’hui, elle n’avait aucune instrument avec elle, la classe se ferait donc sans ses chansons. En revanche, si elle les avait invités à s’approcher de la rivière, c’était pour une bonne raison. La magnifique jeune femme était une maîtresse pour manipuler l’eau et lui donner toutes les formes que son imagination créait. Ce pouvoir avait un effet enchanteur, surtout sur les plus jeunes qui découvrait à peine ces pouvoirs dont ils espéraient tous être dotés un jour. Sur le chemin, les chamailleries entre Elphen et Miel continuèrent, au grand damne de Nessy qui ne savait plus quoi faire pour calmer les ardeurs de sa cousine. Boréa de son côté n’était que spectatrice. Elle ne prendrait pas le risque de prendre le partie de l’un ou de l’autre, cela ne ferait que créer d’autres débats stériles.

- En plus, tu sais combattre et te défendre ! Tu imagine toutes les filles en détresse que tu pourrais sauver ?
- Et alors ? demanda l’intéressé, fatigué des arguments sans queue ni tête de la plus petite.
- Et alors ? Et alors ?! Mais enfin ! Réa, dis lui toi !
- Lui dire quoi ? Et tu sais que j’aime pas tellement ce surnom !
- Mais enfin, lui dire qu’il devrait lâcher ses bouquins et vivre un peu !
- Je crois surtout que tu devrais le lâcher un peu ! intervient Nessy sur un ton qui se voulait autoritaire. Mais l’autorité, Miel n’était pas trop familière avec ce concept.
- Alors tu es pas d’accord avec moi, Boréa ?
- J’en sais rien. Il a le droit de lire, mais c’est vrai qu’agir ne fait de tord à personne. Dans les deux cas, vous avez raison.
- Non, j’ai raison ! affirma Miel.
- Boréa, tu l’encourage… lui murmura Nessy.
- Pardoon… Je te jure que j’essaie de rester impartiale ! Elle a l’air de tout tourner en sa faveur !
- Bon, ça suffit maintenant, Miel ! Laisse le respirer et vivre sa vie comme il l’entends. S’il préfère les aventures écrites aux « filles », comme tu dis, ça le regarde !

Tous les regards se tournèrent vers la jeune blonde à ce moment là. Elle avait sans doute hausser le ton un peu trop fort cette fois, dépassé par le comportement toujours aussi piquant de sa cousine. Nessy se mit alors à rougir, consciente d’avoir attirer l’attention. Même Elphen la fixait et c’était sans doute ce qui la mettait le plus mal à l’aise. Elle avait tellement envie qu’il s’intéresse aux filles… Enfin surtout à une fille, elle en l’occurrence. C’était bien trop difficile de lui faire sortir le nez de ses pages qui le captivait des heures et des journées entières…

- Roh, ça va ! Dans ce cas, fais ce que tu veux, Elphen. Mais faudra pas dire que personne t’aura prévenu !
- Merci de ta considération à mon égard, Miel, mais j’ai parfaitement entendu et comprit ton point de vue. J’en prends bonne note. Et quand j’aurais décidé de « chasser » les filles, je t’en ferais part pour que tu sois aux premières loges. Satisfaite ?
- Parfaitement ! Il faudra sans doute qu’on revoit ta manière de t’habiller… Et aussi de parler parce que là, j’ai failli m’endormir. Mais oui, chaque chose en son temps !

Les trois amis soupirèrent. Ce qu’elle pouvait faire un drame de peu de chose ! Et surtout, ils étaient tous bien conscient que cette discussion reprendrait sans doute le lendemain ou le jour d’après. Soit Miel avait une mémoire de poisson rouge, soit elle était aussi persistante qu’une tique. Boréa penchait plus pour la seconde option et cela la fit sourire en coin.

- Votre attention, s’il-vous-plait !

Duveahssa se tenait en hauteur sur un petit rocher plat. Elle attendit que tout le monde soit bien présent, comptant rapidement du regard si tous les effectifs étaient là aujourd’hui. Il était rare que quiconque rate un cours mais la jeune femme était précautionneuse et prenait un soin presque maternelle de ses pupilles. Elle organisa d’ailleurs les rangs pour que les plus petits soient assis devant et voient toute la scène. Ses classes avaient aussi la réputation d’être dynamique et de ne laisser personne à l’écart. Néanmoins, la professeure ne forçait jamais qui que ce soit à répondre ou à avoir des mauvaises réponses. Au contraire, elle les encourageait. « C’est ainsi qu’on apprends, en se trompant. » était d’ailleurs sa phrase fétiche.

- Bien. Maintenant que tout le monde est bien installé et que vos oreilles sont grandes ouvertes, nous allons pouvoir commencer. La leçon d’aujourd’hui portera sur la faculté du Quyndily Mantris. Quelqu’un peut-il me rappeler ce que cela signifie ? Oui, Miel ?

Évidemment, elle était souvent la première à lever la main et l’enseignante avait rapidement compris son besoin d’être mise en avant pour progresser. Aussi, la plupart du temps, c’est elle qu’elle interrogeait la première. Elle était ensuite gracieusement félicitée de son intervention et se tenait tranquille pendant au moins tout un quart d’heures. C’était le mieux que l’on pouvait en tirer…

- Il s’agit du pouvoir principal des Lyrienns. Il est lié à un des huit éléments et permet de le créer, le contrôler et de fusionner avec ce dernier.
- Une réponse efficace mais complète, comme toujours Ninìel, je te remercie.

La petite brune fit un signe de tête à sa maîtresse et garda ensuite le menton relevé, très fière, comme toujours, de sa participation. Parler était sa faculté spéciale à elle…

- Maintenant, qui peut me citer les huit éléments ? 

Cette fois-ci, les mains ne se bousculèrent pas. Finalement, l’un des plus jeunes au premier rang tenta de répondre.

- Et bien, il y a l’Eau, déjà.
- Oui, c’est d’ailleurs celui que maitrise tous les habitants de cette île. Continue, je t’en prie. Elle l’encouragea d’un signe de main, son visage exprimant une douceur pure.
- Après… La Glace. Et puis le Feu…

L’enfant, qui ne devait pas avoir plus de 6 ans, réfléchissait. Il cita encore la Nature mais bloqua à partir de là.

- C’est très bien, tu progresse. Merci beaucoup. Quelqu’un peut-il l’aider à terminer ? Boréa ?

Duveahssa savait pertinemment quand interroger la jeune femme. Elle ne levait jamais la main d’elle-même mais ne rechigner pas à répondre à une question. La plupart, elle lui donnait la parole quand elle était certaine que Boréa avait la réponse. Elle supportait assez mal l’échec comparait à d’autre. L’adolescente à la chevelure blanche se racla la gorge avant de prendre la parole à son tour.

- L’Eau, la Glace, le Feu, la Nature, l’Air, la Terre, le Métal et l’Électricité.
- Bien. Maintenant, j’aimerais vous rappelez que l’étreinte par l’un de ses éléments et comme un don, qu’il faut chérir. Pour le recevoir, il faut tout d’abord ne pas oublier de prier les Ætheri et bien étudier. La vie fera le reste. J’aimerais également félicité Elphen qui a récemment découvert que l’eau s’était épris de lui.

L’assemblée se tourna vers lui, qui ne lâcha pas Duveahssa des yeux, attentif au cours. Il savait très bien que c’était sans doute l’une de ses dernières leçons avec elle, avant de suivre des cours plus poussé sur l’élément en lui-même avec des précepteurs spécialisé dans la matière. Mais Elphen, en bon étudiant, avait déjà tenté plusieurs fois de se servir de son pouvoir principal. C’était là que voulait en venir l’enseignante.

- Elphen, nous ferait-tu l’honneur de nous montrer ce que tu sais accomplir ? C’est juste pour illustrer le cour, bien entendu.

Elle lui offrit un énorme sourire. Elle le mettait par la même occasion en avant. Ce n’était pas quelqu’un qui le faisait de lui-même, alors elle en profitait pour essayer de lui donner plus d’importance, qu’il méritait amplement et qu’il ne s’accordait pas assez. 

Le jeune garçon ne se fit pas prier. Il se leva et passa entre les rangs un peu chaotiques des élèves assis au sol, plus ou moins avachis dans l’herbe. Elphen prenait cela très au sérieux et son visage était déjà complètement fermé, son esprit ne s’éloignant pas d’un millimètres de sa tâche. Il commença par inspirer lentement, avant de faire un petit mouvement souple du bras. En suivant son geste, un filet d’eau clair provenant de la rivière lui obéit, par magie. Il le fit approcher de lui en bougeant la main et fit fusionner le bout de ses doigts avec l’élément, les rendant soudainement transparents. Cela arracha un cri de surprise à l’un des plus jeunes. L’effet était assuré ; Elphen était sensationnel.

Post II - 1405 mots

Après la démonstration spectaculaire d’Elphen, le court avait repris sur divers sujets, dont les autres pouvoirs raciaux. L’enseignante leur promis une démonstration prochaine et lança un débat sur les rivalités et autres alliances entre les différents élément. Cette partie du cours dura plusieurs heures où chacun donna son avis, tempéré par Duveahssa qui n’hésitait pas à calmer certaines opinions un peu trop tranché sur les Lyrienns du Feu notamment, contre lesquels l’île de Su était en guerre. Totalement opposé, les deux éléments avaient très souvent des querelles. Elle expliqua alors à sa petite assemblée que les Lyrienns faisaient tous parti d’un seul et même peuple, qu’ils avaient tous le droit d’être libre et en vie, qu’ils n’étaient simplement pas compatible pour la partager. Elle en profita même pour faire réfléchir ses élèves en les mettant dans le cas contraire, en imaginant qu’ils étaient une petite classe d’Élémentals de Feu, et de ce qu’ils penseraient de leur ennemis, ceux de l’Eau. Elle mit fin à la leçon sur ce dernier point, en les invitant à ne pas juger trop vite et à toujours réfléchir d’abord, en pesant leur mot.

- Posez vous ces trois questions, avant d’ouvrir la bouche : Est-ce que vos propos seront utiles ? Seront-ils vrais ? Seront-ils agréables à entendre ? Si la réponse est non, alors garder vos mots pour vous. Vous pouvez partir, à présent.

Tous les enfants se levèrent dans un silence complet. Quelques chuchotement reprirent malgré tout rapidement dans les différents groupes d’amis et les rires ne tardèrent pas à faire leur réapparition. Concernant les personnages qui nous intéresse, eux n’avaient toujours rouvert la bouche. Miel, plus précisément, avait été marqué par la dernière intervention de la professeure. Elle avait envie de parler, c’était visible sur son visage. Mais elle n’avait jamais vraiment réfléchi à ce qu’elle disait et sans doute était-elle en train d’essayer d’appliquer le conseil de Duveahssa. À mi-chemin entre la rivière et le village, elle trouva enfin les bons mots pour s’exprimer.



- Elphen ? C’était vraiment trop bien ce que tu as fait pendant le cours… J’en avais le souffle coupé ! Je savais pas que tu pouvais déjà fusionné ! C’est pourtant pas la partie la plus simple du Qyndily Mantris !
- C’est vrai que c’était impressionnant… surenchérit Nessy, un peu plus réservé. Ses joues chauffaient déjà légèrement.
- Merci. Mais ce n’est pas si incroyable que ça, les grands Maîtres des éléments savent faire bien mieux. Je n’en suis qu’au tout début de mon apprentissage.
- Ow, arrête, tu es bien trop modeste mon vieux ! Miel lui donna une tape dans le dos. Elle n’avait pas une force de brute, mais Elphen ne s’y attendait pas du tout. Il toussa légèrement avant de lui sourire, sans trop savoir quoi y répondre.
- Sinon… Vous avez un autre cours ce soir ? demanda Nessy.
- Oui, on va directement chez moi avec Elphen. Papa veut justement lui montrer des mouvements spéciaux associés à l’eau, qui peut se révéler bien plus dangereuse qu’on ne l’imagine.
- Vous ne venez pas avec nous pour vous baigner, alors ?
- Si, mais un peu plus tard.

Le groupe se scinda finalement en deux à un carrefour avec une promesse de se retrouver en fin d’après-midi, à l’endroit habituel. Le reste du chemin jusqu’à la maison des parents de Réa se fit sans bruit. C’était plutôt apaisant d’être avec Elphen. Il était constamment serein et ne parler jamais dans le vide, contrairement à d’autres ! Avant de passer la porte d’entrée, le garçon remarqua le sourire amusée de Boréa.

- Qu’est-ce qui te fait rire ?
- Ow, pas grand chose. Je pensais juste à la différence flagrante quand la grande pipelette Miel n’est pas présente.
- C’est sûr… Mes oreilles peuvent enfin se reposer !
- Bonjour Elphen ! Je partais justement livrer quelques commandes. Vous trouverez Delmar dans la cuisine, il vous a préparé de quoi vous redonnez de l’énergie. À plus tard !

Boréa embrassa rapidement sa mère qui était sur le départ, avec un panier sous le bras remplie de ses derniers tissus. Linaë appréciait faire les livraisons durant l’après-midi pour partager les dernières nouvelles et les commérages tout frais de la journée avec les autres femmes du village. En plus, elle essayait toujours de ne pas être là lors des leçons d’arts martiaux de son mari. Enfin, c’était surtout ses élèves maladroits qu’elle redoutait. Une fois, une espèce de couteau de jet avait détruit ce qu’elle était en train de tisser depuis le matin et elle n’avait pas vraiment apprécier que son travail d’une journée entière soit ruiné… Depuis, elle caché bien précieusement ses affaires et filait au village pour faire quelques courses, des livraisons ou tout simplement prendre le thé chez une amie.

Les adolescents s’empressèrent de rejoindre Delmar, attirés par une odeur douce et sucrée. Il avait un tablier et des gants pour le protéger de la chaleur du plat qu’il était en train de sortir du four.

- Elphen, Boréa ! Vous tombez bien. Je viens de terminer cette brioche. Elle est encore un peu chaude, mais on peut la déguster juste après l’entraînement, si vous vous en sentez la force.
- Ça ne me pose aucun souci.

Le garçon avait déjà déposé ses affaires dans un coin, son livre et un sac à dos. Il était déjà prêt à s’y mettre.

- Moi, je vais chercher mes Tessen !prévint Boréa avant de courir vers sa chambre.

Elle monta les marches qui menaient à l’étage deux par deux et entra dans la pièce qui lui était dédiée. L’endroit n’était pas très grand, à peine assez pour contenir un lit d’une personne, un petit bureau et un grande armoire à miroir. Boréa s’empara d’un grand sac de voyage, qu’elle cachait sous son lit et qui contenait tous ses objets les plus précieux. Depuis qu’elle avait appris par sa mère qu’elle avait eu un frère, banni par l’absence d’élément et même de magie en lui, elle s’était préparé à l’éventualité de partir, elle aussi… Même si ça ne la ravissait pas vraiment de devoir quitter son foyer. Elle fouilla à l’intérieur pour en sortir deux grand éventails blancs décorés de fleurs bleus, ainsi que quatre paires de lames qu’elle arma sur ses Tessen. Elle en vérifia l’équilibre d’un ou deux mouvements avant de rejoindre le rez-de-chaussée. 

Là, dans la grande pièce de vie, les fauteuils repoussés dans un coin pour ne pas encombrer l’espace, Delmar était en train d’expliquer à son petit-neveu comme créer toute sorte d’arme grâce à son élément nouvellement acquis. Il fabriqua une flèche d’eau sous ses yeux attentifs, qui ne perdaient pas une miette de la leçon.

- Tu vois, le plus important c’est de maîtriser la densité. Il faut que ce soit suffisamment fin et pointu mais qu’il y ait de la consistance. Sinon, ça ne fera que mouiller ton adversaire. Ensuite, tout dépend de ce que tu maîtrise le mieux à la conception. Il faut que ce soit rapide, sinon, ça perds totalement de son intérêt.


Puisqu’Elphen avait encore un peu de mal avec la création, Delmar avait préparé un seau d’eau pour qu’il puisse s’entraîner à créer l’arme qu’il voulait. Il se tourna ensuite vers sa fille qui venait de revenir.

- À nous deux, Réa. l’intéressée tiqua sur l’utilisation du surnom devant Elphen, mais il était bien trop concentré pour l’avoir ne serait-ce qu’entendu.
- Qu’est-ce qu’on travaille, aujourd’hui ?
- Un peu de souplesse ? Ça ne t’en sera que bénéfique.

Boréa acquiesça et ouvrit ses éventails d’un seul coup sec. Elle battait un peu l’air avec pour les prendre correctement en main et se mit en position. Par la suite, Delmar lui montra toute une série d’exercices et de mouvements qu’elle devait répéter. Il resta proche d’elle jusqu’à ce qu’elle est totalement assimilée ce qu’elle devait faire, la replaça correctement une ou deux fois et lui donna des conseils pour améliorer sa posture ou la force dans ses poignées.

- Tiens toi encore un peu plus droite. Ton pied, en arrière… Voilà. Très bien, continue, je vais voir comment s’en sort Elphen. 



L’entraînement dura plusieurs cession de quarante cinq minutes, entrecoupés de pause brioche. Finalement, Delmar, Elphen et Boréa furent tous les trois satisfaits de la séance et des progrès de chacun. Elphen avait réussi à construire une dague, pas très longtemps mais tout de même ! Et Boréa atteignait ses capacités maximales. Delmar savait que bientôt, il n’aurait plus rien à lui apprendre sur l’utilisation de ses armes favorites… Cela lui fit vraiment chaud au coeur. Pour clôturer la journée, l’homme offrit aux deux jeunes une tasse de café bien méritée.

Post III - 1421 mots

- Comment s’est passé votre journée ?
- Bien, je suppose. Elle était comme toutes les autres. Elphen prit une gorgée encore brûlante alors que Boréa préférait attendre un peu, en touillant distraitement le liquide.
- Le cours était assez passionnant. Surtout quand Elphen a fait une démonstration de ses talents…
- C’est vrai ? Ah, je suis déçu d’avoir raté ça !
- J’ai utilisé le Quyndily Mantris ici, cet après-midi, c’est plus ou moins la même chose.
- Je sais que tu vise haut, Elphen, mais à ton âge, l’utilisation de l’Élément est déjà un grand exploit. Il faut aussi parfois se satisfaire de ce qu’on a, même si on veut encore plus.
- Je tâcherais de m’en souvenir.
- On retourne à la rivière, tout de suite après. Ça ne te dérange pas, Papa ?
- Non, allez-y. Filer, tant qu’il fait clair et que vous êtes jeunes ! 



Boréa avala sa boisson un peu tiédit, fit une grimace à cause de la chaleur et de l’amertume, auquel elle ne s’habituait toujours pas, et interrogea Elphen du regard. Elle le supplia plutôt, et il soupira de son côté, vaincu. Il ne disait que très rarement non, à tous en général mais encore moins à sa petite-cousine. Elle ne savait pas trop dire pourquoi, puisqu’ils n’étaient pas vraiment proche. Enfin, l’adolescent n’était proche de personne en général… Il avait sa bulle et elle lui suffisait. En sortir lui était assez pénible et rien que faire partie d’un groupe d’amis et surtout de supporter Miel, était un défi en soi pour le garçon.

- On va y aller. À ce soir !
- Comment ça ? Vous partez déjà ? Je ne fais que vous croisez chaque fois ! Linaë venait de rentrer, son panier vide de tissus mais remplis de petits gâteaux maisons d’une des voisines.
- On part simplement rejoindre les autres à la rivière. Promis, je ne rentrerais pas trop tard.
- Ça aussi, tu le promet à chaque fois… intervint la mère une fois que sa fille était trop loin pour l’entendre.

Linaë avait beaucoup de mal avec la séparation. Elle avait été très protectrice envers Boréa pour la simple et bonne raison qu’elle avait un énorme manque affectif du fait de la perte de son premier fils. Avec l’âge, la jeune fille avait de plus en plus besoin de liberté et Linaë ne voulait pas interférer. Elle devait vivre et elle devait être heureuse… Boréa passait de moins en moins de temps à la maison et même lorsqu’elle était là, elle ne faisait que passer du temps dans sa chambre. Elle écrivait, elle s’entraînait avec ses Tessen toute seule, toute sorte d’activité qu’elle aimait faire seule et surtout dans le calme. Linaë priait chaque jour chacun des Ætheri Élémentaires pour que sa fille ne subisse pas le même sort que son fils, elle voulait qu’un jour, elle au moins, connaisse le bonheur de la révélation.

Boréa sentait cette inquiétude et toute cette affection supplémentaire qu’elle recevait de sa mère. C’était assez étouffant, ce qui expliquait par ailleurs son besoin de faire autre chose, de sortir et de solitude. Avec l’adolescence, elle avait aussi un besoin d’intimité et d’indépendance qui se faisait de plus en plus ressentir. Ces moments avec ses amis au bord de l’eau, à nager, plonger et s’éclabousser étaient parmi ceux les plus précieux et les plus importants dans son quotidien. Ils survenaient plusieurs fois par semaine, lorsque tous étaient libres. Il n’était pas rare qu’ils sortent ainsi toute la semaine, week-end inclus. C’est simple, le plus clair de leur temps, il le passait ensemble, au bord de ce cours d’eau. La route pour y arriver se fit majoritairement dans le silence, sans que Boréa ou Elphen ne soit gênés. L’adolescente avait pris l’habitude de ne pas dérangé son petit-cousin avec des conversations inutiles. Seulement, aujourd’hui, elle avait quelque chose sur le coeur qu’elle souhaitait partagé avec lui.

- Elphen ?
- Hum ? Il ne la regarda pas, préférant fixer l’horizon de ses yeux bleus nuits.
- Tu t’es senti comment quand ton élément t’as imprégné ?
- Entier. Boréa comprenait ça. Elle, qui n’avait pas encore eu sa chance, sentait au contraire que quelque chose lui manquait.
- Tu… Tu as fais quelque chose en particulier pour que ça arrive si tôt ?
- Pourquoi me poses-tu cette question, exactement ? Elphen était un garçon assez renfermé, mais pas complètement stupide ou totalement dénué d’empathie.
- Et bien… Je suis inquiète. J’ai peur de ne jamais connaître ça.
- Il n’y a pas de recette secrète. Je sais que je donne l’impression de fournir énormément d’efforts pour tout, mais je t’assure que je n’ai pas déclencher ma révélation. La seule chose qui te sera utile est ta patience.
- Désolée, de t’en parler encore. Tu dois en avoir assez que tout le monde te ramène à ça en ce moment.
- Ne t’en fais pas, si c’est toi, ça ne compte pas vraiment. Il tourna finalement son visage vers elle pour lui sourire, sincèrement. Il savait bien qu’elle était angoissée, mais ni lui ni personne ne pourrait lui offrir son Élément sur un plateau d’argent.

La rivière était tout juste en vue que Miel leur cria après. On ne pouvait pas s’attendre à mieux de sa part…

- Ohé ! On est là ! fit-elle en balançant ses bras en hauteur. Comme si ils ne l’avaient pas remarqué…
- On arrive, Miel !



Nessy de son côté, était sur le bord des rochers près de l’eau. Elle s’apprêtait sans doute à plonger, étrangement juste au moment où le bel Elphen pointait le bout de son nez. Elle s’élança, les jambes resserraient et les bras tendus. Elle entra en contact avec l’eau avec tellement de grâce et si peu de bruits et de projection que c’était à se demander si elle n’avait pas fusionné sur le coup. Elle réapparut quelques mètres plus loin, ses longs cheveux blonds mouillés et détachés collés contre son crâne. Elle nagea ensuite pour rejoindre les nouveaux arrivants et dévoiler le vêtement de bain qu’elle portait. Lorsqu’elle sortit de l’eau, elle s’arrangea pour faire un mouvement élégant afin de remettre ses cheveux en place. Boréa regarda toute la scène, même si Nessy devait très probablement se fichait de sa présence. Elle tenta de ne pas rire face à ce spectacle, d’autant qu’Elphen ne l’avait pas regardé plus de quelques secondes.

- Salut ! Vous venez avec nous ?
- Je me change vite fait et je saute à l’eau !
- Non, merci. Comme d’habitude, Elphen resterait aux bords. Il avait toujours le même roman que le matin et comptait le terminer dans la soirée. Évidemment, une petite blonde fit la moue, déçue.
- Mais tu ne viens jamais !

Elphen ne sembla même pas noter le commentaire et s’en alla dans un coin relativement tranquille d’herbe où il pourrait s’assoir et lire en paix, à l’ombre du soleil. Boréa s’approcha enfin de sa meilleure amie, lui donnant une petite tape encourageante sur l’épaule.

- Un jour, peut-être, un jour…
- C’est ça, moque toi… Elle était réellement déçue et prenait toujours les choses très à coeur.
- Mais je t’assure, ça viendra ! Peut-être qu’un beau matin, il se rendra compte qu’il n’est pas seul. Il n’aura qu’à regarder et tu seras là, prête à être cueillie !
- Continue et je te pousse à l’eau ! la défia Nessy, un peu plus joueuse. 



Boréa se mit à rire, suivit par sa meilleure amie. Elle partit ensuite retirer une partie de ses vêtements avant de sauter, se rouler en boule et atterrir dans l’eau, beaucoup plus violemment que ne l’avait fait Nessy. Elphen reçut quelques gouttes, rien de grave et surtout rien qui n’abimait son précieux bouquin. Miel s’approcha à la nage pendant que Nessy allait profiter du soleil - ou plutôt s’exposer en espérant très fort que le garçon du groupe relève le nez pour la regarder.

- Vous en avait mis du temps !
- Mon père avait préparé de la brioche, alors on a fait des pauses. En plus, Elphen refusait d’arrêter tant qu’il n’avait pas réussi l’exercice.
- Toujours à fond celui-là ! Un jour, il va se faire une entorse au cerveau, tu vas voir !

Je ris à nouveau, de bon coeur. La fin de la journée se passa dans la bonne humeur, les quelques éclaboussures et les rires. Chacun rentra de son côté avant que la nuit ne tombe et Boréa monta directement dans sa chambre pour écrire à son frère, pendant que son père cuisinait. Sa mère, de son côté, continuait à tisser, en broyant du noir à cause de l’absence trop lourde à porter de ses enfants.

~ FIN ~ 

Post IV - 1406 mots