Elphen avait seulement quinze ans lorsque l’eau s’était révélée à lui, de manière totalement naturel, comme si elle avait toujours vécu en lui. Il avait été le premier enfant du village à recevoir ce don tant attendu par tous les petits Lyrienns et tous s’était émerveillés de ce qu’il était capable de faire, si tôt. Il fallait dire que dès la première minute où il avait compris que s’était arrivé, il avait tout de suite essayé de l’utiliser. Depuis, il ne cessait de s’entraîner, dès qu’il le pouvait, à chacun de ses moments libres et même durant les sorties avec les filles à la rivière. C’était un environnement idéal même si ces dernières se plaignaient du fait qu’il ne soit pas vraiment avec elle s’il était plongé dans ses essais. Elles arrêtaient de râler chaque fois qu’il réussissait un exploit, ou développer une nouvelle manière de manier l’Élément qui était le sien. Un jour, il avait même fait une frayeur à Miel pendant qu’elle nageait. Ce n’était pas dans ses habitudes de faire ce genre de farces, mais elle avait été particulièrement casse-pied dans la journée. C’était plus comme une vengeance qu’autre chose… Et hormis la principale concernée, les autres avaient trouvé cela très amusant.

La jeune fille en question avait fait un caprice monstrueux pour une raison un peu stupide… Une histoire de place. Les quatre amis marchaient toujours côtes à côtes lorsqu’ils en avaient l’occasion, automatiquement toujours dans le même ordre, d’instinct. Il y avait tout d’abord, à gauche, Boréa, Elphen, puis Miel et enfin Nessy. Les deux filles du bout s’étaient arrangés pour que l’adolescente blonde soit plus proche du beau brun de ses rêves alors que Boréa devait tenter de s’introduire entre Miel et lui pour éviter qu’elle ne gâche tout avec ses remarques habituelles. Ce qui donnait cette fois-ci, Nessy, Elphen, Boréa et Miel. Le plan était prêt et parfait selon les prévisions. Seulement, jamais rien ne se passait comme prévu avec Miel. Ses réactions étaient toutes plus grandioses et exagérées les unes que les autres…

Au début, elle n’avait rien remarqué d’étrange. C’est seulement lorsqu’elle ouvrit la bouche, à son habitude, que quelque chose la dérangea.

- Au fait Elph… Boréa ? Mais, qu’est-ce que tu fais là?
- Je marche vers la rivière, comme toi non ?
- Ce n’est absolument pas ce que je veux dire… Nessy, on est d’accord…Elle se tourna de l’autre côté à la recherche de sa cousine mais n’y trouva personne. Mais ! Qu’est-ce que vous avez fait ?
- Qu’est-ce que tu veux qu’on ait fait ? Miel s’arrêta et regarda le groupe continuait d’avancer, par derrière.
- Pourquoi est-ce qu’on est complètement mélangé comme ça ?

Boréa et Nessy échangèrent un regard, aussi désolé que désespéré. Elphen lui, ne s’était même pas rendu compte du changement.

- Et alors ? Ça ne change pas grand chose.
- Ça change tout, au contraire ! D’habitude tu es à côté de moi ! Qu’est-ce qu’il y a, tu ne me supporte plus, c’est ça ? Le garçon fut tenté de répondre que oui histoire d’avoir la paix, mais le résultat escompté ne serait jamais le même que dans la réalité.
- Miel, ne fait pas une scène pour si peu…
- Si peu ! Mais enfin, je suis la seule qui tient à la cohésion du groupe ?
- Tout allait bien avant que tu ne te mette à utiliser ta voix fluette pour nous casser les oreilles...Elphen l’avait dit tout bas mais rien n’échappait jamais à Miel.
- … Pardon ? Je te casse les oreilles ? Avec ma voix fluette ? Nessy, qui voyait bien le malheur qui leur pendait au nez, tenta d’intervenir.
- Mais non, je suis sûre que ce n’est pas ce qu’il a voulu dire…
- C’est ce que j’ai dis.
- Il… Il ne le pensait pas…
- Bien-sûr que si.

Là-dessus, tout avait dérapé. Miel s’était approché d’Elphen, au plus près et comme elle pouvait vu l’écart de tailles entre les deux, avec un regard mauvais et plissé, puis c’était mis à littéralement hurler de sa voix la plus aigu des bruits de toutes sortes. À croire qu’elle inventait des sons tant ce qu’elle sortait de sa bouche était improbable… Elphen, Boréa et Nessy avait alors fuit vers la rivière en courant pour échapper à la Miel vexée et encore plus insupportable que d’ordinaire. Nessy et Boréa avait fini par la forcer à venir à l’eau avec elle pour qu’elle cesse enfin d’importuner Elphen. Le pauvre garçon avait fait tout son possible pour rester de marbre, même s’il avait été très difficile de ne pas lui crier d’arrêter ses enfantillages. Il craignait surtout d’avoir un autre caprice sur les bras qui se révèlerait encore pire que le premier…

L’ambiance s’était finalement calmé. Mais pendant qu’Elphen s’entraînait au Contrôle de l’eau et qu’il créait des petits poissons dans les airs, il eut une idée. Une idée un peu mauvaise mais après tout… Miel était tellement souvent en train de lui pourrir la vie qu’une toute petite vengeance ne serait pas de trop. Et puis peut-être qu’elle le laisserait un peu tranquille en comprenant qu’il pouvait, lui aussi, tout aussi bien lui mener la vie dure. Cela dit, il n’était pas sûr
d’y arriver, ce qu’il avait en tête était d’une complexité bien au-dessus de ce qu’il avait réaliser jusqu’alors. Il se leva et prit une grande inspiration pour se vider la tête. Il prit son temps à bien visualiser la petite vague se transformer, lentement, en un parfait aileron à la surface. Un aileron de requin, qui, même s’il était improbable qu’un squale de cette envergure se promène dans les eaux douces et internes de l’île, filerait une peur bleue à sa victime. 



Elphen ne rouvrit un oeil que lorsqu’il entendit la voix perçante et (beaucoup trop) familière de Miel. Elle avait nagé jusqu’au rebord, affolée, et reculée sur la terre ferme à même le sol en fixant le morceau qui dépassait des flots. Boréa et Nessy regardèrent la scène, incrédule. C’est d’ailleurs la blonde qui remarqua la première que le phénomène était causé par Elphen. Il arrêta l’illusion et à ce moment là, les deux filles explosèrent de rire. Même le garçon affichait un sourire de vainqueur ! Miel, elle, n’en menait pas large… Cela avait même eut l’effet inattendu mais bienvenu de la faire taire jusqu’au soir.

Post I - 1050 mots

Miel avait été la seconde à recevoir son Élément. Elle aussi avait quinze ans lorsque c’était arrivé, alors que les autres membres de son groupe étaient âgés d’une année de plus. Un an entier était passé sans que ni Boréa, ni Nessy ne soit étreintes. Cela commencé à leur peser, à l’une comme à l’autre. Ce fut pourquoi Miel avait d’abord décidé de garder le secret pour ne pas leur mettre plus de pression qu’elle n’en avait déjà à ce sujet… L’une parce qu’elle devait prendre le relai auprès de sa famille, l’autre parce qu’elle avait peur de finir humaine comme son frère avant elle. Les deux meilleures amies ne parlaient déjà plus que de ça alors Miel ne s’était pas sentie de leur en rajouter une couche… Même si, pour cela, elle allait devoir leur mentir. Ce n’était pas comme si elle avait des difficultés pour omettre des informations ou en répandre de fausses ! Seul Elphen était au courant et la jeune fille était absolument certaine qu’il n’irait pas le répéter. Tout simplement parce qu’il n’ouvrait déjà pas énormément la bouche, la probabilité pour qu’il le fasse pour dévoiler un secret était encore moins élevé. Il avait promis à Miel de lui montrait quelques bases à la rivière, en toute discrétion. La première fois qu’elle voulut rester au bord de l’eau, alors que Boréa et Nessy décidaient de rentrer, ça n’avait parut qu’un peu étrange. Miel avait prétendu vouloir se ressourcer en nageant et Elphen vouloir terminer son livre. Pour le second, rien de choquant. Par contre, que ces deux-là acceptent de se côtoyer… Personne ne remarqua quoi que ce soit. La seconde fois, Nessy commença à avoir des doutes. Elle ne les partagea pas pour le moment, mais Boréa, son amie de toujours, avait remarqué que quelque chose la tracassait. Elle attendait simplement que la blonde vienne à elle, à son rythme.

Le temps fila et Nessy en eut assez de ses cachotteries. Alors qu’elle et Boréa rentrait seules pour la énième fois de la rivière, laissant Miel et Elphen là-bas, elle craqua. Elle s’était stoppé net dans sa marche et s’était mise à crier pour vider son sac de tout ce qu’elle avait gardait pour elle jusqu’alors.

- Combien de temps crois-tu qu’ils vont nous le cacher, hein ? Et comment Miel a-t-elle pu me faire ça ? Je n’ai jamais exprimé ça à voix haute, mais j’estime que c’est assez visible ! C’est ma cousine, elle aurait dû se rendre compte de mes sentiments !

Boréa s’était retournée doucement vers sa meilleure amie, surprise. De quoi est-ce qu’elle parlait exactement ? Elle la laissa continuer pour ne pas l’arrêter dans son élan, espérant avoir la réponse à ses questions par la suite.

- Tu te rends compte ? Ils passent quasiment toutes leurs soirées ensemble et ils pensent qu’on ne va pas faire le rapprochement ? Ils sortent ensemble, c’est sûr !

Démoralisée, Nessy se laissa tomber sur un rocher. Elle avait les larmes aux yeux et le coeur brisé par un amour qui n’était pas réciproque ainsi qu’une trahison familiale. Du moins, c’était ce qu’elle pensait.

- Tu crois quand même pas que ces deux là sont amoureux ?
- Pourquoi ils fricoteraient constamment alors ? Me dit pas que ça te saute pas aux yeux !
- C’est vrai que c’est super bizarre leur histoire. Par contre, j’aurais jamais imaginé qu’ils pourraient… Non, c’est même carrément glauque ! A moins qu’Elphen soit un peu maso sur les bords…
- Merci beaucoup Boréa, ça me remonte le moral. fit-elle remarquer, sur le ton du reproche.  
- Nessy… Au lieu de se faire des films, on a juste à y retourner pour mettre tout ça à plat. Après tout, ils ne se doutent pas qu’on pourrait faire demi-tour et les interrompre…

Boréa était prête à faire le coup, déjà excitée à l’idée de les surprendre. Elle était curieuse maintenant qu’elle avait entendu la théorie de Nessy, bien que ça lui paraissait peu probable. La blonde de son côté, lança un regard à son amie. Espionner… Ce n’était pas quelque chose de bien, mais après tout, si Miel lui plantait un couteau dans le dos, elle n’hésiterait pas à le rendre ! Elle se leva, déterminée à mettre son grain de sel entre le prétendu couple. Seulement, aucune des deux adolescentes ne s’étaient préparés à voir un spectacle pareil en arrivant sur les berges du court d’eau. Sous leurs yeux ébahis, Elphen et Miel créait de petites créatures constituaient d’eau qu’ils s’amusaient à faire danser dans un ballet maritime absolument splendide. Parfois, Miel ne contrôlait plus une trajectoire et ses poissons explosaient dans une millions de petites gouttelettes, mais cela n’enlevait rien à la magie de la chose.

Boréa resta plantée sur le côtés, discrètement en retrait, toujours éblouit par ce qu’elle avait sous les yeux, alors que Nessy, plutôt remonté, s’imposa directement. Elle arriva près de Miel, les mains sur les hanches.

- Alors comme ça, vous vous amusez bien, tous les deux ?

La petite sursauta, laissant totalement tomber ses créations. Piquée à vif à cause de son échec, elle se tourna vers sa cousine, les joues rouges de colère.

- Qu’est-ce que ça pouvait bien te faire ? Tu étais obligée d’arriver comme ça ? L’intimité, tu connais ? Qu’est-ce que tu fais ici et qui te permet d’interrompre mes entraînements de cette manière ?
- Et toi alors ? Pourquoi tu te mets à agir dans mon dos, à me cacher des choses, à moi et à toute la famille, des choses aussi importante et vitale que l’imprégnation par ton Élément ? Qu’est-ce qui t’as pris d’agir comme ça, enfin, Miel ! Tu es irresponsable !
- Peut-être, mais en attendant, si je l’ai fait, c’était pour pas que tu te sente délaisser !
- C’est réussi, en nous isolant, moi et Boréa ! C’était malhonnête ! Et en plus, tu as entraîné Elphen dans tes bêtises !
- Oh, non, ne l’inclus pas là-dedans. La seule raison qui t’a poussé à venir ici, je suis sûre, c’est ta jalousie maladive à propos de lui ! Essaie d’avoir le courage de lui avouer tes sentiments avant de me faire la leçon sur les choses qu’on cache aux gens qu’on aime !

Un silence suivi cette révélation. Elphen, qui avait préféré se tenir à l’écart du conflit jusqu’à présent, releva la tête. Il avait le visage à vif, mal à l’aise. Comment devait-il réagir ? Il n’en avait aucune idée. Miel préféra partir à grandes foulées, pour bien exprimer sa colère et son désaccord. Elle n’était pas en tord, ses intentions avaient été bonnes, à la base ! Nessy aussi s’enfuit, en courant et en pleurant. Boréa était complètement tiraillée… Qui devait-elle suivre, retrouver ? Elle jeta un oeil au garçon pour commencer.

- Comment tu te sens… ?
- Bizarre… ?

C’est vrai qu’il y avait de quoi être perdu. D’autant qu’Elphen était maladroit et totalement innocent en ce qui concernait les relations en général. Il n’était pas un ami très dévoué, simplement parce qu’il ne savait pas comment, alors s’il s’aventurait sur les relations amoureuses… Il était totalement à l’ouest sur ce dernier point. Pourtant, il se sentait responsable.

- Je pense que je vais aller parler avec Nessy… De ton côté, il faudrait voir si Miel n’est pas en train de détruire le village à cause d’une de ses crises de colère.



Boréa sourit face à la remarque. Elle ne savait pas trop ce qui ressortirait de cet entretien entre Elphen et Nessy. Elle n’avait plus qu’à faire confiance à Elphen, et à retrouver Miel pour lui expliquer que, malgré sa bonne pensée, ses actions n’en était pas moins répréhensible. Tout cela dans le calme, si c’était possible…

Post II - 1263 mots

Après la dernière dispute entre Miel et Nessy, le groupe en avait pâti. Les deux jeunes filles avaient refusé de s’adresser la parole pendant plusieurs semaines et même lorsque cela avait pris fin, des tensions résiduels restaient toujours en place. Il y avait comme une scission en deux camps ; d’un côté, ceux qui avait leur Élément, et de l’autre, ceux qui désespéraient à l’idée d’être étreint un jour. Les choses avaient changé, Elphenior et Ninìel ne participaient plus au même genre de cours que Boréa et Isilnessa, qui elles, étaient encore « coincé » avec les plus jeunes dans la classe de Duveahssa. Même lorsqu’ils se retrouvaient au lac, chacun restait de son côté, avec des conversations différentes.

Le plus difficile à vivre et à accepter avait été pour Nessy. Après la révélation qu’avait fait Miel au sujet des sentiments cachés de sa cousine pour Elphen, ce dernier avait du se résoudre à en parler avec la principale intéressée. Il avait évidemment déjà noté toutes ces petites choses que l’adolescente avait fait pour se démarquer et se faire remarquer du garçon, il n’était pas aveugle, simplement… Pas intéressé. Et l’exprimer avait été l’une des choses les plus complexes qu’il ait jamais eut à faire. Il savait qu’il allait briser le coeur de Nessy, qu’il ne voyait que comme une amie. Bien-sûr, la petite blonde avait bien compris ce qu’Elphen lui avait dit, mais elle avait quand même eut besoin de s’isoler et de pleurer. Et Elphen n’avait rien pu faire pour la consoler…

Une autre année s’était écoulée sans que ni Boréa, ni Nessy ne se découvre un lien avec un Élément. Elles avaient dix-sept ans, étaient presqu’adulte et se sentaient condamnées à jamais à devoir resté dans un insupportable état d’entre-deux. Leur magie refusait catégoriquement de se dévoiler, quoi qu’elles tentent pour forcer la chance. Elles n’étaient ni Lyriennes, ni Magiciennes, ni Humaines pour le moment. Elles n’étaient rien pour le moment, et ce flou les concernant commençaient doucement à les décourager. Qu’allaient-elles devenir ? Allait-on les chasser d’Aeden ? Et même dans le monde extérieur, que pourraient-elles faire ? Elles ne feraient jamais parti d’une quelconque communauté… Rejetées et exclues, c’est comme ça qu’elles imaginaient leur avenir. Rien de très réjouissant, en somme.

Pendant qu’Elphen et Miel s’amusait la plupart du temps dans leur coin, l’un avec un bon livre et l’autre en tentant de l’impressionner avec de nouvelle technique, les deux femmes en devenir discutaient. Nessy tentait tant bien que mal de faire passer sa frustration en faisait des ricochets alors que Boréa déprimait, ses genoux serraient contre elle.

- Regarde-la. « Eh, Elphen, regarde comme je suis douée et comme j’apprends vite ! » Elle me dégoûte de plus en plus.
- Dis pas ça, c’est ta cousine.
- Je sais, c’est la jalousie qui parle. Mais elle a tout ! Elle a son Élément et maintenant Elphen ! Peut-être qui si moi aussi, j’avais été étreinte…
- Elle n’a pas Elphen. Elle a juste besoin que tout le monde la remarque tout le temps, rien à voir avec lui en particulier. Et puis… Nessy, tu devrais passer à autre chose…
- C’est facile à dire… Elle lança un caillou qui s’enfonça dans l’eau au lieu de rebondir. Elle vint ensuite s’assoir près de son ami, le regard perdu dans les ondées formées dans l’eau de la rivière.
- Je me doute… Même si je ne peux pas savoir. Et je ne sais pas quoi faire.

Boréa avait tourné la tête pour regarder son amie. Elle la posa sur le haut de ses genoux, attristée de voir que Nessy avait les yeux brillants de larmes. Elle ne se remettait toujours pas de son rejet par Elphen… Et elle était d’autant plus contrariée qu’elle le voyait constamment passer du temps avec Miel. La relation entre les cousines étaient au plus bas depuis.

- Si je savais, crois-moi, j’aurais déjà essayé de m’aider moi-même.
- Pourquoi tu étais amoureuse de lui ? La question surpris Nessy. Elle regarda Boréa un instant, à la recherche d’une réponse.
- Je n’en sais rien. Je suppose que c’était un béguin de jeunesse… Il a toujours été mystérieux et il ne s’intéressait jamais à personne. Les filles aiment rêver des garçons qu’elles ne peuvent pas avoir…
- Tu parles. On a pas besoin d’hommes pour faire notre vie.
- Sans doute…
- Mais bien sûr que oui, Nessy ! Écoute. Boréa s’installa en tailleur et força son amie à se mettre face à elle. Elle prit les mains dans les siennes et la regarda dans les yeux, sincère. On est là, l’une pour l’autre. C’est plus important, tu ne crois pas ? Nessy lui sourit, toujours un peu triste.
- Oui, je ne sais pas ce que je ferais sans toi, Réa.
- Tu serais toujours en train de plonger éternellement à la recherche de l’attention du seul garçon de cette île qui n’aime que les livres ! se moqua-t-elle gentimment.
- Hey ! Je ne te permet pas !

Nessy se mit à rire et chercha à chatouiller Boréa qui tenta d’échapper tant bien que mal  à sa sentence. Après s’être défoulée et détendue, avec un peu de joie dans leur vie qui était si terne ces derniers temps, les deux amies s’allongèrent dans l’herbe et regardèrent les nuages. Elles passèrent un moment dans le silence, rassurée par la présence de l’autre. Ces évènements avaient peut-être créer des problèmes dans le groupe, mais les adolescentes s’étaient rapprochées comme jamais. Il n’y avait qu’elles deux, au tout début, avec que Miel n’aille en cours et qu’Elphen emménage dans le village.

- Tu resteras avec moi, quoi qu’il arrive ? demanda soudainement Boréa.
- Que veux tu qu’il arrive ?
- Je ne sais pas. Je pourrais me réveiller et être une affreuse sorcière demain matin en sortant du lit.
- Ahah, ne dis pas de bêtises ! Tu sais bien que ça ne fonctionne pas comme ça. En plus, tu n’as rien de maléfique en toi Réa.
- Je sais bien, Nessy. J’exagère un peu… Mais je me prépare à devoir partir, et j’aimerais au moins te garder près de moi. Ce sera moins difficile…
- Boréa, je te promet que si aucune de nous n’est étreinte par un Élément, on ira voyager ensemble et on ne se quittera plus jamais.
- Voyager ? J’ai presque envie de partir tout de suite avec toi ! On est fichues, de toute façon…
- On sera unique, tu veux dire ! Les deux seules représentantes des « Rien du tout » ! On sera libre, en quelques sortes.
- Oui, ça me plait bien… Reine de nous-même !
- À notre exil ! scanda Nessy pour plaisanter.
- À notre exil ! répéta Boréa avant de se tordre de rire.
- Bon, j’ai envie de plonger. Tu viens nager un peu ?
- Pour qui tu le fais ? Pour toi ou pour les beaux yeux d’un autre ?
- Pour moi, et pour ma future liberté ! dit-elle en bombant le torse.

Boréa la suivit en ricanant. Elle préféra entrer tranquillement dans l’eau de son côté, nageant un peu pour arriver au centre du cours d’eau et admirer le saut de Nessy. Cette dernière monta en haut des falaises qui bordaient la rivière et se prépara. Elle leva les mains au dessus de sa tête et se laissa tomber en effectuant quelques pirouettes, dans les airs. Elle maîtrisait très bien les plongeons, en général, mais aujourd’hui, elle avait été trop confiante. Une simple erreur de timing et son corps se présentait à l’horizontal. Elle allait faire un plat magistral et sans doute douloureux dans quelques secondes à peine… Mais au lieu d’entrer en collision avec la surface de l’eau, le liquide se mit à se mouvoir, seule, pour permettre à Nessy d’atterrir en douceur.

Elphen et Miel eux-même s’était retourné sur le phénomène. Ils arrivèrent en courant pour essayer de comprendre ce qui venait de se passer.

- Mais Nessy, comment t’as fait ça ?!
- Je pense que son Élément vient de révéler. C’est assez rare que ça se passe si vite, mais dans l’urgence, l’Eau lui a sauvé les fesses. Cette chute aurait pu te coûter un os ! Tu aurais même pu te briser le cou !
- Je suis au courant, gros malin, j’ai pas fait exprès de me rater ! J’ai eu tellement peur et… C’est… venu tout seul…
- Félicitation, en tout cas. Tu es désormais une Lyrienne, officiellement.

Nessy jeta un coup d’oeil vers Boréa. Leur promesse tout juste créait venait de voler en éclat. Elle était maintenant plus seule au monde que jamais…

Post III - 1395 mots

Boréa se sentait de plus en plus mal, et seule. Elle s’isolait d’elle-même, faisant le choix de porter le lourd fardeau de sa souffrance sur ses frêles épaules sans l’aide de personne. Qui pouvait seulement comprendre ? Elle était la dernière, l’unique fille de bientôt dix-huit ans à ne pas avoir été révélé. Les gens commençaient à parler dans son dos quand elle passait dans la rue, il la regardait passé en faisant des messes-basses. Tous se souvenait de Zéphyr et tous s’attendait à ce qui arrive la même chose à sa soeur. Lui, au moins, avait eu la décence de découvrir ce qu’il était avant d’être jeté dehors. Alors que Boréa… Boréa était toujours coincé dans une espèce de néant. Elle stagnait à l’intérieur d’un vide sidérale qui emplissait toute son âme. Plus les jours passaient, plus elle devenait une coquille vide… Elle n’allait plus au cours, trop honteuse de voir les enfants y être eux aussi. Et puis, à force, elle estimait qu’elle n’avait plus rien à apprendre. Pourquoi faire ? Elle ne faisait pas partie de cette race. Peut-être n’en ferait-elle jamais partie.

Elle fréquentait toujours ses amis, en fin d’après-midi, près de la rivière. C’était sa seule sortie du jour, quand elle ne restait pas en pyjama au fond de son lit. Nessy essayait de la pousser à retrouver le sourire, Miel parlait encore plus pour combler ce que Boréa ne faisait plus et même Elphen essayait d’aider. Selon lui, si elle voulait recevoir son Élément, elle devait essayer d’entrer en contact avec lui. Elle avait donc tenté de passer des journées entières immergée, à flotter sur le dos. Ça ne changeait pas grand chose pour elle, au lieu de broyer du noir dans sa chambre, elle le faisait ici, à tenter le tout pour le tout. Elle n’y croyait même plus… Jours après jours, sa famille, ses amis, son ancienne institutrice et tout le voyage la voyait un peu plus sombrer dans le désespoir. La jeune femme passait le plus clair de son temps à écrire à Zéphyr, le seul qui, selon, pouvait comprendre, bien qu’il ne recevrait jamais aucune de ses lettres. Et puis le reste, elle le passait à dormir, manger, peu, et passait à la rivière pour éviter que Miel ne vienne la tirer de sa chambre par la peau du cou et en lui brisant les tympans.

La seule chose qui lui tenait encore un tant soi peu à coeur, à part ses lettres à Zéphyr qu’elle tenait comme un journal, était de s’entraîner aux arts des Tessen. Elle aimait prendre ses éventails et s’éloigner du village. Une fois à l’écart, elle faisait des exercices pour améliorer sa précisions et sa souplesse jusqu’à en être épuisée et en nage, pendant des heures. Cela lui permettait de ne plus penser à ce qui allait lui arriver. En plus, elle saurait se battre si elle devait débarquer dans un endroit inconnu quand les Lyrienns l’auraient jetés dehors… Il en allait de sa survie, en quelques sortes.

Ce matin-là, elle s’était mise en route à l’aurore. Elle s’était levée très tôt dans la nuit, incapable de se rendormir et avait quitté la maison avait le réveil de ses parents, sans rien avaler. Elle avait besoin de se dépenser et d’arrêter d’imaginer n’importe quoi. Cette situation la rongeait de l’intérieur… Elle commença par s’échauffer doucement et décida de se rendre à l’endroit qu’elle appréciait en trottinant. Il s’agissait d’une falaise haute, au bord du précipice, qui donnait une vue sur une vallée immense ponctuait de nombreux cours d’eau et de quelques habitations éparses. Les grandes cités n’existaient pas vraiment sur l’île de Su et leur village était l’un des plus organisés. Ils devaient être une centaine au maximum, au même endroit tandis que d’autre préférait vivre à l’écart, chacun dans leur coin. Certains d’entre eux ne se mélangeaient aux autres que pour les besoins vitaux comme le commerce par exemple, de quoi acheter des vivres avant de repartir vivre en ermite pendant plusieurs mois. Boréa aimait la communauté qui l’entourait, elle aimait avoir de nombreux amis et des voisins. Elle trouvait cela plus convivial…

La jeune femme prit le temps de se détendre, de méditer et de prendre l’air, pour se rafraîchir les idées après sa nuit blanche. Pendant de longues minutes, elle resta en tailleur, les mains sur les genoux, se focalisant uniquement sur l’air qui emplissait ses poumons et lui permettait de vivre. Une chose si banal, qu’on fait par automatisme et par instinct de survie, sans jamais y prêter vraiment attention. Respirer. C’était étrange, d’habitude, Boréa aimait se concentrer sur son ouïe et essayer de capter le clapotis de l’eau au loin. Aujourd’hui, son esprit la ramenait constamment à d’autres sensations. Celle du vent dans ses cheveux, de la température ambiante, de l’humidité dans l’air. Elle sentait presque l’oxygène passait par ses poumons pour rejoindre sa circulation sanguine et abreuvés chaque muscle de son corps… Elle n’y prêta pas plus attention, du moment que cet instant l’apaisait. Et c’était le cas. Elle se releva ensuite pour commencer à bouger. Elle sorti ses Tessen de la ceinture qui entourait sa taille et les ouvrit. Elle vérifia leur poids, leur équilibre et le placement des lames dans le tissus légers mais extrêmement solide, comme un rituel et se mit en position. Elle avait pris pour cible un des arbres qui surmontait la falaise et en changeait assez souvent pour que les entailles qu’elle faisait sur l’écorce ne mettent pas en danger le végétal géant. On voyait qu’elle avait entamer l’écorces sur plusieurs pins aux alentours. Et elle se remit au travail, répétant les mêmes gestes en changeant simplement la position de ses épaules, de son pieds ou en mettant plus ou moins de force dans son poignet.

Des heures entières, elle était restée à faire la même chose, le même mouvement. Le soleil commençait à taper de plus en plus fort, Boréa mourrait de chaud et des auréoles ornaient ses aisselles ainsi que son dos. Pourtant, elle ne s’arrêtait pas. La fatigue, la faim ne l’empêchaient pas de continuer. Même cette douleur dans sa poitrine, incessante, ne pourrait rien contre elle. Son coeur cognait si fort contre ses côtes, si vite ! Elle s’était dit que ce n’était sans doute qu’à cause de l’épuisement physique qu’elle s’imposait, en sachant qu’elle ne se nourrissait plus convenablement. Sa tête aussi lui semblait plus lourde que d’habitude. En fait, tout son corps réagissait, mais elle préférait l’ignorer. Pourquoi avait-elle si froid, en plein cagnar ? Simplement à cause de la transpiration, supposait-elle. Pourquoi est-ce qu’elle tremblait, de plus en plus ? La faute à l’effort. Pourquoi sa tête voulait exploser ? Le sommeil lui manquait. Et son rythme cardiaque, si désordonné ? C’était la faim, voilà tout. Chaque symptôme avait une excuse, aussi insupportable et douloureux soit-il. Elle endurait et elle frappait, encore et encore.

Alors que le soleil passait le zénith et entamait sa descente de l’après-midi pour allait se coucher au bord du soir, Boréa commença à se sentir nauséeuse. Elle en avait assez d’avoir mal. Elle avait mal physiquement, certes, mais c’était bien plus facile à gérer que ce qu’elle portait psychologiquement. Elle préférait souffrir plutôt que de se remettre à penser à nouveau. Elle était en colère contre son corps, qui n’arrivait plus à suivre. Elle sentait que bientôt, elle n’aurait plus la force de frapper. Alors elle mit toute la force de son désespoir dans plusieurs coups, distribué plus lentement mais avec toute sa haine contre la vie. Un premier coup. La puissance qu’elle y mettait résonnait jusque dans ses os. Un deuxième coup. Est-ce qu’on pouvait se casser la main soi-même ? Un troisième coup. Et l’inimaginable se produit. Du moins, Boréa n’y croyait pas. L’arbre venait d’être coupé, très nettement, sur toute sa largeur et était en train de tomber. 

La jeune femme avait senti la différence. Sous le choc, elle en avait lâché ses armes pour regarder ses mains abîmées par l’entraînement. Comment avait-elle fait ça ? Elle le savait, au fond d’elle même. Elle n’avait pas pu faire un tracé si précis et casser un arbre à la seule force de ses bras si maigrichon. Elle avait senti l’impact, et la rafale. Elle venait d’utiliser le Quyndily Mantris. Mais pas celui auquel elle pensait. Ce n’était pas l’Eau qui venait de l’étreindre. Non. C’était l’Air et son tranchant, mettant à terre un pin centenaire en un seul coup. Là-dessus, complètement à bout, Boréa se laissa tomber. Inconsciente, en haut de la falaise, ce fut son père qui la retrouva en pleine nuit.

Lorsqu’elle se réveilla à nouveau, le lendemain matin, dans son lit et entourée, elle se demanda si elle avait rêvé.

Post IV - 1461 mots