J’ouvrais et refermais la bouche, alors que le Réprouvé me guidait – et j’oserais même dire qu’il me transportait, presque – jusqu’au seuil de l’auberge.

« Ce n’est pas une question pour savoir si cela m'arrangerait ou pas : je pense à ta famille », grommelais-je en me prenant la tête à une main, lui adressant une œillade à la dérobée avant de soupirer.

Sûrement que ceux qui lisent ces lignes me croiront naïf de songer qu’un véritable amour avait pu naître entre le Bipolaire et l’une des représentantes des Filles de l’Océan, dépeintes depuis des décennies comme des carnages marins. Cependant, je n’arrivais pas à me faire à l’idée que Pendrake se serait simplement uni à l’une de ces femmes par simple arrangement… Qu’avait-il d’assez riche, matériellement parlant, pour intéresser l’une de ces carnassières élitistes? Que pouvait-il lui offrir, si ce n’était les problèmes qu’il se traînait sur le dos, à la manière d’un baluchon? En fait, pourquoi aurait-il fait tout cela s’il ne s’agissait pas de la seule et sincère idylle de sa vie?

Parce que le Choucas que je connaissais, après toutes ces années, ne s’était jamais attaché par le passé. Il avait certainement eu des aventures de passage, mais autant cela n’était en rien de mes affaires, autant ces conquêtes sans lendemain ne s’étaient arrêtées qu’à cela : des histoires sans développement. Alors que dans la situation actuelle, tout semblait pointer sur un tout autre dénouement : le Réprouvé avait fini par s’unir à cette femme, il avait conçu un enfant avec elle… J’espérais que tout cela soit véritablement honnête entre eux, et c’est pourquoi j’accordais autant d’importance à la place familiale qu’il rendrait vacant s’il lui arrivait quoi que ce soit. Un enfant n’avait pas à perdre aussi tôt ses parents, et encore moins pour des broutilles de cette espèce, qui auraient facilement pu être évitées. Quoi qu’il en soit.

« Je ne dirais pas non à une sieste, oui, voire même à des vacances, en fait… »

Tout mon être me les réclamait avec violence, ces vacances, la douleur de mon corps se répercutant avec toujours plus de force à chacun des déplacements que je réalisais aux côtés de mon support temporaire. La tête basse, tentant d’aligner par moi-même quelques pas lorsque nous fûmes au milieu de l’auberge, je visais directement les marches qui nous mèneraient aux étages supérieurs. Les escaladant trois par trois, j’avais failli, à plusieurs reprises, m’éclater les dents, mais soit Pendrake arrivait à temps pour me soutenir, soit mes réflexes me sauvaient la mise. J’avais simplement hâte de rentrer dans cette chambre et de retrouver mes collègues pour que l’on parte rapidement de cet enfer. Cela étant dit, si la raison me soufflait une chose, mes désirs m'en murmuraient une autre : ces pensées, bien ancrées dans mon esprit, me communiquaient plutôt de m'étendre dans le premier lit de la location et de dormir jusqu'au lendemain matin. Fini les tracas, fini les maux musculaires et de crâne : il n'y aurait que moi, le silence et une longue pause bien méritée. Je soupirais, étirant un sourire à la vue de la porte où était inscrit le numéro de ma chambre. Instantanément, j'envoyais mes phalanges rebondirent sur le bois du battant.

« Hiddleston? Est-ce que tu es là?

- Isley?! »

Ce n'était pas la voix du Fantassin, mais plutôt celle d'Edmund. J'étais sauvé. Vivement, je me tournais dans la direction du Bipolaire, tout sourire. Pendrake aurait ce qu'il voudrait : mon frère et moi, réunis, prêts à mettre les voiles le plus rapidement possible de cet endroit maudit.

« T’inquiète, tu es avec moi, lui fis-je remarquer sans grande nervosité, simplement impatient que l'on nous ouvre, ce qui advint la seconde suivante : Salut les g– »

… Mais pas exactement comme je l'avais soupçonné. En réalité, j’eus la même réaction que le Hrafninn lorsque les armes s'hérissèrent sous son menton. Cependant, dans un élan instinctif, je vins me placer entre Hiddleston, Edmund et le Réprouvé, plaquant l'un de mes bras devant ce dernier pour leur indiquer de ne pas lui faire de mal.

« C-Calmez-vous. Pendrake ne fera rien, je vous le promets. I-Il m’a même aidé à retrouver mon chemin jusqu’à l’au–

- Et toi… Siffla l'enfant de Bouton d'Or en faisant tourner sa lame à quelques centimètres de ma pomme d'Adam. Qui es-tu? »

Les regards suspicieux de mes camarades me mirent mal à l’aise. D-De quoi parlait-il? Pourquoi me dévisageaient-ils en chien de faïence? Je leur adressais un sourire maladroit, rigolant nerveusement.

« C’est moi! Isley. Décidément, c’était une blague… Vous ne me reconnaissez pas?

- Nous le devrions? »

Pendant une fraction de seconde, le silence était maître. Ils se moquaient de moi, j’espère! Mais à la suite des propos du Réprouvé, mes yeux prirent un grand écarquillement tandis que mes collègues observaient la scène, incapables de dire s'il se qu’ils voyaient aujourd’hui était un rêve ou la réalité, tant la situation leur paraissait improbable. Kaaz'lok? Mon petit Kaaz? Les deux militaires étaient largués par cette familiarité singulière et – ne le cachons pas – insoupçonnée.

« Quoi?! »

Je me précipitais aussitôt dans la salle d’eau, à la recherche d’un miroir, tandis qu’Hiddleston et Edmund s’occupaient de rengainer leurs armes, attendant vraisemblablement des explications à tout ce carnaval. Ils n'avaient pas à s'inquiéter, j'allais tout leur révéler. Toutefois, une réflexion me chipotait depuis un instant, maintenant que le quiproquo sur mon apparence s'était enfin levée. Revenant de la salle d'eau, mes doigts collés à mon visage, comme pour l'évaluer, je balayais, curieux, la pièce des yeux, arrêtant subitement mon regard sur les épaules d'Edmund.

« Isiode t'accompagnait, non? Où se trouve mon frère? »

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Pendrake était parti et mes deux partenaires cherchaient à comprendre comment j’avais pu terminer, pieds et poings liés, dans une situation pareille. Et pour être franc avec eux, je n’en avais aucune idée moi-même. La poigne de ce Patrick avait été trop puissante pour que j’évite le bec des bouteilles qu’il m’avait forcé à engloutir. Et je tenais vraiment mal l'alcool. Et je ne sais pas pourquoi, mais ma relation avec Pendrake semblait avoir changé. Ce n'était plus tant de l'animosité ou bien du mépris qui s'invitaient dans ma conscience lorsque je songeais à lui. Oui, il m'énervait toujours autant, ce saligaud, mais en même temps…

« Petit Bro? »

Je relevais lentement la tête, observant Hiddleston qui se rapprochait de ma position, sans pour autant lui répondre quoi que ce soit. Cela étant dit, l'enfant de Stenfek ne reprit pas le sujet, me tendant simplement le verre d'eau qu'il venait de me remplir.

« Encore mal à la tête?

- Atrocement », maugréais-je en avalant le liquide d'une traite.

Plus jamais de ma vie, je remettrais les pieds dans cette ville.

Toc, toc.

Tous trois, nous sursautâmes. Tout semblât s'arrêter sur l'instant.

« Êtes-vous là? »

Nous nous fixâmes. C'était Isiode. Immédiatement, Edmund sauta sur la porte pour lui ouvrir et ce que nous vîmes nous laissa sans voix. Mon frère paraissait extrêmement épuisé et, dans ses mires, il était facile de remarquer le trouble profond et palpitant qui persistait au creux de ses pupilles. Comme s'il était incapable de le cacher. Comme s'il était trop effrayé et secoué pour simplement y songer.

« T-Tout va bien? » Lui demandais-je en brisant ainsi le silence qui s'était abattu sur nos épaules.

Le soldat avança dans la pièce et referma la porte derrière lui, avant de murmurer un seul et unique « Non » entre ses lèvres pincées.


◆ 1 287 mots | Post VIII | FIN