Azraël arrivait à la fin de sa lecture lorsqu’une jeune femme s’assit à sa table, le fixant en silence. Pour toute réaction, il leva lentement ses yeux rouges de son parchemin et la jaugea à son tour. Faisant totalement abstraction des bonnes manières, elle se contenta de l’informer de l’arrivée imminente de la démone. Il ne broncha pas, ne bougea pas et ne prononça pas un mot, se contentant de fixer la femme de son regard perçant. Il eut enfin une réaction lorsque l’expression de la démone changea pour afficher le sourire mauvais de Kitoe. Le démon avait baissé son parchemin, dévoilant le reste de son visage jusqu’alors caché par le papier. Il suivi la démone du regard lorsqu’elle se déplaça pour s’approcher de lui, un peu trop près à son goût. Connaissant ses penchants pour le cannibalisme, Azraël restait méfiant sur les intentions de Kitoe lorsqu’elle se tenait à proximité de lui.

-Tu es pile à l’heure, répondit-il simplement.

Interrompu par la tavernière, il se contenta de rouler le parchemin et de le ranger soigneusement dans la poche de sa cape. Il s’amusa du dialogue entre la démone et la serveuse. Cette dernière était habituée des sarcasmes démoniaques et avait perdu l’habitude de réagir sauf quand cela concernant son fils. Kitoe, de son coté, lui donnait la réplique avec une facilité naturelle qui fit rire doucement Azraël. On notait bien que l’humaine perdait patience mais elle ne tenta rien, sage décision puisque la majorité de ces clients étaient des créatures maléfiques. Tournant les talons furieusement, elle s’éloigna de la table rapidement. Le démon s’humecta les lèvres en souriant.

-Tu as toujours la dalle, commenta-t-il doucement

Il jeta un regard amusé à Kitoe. Etre en compagnie d’un autre démon lui donnait plus d’assurance. Il n’avait pas encore d’information exactes sur ce qu’il l’attendait mais Sariya avait exigé qu’il soit accompagné. C’était donc tout naturellement qu’il s’était adressé à Kitoe, une jeune démone. Pour l’heure, il devait prendre son mal en patience, aucunes nouvelles instructions n’étaient apparues sur le parchemin. Uniquement qu’ils devaient se rendre dans ce village et dans cette taverne, et attendre. Azraël sorti une nouvelle fois le parchemin. Toujours rien de plus que le message initial. Il hocha la tête en signe de négation à l’attention de Kitoe pour le lui signifier. Déçu car la patience commençait à lui manquer, il rangea à nouveau le message. Il jouait avec sa chope entre les mains tout en s’efforçant de ne pas en boire plus. Sariya avait été très claire là-dessus : s’il avait le malheur d’être ivre, le supplice serait à la hauteur de sa désobéissance et il savait très bien de quoi elle était capable. Il s’était autorisé une gorge, une toute petite gorgée et luttait pour ne pas céder à la tentation.

Il entra alors un homme dans la taverne. Le démon le remarqua immédiatement car il avait poussé la porte avec une telle violence qu’elle avait claqué contre le mur. Bien que la majorité des clients le dévisagèrent, l’homme les ignora et se dirigea droit vers le bar. Sans que personne n’ait pu le prédire, il s’attaqua à l’un des garçons accoudés au bar, l’attrapant par le col de sa chemise pour le tirer en arrière et le faire tomber sur le sol avec violence. Azraël, qui voyait là une distraction amusante, se redressa sur le banc pour ne rien râter.

-10 pièces que l’homme tue le garçon ! annonça-t-il à Kitoe sans même la regarder.

L’homme se jeta sur le jeune garçon qui s’était étalé sur le sol et le cognait au visage sans ralentir la cadence en hurlant. De ce que pu comprendre le démon, l’homme reprochait au jeune d’avoir mis sa fille enceinte. La belle histoire. Le tavernier accouru de la réserve en entendant sa femme crier, un large et long bâton dans la main. Le pauvre garçon n’arrivait pas à se défendre et le tavernier dû frapper l’homme à la tête pour réussir à le dégager. Dans la taverne, les êtres maléfiques assistaient à la scène comme si ce fut un spectacle. Certains applaudissaient, d’autres encourageaient l’homme à frapper plus fort. Les autres clients semblaient scandalisés. Lorsque le tavernier parvint à dégager l’homme, il y eut un « hoooo » collectif dans la pièce.

-Raah ! Perdu ! siffla le démon entre ses dents en déposant les 10 pièces pariées sur la table pour Kitoe.

S’affaissant contre le mur, le démon était déçu de l’aboutissement de la bagarre. Le tavernier, hors de lui, se hâta de chasser l’homme qui avait à peine repris ses esprits. Il titubait comme un ivrogne, le sang coulant le long de sa tempe. Azraël senti une légère vibration dans sa cape. Le parchemin ! Il se dépêcha de le sortir. Le texte avait changé ; « suis-le ». C’était tout ce qu’il était noté. Satisfait, il fit un signe de tête à Kitoe, un sourire qui ne présageait rien de bon sur les lèvres. Il se leva, paya sa chope et quitta la taverne d’un pas rapide pour ne pas perdre sa cible de vue.

A l’extérieur, il eut juste le temps de l’apercevoir tournant à l’angle de l’établissement. Il jeta un œil derrière lui, s’assurant que Kitoe suivait puis se hâta de rattraper l’homme désigné par le parchemin.

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Azraël avait pris de l’avance mais Kitoe ne tarda pas à le rejoindre à l’extérieur. En jetant un œil derrière lui, le démon avait compris qu’elle avait pris quelques secondes pour s’amuser un peu avec le jeune garçon. Il leva les yeux au ciel et se concentra sur sa propre victime. Il sentait l’excitation et l’impatience monter en lui. Il avait hâte d’en finir et surtout, hâte de voir la vie s’éteindre dans les yeux de sa proie. Justement, cette dernière les remarqua très vite dès qu’elle eut atteint son porche. Bon, il fallait quand même dire qu’à eux deux, Kitoe et Azraël ne passaient pas inaperçu non plus. Surtout que le démon avec sa chevelure rouge avait tendance à attirer l’attention. L’homme sur son porche semblait toujours animé d’une colère folle et, même s’il hurla sur les démons, il ne se fit pas prier pour rentrer chez lui en claqua la porte. Cet homme était sans doute fou ou stupide pour parler ainsi à deux démons. Ou alors, sa fureur l’avait rendu aveugle et il ne s’était pas rendu compte à qui il avait affaire. Le démon, lui, s’arrêta net, contrarié. A présent que l’homme était rentré chez lui, comment allait-il faire ? Il n’eut pas le temps d’entrer en matière car la démone le questionna. Pour toute réponse à sa demande, Azraël haussa d’abord les épaules. Dans le fond, il n’en avait que faire, du moment qu’il le tuait, le reste n’avait pas la moindre importance à ses yeux. Mais en y réfléchissant mieux, il n’était pas sûr que Sariya serait heureuse d’entendre des témoignages parlant d’un homme aux cheveux rouges et d’une jeune fille comme étant les principaux suspects du meurtre d’un pauvre homme. Cela pouvait leur créer des ennuis fort peu agréables et dont Sariya lui en ferait payer le prix. Tout compte fait, la discrétion s’imposait d’elle-même.

- Je pense que le mieux est de ne pas trop se faire remarquer. Ça ne nous évitera sûrement pas mal de problèmes.

Dans le même temps, Kitoe avait subtilement récupéré le parchemin dans la capte du démon. Elle avait bien trop rapide pour qu’Azraël puisse l’en empêcher et cela ne lui plus guère. Soudain furieux, il le lui arracha des mains.

- Ne touche pas à ça !

Il était réellement en colère. Pour qui se prenait-elle ? Il lui lança un regard noir, qui se voulait menaçant, même si, dans le fond, il savait très bien qu’un petit Mādiga n’impressionnait personne, et encore moins un autre démon, même s’il n’était pas beaucoup plus puissant que lui.

Un Mādiga. Il serra les points et ferma les yeux un court instant. S’il réussissait à accomplir sa mission, il ne resterait pas longtemps un Mādiga. Et c’était là tout son objectif : passer au stade suivant. Il était prêt à tuer des centaines de fois si cela lui permettait simplement de gravir les échelons et gagner en puissance. Il expira lentement en ouvrant les yeux. Il était de nature impulsive mais il savait aussi que ce n’était pas le jour à perdre son calme. Aussi, toujours contrarié mais moins furieux, il regarda le parchemin pour lire le message à son tour. « Entre ». Ça avait le mérite d’être clair. Il était d’ailleurs difficile d’être plus précis. Enfin si. Le parchemin aurait pu lui indiquer comment entrer sans se faire remarquer mais non. C’était à lui et à Kitoe de trouver comment s’introduire dans la maison sans se faire prendre. Le problème était qu’Azraël ne savait pas encore se montrer bien discret et, en regardant Kitoe, il avait envie de parier qu’elle non plus même s’il espérait le contraire. Après quelques minutes à fixer la porte d’entrée et les fenêtres, il soupira en rangeant le parchemin et regarda autour de lui.

- Peut-être qu’il vaudrait mieux patienter encore une petite heure. D’un signe de tête, il désigna le ciel. D’ici là, le soleil se sera couché et dans l’obscurité, on aura plus de chance d’entrer sans être vu.

Il s’humecta les lèvres, pas vraiment sûr non plus de ce qu’il disait. Néanmoins, cela lui semblait être le meilleur plan à suivre. Azraël jeta un regard à la démone.

- Alors ? T’en penses quoi ? Une fois la nuit tombée, on pourrait passer par une fenêtre. Ici les nuits sont chaudes, alors avec un peu de chance, notre homme dort les fenêtres ouvertes ?