Partenaire : Solo
Intrigue/Objectif : Shanxi étant désormais libre, elle met tout en oeuvre pour atteindre les Jardins de Jhēn.

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Les premiers rayons du soleil traversant les vitres des fenêtres de sa demeure terminaient leur course sur le visage endormi de la jeune femme, réchauffant ses joues. Presque aussitôt, Shanxi leva une main pour venir couvrir ses yeux. La journée commençait déjà, et l’ange avait eu bien du mal à rejoindre les bras d’Harabella cette nuit. S’aidant d’une marche qui se trouvait dans son dos, l’ancienne captive se remit non sans mal sur pieds. Si elle avait l’esprit encore embrumé jusque là, la douleur atroce qu’elle venait de ressentir dans son dos l’en tira assez rapidement, et faillit bien la replonger dans un sommeil des plus profonds. La jeune femme souffla longuement pour évacuer son mal. En réalité, cela ne l’aiderait pas autant qu’un médecin, et pourtant, Shanxi s’obstinait. Celle-ci attrapa le seau qui était posé un peu plus loin, avant d’y tremper ses mains et de les ramener à son visage. Elle en profita également pour inspecter sa blessure, non pas visuellement puisque cela lui était impossible, mais tout simplement en y mettant les mains. Sa respiration s’affolait légèrement, tandis qu’elle faisait le tour de sa plaie du bout de ses doigts. Puis, elle ramena presque machinalement sa main devant son visage. L’ange ne put retenir un léger soupir de soulagement. Elle n’avait pas beaucoup saigné cette nuit, et elle ne pourrait s’en porter que mieux.


L’ancienne captive se redressa alors pour rejoindre la porte d’entrée, où elle avait laissé ses sandales. Elle dégagea les quelques mèches bouclées qui avaient glissé sur son visage, et en profita pour réajuster sa perruque. Ethel s’était donné tant de mal pour masquer son identité, et chaque jour, ces cheveux qui n’étaient pas les siens lui rappelaient le prix qu’elle aurait à payer si quelqu’un devait découvrir que la démone avait laissé filer l’un de ses anges. Si la jeune femme avait pu quitter Giniyi à peine avait-elle recouvré sa liberté, elle l’aurait fait. Seulement, sans argent, quitter l’Antre de la Dame était difficile. Shanxi n’avait alors eu pas d’autres choix que d’en gagner, d’une manière ou d’une autre. Au moins avait-elle trouvé un travail moins déshonorant que celui que lui avait offert la démone, si l’on pouvait qualifier ainsi la chose. Les premiers jours furent néanmoins les plus difficiles. L’ange dut abandonner la quasi-totalité de son salaire pour pouvoir s’acheter une tenue plus adéquate à son travail. Quelque part, la jeune femme se réjouissait de l’étrange générosité de la Dame Rouge, autrement, elle aurait également dû payer pour le luxe d’un toit.


Enfin, bientôt elle n’y penserait plus. Bientôt elle pourrait partir. Elle y était presque. L’ancienne captive entamait sa troisième semaine à Giniyi, et après celle-là, il ne lui en resterait plus qu’une. Sur ces pensées, Shanxi referma la porte de sa demeure derrière elle, avant de rallier l’auberge au sein de laquelle elle œuvrait. Le temps s’écoulait d’une drôle de manière lorsqu’elle travaillait. Tantôt elle ne voyait pas la journée passer, tantôt elle pouvait jurer voir chaque seconde, chaque geste la rythmer. Bien sûr, la jeune femme ne s’en plaignait pas. Loin de là. Lorsqu’elle se trouvait encore il y a quelques semaines à peine entre les mains viles des démons, le temps qui s’écoulait autrefois pour elle, et qui avait à peine repris son cours aujourd’hui, était suspendu. Il lui était difficile d’oublier cette sensation. Des douleurs multiples, son sang qui réchauffe sa peau dans sa course, le regard fuyant de ses frères et sœurs, les sourires carnassiers sur les visages du mal. Le fracas des chopes qui s’entrechoquaient la ramenait heureusement assez rapidement à la réalité. Son quotidien avait encore changé, bien que de manière temporaire, elle l’espérait.


Une journée qui touchait à sa fin, une nuit qui la séparait de la prochaine. L’ange ne cherchait pas le lot de différences que chaque jour pouvait lui apporter. Elle ne cherchait plus à fuir la monotonie depuis un certain temps maintenant. A croire que ses chaînes et ses blessures lui collaient à la peau. Sa tortionnaire, elle aussi, n’était pas loin en soi. Juste à quelques pas de la demeure qui fut la clé de sa liberté, se trouvait sa prison dorée. Ironiquement, cette démone avait autant été la source de ses maux, que la raison pour laquelle l’emplumée était en vie aujourd’hui. Shanxi avait encore du mal à croire qu’Ethel ait pu la laisser partir aussi simplement que cela. Bien sûr, elle ne lui avait pas permis de l’oublier, et s’était même permis de lui laisser un souvenir, pour le lui rappeler chaque jour qui ferait son existence. Le froid du tissu humide contre sa peau ne suffisait hélas pas à soulager sa douleur. L’eau qui coulait lentement le long de son dos pour finir sa course sur ses reins ne lui causait en réalité que plus de souffrance, même s’il permettait à sa plaie de rester propre. Plus que quelques jours. Elle touchait au but. La jeune femme allait bientôt pouvoir aspirer à autre chose, et en cela, elle puisait de la force. Elle ne savait pourtant pas ce qu’elle ferait de sa liberté, mais pour l’heure, atteindre les Jardins lui suffisait. Avec cette idée en tête, l’ancienne captive pouvait désormais rejoindre Harabella sans craindre le lever du jour.


Cette dernière semaine lui parut bien plus longue que les autres, sûrement dus au fait que son attente touchait à sa fin. L’ange allait enfin pouvoir quitter l’Antre de la Dame. Telle qu’elle était arrivée, sans bagage elle prenait la route. Shanxi refermait la porte de sa demeure derrière elle, avant de s’en éloigner pour une durée qui lui échappait. D’un pas plus déterminé que d’ordinaire, elle se dirigeait vers la structure qui l’aiderait à rejoindre les terres verdoyantes du lac bleu. La jeune femme avait tant attendu. Tout ce temps marqué par sa souffrance et celle d’autrui, pour qu’en un court instant, un nouveau paysage se profile sous ses prunelles argentées. Un changement des plus brutal. Que l’on parle de cette cité, que l’on nommait Vervallée, ou du peuple qui foulait ses rues. Pourtant, si pour l’ange qu’elle était, tout cela devrait lui être complètement étranger, son corps tout entier se délesta d’un poids colossal lorsque son regard balaya son environnement. Était-ce parce qu’elle se savait loin de ceux qui avaient pu la retenir ? Était-ce la familiarité que l’on ressentait lorsque l’on passait le seuil de notre chez-soi ? Ou était-ce simplement pour faire de la place pour de plus grosses inquiétudes, de plus gros fardeaux ?


Shanxi sentit soudainement une main se glisser lentement sur son épaule, coupant court à sa réflexion. Lorsque ses prunelles se dirigeaient brusquement sur le propriétaire de cette main, alors même qu’elle venait de se soustraire à son emprise, l’ange découvrit le visage inquiet, ou perplexe, d’un homme qui lui était bien évidemment inconnu. « Tout va bien, madame ? » Son regard parcourait frénétiquement son interlocuteur de haut en bas. « Vous n’avez pas l’air bien. » Il fallait croire qu’une cape et une capuche ne suffisaient pas à dissimuler l’état de l’ancienne captive. Celle-ci s’était pourtant donné bien du mal pour se la procurer. « Non, je vais bien. Je cherchais juste ma route. » L’homme arqua un sourcil. « Ah vous voyagez ? Et où vous rendez-vous ? Aux Jardins ? » Avait-il vu ses ailes dissimulées sous ses vêtements finalement ? Ou la destination était-elle si évidente que cela ? La jeune femme acquiesça d’un geste de la tête. « Et vous y allez à pied ? Ça risque d’être long. » « Je n’ai pas trop le choix. » Le magicien balança ses mains de désapprobation. « Non mais vraiment… Vous allez mettre peut-être quatre jours pour arriver là-bas, peut-être trois si vous marchez vite. Je vous le déconseille vraiment, vu votre état. » Il était insistant celui-là.


Cela étant, il n’avait pas complètement tort. Quatre jours de voyage lui paraissaient difficilement surmontable au vu de sa situation. L’ange avait accumulé bien trop de fatigue, et même si la journée était loin de toucher à sa fin, sa blessure ne risquait pas de l’aider. Même si elle fractionnait son temps de voyage pour se reposer, marcher toute la journée, et ce quatre jours durant, risquait d’être bien trop intense pour quiconque ne serait pas habitué à un tel rythme de vie. L’ancienne captive soupira. « Qu’est-ce que je pourrais faire, selon vous ? » Il haussa les épaules. « Attendre qu’une charrue fasse le voyage. Ils pourront vous y emmener. » Shanxi tiquait un peu à cette idée. Se retrouver en compagnie d’inconnus pour le périple ne lui plaisait pas vraiment. « Et quand est-ce que la prochaine partirait ? » « Ça dépend. Parfois il y en a une tous les jours, parfois tous les trois jours. Parfois deux fois par jour même. C’est assez aléatoire, mais on peut aller voir un ami à moi si vous voulez. Il saura mieux vous renseigner que moi. » L’attente jusqu’ici lui avait parut des plus longues, et à présent qu’elle approchait sa destination à grands pas, elle lui paraissait insoutenable. « Je veux bien. » Finalement, l’ange capitula. Elle ne savait toujours pas pourquoi cet homme tenait à l’aider, et même si cela l’effrayait au plus haut point, elle n’était pas sans savoir que si elle décidait de voyager seule, par ses propres moyens, ce serait très probablement son dernier périple.


Une légèrement brise caressait doucement le visage de la jeune femme. Son regard était fixe. Plus qu’une nuit. Plus qu’une nuit, et le lendemain elle pourrait enfin lever le pas en direction des Jardins de Jhēn. L’ange aurait voulu partir plus tôt, seulement, si elle ne voulait pas voyager seule, il fallait attendre le passage de la charrette qui l’amènerait à destination. Le magicien qu’elle avait rencontré un peu plus tôt l’avait bien aidé. Grâce à lui, Shanxi savait comment atteindre son objectif. Il lui avait même offert le couvert et un toit pour la nuit. Il n’était sûrement pas mal intentionné, et le refus de la jeune femme pourrait paraître ingrat, mais elle n’avait put se résoudre à accepter. L’ange s’installa au pied de la petite structure en pierre qui se trouvait dans son dos, près de la route qu’emprunterait la charrette lorsqu’elle arriverait. De cette manière, elle ne pourrait pas la manquer. La douleur qu’elle ressentait dans le bas de son dos, couplée aux multiples émotions qui assaillaient son esprit, ne risquaient pas de l’aider à trouver le sommeil. La nuit serait longue, cela ne faisait aucun doute.


Les sabots martelant la terre. Les roues se trouvant à leur suite la fendant d’un épais tracé dans leur sillage. Les secousses irrégulières et sans fin, mais qui étrangement, ne semblaient déranger personne. Assise en silence au milieu des marchandises, la jeune femme se laissait bercer par le brouhaha environnant, mêlé aux voix des bonnes âmes qui l’accompagnaient. Sa tête se balançait au grès de son embarcation. A mesure que le temps passait, cette cacophonie pourtant si agréable semblait se taire. L’ange ne sentait plus que sa sueur perler sur son visage tout entier, et une migraine venant égaler la douleur qui lacérait son dos. L’air ambiant alors qu’ils étaient en mouvement semblait se rafraîchir, la contraignant à se recroqueviller toujours plus sous sa cape. Le souffle de leur monture en plein effort, la voix du chauffeur et de son interlocuteur. Elle ne pouvait plus les entendre il y a un court instant, et à présent, l’ancienne captive les ressentait comme s’ils s’égosillaient au creux de son oreille. Sûrement était-ce dû au mal de crâne qui la gagnait toujours plus encore. Droite, gauche. Haut, bas. Shanxi tanguait au rythme de vagues inexistantes. Elle avait déjà perdu la notion du temps, et était incapable de savoir combien d’heures ou de minutes elle avait passé sur cette charrue. L’ange se rappelait néanmoins que ce périple devrait durer seulement un jour et demi. Deux, s’ils n’étaient pas chanceux.


Elle vida ses poumons, appuyant sa tête sur le petit ouvrage en bois qui était posé à sa droite. « Tout va bien derrière ? » L’ancienne captive l’avait entendu, mais ne trouvait tout simplement pas la force de répondre. « Je crois qu’elle dort, papa. » L’homme se tourna pour faire face à la route. « Elle a bien raison. On est pas arrivé encore. » Le paysage défilait, comme le temps, sans que la jeune femme ne puisse réellement le voir. Ce n’est que lorsqu’elle sentit son moyen de locomotion s’arrêter brutalement que ses paupières se soulevèrent. Un jeune homme, qu’elle reconnu comme étant l’accompagnateur de son chauffeur, se tenait près de la charrette, un grand caillou entre ses mains. Shanxi se redressa immédiatement, bien que plus lente qu’à l’accoutumée. « Ah… Excusez-moi. Je ne voulais pas vous réveiller. Nous nous sommes arrêtés ici, comme la nuit est tombée. Mon père est allé attacher le cheval juste à côté. Je dois juste caler les roues avec ça, et après je vais préparer le dîner. Vous voulez vous joindre à nous ? » Il leva ses mains pour indiquer la pierre qu’il tenait, avant de la poser juste derrière l’une des roues. « Non merci. Je vais me reposer encore un peu je pense. » « Pas de souci. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas. Nous serons juste là. » Il indiqua d’un geste de la tête l’emplacement qu’ils avaient choisit pour leur campement. « Nous devrions arriver aux Jardins demain dans l’après-midi. D’ici-là, reposez-vous bien. » Un léger sourire flottait sur les lèvres du garçon, tandis qu’il s’éloignait.


La jeune femme souffla longuement. Son cœur tambourinait sa poitrine à tel point que l’on croirait qu’il voulait en sortir. Cette sensation de malaise, qui l’avait faite sombrer un peu plus tôt, ne tarda d’ailleurs pas à refaire surface. L’ange avait beau ne plus avoir les idées très claires, elle savait pertinemment que son mal n’était pas dû à la fatigue. Elle était visiblement en train de payer pour son obstination à ne pas voir de médecin pour traiter sa blessure. Des médecins. Il devait y en avoir aux Jardins de Jhēn. Pour le moment, il n’y avait rien à faire. Ils se trouvaient hors de la ville, et personne n’accepterait de la recevoir au milieu de la nuit. Une raison supplémentaire pour atteindre sa destination. Une autre raison de s’impatienter. Shanxi reprit position près de l’ouvrage en bois contre lequel elle était appuyée plus tôt. Attendre. C’est ce qu’elle avait fait jusqu’ici, elle pourrait bien attendre encore un peu. Elle y était presque. La nuit fut plutôt courte, bien que riche en excitation et en appréhension, et ce fut avec le lever du soleil que le trio repris sa route. Dans quelques heures, l’ange y serait. A chaque minute qui passait, elle pourrait jurer en avoir vu le double. Voir l’évolution de la trajectoire du soleil amenait son lot de consolation et d’inquiétudes. « Tenez, regardez ! Vous voyez la ville là-bas ? Ce sont les Jardins de Jhēn. » Les deux hommes souriaient de toutes leurs dents. « On y sera d’ici une heure ou deux. » Ses prunelles ne pouvaient plus quitter les toits qui composaient la cité dont ses frères prisonniers rêvaient.


Fidèle aux paroles de ses accompagnateurs, la charrette chargée en marchandises, dont une particulièrement insolite, arriva aux abords de la ville. « Et voilà ! Nous y sommes. » Le regard de la jeune femme était resté planté sur les bâtiments tout le long du trajet, et même lorsqu’ils se tenaient juste devant eux, c’était toujours le cas. « Besoin d’aide pour descendre ? » L’homme lui tendait une main, qu’elle saisit sans trop hésiter cette fois-ci. Shanxi était resté assise tout le voyage, et à peine fut-elle sur pieds que sa tête commença à tourner à nouveau. Son bienfaiteur la soutenait toujours d’une main dans le dos. « Ça va aller ? » L’ange hocha la tête. « Asseyez-vous deux minutes. Je vais appeler quelqu’un. Lugo, reste près d’elle. Je reviens. » L’homme s’éloigna, tandis que son fils se précipita auprès de l’ancienne captive, une gourde à la main. « Il va revenir avec de l’aide, ne vous en faites pas. Tenez, en attendant. » Finalement, la jeune femme se réjouissait de ne pas avoir fait le trajet seule. Le magicien avait raison, elle n’aurait pas tenu. Heureusement, l’ange n’eut pas à attendre très longtemps avant de voir le père du garçon revenir, accompagné de plusieurs ailés.


Assez rapidement, Shanxi fut emmenée dans un bâtiment doté de deux rangées de lits. Une sorte d’infirmerie, semblait-il. Elle avait beau se savoir en compagnie d’autres anges, qui ne devraient lui vouloir aucun mal, se retrouver à leur contact ne lui apportait aucun réconfort. Bien au contraire. Ce sentiment ne devint que plus fort, lorsque deux d’entre eux la poussèrent sur le côté pour observer plus avant la blessure qui se trouvait en bas de son dos. Ils avaient beau lui parler, lui expliquer leurs intentions, rien de ce qu’ils pouvaient dire ne parvenait à la rassurer. La violente douleur que l’ancienne captive ressentit lorsqu’ils essayèrent d’extraire le bijou qu’Ethel lui avait serti n’arrangea rien, pour ne pas dire qu’elle aggrava la situation. Si jusque là, l’ange n’avait montré aucun signe de lutte malgré ses craintes, sa passivité cessa à cet instant. Shanxi ne saurait dire si ses supplications, ses hurlements, leur compassion, ou leur bon sens avait mis fin à cet enfer. Au moins avait-il pris fin.

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