Mertle fronça vivement les yeux, ce qui eu pour effet de joindre en un seul pont les deux zones broussailleuses qui lui servaient de sourcils. «
Qu'est ce que t'es en train de fabriqué à quatre patte, toi ? » demanda la vieille femme avec un mélange de suspicion et de lassitude dans l'intonation. Retrouver la vue après l'avoir perdu pendant autant de temps l'avait rassuré un peu -elle avait craint pendant un instant de ne plus jamais être capable de voir, imaginez le drame : elle ne pourrait plus jamais voir personne pleurer ni même voir la tristesse et le désespoir sur le visage de ses ennemis - mais elle était loin de s'être douté que le postérieur de sa domestique serait la première image qui lui reviendrait. La blonde, en entendant la voix de sa maîtresse, essaya de se redresser promptement de sous le lit où elle était allé farfouiller, se cognant la tête au passage. «
Aïe ! » glapit-elle en se frottant vigoureusement la tête pour faire passer la douleur. Lorsqu'elle reconnue Mertle, le visage de la magicienne s'illumina en une moue ridiculement heureuse et béate. «
Dame Mertle, enfin vous êtes revenue ! » s'exclama l'ingénue et se redressant tout à fait pour faire face à la mégère qui la toisait toujours d'un drôle d'air. «
Eh bien oui, qu'est ce que tu croyais ? Que tu allais pouvoir te débarrasser de moi aussi facilement ? » La vieille croisa les bras sur sa poitrine pendante. «
Eh non, je suis une femme coriace moi ! J'ai survécu à tous les fléaux des dernières ères, ce n'est pas pour me laisser avoir par une bande d'illuminés qui aiment frapper aux portes ! » Odette partit dans un petit rire musé. «
Oh oui, vous êtes très tenace, et heureusement d'ailleurs. Monsieur Sefus serait très malheureux de vous perdre dans un accident de porte ! » répliqua innocemment la femme de ménage. La sorcière aurait volontiers froncé les yeux si les plis de ses rides le lui avaient permis mais ils étaient déjà au maximum de leur capacité. «
Oui, il n'a pas encore trouvé le moyen de modifier légalement mon testament. Je suis certaine qu'il sera triste de ne pas pouvoir toucher ma pension et ma propriété de l'appartement. » bougonna l'épouse avec une pointe d'amertume dans la voix. «
Oh euh... » bégaya la mage blanche, confuse face à cette réponse bien loin de son imaginaire romantique. «
Oui... Il y a peut-être de ça... Et puis, il se sentirait drôlement seul, sans votre compagnie ! » essaya-t-elle de convaincre la mégère. Celle-ci connaissait néanmoins la réalité et n'y croyait pas même une seule seconde. «
Bien, Odette, j'ai terriblement mal aux pieds, prépare moi une bassine pour me les masser ! » ordonna la dictatrice tout en claudiquant jusqu'à son habituelle chaise à bascule. «
Tout de suite madame ! » Odette s'exécuta et quelques minutes plus tard, elle revint avec un bain de pied bien chaud qu'elle installa pour sa maîtresse.
«
Alors, allez-vous me dire où vous étiez passé ? » demanda curieusement la magicienne tout en commençant à masser la voûte plantaire de l'aïeule. «
Je vous ai cherché un peu partout -dans la cuisine, la salle d'eau, j'ai inspecté toute la chambre : j'ai ouvert l'armoire et j'étais en train de regarder sous votre lit pour m'assurer que vous n'y aviez pas glissé. Pourtant, impossible de vous retrouver. Et puis tout à coup, "pouf", vous voilà réapparue comme par enchantement ! » s'extasia la naïve. «
Mmh, c'est que c'est une longue histoire. » «
Eh bien, c'est une bonne chose non ? » insista la plus jeune. «
J'ai terminé mes corvées du matin et puisque je dois m'occuper de vos petits pieds, nous avons beaucoup de temps devant nous, n'est ce pas ? » «
Je suppose que tu n'as pas tort. » répondit Mertle en haussant les épaule. Elle se racla indélicatement la gorge avant de bomber le torse, fière d'enfin pouvoir raconter ce qu'il se passait dans sa vie -c'est à dire que de telles péripéties, ce n'était pas quotidien pour elle ! «
Alors voilà, j'étais là, toute tranquille en train d'patienter qu'il arrive des broutilles à nos voisins, Minou sur les g'noux, quand tout à coup ! Zbam ! D'la lumière sortie d'nulle part ! J'voulais pas m'en occuper et rester très loin de c'drôle de truc mais v'là qu'Minou bondit d'dans alors j'pas réfléchi : j'saute dedans et VIOU ! J'suis dans un drôle d'labyrinthe perdu, avec une statue qui parle et des grandes portes. Des illuminés, j'te dis ! Et puis y'a une super chouette porte hein, juste devant moi, alors moi j'veux aller dans celle là, pas dans une autre ! Mais les autres couillons, ils préfèrent une autre porte avec des anges et des démons ! Encore eux ! Comme si nous avaient pas déjà assez cassé les oreilles comme ça ceux là ! » Mertle prit un air exaspéré avant de se mettre à les imiter. «
Oh shcreugneugneu, nous on est des vilains alors on va tout casser ! Ohlàlàlà regardez nous nous sommes de pauvre petits imbéciles incapable de nous défendre seuls ! S'il vous plais aidez-nous ! Et puis comme on est les méchants on va garder des emplumés en cage et en faire de la charpie ! Oh mais sauvez-nous ou nous volerons les enfants d'ces cons d'bipolaires ! » Odette laissa un rire enfantin lui échapper en voyant la médiocre imitation de Mertle. «
Vous exagérez voyons, les anges ne sont pas aussi pleurnichards. » assura la novice. «
Et puis, les démons, c'est vrai qu'ils font un peu peur quand même... » Mertle émit un soupir dédaigneux. «
Ouai bah moi, j't'assure qu'j'en ai vu des pas gaillards d'ailes blanches ! Et puis les cornus, sont pas aussi terribles qu'on l'dis ! Les sorciers sont bien plus dangereux qu'eux ! » «
Sans aucun doute, Maîtresse. » reconnue la conciliante pour apaiser la vieille bique. «
Enfin bon, du coup, la mauvaise porte s'ouvre, alors on discute parce qu'on doit choisir ! Alors on commence à s'engueuler parce qu'il y a des idiots qui veulent pas aller avec les démons ! Mais finalement, des gens intelligents ont entendu raison et m'on écouté : ils acceptent de soutenir les cornus, et puis tout à coup, j’apparais devant un groupe de gens ! » Odette fronça à son tour les sourcils. Elle n'était pas certaine de tout comprendre. Mertle n'avait jamais été très douée pour raconter des histoires et la magicienne avait fini par perdre le fil de ce que racontait la méchante. «
Et puis du coup, on cause un peu, parce que j'avais besoin d'aide pour savoir quoi faire de Minou, tu l'imagines, ce petit bout de cou tout velu, entre toutes ces plumes, il s'y serait pas retrouvé ! Hein, pas vrai Minou ! » demanda Mertle à son animal de compagnie. La vieille femme chercha le félin du regard avant de se rendre compte que quelque chose clochait. «
Minou ? » demanda-t-elle encore avant d'être prise par un horrible sentiment d'effroi. «
Minou ! Ou qu'il est passé Minou ! ODETTE ! OU EST MON CHAT ?! » s'époumona l'ingrate en gesticulant en tous sens, éclaboussant la servante accroupie devant elle qui essaya de se protéger inutilement de ses maigres bras. « Je... Je ne sais pas. Je ne l'ai pas revu... Il n'était pas avec vous lorsque vous êtes réapparue. »
Il y avait sans doute deux choses dans le monde entier que Mertle ne supporterait pas de perdre : de l'argent, et Minou. Elle tenait sans doute d'ailleurs plus à la petite panthère qu'à l'argent, ce qui en disait long sur l'amour qu'elle portait à son ami à quatre pattes. Son mari ? Elle l'aurait échangé contre trois sous si cela avait pu lui apporter la paix. Ses enfants ? Ils n'étaient que des ingrats qui avaient vécu à ses crochets pendant des années avant de disparaître et de totalement l'ignorer par la suite ! Eux aussi, elle les aurait échangé sans une once d'hésitation. Par contre, Minou, elle n'aurait pas cédé même pour tout l'Or du monde ! C'était pour dire à quel point il était irremplaçable et important pour cette femme habituellement sans cœur et sans scrupules !
«
Odette ! C'est une catastrophe ! Ces cons d'démons d'mes ovaires ont kidnappés Minou ! » s’exclama la sorcière, soudaine certaine d'être devenue la cible d'une abominable machination pour la séparer de son ami moustachu. «
Il faut retourner là bas pour le retrouver ! Et le sauver ! Tu imagines, s'ils l'embrochent et tentent de le manger ? Oh non, ce serait abominable ! » A cette sinistre idée, Mertle sentit son cœur fondre et se fendre. A tel point que ses yeux se mirent à luire, emplis de larmes, et que celles-ci se mirent à ruisseler le long de ses joues. «
Oui mais... Mais comment ? » demanda Odette, elle aussi submergée par l'émotion après avoir vu sa belle-maman réagir ainsi. «
Vous avez parlé d'une lumière, comment pouvons-nous la faire réapparaître ? » «
On verra ça plus tard, bécassine ! Pour l'instant : AUX ARMES ! » cria Mertle en brandissant haut son poing fermé. Avec difficulté, elle s’extirpa de la bassine dans laquelle elle avait fait baigner ses pieds puis se mit à trottiner dans le petit appartement. Elle ignora tout bonnement Sefus qui s'était mit à râler à cause du boucan qu'elle produisait, se dirigeant tout droit vers une petite armoire qu'elle ouvrit pour s'emparer de son sceptre magique -un bâton d'une excellente facture- et de la baguette d'Odette. La sorcière s'arma également de son balais puis retourna vers la blonde qui s'était emparé de son habituelle cuillère en bois. «
Tiens, prends ça ! » dit la vieille en fourguant tout son bazar dans les faibles bras de sa servante. «
Et maintenant ? » «
Maintenant, tu te tais et tu me laisses me concentrer, nom d'la barbe d'Elias ! » La sorcière se mit à fermer les yeux très forts puis joignit ses mains devant elle. Elle se mit à grommeler des paroles inintelligibles, puis commença à tourner sur elle-même, parlant de plus en plus vite. La mage noire effectua alors une série de pas étranges, à moitiés dansés, moitié sautés. «
Oh Mertle ! Mertle regardez ! Le faisceau, il est là ! » s'exclama la blonde. Sans perdre une seconde, celle qui était à l'origine de ce phénomène s'empara à nouveau de ses armes puis donna un violent coup de balais dans le dos de sa bonne. «
Allez toi d'abord ! » dit-elle. Après tout, elle ne voulait pas risquer de tomber sur une bande d'anges mécontents et méfiants. Mieux valait envoyer l'autre pimbêche en premier pour apaiser les possibles tensions. «
Attends nous Minou, nous venons te sauver ! Kyaaaaaaa ! » rugit la biquette tout en s'élançant dans le halo de lumière.
