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 [Q] - Les cadavres du placard ne valent pas ceux de la cave

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Siruu Belhades
~ Sorcier ~ Niveau III ~

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Siruu Belhades
Jeu 07 Mar 2019, 23:54

Intrigue/Objectif : Siruu entend des bruits dans sa cave, et va chercher à en comprendre l'origine. Sa vie s'emballera dans les jours qui suivront. Le RP se passe légèrement dans le passé, c'est ma manière de réagir plus clairement à toute la chronologie. Le début se passe après le roleplay de sa fiche.



« Les nécromanciens le haïssent ! »

C’était une journée compliquée, riche en émotions. Siruu recouvrait d’encre son carnet de notes, capturant ses songes. Un combat perdu d’avance : pour chaque pensée écrite, deux autres arrivaient en renfort, formulées différemment. Pourtant, le mage noir continuait, perfectionnant sa sténographie autant que possible. C’était devenu son quotidien. Du crépitement des flammes, aux averses passagères d’Amestris, en passant par la foule à l’extérieur de sa demeure mal isolée : rien ne pouvait le sortir de sa transe. Aucun bruit… sauf un. Chaque règle possède son exception et, à cet instant, une seule chose suffit à le réveiller. Ce n’était pas le son en lui-même qui dérangeait, mais sa provenance. Si la cave était en effet habitée par un être, la vie n’animait plus son corps depuis des heures. Siruu s’en était assuré. Le pouls du sacrifié était inexistant.

Le sorcier descendit lentement les marches de l’escalier ténu menant au sous-sol. Cela aurait pu être un rat, ou bien une hallucination auditive. Deux possibilités probables, mais, dans un monde où les aléas de la magie causaient autant de torts, il valait mieux surestimer le danger et envisager le pire. Son oreille accolée au froid de la porte, Siruu guettait le moindre son. Rien. Sa main glissa le long du bois, pour pincer la poignée et l’abaisser. Il n’avait plus qu’à entrer.

Une odeur rance s’attaqua à ses narines avant même que le mage n’ait eu l’occasion de voir quoi que ce soit. Vu la quantité de sang versée sur le sol auparavant, l’inverse aurait été surprenant. Pourtant, quelque chose clochait. Quelque chose manquait. L’empoisonneur n’était pas de ceux qui réfléchissaient vite et c’est le son, qui, encore une fois, le mit sur la bonne voie. Il était à quelques centimètres de la vérité. Une vérité qui savait trop bien se tenir debout à son goût. Une vérité qui faisait mal, au sens propre comme au sens figuré, à en juger par la plaie qui venait d’apparaître sur le bras du sorcier.

L’affrontement qui s’en suivit n’était pas des plus impressionnants. Le sacrifié, esclave racheté à bas prix, car fortement amoché, manquait de vivacité. Siruu n’eut qu’à le pousser pour avoir le contrôle, avant de déformer la lame ensanglantée jusqu’à ce que sa magie lui fasse défaut. La victoire de Sympan avait amené son lot de désagréments.
Après s’être hâté de créer et d’appliquer un tissu sur sa blessure, Siruu prit la peine de regarder son agresseur. L’espace d’un instant, il crut qu’il s’agissait d’un mort vivant. Cependant, un coup d’œil plus attentif au sol qu’il avait balayé du regard la dernière fois lui permit de comprendre quelque chose : le cadavre était toujours là. Siruu aurait juré que l’homme qu’il venait de mettre à terre possédait bien le visage de celui qu’il avait sacrifié, mais il n’avait pas bien fait attention à ce dernier. Cependant, ils semblaient similaires et l’on ne pouvait pas apparaître dans une cave perdue d’Amestris sans raison.

« Qui es-tu ? » Le blond posa une main sur sa bouche. D’une part, c’était un moyen d’obstruer ses voies nasales, empêchant par la même occasion les effluves écœurantes d’atteindre ses récepteurs olfactifs. D’autre part, il était surpris d’avoir un tel sang-froid. Peut-être que le sorcier n’avait tout simplement pas encore réalisé sa situation. « Jorderunn. » Charmant accent. « Comment ? »« Jeune devrépas tracer ce jorderunn tous les... »« C’est-à-dire ? » Le blond se touchait les cheveux, sans vraiment comprendre pourquoi il prenait le temps d’avoir un semblant de conversation avec celui qui avait tenté de l’assassiner quelques secondes auparavant. « Jeune devrépas tracer ce jorderunn... » Hmm. Il était fou. Cependant, la phrase qu’il venait de prononcer rappelait vaguement quelque chose au mage noir.

« Je ne devrais pas tracer ce genre de rune tous les jours. »
C’était un miracle que Siruu se souvienne des derniers mots qu’il avait prononcés, en quittant la pièce. Cette journée cumulait les improbabilités statistiques. « Quel est ton nom ? »« Jorderunn. » Parfait. En plus d’être dérangé, l’esclave semblait aussi incapable de parler le langage commun. Tout ce qu’il faisait, c’était répéter en boucle ce qu’il avait entendu avant sa résurrection. Enfin, au moins le sorcier comprenait mieux pourquoi il avait pu trouver un servant à un prix si abordable.
Siruu quitta la pièce, sans prendre le temps de prévenir celui qui lui avait servi de réserve de sang sur pattes le matin même. Le liquide carmin qui coulait le long du bras du sorcier suffit largement à créer une simple rune d’isolement contre la porte. Voilà qui tiendrait le dégénéré prisonnier un moment. Pendant ce temps-là, Siruu devait aller en ville. L’objectif était simple : aller faire vérifier son bras, puis acheter quelques chaînes. Solides, de préférence.
Le blond enfila une longue veste noire, qui dissimulerait élégamment sa blessure. Avant de partir, il lança un regard sur son bureau vétuste. On n’y trouvait pas grand-chose, à part le contrat type qu’il avait obtenu de Zélie Nianrah dans l’après-midi. Cette semaine était le début de quelque chose de grand. Siruu le savait.

« Je reviens des courses ! » Le blond riait de sa propre blague. Il n’avait pas trouvé de médecin ouvert si tard, en dehors de quelques experts dont les honoraires exploseraient son budget après quelques minutes. Du coup, il avait demandé de l’aide dans la taverne la plus proche. On avait désinfecté sa plaie avec de l’alcool. De l’absinthe, en fait. On en avait bu, aussi. D’habitude, le sorcier mettait un point d’honneur à ne jamais ingérer une goutte de ces boissons. Ce soir-là serait une exception, apparemment. Quoi qu’il en soit, que ce soit par manque d’habitude, par faiblesse naturelle ou par fatigue, Siruu s’était rapidement enivré. Heureusement, il gardait toujours sur lui quelques potions d’annulation qui pourraient le remettre à son état initial. Une habitude inculquée par son ancien maître empoisonneur. Ces fioles-là pouvaient s’avérer très utiles… encore fallait-il que le mage noir pense à prendre l’une d’entre elles. Pour le moment, il ne se souvenait pas de leur existence.

« Je descends les escaliers, ne te jette pas sur moi comme la dernière fois. » Le double sens était évident, mais l’on ne pouvait pas savoir si c’était volontaire. Le blond peinait à avoir une élocution correcte, sa voix se rapprochant plus de l’éléphant que de l’Homme par moments. Alors qu’il descendait l’escalier, il trébucha. Pour sa défense, les marches de pierres étaient minuscules, asymétriques, et assez inadaptées même pour un Homme possédant toutes ses facultés cognitives. Toutefois, ce malencontreux incident fut un mal pour un bien puisque les potions d’annulation avaient glissé de sa sacoche. Se rappelant de leur existence, Siruu en but une d’un seul trait. Voilà qui devrait vite le dessaouler.

Sobre, et maintenant relevé, il massait sa mâchoire contusionnée par la chute. Non, vraiment, ces choses-là ne le réussissaient pas. Le mage noir acceptait volontiers que, à l’avenir, on le frappe violemment si on le prenait à retoucher à cette boisson. Il ouvrit la porte, inspectant prudemment ses environs. Se faire attaquer une seconde fois n’était pas dans ses plans. Dissimulé dans les ombres, son prisonnier restait assis dans un coin de la place. Au moins, cette fois, on ne l’avait pas agressé.

« Est-ce que tu as l’éternité du phénix ? »
Il attachait l’homme, au visage intemporel. De face, le prisonnier semblait jeune. D’un certain angle, on pouvait le trouver mûr. « Jorderu- »« Tais-toi. » Siruu resserra son emprise sur la fiole vide, dans la paume de sa main. « Est-ce que peux renaître ? » Il essayait d’illustrer son propos par le geste, sans succès. « Jord- »« Tais-toi. » Au moins, l’esclave réagissait au ton sec du sorcier, et savait fermer sa bouche. Cependant, ce n’est pas ça qui permettrait à Siruu d’être certain des capacités de cet homme. Fort heureusement, il existait un autre moyen : la pratique. Sans perdre plus de salive avec cet imbécile, il éclata la fiole vide contre le mur, l’air mauvais.

Siruu n’était pas particulièrement violent. Non, vraiment. Néanmoins, il ne rechignait pas à employer la force si nécessaire. En l’occurrence, cela lui permettait de savoir si cet homme possédait bien une forme d’éternité du phénix. Si le sorcier pouvait la capturer, la copier, la transférer… bref, s’il pouvait, lui aussi, renaître de ses cendres, alors il serait comblé.



« Plus besoin de s’inquiéter de la sénilité, de la nouvelle vieillesse que m’offre le temps à chaque anniversaire qui passe, de l’astre de Phoebe que j’ai trop souvent vu s’élever, et trop souvent vu tomber. Un phénix est éternel ; non, il est perpétuel. Je veux les imiter. Les surpasser, même. Obtenir ce don pour pouvoir ne plus jamais y penser, pour pouvoir l’oublier. Si seulement... »



La fatigue empêcha Siruu de terminer cette note. Au petit matin, il ne pensa même pas à continuer ce texte ; trop préoccupé à l’idée de courir vers la cave. Malheureusement, il ne vit que le cadavre sans vie de « Jorderunn ». Peut-être l’avait-il tué trop tôt, peut-être qu’il aurait fallu attendre avant d’égorger son esclave, que la magie avait une sorte de temps de recharge. Une autre hypothèse semblait aussi envisageable : le soi-disant éternel n’en était pas un, et il n’avait eu le droit qu’à une seconde chance.

Siruu avait passé la journée à vérifier sa cave. Autant dire que, une fois le soir passé, ses espoirs s’étaient effrités. Il n’avait pourtant pas abandonné l’idée de devenir l’un de ces éternels.


« Ce n’est pas grave. Je trouverais un autre moyen. Un scientifique à Valera Morguis pourrait m’aider, peut-être ? Je ne pense pas que repousser la mort soit l’une de leurs priorités — c’est même plutôt l’inverse, mais beaucoup d’êtres de talent se trouvent là-bas. L’un d’eux doit sûrement connaître une potion ou un remède contre la perte de vie. Je ne sais pas encore exactement qui, mais je trouverais. »


Finalement, la situation se trouvait étrangement similaire à un autre jour ; ou, plutôt, une autre soirée.
« Siruu recouvrait d’encre son carnet de notes, capturant ses songes. Un combat perdu d’avance : pour chaque pensée écrite, deux autres arrivaient en renfort, formulées différemment. Pourtant, le mage noir continuait, perfectionnant sa sténographie autant que possible. C’était devenu son quotidien. Du crépitement des flammes, aux averses passagères d’Amestris, en passant par la foule à l’extérieur de sa demeure mal isolée : rien ne pouvait le sortir de sa transe. Aucun bruit… sauf un. Chaque règle possède son exception et, à cet instant, une seule chose suffit à le réveiller. Ce n’était pas le son en lui-même qui le surprit, mais sa provenance. Si la cave était en effet habitée par un être, la vie n’animait plus son corps depuis des heures. Le pouls du sacrifié était inexistant. Siruu s’en était assuré, et ce constat l’avait rendu bien triste. Cependant, l’expérience avait appris au sorcier que la mort peut parfois en rejeter certains. Jorderunn devait être trop agaçant pour Ezechyel lui-même. »
Un soupir de soulagement vint gâcher ce récit presque trop similaire pour être réel. Siruu n’avait pas peur, comme le jour d’avant. Il savait à quoi s’attendre et, cette fois, ferait une croix sur l’alcool.


1875 mots
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Siruu Belhades
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Siruu Belhades
Sam 30 Nov 2019, 20:44


Savoir se canaliser

Jorderunn. Entre lui, Hazinoklenn, Nekhinolanz et Zalnonikhen, le sorcier se demandait s’il ne voyait pas un peu trop souvent des noms à coucher dehors. Sirh Juuka n’est pas mieux, me direz-vous. Eh bien, certes, mais au moins le commun des mortels pouvait le prononcer.

Siruu avait appris à cohabiter avec la chose qui vivait dans sa cave. « Chose », oui, puisqu’à ce niveau d’inconscience, il était difficile d’imaginer qu’un humain – au sens large du terme – ait un jour habité ce corps meurtri. Toutefois, Jorderunn persistait, lui et son éternité du phénix. Son corps semblait résister à toute épreuve, tout sévices. Soyez certains que le mage noir avait pris soin de tester les capacités de son cobaye, sans non plus aller trop loin : il ne faudrait tout de même pas prendre le risque de le perdre.

Jorderunn, lui semblait s’acclimater à sa nouvelle vie. Il faut dire que l’amnésie aidait. Il mangeait, quand on pensait à le nourrir. Il buvait, quand on n’oubliait pas de remplir sa bassine. Certainement qu’avec un meilleur contact social, Siruu pourrait apprendre à l’esclave à faire ses besoins à un seul endroit, à comprendre quelques ordres basiques voire, comble de la pédagogie, à parler. Vous vous doutez bien que le blond était autrement plus occupé à écrire quelques articles ou à piquer du nez. Cela faisait un moment qu’il n’avait pas dormi, trop terrorisé à l’idée d’être pris des visions d’horreur dont il avait été témoin. Alors, il travaillait sur son article le moins avancé, la fatigue rendant sa tâche d’autant plus complexe.

« Le signal des Prêtresses d’Imseli est passé à travers les Terres, et mes camarades… »

Non, rien n’allait. « Camarade » sonnait trop formel, « passé à travers les Terres » n’avait pas de sens et, surtout, « signal » était un mot trop laid. Il fallait raturer tout ça.

« Le message des Prêtresses d'Imseli résonna à travers les Terres du Yin et du Yang, et mes confrères journalistes s’efforcent de faire cracher l’encre à leur plume afin de célébrer de huer ou tout simplement d’annoncer les résultats de cette première épreuve. Si, selon nos sources, aucun public n’était présent, le jugement de l’aether ne peut que difficilement être remis en question. J’ai donc, afin de faire honneur aux traditions de ma profession, décidé d’ajouter mon grain de sel.
Notre race, malheureusement, ne vainquit pas cette épreuve. Beaucoup le critiquent, et espéreraient voir leur patrie représentée. La défaite est regrettée par le gouvernement de Nementa Corum. Néanmoins, il me paraît essentiel de faire fi des larmes et de se concentrer sur les noms de vainqueurs. Lemingway, Arcesi-Déléis et Liddell. Que l’on en fasse nos ennemis ou nos alliés, leurs chances d’impacter le jeu politique viennent d’augmenter. »


Siruu n’était toujours pas convaincu. Ce billet était trop pompeux, trop rébarbatif et surtout, trop égocentrique. Ces subtiles tacles à l’encontre de ses confrères n’allaient pas l’aider. Un chien qui aboie trop finit bien vite par être à terre, la queue entre les jambes. Non, vraiment, cet article n’allait pas. Trop las, le sorcier poussa le papier hors de sa vue. Il n’allait pas le froisser, bien entendu. Celui-là était de confection alfare, il valait donc mieux effacer l’encre et le réutiliser.

Siruu fut interrompu par un bruit trop précis pour ne pas être une parole. Cela venait là encore de sa cave. Pourtant, jusqu’à preuve du contraire, Jorderunn était incapable d’articuler quoi que ce soit correctement. Au début inquiet, il décida ensuite de ne pas aller voir. Cela devait encore être la fatigue, qui le faisait halluciner n’importe quoi. Pourtant, les secondes défilèrent et le sorcier put presque prévoir le retour de ces mots.

« Bonjour. » C’était sorti difficilement, mais la voix était bien celle du prisonnier enfermé. Il avait parlé. La seconde d’après, Siruu s’était téléporté au milieu de la cave. « Depuis quand tu sais parler ? »  Jorderunn fixait son maître, l’air fermé. « Bonjour. » Fausse alarme. L’esclave était toujours simple d’esprit. Cela étant, il y avait eu une maigre évolution, puisqu’un mot venait de s’ajouter à son vocabulaire. Avec un peu d’efforts, sans doute arriverait-il à prononcer des phrases.

Le sorcier soupirait, en se détournant de l’aliéné. Il remonta péniblement les marches de son escalier. Quelque chose l’exaspérait, ces temps-ci. La vie urbaine avait un goût amer. Il s’ennuyait. L’ascenscion sociale qu’il s’était imaginée n’était pas arrivée. Au lieu de ça, il avait la frustration d’un corps vieillissant. Oh, il ne paraissait pas ancien, et avait encore beaucoup d’énergie à dépenser. Beaucoup envieraient sa condition physique, en vérité. Pourtant, comme Lysium et quasi-totalité des mages noirs, Siruu ne s’intéressait pas à ce qu’il avait. Il préférait analyser ce qu’il n’avait pas, et comploter pour l’obtenir. Malheureusement, dans une société comme celle des sorciers, un peu d’intelligence ne suffit pas. Il faut des contacts, une éloquence travaillée et, surtout, une éducation commune. Ce dernier point lui faisait défaut. Comme beaucoup de né-magiciens, il n’avait pas connu les écoles élémentaires de la Vorace et de l’ancienne capitale. Intégré en apparence, il se sentait tout de même isolé d’une certaine manière. Comment se créer un réseau d’alliés à partir de si peu ?

Siruu alla se coucher. Certains pourraient croire qu’il se laissait gagner par le pessimisme. C’était faux. Il souffrait de sa situation complexe et incertaine, mais était prêt à prendre le taureau par les cornes. Si la vie de mondain ne lui réussissait pas dans les années qui suivraient, il se trouvait un plan de sortie. Pourquoi pas partir proposer ses services chez une autre race ? Le continent du Matin Calme n’était plus, ce qui avait placé les années qui suivirent – y compris l’Ère de la Conciliation – sous le signe du protectionnisme. Les peuples se mélangeaient moins, et limitaient leurs rapports à de la diplomatie basique. C’était toujours envisageable, cependant. Oh, il n’avait pas réellement envie de servir d’alchimiste du coin pour des elfes mais c’était un sacrifice envisageable. Oui, il y avait toujours d’autres possibilités. Seul un aveugle ne les verrait pas. Son seul soucis était le temps imparti, et il pourrait le régler en étudiant Jorderunn plus en profondeur. Sans attaches et sans responsabilités, Siruu avait l’avantage de n’être personne.

Serein face à cette liberté qui s’offrait à lui, Siruu s’endormit.

Il fut convoqué et participa à la Coupe des Nations la semaine qui suivit. Il y avait eu des voix, l’île, l’escalier. La Coupe des Nations. Il ne conservait que peu de souvenir de l’épreuve. Pourtant, sa mémoire était intacte. Il lui paraissait impossible d’interpréter le cours des événements, comme s’il avait été dans un état second, spectateur de choix qui ne lui déplaisaient pas mais sur lesquels il n’avait eu aucune influence. Les choses s’étaient faites ainsi, et lui ne pouvait que s’adapter aux conséquences.

« Le sorcier pose sa veste sur le sol. C’est mauvais signe. D’habitude, il la range avec attention. Il doit être de mauvaise humeur. Je vais fuir jusqu’à la cave. Si je suis calme, il ne me punira pas. » C’était sans doute ce que pensait Jorderunn, qui se précipita dans son antre. Pourtant, Siruu ne lui voulait aucun mal, cette fois-ci. Il était fatigué et, aussi surprenant que cela puisse paraître, écœuré par l’agitation de sa vie. Il en regretterait presque sa routine.

Dans un élan de nostalgie, le sorcier ne se dirigea pas vers son bureau. Il n’avait pas l’énergie de réfléchir, et souhaitait revenir à une activité plus calme : la confection de poisons. Quand il s’ennuyait, il le faisait. Cela dit, ça ne l'empêchait pas de prendre des notes. Dans mille ans peut-être, les historiens se baseraient sur son journal pour en déduire le mode des sorciers de son époque.

« La partie amusante n’est pas la mort, et encore moins la recette à suivre : le calcul est de loin plus fascinant. Il faut d’abord repérer une cible. Disons… un oiseau, un rat ou un chien.
Deuxième étape : vérifier si ses propriétaires ne sont pas trop malins. S’il est sans abri, c’est idéal. Ensuite, il faut trouver ses ingrédients. Suivant l’époque de l’année, une plante pourra être plus ou moins chargée en substances activement dangereuses.
Troisième étape : un empoisonneur élégant se doit de chercher le dosage parfait. Noyer un chiot sous un demi-litre d’extrait concentré de Grande ciguë n’est pas amusant, il faut se montrer plus subtil. Alors, je prends le papier le plus proche pour y griffonner mes approximations et démarrer quelques opérations mathématiques. Tout dépend du volume de sang de l’animal, qui peut s’estimer avec l’expérience. Ensuite, il suffit de fabriquer le poison.
Quatrième étape : garder la trace de la cible, et vérifier ses mouvement. Il y a toujours un point faible quelque part et, dans le cas des animaux domestiques abandonnés, il est évident. L’essentiel de la difficulté est de ne pas se faire suspecter par la garde. Ensuite, on peut facilement l’approcher et lui donner la substance. Parfois, elle se transmet par la peau ou les yeux, mais je pense que la majorité de mes pairs favorisent l’ingestion. Simple et efficace, c’est la méthode la plus documentée, mais aussi celle pour laquelle les calculs sont les plus simples à faire.
Cinquième étape : regarde sa cible mourir. Il faudra, quelque part au milieu de la seconde étape, décider de la longueur de son agonie. Tout dépend du dosage, du poison choisi, du métabolisme du gibier et de quelques autres facteurs mineurs. Personnellement, je penche pour une mort de longueur moyenne. Un supplice trop long finit par ennuyer et, à l’opposé, s’il est trop court, on n’a pas le temps de s’inquiéter. Le meilleur moment est celui où l’empoisonneur ne sait pas encore s’il a réussi. Il observe quelques effets, mais ne sait pas s’ils vont persister ou mener à la mort de l’animal. »

Ce petit guide – qu’il ne comptait bien évidemment pas publier – mentait par quelques aspects. En vérité, Siruu n’empoisonnait pas systématiquement des bêtes. Parfois, souvent même, il s’était attaqué à des humains. Cependant, depuis quelques incidents, il avait préféré éviter ces paris stupides. Cela faisait plusieurs mois qu’il n’avait plus sorti ses fioles du placard, faute d’avoir le temps ou le motif nécessaire pour prendre ce risque. Cette fois-ci, le sorcier le faisait pour le sport. Sans doute y avait-il une dimension thérapeutique à ces pratiques macabres. Il n’avait pas eu le contrôle de sa vie depuis quelques semaines, et cette épreuve de la Coupe des Nations. Devaraj ne l’avait pas encore informé, et il se trouvait victorieux dans l’obscurité la plus profonde. Empoisonner, c’était une manière de reprendre la main, de se prouver qu’il avait encore un pouvoir décisionnaire.

Là encore, Siruu s’endormit, sans se douter de ce qui se passerait, exactement un mois plus tard. Car oui, à la prochaine pleine lune auraient lieu les révélations.


1812 mots.
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Siruu Belhades
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Siruu Belhades
Sam 30 Nov 2019, 21:59


Une pincée d'agitation vaut un échec en négociation

L’apôtre obscur crut se réveiller. Ce n’était pas son genre de dormir sur une chaise mais, après tout, cet article était réellement ennuyeux.

Sa dernière nuit avait été mouvementée. Que faire ? Que dire ? Quoi conclure ? A quoi tout ceci était lié ? Après avoir peaufiné ses capacités d’analyse durant des années, il était désagréable d’admettre ne pas avoir la moindre information. L’intelligence lui paraissait alors comme une notion abstraite sans réelle influence sur le monde. Pourtant, c’est bien une étincelle de sagacité qui lui fit voir les détails. Son cou, dans le miroir, portait encore les traces de doigts glacés en pierre de la statue. Ses mains sentaient la terre, et l’herbe. C’était réel, donc. Le sorcier aurait beau essayer de se persuader que tout cela n’était qu’un rêve, il ne réussirait pas à enlever cette intuition de son crâne. Douter est sain, mais il faut parfois admettre que certaines choses ne peuvent être remises en question. Les sources, l’annonce de la libération d’anges, la chasse, la statue et la révélation des noms… aussi étrange que cela paraissait, ces événements s’étaient déroulés. Il serait ridicule de penser le contraire, et Siruu finit par venir à la même conclusion. Le monde semblait être une affaire scandaleuse dont il ne fallait pas divulguer les détails. Il savait tenir sa langue, mais ne pouvait se retenir de diffuser la nouvelle. Première étape : aller voir une des personnes concernées. Il avait eu de la chance, de noter dans un coin de son crâne une partie des noms qui lui étaient venus. Certains étaient plus ou moins familiers. L’un d’entre eux l’était énormément.

Toc, toc, toc. Personne ne venait ouvrir, dans cette demeure de Valera Morguis. L’aube n’avait pas encore débuté. La neige s’accumulait doucement et Siruu faisait tâche, seul avec sa boussole enchantée. Les quartiers aisés étaient plus tranquilles, et risquaient moins les attaques de la faune sauvage. Aucun servant ou esclave ne prendrait la peine de vérifier qui était à la porte : la plupart d’entre eux dormaient, et les autres préféraient éviter de faire rentrer n’importe qui. L’apôtre obscur fut donc contraint de se téléporter à l’étage pour chercher Lysium, prêt à le réveiller s’il le fallait. Il s’agissait d’une violation de propriété mais l’affaire était trop importante pour se permettre de laisser la loi l’arrêter. En vérité, le simple fait de posséder un objet capable de détecter la position des gens soulevait déjà quelques questionnements éthiques.

« Qu’est-ce que tu fais ici ?! » Le fidèle d’Asresh était assis, pratiquant la magie noire au milieu d’un couloir. Ses essais n’avaient pas l’air concluant, puisque l’oiseau qu’il ciblait semblait à peine fatigué. C’était sans doute plus un moyen de passer ses nerfs. « C’est urgent, je dois te parler. » Le journaliste intima à l’étudiant d’être discret d’un geste, puis se rapprocha lentement. La situation devait être effrayante, d’un autre point de vue. « Tu as déjà entendu le nom d’Hel’dra ? »« Non. Pourquoi ? Reste loin. » Donc les élus eux-mêmes n’étaient pas au courant. Siruu arrêta son avancée, et montra ses paumes : il n’était pas armé. « Tu vas devoir augmenter ta protection, alors. Écoute-moi bien, et ne m’interromps pas. Je sais que tu ne vas pas me croire et que tu auras des objections à faire, mais garde les pour plus tard. Je n’ai rien pour te prouver ce que j’avance, mais cette information va exploser, un jour. » Lysium paraissait inquiet. Soit on venait apporter une mauvaise nouvelle, soit c’était un stratagème pour le duper. Dans les deux cas, ce n’était pas bon signe.


Sitôt après avoir expliqué la situation, Siruu se téléporta autre part. L’air de Valera Morguis l’insupportait. Oh, ça n’avait rien à voir avec l’explosion – événement parfait pour la presse soit dit en passant –. Les restants de cet événement national n’avaient pas exactement la même odeur. C’était autre chose, comme si la virulence de Taelora imprégnait la neige. Lyscenni laissait cette même impression : sans doute était-ce propre au nouveau continent.

Une fois loin des glaces et plus proche de sa demeure, l’occlusion de son fil de pensée disparut naturellement. Tout d'abord, il dissipa l'encre d'une lettre qu'il avait reçu récemment. Le papier était somptueux, et servirait de support pour le message qu'il devait faire passer. Alekto Selvius était elle aussi une élu d'Hel'dra, et la mettre au courant pouvait être utile. Si jamais cette femme grise venait réellement à dominer le monde, mieux valait éviter de s'en faire une ennemie. Siruu griffonna quelques mots expliquant vaguement la situation, et signa de son prénom.

C'est une fois cette lettre remise à qui de droit qu'une idée lui vint. Il se sentait bête, de ne pas y avoir pensé plus tôt. Il lui faudrait néanmoins passer par la bibliothèque, puis demander un renseignement rapide à Zélie Nianrah. Ce serait soit un échec, soit la réussite du siècle. Siruu se doutait que les rumeurs à propos des Élus d’Hel’dra feraient leur apparition sous peu, mais il ne pouvait pas lui-même risquer d’écrire un article sur une histoire aussi fantasque. Sa réputation en serait affectée, et les censeurs ne seraient pas tendres. Cependant, ce n’était pas la seule chose qu’il avait appris, cette nuit-là.

Tout sourire devant un chaudron où une mélasse bouillonnait, il ressemblait presque à la caricature du sorcier. Néanmoins, les stéréotypes ont une part de réalité que tout bon mage noir connaît. La potion de clairvoyance n’était rien de plus que l’amélioration d’une décoction des plus classiques : le conglŏbātĭo. Il suffisait de prendre un Lemanost – une bouillie de champignons de la région, et d’y ajouter du nectar de Rubisol, quelques graines de Tunciam et vingt-six écailles de gecko à crête. Ensuite, le mélange devait être laissé deux heures dans l’obscurité, puis filtré et mélangé avec délicatesse à un conglŏbātĭo préparé dans la journée. Le liquide final devait être laissé bouillir quelques minutes, avant de prendre sa forme finale : un sirop épais et noîratre, recouvert d’une mince couche laiteuse et translucide. C’était un philtre peu complexe à préparer, dont les principales difficultés résidaient autour de deux aspects : le coût des ingrédients, et le risque d’instabilité.

Siruu prit une gorgée de la potion, sans prendre le temps de la tester sur un parchemin. Les potions de clairvoyance avaient tendance à s’évaporer rapidement : il fallait agir vite. C’était sans doute pour cette raison qu’elles n’étaient pas utilisées en abondance par les classes supérieures. Il suffisait d’une petite erreur pour transformer un élixir en poison, et ne pas pouvoir s’assurer de la nature du philtre a de quoi inquiéter. Heureusement, Ezechyel avait dû décider que l’heure de Siruu n’était pas venue : le breuvage avait un goût sucré, signe qu’il avait été réussi.

Sa vision se troubla. Il ne fallait pas prendre peur. Le principe de la potion résidait dans son nom : le regard de celui qui la buvait changeait. Il voyait des symboles qui le mèneraient sur la bonne voie ou, idéalement, lui donneraient la réponse qu’il cherche. La plupart des livres d’alchimie recommandaient – à raison – de créer plus de potion que nécessaire : les vapeurs de cette décoction fournissaient un matériel parfait, pour voir ce dont on avait besoin.

Siruu observait la fumée se déformer sans prendre de schéma particulier. Il devait se concentrer. Il ne s’agissait pas là de demander à quelqu’un, ou de formuler une question en l’air. Il était nécessaire de vider son crâne, pour ne penser qu’à la chose que l’on recherchait. Ou, en occurrence, aux personnes. « Un Humain, un Déchu et une Lyrienne. » C’est ce qu’avait dit celui qui ressemblait à Jun Taiji. Le journaliste s’était renseigné auprès de Zélie dans la matinée, et avait confirmé sa théorie initiale : le Déchu calciné était bien celui auquel il pensait. On lui connaissait le surnom d’Ignis, et il avait récemment participé à la Coupe des Nations. Cependant, les deux autres étaient inconnus au bataillon. Dans les exhalaisons de vapeur, des lettres se formaient.

Gabrielle, Ignis et Maximilien. Ces informations étaient maigres mais, combinées, elles pouvaient suffire. Un sourire se dessinait sur les lèvres du sorcier. En ce moment, sa vie était des plus chaotiques. Mais, au moins, la chance lui souriait par cet aspect. L’une de ses mains notait les premières bases d’un article, instinctivement. L’autre tenait son crâne, qui lui semblait lourd tant la potion avait drainé ses capacités mentales.

« "Marchander avec le Diable est impossible", dirons certains. Nos sources nous indiquent pourtant le contraire. Suite à ce qui semble être un pari, un millier d’anges sera libéré de la Terre Blanche, pour rejoindre son peuple légitime. Cette énième preuve de l’incapacité des démons à maîtriser le marché d’esclave ne surprend pas les citoyens d’Amestris. L’un d’eux, interrogé à ce sujet, nous affirme que "s’ils avaient la moindre cervelle [sic], ils auraient déjà le monopole depuis longtemps".
Au cœur de ce jeu se trouvent trois individus qui, de prime abord, ressemblent à n’importe qui. Pourtant, ce sont eux qui firent pencher la balance. L’une, perdante, est lyrienne et se nomme Gabrielle. Les vainqueurs, ceux qui scellèrent ce choix en faveur des anges, sont au nombre de deux. L’un est un humain blond, prénommé Maximilien. L’autre bénéficie de plus de renommée : il se fait appeler Ignis ou Le Calciné – en référence à ses cicatrices, est déchu et participa à la Coupe des Nations. Malheureusement, nous n’avons pu obtenir plus d’informations.
Est-ce que ces trois personnes s’érigeront en pilier politique majeur, à l’avenir ? Cette question reste malheureusement sans réponse, mais une chose est certaine : c’est à eux que les anges doivent la libération d'un millier d'âmes.

- S.J.B. »


Siruu trépignait d’impatience. Cet article devait être publié en première page de tous les journaux de la ville, il le fallait. A peine venait-il de terminer son troisième jet qu’il rejoignit le cabinet de son agente au pas de course. Il n’y avait pas de temps à perdre.


« C’est… très intéressant. Tu pourras partager le nom de ton informateur à tes collègues ou à moi, si tu le souhaites. » Elle sous-entendait clairement sa curiosité, mais le journaliste savait que « un homme ressemblant étrangement à Jun Taiji » ne serait pas une réponse convaincante. « C’est une longue histoire. En tout cas, je suis certain de la fiabilité de tout ce qui est écrit ici. » Il tapota le brouillon d’article de son index. « Même si c’était faux ça n’aurait pas d’importance. Personne ne s’amusera à vérifier ce genre d’informations. C’est une tâche trop complexe, autant lancer la rumeur préventivement. »« Bien. L’article est bon, alors ? » Zélie fit la moue.

« Plus ou moins. Le style est un peu trop chargé. Ah oui, et aussi : ne signe pas, même avec tes initiales. Sait-on jamais, des espions démons pourraient essayer de te retrouver. »« Je fais quoi, alors ? »« Trouve un pseudonyme vague et mystérieux. Si l’article marche bien, ça fera conjecturer. Fais ça, et reviens dem- » Siruu ratura ses initiales du manuscrit jusqu’à les couvrir d’encre. Puis, il écrit les trois premiers mots qui lui passèrent par la tête. « Un humble citoyen. » Ce ferait un bon nom de plume.

« On peut le publier au plus tôt ? »
Zélie leva les yeux au ciel. Elle croisait chaque jour des pigistes qui voulaient accélérer la date de parution de leur article. Souvent, elle refusait ; mais parfois, lorsque la nouvelle avait le potentiel d’être transcendante, elle acceptait. Cette fois-ci, cependant, les journaux fusaient de nouvelles portant sur Elias Salvatore. Il fallait creuser ce filon jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien, et un texte sur un sujet autre n'aurait pas sa place. « Surveille tes manières. Et... non. tu sais bien qu’on est occupés par les théories à propos de l’explosion. Mais si je juge bon de le publier dans les semaines qui suivent, tu seras prévenu. Tu auras juste à signer ce papier. » Elle avança de son index un formulaire.


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Siruu Belhades
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Siruu Belhades
Jeu 16 Jan 2020, 23:25


Les gardiens des secrets

Le lendemain, Siruu décrocha une autre commande auprès de Zélie, sur un sujet lambda. Mais surtout, il apprit tout. Devaraj, le Cycle, les chamans… des clés de compréhension d’une valeur inespérée lui avaient été données, et on lui laissait le choix de les utiliser ou non. En vérité, après avoir étudié la situation, il n’avait pas tant de pouvoir décisionnaire. Tôt ou tard, il devrait aller à Sceptelinôst, se présenter puis être introduit à ce monde. Refuser n’était pas une option, mais plus un état d’esprit temporaire qui devrait se dissiper. De nouvelles responsabilités s’ajoutaient sur les épaules du sorcier. Ce n’était pas quelque chose auquel il était habitué. Comme par réflexe, le mage noir chercha une échappatoire qui occuperait ses pensées.

« Ra-vi de vous ren-con-trer. » Jorderunn semblait essayer de mobiliser ses neurones, mais l’hypoxie n’aidait pas. « Ravi de… » L’esclave avait perdu le fil. « Ravi de vous rencontrer. »« Raventrer. » Siruu se retint de soupirer, préférant monter à l’étage sans donner plus de considération à la créature décérébrée qui le servait. L’individu concerné, quant à lui, ne comprit pas pourquoi son maître avait arrêté ce drôle de jeu de répétitions. Enfin, ce n’était pas grave. Dans tous les cas, il se sentait mieux sans sa présence malfaisante.

Le journaliste manqua de tomber des escaliers en la voyant. Oh, la chute aurait été cocasse, puisque son ami — ou collaborateur — Lysium avait lui aussi dégringolé des marches en bois… mais c’est une histoire pour une autre fois. Concentrons-nous sur l’étrangère.
« J’ai vraiment énormément de chances d’avoir pu observer ta discussion avec Devaraj. » Siruu pouvait sentir son sang pulser dans chacune de ses artères. « Vous êtes un esprit ? »« Clothilde Murgy. N’y allons pas par quatre chemins : je veux que tu copies certaines pages de mon livre. » La vieille dame spectrale s’avança légèrement, le son de ses pas demeurant muet. « Pourquoi je ferais ça ? » Le sorcier n’avait plus les nerfs, c’était trop. La peur le gagnait une fois de plus. « Je te le revaudrai. C’est juste un trajet, qu’est-ce que tu risques ? » Elle n’avait pas tort. De plus, lui-même avait quelques recherches à faire. Dans l'heure, on le vit partir et atterrir aux archives.

Il n’aurait pas pu prévoir l’intervention d’une statue parlante et de colonnes de lumière. Non, vraiment, les dieux avaient un vilain sens de l’humour. Ils laissaient un peu de répit, puis lançaient à nouveau leurs dés. Enfin... non. Dans ce cas précis, les aetheri avaient laissé des choix. Les Portes permettaient à leurs élus de décider à quelle saveur ils seraient mangés. Cela étant, elles ne prévenaient pas de leurs apparitions. C'est ainsi que Siruu devint un cambrioleur sans le vouloir, par le biais de halos lumineux.



« Je suis foutu. Vraiment foutu. » La grand-mère éthérée haussa les épaules. « Tu as carrément ramené mon livre en entier ! Superbe ! » Elle regarda le tas de bouquins frêles, qui gisait au fond d’un sac. « Mais oui, tu es foutu. Ce n’est pas de ta faute, cela dit. Au pire, tu peux essayer de rendre ce que tu as pu sauver en t’excusant. » Siruu empêchait les larmes de lui monter aux yeux. On pouvait l’accuser d’avoir volé, perdu et détérioré une partie des archives. Le dédommagement à payer serait lourd. Entre quatre et sept chiffres, selon les estimations que son cerveau venait de calculer. « Je sais à quoi tu penses. » Clothilde n’avait pas l’air très compatissante. Cependant, Siruu ne put lui rétorquer quoi que ce soit : sa propre gorge était bien trop serrée. « Autant garder l’Eodès Leireannach original, non ? » C’était la remarque de trop. « C’est pas ça qui arrangera mon cas. » Il fallait réfléchir à d’autres solutions. Demander à Elias Salvatore n’était pas envisageable. Staurakios non plus, ne prêterait pas une telle somme aussi facilement.

« J’ai encore une partie de l’argent du livre. Des économies. Un trésor, si tu préfères. Je sais pas combien ça vaut aujourd’hui, mais c’était beaucoup à l’époque. Ce devrait être suffisant pour faire table rase avec ton amie archiviste. » Voilà qui suffit à attirer l’attention du mage noir. « Je peux te dire où elle est, mais en échange tu gardes le bouquin et tu le livreras à une personne en particulier. Une famille, pour être plus précise… mais on en parlera plus tard. » Il hésita, mais finit par hocher faiblement la tête.



Siruu n’osait pas poser ses mains sur le bureau de Zélie. « J’ai pu te négocier la première page de La Fumée. » Il sourit. C’était déjà une rentrée d’argent. « Parfait, merci beaucoup. »« Ne te réjouis pas trop tôt. Il y a une condition : il faut rencontrer le rédacteur en chef. Je ne lui ai pas adressé la parole face à face depuis des lustres. Si on loupe quelque chose, ton contrat est fichu. Je t’avoue que ça m’agacerait aussi, puisque je n’ai pas décroché la une de La Fumée depuis longtemps. » L’agente se leva, conservant son air nonchalant. « Il est à Valera Morguis. » Elle finit son verre d’une traite.

Les deux sorciers n’avaient jamais voyagé ensemble. Zélie se déplaçait à une vitesse surprenante, n’hésitant pas à les téléporter sans crier gare, simplement pour se rapprocher d’une vingtaine de mètres. Le pigiste se réconfortait en se disant que, avec ce tempo, il ne resterait pas longtemps à subir la compagnie de son agente. Des dizaines d’autres jeunes journalistes avaient dû être maltraités par elle.

« Voilà, on est arrivé. Il travaille sur du papier pour espions, je crois. J’ai un rendez-vous avec un promoteur dans pas longtemps, les trois dernières fois je ne me suis pas présenté et il doit être furieux. » Voilà qui expliquait son empressement. « Je te laisse vingt minutes, demande à voir quelqu’un. Quand je reviens, on devrait avoir encore un peu de marge avant de pouvoir rencontrer le rédacteur en chef. » L’instant d’après, elle avait disparu.

Siruu errait dans ces pièces glacées, l’air un peu ahuri. Il ne savait pas vraiment où aller, et balayait du regard les gens aux alentours. Ils étaient peu nombreux, dans les couloirs. Un homme en costume se tenait la tête, sur un banc en bois… ah, non, celui-là était un esprit. Plus loin, il y avait deux femmes vraisemblablement vivantes qui discutaient au fond d’un couloir. L’une d’elles réussit à s’extirper de la conversation. Elle paraissait sèche et sévère, mais si le journaliste voulait des renseignements, c’était sa seule option. Cependant, à mesure qu’il se rapprochait, il se rendit compte qu’elle lui était familière. « Mélusine d’Ernotès ? » La dame redirigea son regard pour fixer celui qui l’avait prononcé.

« Non. C’est ma sœur. » « Oh, veuillez m’excuser, j’oubliais. Elle m’a accordé un entretien, il y a quelques mois. Je travaille avec Zélie. » Au vu des marges que l’agent se prenait, pour aurait été un terme plus approprié que avec. « Je vois. » La sorcière semblait porter une façade de mépris constante. « Sirh Juuka Belhades, enchanté. »« Morgana Tolshem. Félicitations pour la victoire, je présume. » L’épreuve des chamans n’avait pas été publique : ses vainqueurs avaient donc droit à une indifférence relative. Triompher chez les magiciens aurait certes apporté plus de reconnaissance, mais Siruu doutait que ça lui aurait appris l’existence d’un monde à part. Dans tous les cas, il y avait toujours des gens pour admirer la prouesse par principe, et d’autres pour capitaliser sur le succès. C'était plus que suffisant.

« Vous avez été élève de mon mari ? » Morgana continua sa marche, tandis que le blond suivait. Ce n’était pas une dynamique qu’il appréciait, mais, quitte à être au Vaxauru, autant améliorer son réseau coûte que coûte. « Oui. »« Il m’a parlé de vous. »« Vraiment ? »« Non. Il ne parle jamais de ses étudiants. » Sa réputation de femme odieuse n’était pas volée. Même sa manière de faire la conversation paraissait brutale. « Mais je suppose que si vous avez pu passer ses épreuves, vous êtes compétent. »

« Je vais dans l’aire trente-trois. Ceux qui y travaillent étudient les mutations. Si vous comptez me suivre, il faudra obéir aux règles du Vaxauru concernant les zones d’expérimentation à risque. » Si le pas de Morgana était plus lent que celui de Zélie, les deux apportaient une atmosphère similaire. Comme si leur simple présence dans les parages donnait à autrui l'impression d'être au bord d'un précipice, à subir l'appel du vide. Staurakios, en comparaison, revêtait un masque d’hypocrisie qui le rendait plus abordable aux yeux d’autrui.

« Je les ais lues. Pas d’artefacts, pas d’armes… » Il n’était plus certain de s’en souvenir en détail. Par réflexe, le sorcier retira puis déposa discrètement son collier de prière. Il y avait aussi ce bracelet qui le protégeait indirectement des intrusions mentales, mais il ne comptait pas s'en séparer dans ces circonstances. « Pas de potions susceptibles d’exploser non plus. » Cette directive avait dû être donnée après l’incident. Siruu rêvait d’écrire sur ce sujet, mais savait qu’il serait directement en concurrence avec des journalistes plus célèbres. Sa plume ne rivaliserait pas. « Et, à moins que vous ne parveniez à obtenir de dérogation : pas d’enfants non plus, y compris les esclaves. Les personnes atteintes psychologiquement sont aussi d’interdites d’accès, pour les mêmes raisons. C’est à peu près tout ce qu’il y a à savoir sur les interdictions de ces aires. » Morgana salua de loin un garde, qui vérifiait ses affaires. En même temps, elle s’adressait à Siruu. « En théorie, seuls les chercheurs, les politiques et leurs proches peuvent rentrer dans les zones d’expérimentation à risque. » La dame omettait de mentionner qu’en pratique, il n’y avait pas un endroit où un journaliste ne pourrait mettre les pieds, et ce quel que soit son statut dans la hiérarchie — à l’exception du Sanctuaire Noir —. Les accréditations étaient simples à obtenir, et Siruu le savait déjà.

La discussion continua quelques minutes. Ils passèrent auprès de faes qui avaient, semble-t-il, subi un traitement de choc. Visiblement folles à lier, elles faisaient partie d’un projet visant à affecter l’alignement des autres races de ces Terres. Ce devait être un échec monumental : bénéfiques ou maléfiques, elles demeuraient incontrôlables dans tous les cas. D’autres expériences attirèrent l’œil de Siruu, et la femme de son professeur se contenta à chaque fois de quelques remarques explicatives, mais succinctes.

« Bien. Je dois m’éclipser quelques minutes dans un espace encore plus privé et sécurisé que celui qu’on vient de visiter. À plus tard. » L’apôtre obscur inclina légèrement sa tête, en signe de respect. L’instant d’après, Morgana avait disparu derrière une porte gardée. Lui se contenta de faire le trajet retour, en prenant un maximum de notes. Il n’aurait pas souvent l’occasion de visiter les tréfonds du Vaxauru, et toutes ces histoires de modifications génétiques le fascinaient. Comment allait-il procéder pour que l’éternité de Jorderunn lui soit transmise ? Différentes méthodes s’ouvraient à lui, et le champ des possibilités s’éclairait de jour en jour. L’impasse première demeurait l’argent : les technologies magiques les plus puissantes auraient permis un transfert ou une copie de pouvoir, mais une simple potion ne permettrait pas d’avoir le résultat escompté sur le long terme. Et, le long terme, c’était justement son second frein. Comment pouvait-il s’assurer de la réussite de l’opération ? Et, supposons que d’une manière ou d’une autre il réussisse à faire se manifester l’éternité du phénix, comment pouvait-il être certain que la modification allait durer ? Survivre une fois est une chose, s’assurer l’immortalité théorique en était une autre. Le sorcier se doutait bien que le pouvoir des phénix ne les rendait pas complètement invulnérables, mais il souhaitait tout de même imiter au mieux leurs capacités. Est-ce qu’un seul sujet serait assez ? Est-ce que Jorderunn pourrait lui offrir ce qu’il voudrait ? Les prochains mois devaient être décisifs dans cette avancée, mais ces histoires de chamans l’avaient perturbé. Il ne pouvait pas plausiblement découvrir les secrets de l’outre-tombe en même temps qu’il évitait la mort. Fuir Ezechyel ou contempler son monde : s’il pouvait espérer obtenir les deux, ce serait après des années de travail.


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Siruu Belhades
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Siruu Belhades
Jeu 16 Jan 2020, 23:38


Histoire de grimoire
Introduction à ce rp

Siruu attendait depuis une heure, à l’intérieur de l’aire trente-trois. Morgana l’avait occupé un temps, puis il s’était contenté de prendre des notes. Il ne s’ennuyait pas trop jusqu’ici, mais s’inquiétait tout de même du temps que l’agente prenait. Zélie commençait à trop tarder. Il avait du mal à imaginer que son léger contretemps s’était transformé en monstre gigantesque, et l’avait dévorée. Par chance, il finit par entendre de nouveau résonner ses pas pressés.

« Il y a urgence. Viens. » Elle se rapprocha de lui rapidement, pour empoigner sa main. Le journaliste ne saisit pas directement ce qu’il se passait. Il lui fallut contempler son nouvel environnement pour comprendre. Ils étaient toujours à Valera Morguis à en juger la température, mais ce bureau ne ressemblait en rien au Vaxauru. On l’avait téléporté.

« J’ai laissé un collier avant l’aire trente-trois. » « Il y a plus important. Tu vas rencontrer Cyril Gharbas. C’est le directeur de La Fumée. Il m’a interpellé dans un couloir pour me proposer de lui vendre un article d’urgence. » Ce n’était généralement pas comme ça que les affaires marchaient. « Leurs papiers sont imprimés en collaboration avec les Enfants de Yanna, et la distance cause une latence. La commission de censure officielle vient d’annuler un de leurs textes qui parle d’un ancien incident diplomatique. Ils n’ont reçu qu’un simple avertissement, mais sont obligés de remplacer l’article en urgence. L’impression devrait démarrer dans quelques heures, et il faut absolument que les Enfants de Yanna aient le final avant cela, autrement ils ne pourront pas faire leur partie du travail à temps. » L’imprimerie était une technologie prometteuse, mais encore lente. Il fallait constamment innover pour parvenir à repousser les records de vitesse.

« Bonjour. Vous lui avez expliqué la situation ? » Un très vieil homme s’avançait. Lui ne devait pas avoir atteint l’éternité, contrairement à Zélie. « Oui. »« Bien. » Il se tourna vers Siruu. « Enchanté, Sirh Juuka. Madame Nianrah m’a proposé votre article, mais il est trop grand et ne rentrerait pas dans l’encadré. De plus, c’est une information peut-être un peu trop croustillante, pour un simple rectangle vide. » Cyril avait une voix douce, mais l’on pouvait presque entendre sa préoccupation poindre par moment. Gérer un quotidien était une activité complexe. « Je vous propose de rédiger quelque chose dans la demi-heure qui suit. N’importe quoi, pourvu que ce soit de qualité acceptable. » C’était demander l’impossible, mais Siruu ne souleva pas d’objection. Il se débrouillerait.



De retour chez lui, le sorcier manqua de trébucher sur le sol. Se presser et écrire sous pression l’avait vidé. Exsangue, il monta mollement ses escaliers avant d’aller se coucher. Il y avait de moins en moins d’affaires, dans ses armoires. Le départ s’approchait. Clothilde lui avait dit d’attendre encore un peu avant de poser pied sur sa parcelle d’Orahza, lui conseillant d’aller en priorité sur Awaku No Hi. Siruu trouva curieuse cette demande, mais n’émit pas d’objections. D’autres trépassés étaient venus lui murmurer que Clothilde n’était pas fiable, alors il préférait garder ses distances.

Au réveil, il bâilla lentement, en contemplant le décor vétuste qui l’entourait. Quelque chose clochait. Il sursauta immédiatement, à la vue d’une forme humanoïde dans le grenier qui lui servait de chambre. Après quelques secondes de panique, il reconnut que ce n’était qu’un esprit. Apparemment, certains aimaient regarder autrui dormir, ou faire peur à ceux qui n’étaient pas habitués à leur présence. Dans tous les cas, le mage noir ne trouvait pas cette farce drôle.

« Dégage tout de suite ! »« Sinon quoi ? » Le fantôme n’avait pas tort. Devaraj avait parlé d’une forme de mort absolue, mais il apparaissait que le Néant n’était pas quelque chose que le commun des mortels pouvait infliger aux esprits. En vérité, ces derniers semblaient si invulnérables que Siruu se demandait si le Néant n'était pas une punition divine. Voilà qui expliquerait la ferveur des chamans.

Clothilde arriva, bougonne. L’inconnu spectral avait disparu d’un coup de couteau sec. Sans doute réapparaitrait-il quelque part, comme le Suprême de l’Au-Delà l’avait mentionné. « Je suis sûr que de son vivant c’était un vampire. Ils sont tous débiles, les vampires. » Le journaliste acquiesça, sans réellement être d’accord. Au moins, elle l’avait débarrassé de cette nuisance.

« J’ai un aveu et une ou deux nouvelles à t’annoncer. » Elle fit une légère pause puis reprit, expulsant ses mots à un rythme d’autant plus effréné. « Premièrement, il va falloir que tu me rendes un nouveau service. Il faudra aller à un endroit, dans Nementa Corum. Dans un second temps, j’ai une seconde partie de mon héritage à laquelle tu pourrais avoir accès. Ah, et Clothilde Murgy n’existe pas. » Siruu avait trop ressenti de surprise ces derniers temps pour que ces informations tirent une réaction de son visage. Il se contenta de se lever, étirant ses membres lentement. « Très bien. Donc qui es-tu ? »

« C’est une longue histoire. Je veux que tu me fasses confiance… enfin, en partant du principe que c’est possible sachant que tu es un sorcier. Donc je veux bien t’expliquer la vérité, mais il faudra que tu sois patient parce que ça risque de prendre de longues minutes. Une heure, peut-être. » Le blond se pinça l’arcade du nez, contemplant sa figure dans le miroir le plus proche. Il paraîssait bien plus âgé le matin, quand sa magie n’était pas aussi tendue. Avant de quitter sa demeure, il se faisait systématiquement passer pour un simple quinquagénaire. Parfois, il prenait l’apparence d’un trentenaire. Il lui arrivait aussi de ressembler à un jeune étudiant, frais et nouveau à l’Université d’Asresh. Changer de corps, c’était comme changer de parfum : un simple détail pouvait radicalement modifier la manière qu’il avait d’agir. Certaines notes le rendaient plus affirmé, d’autres plus inoffensif. Tout était une question d’équilibre.

« Très bien, laisse-moi mettre un costume. Je sais pas encore quel service tu veux que je rende, mais puisque c’est à Nementa Corum autant faire ça maintenant. Tu m’expliqueras les détails et le reste en chemin. » La vieille dame acquiesça, sans pour autant se déplacer. Siruu manqua de faire une remarque, mais se résigna. Il allait falloir s’y habituer : avec les esprits, on n’avait plus aucune intimité. Autant s’habiller en les ignorant. Tout bien réfléchi, les déchus de luxures trépassées devaient se rincer l’œil. Lily-Lune Araé devait être une vraie attraction à esprits, chaque matin. À l’évocation de cette possibilité, il fit un sourire moqueur.



« Nous étions quatre, principalement. Des étudiants de renom… enfin, à peu près. Tu as déjà entendu parler de Clovis Gallton ? » Sirh Juuka haussa les épaules. « Mort en tentant d’assassiner Caroline ? » L’esprit sourit, lançant un regard moqueur qui ne pouvait signifier qu’une chose. « Pas vraiment. Il visait Dalia Borgia. Caroline est montée au pouvoir quelques années après. Mais c’est sans importance. En vérité, sa plus grande contribution à l’histoire fut un écrit : l’Eodès Leireannach. » Le sorcier souffla. « Ce n’est pas Clothilde Murgy, donc. »« Si, en quelque sorte. Ce fut un travail de groupe. Clovis Gallton, Mathilde Yveln et son mur Iromèse, Victoire Phylecas et, enfin, Roséliane Thiocil. » Siruu ne retint pas son sourire. C’était donc un nom de plume ? « Clovis et Mathilde font Clothilde. »

« Exact. Gallton donne un G, Yveln un Y, et même la contribution du mur est notée subtilement. Le couple et son monstre domestique, qui admirent romantiquement leur œuvre. Quant à nos chers amis Victoire Phylecas et Roséliane Thiocil, quand bien même elles ont été plus qu’utiles… disons qu’elles n’ont jamais servi à rien. Victoire est trop imprudente, et Roséliane incapable d’utiliser sa magie correctement. » Le mage noir se demandait à qui il avait affaire. « Ils voulaient la célébrité, mais avaient peur des répercussions. Leur ouvrage était le début d’une nouvelle considération pour la magie. Les runes et les sorts étaient abordés avec une méthode innovante. Un tel génie pourrait avoir ses conséquences. Ils allaient être harcelés de questions, confrontés aux traditionalistes… ce n’était pas un fardeau qu’ils étaient prêts à porter, alors ils laissèrent ce nom fantasque. Puis la mort finit par les saisir avant que le livre n’ait le temps d’atteindre toute sa gloire. L’Eodès Leireannach, après quelques années comme manuel intéressant, finit par devenir une œuvre de référence. Son auteur était une femme mystérieuse, du nom de Clothilde Murgy. » Tout comme le mortel, l’esprit marchait à travers la végétation de Nementa Corum. Son discours demeurait clair, mais ferme. Par moments, elle s’arrêtait. Ce n’était peut-être pas le moment pour, mais Siruu se dit qu’elle avait un excellent sens du rythme, avec toutes ces pauses dramatiques. « Roséliane Thiocil avait toujours une magie moyenne, mais, pendant deux-cents dernières années, sa vie n’était pas la seule chose qu’elle avait conservée : les premiers manuscrits de l’Eodès Leireannach aussi avaient survécu au temps. Elle en savait plus que quiconque sur la création du livre, pour y avoir participé. Elle se révéla au public en tant que Clothilde Murgy, la discrète scientifique. Elle passa le reste de son temps à peaufiner les prochaines éditions de l’ouvrage, et à composer de nouvelles publications. Puis elle se maria. Puis elle fut forcée de participer à l’effort de guerre, pour un minable conflit. Puis elle manqua de mourir pendant une expérience. Puis elle se fit d’autant plus secrète, cherchant un moyen de survivre dépassant les méthodes qu’elle utilisait jusqu’alors. » Siruu grinça des dents, à l'évocation de cet objectif. « Puis elle retombe sur de vieux papiers, compose un nouveau grimoire, pense avoir trouvé la solution et enfin… elle attrape une maladie, devient humaine et meurt. Même racontée à la troisième personne, mon histoire n’est pas bien glorieuse. »

Le sorcier continuait de marcher dans la direction qu’elle lui avait indiquée. Nementa Corum était une région dangereuse, mais un être assez prudent pouvait s’y promener sans trop d’embûches. Il suffisait d’éviter de manger ou de boire quoi que ce soit d’inconnu, de rester à distance de la faune, mais aussi de ne pas s'approcher de certaines zones. « Donc c’est par rapport à l’original de l’Eodès Leireannach ? » Elle claqua sa langue contre son palais. « Tout juste. Désolé de vous avoir rabâché mon histoire personnelle. C’est juste que je n’ai pas assez eu l’occasion de la répéter, dans la mort. » C’était prévisible. Les esprits s’ennuyaient vite de l’étalage du passé : ils voulaient vivre de nouvelles expériences. Les chamans, eux, n’ont pour la plupart que peu d’intérêt envers les sorciers et leurs récits. Restent encore ceux qui communiquent avec les esprits tout en faisant partie d’une autre race. Ceux-là étaient rares. Les Morts n’avaient donc pas accès à un large choix, lorsqu’il s’agissait d’interlocuteurs vivants et pouvant comprendre la culture de leur ancien peuple.

« Et vous êtes Roséliane Thiocil. » La vieille femme acquiesça lentement. « Au moins c’est dit. Mais… tu parlais d’un service, plus tôt. Et d’un héritage. On est presque arrivés ? » Oui, ces affaires-là l’intéressaient bien plus, au vu de sa situation.


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Siruu Belhades
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Siruu Belhades
Ven 17 Jan 2020, 00:02


Sang, sueur et champagne

Siruu était furieux. Ses mains tremblaient. « Tu m’as menti. » L’esprit semblait sur la défensive. « Je t’assure que non ! Il était censé être enterré là. Quelqu’un a dû le récupérer avant nous. » Aucune justification ne pouvait apaiser la colère du sorcier, à cet instant. Il avait envie de demander aux chamans comment détruire un esprit rien que pour obtenir la satisfaction d’une vengeance. « J’ai rempli ma part du marché, et tu m’as trahi. J’ai même mis en jeu un des originaux les plus chers. Tu sais au moins à quel point les archives vont vouloir me saigner ? » Comme si le simple fait de les avoir mentionnés les invoquait, on entendit un grondement contre la porte. Le blond ouvrit.

Un homme avenant et grand salua le journaliste. Derrière lui, Thekla Fortas en personne. « Bonjour, je suis huissier. L’inventaire a été fait, et vous vous êtes échappé des archives tenues par cette dame avec exactement… trente-six documents, dont vingt livres. » Il tendit un papier au blond, qui n’eut pas le temps de rétorquer quoi que ce soit. « Voici les estimations de ce que cela vous coûtera. Avez-vous encore les documents dont il est question ? »

« En majorité. Il doit en manquer quelques-uns. » Thekla ne pouvait pas émettre le moindre son, mais son ire se lisait dans ses yeux. Elle perçait l’apôtre obscur du regard. « Si procédure judiciaire il y a, sachez que j’ai des preuves démontrant ma bonne foi. Tout ceci n’est qu’un immense malentendu magique. » C’était faux. Siruu se doutait que les autres Élus des Portes avaient eux aussi été téléportés au travers de halos, mais cela ne constituerait pas une défense viable. « Mais je suppose que vous n’êtes pas là pour ça. » L’huissier opina du chef. « Oui, et ne rendez pas les documents tout de suite. Ce doit être fait dans un lieu sûr où un parti neutre pourra attester de leurs éventuels dommages. Bonne après-midi, Sirh Juuka. »

Siruu comptait partir d’ici quelques lunes. Toutes ces histoires lui prenaient trop de temps et d’énergie qu’il préférait dédier aux chamans et à Raanu. Il se retrouvait coincé entre trop de feux à la fois, et l’impression de brûler vif ne le quittait pas. Le journaliste n’arrivait pas à écrire quoi que ce soit. Il ne pouvait pas s’asseoir non plus, se servant de son bureau comme appui depuis une heure déjà. Sans doute aurait-il prié, mais cela lui rappelait la disparition de son collier.

Toc, toc. Ce bruit commençait à instiller la peur dans l’esprit du sorcier. Était-ce encore l’huissier ? Fallait-il ouvrir ? Après quelques secondes d’hésitation, il prit son ton le plus sec et demanda le nom de celui qui l'importunait. Une voix répondit quelques mots inintelligibles. Ce timbre, cependant, ne pouvait appartenir qu’à Endora.

« Bonsoir ! Je vais bientôt partir pour Ciel-Ouvert. »
Siruu resta pantois quelques secondes, pensant que la fausse sorcière continuerait son discours. « C’est... une excellente nouvelle, je suppose. Et que me voulez-vous ? » Elle portait un sourire candide. « C’est tout, je crois. » On ne l’avait jamais interrompu pour si peu. « Oh. Très bien. Bonne soirée à vous aussi. » Puis, il commença à refermer la porte.

« Ah, oui ! Aussi, je dois vous donner ça. » Endora tendit au journaliste une lettre. Une invitation à dîner le lendemain soir. Les Tolshem devaient être occupés, pour prévenir avec tant de retard. Siruu remercia la dame et, à la première occasion, s’isola dans sa cave pour lire le papier avec plus d’attention. Il avait prévu d’étudier Jorderunn plus en profondeur, mais, apparemment, ses plans allaient encore devoir changer.



L’Isemssith se demandait presque comment il en était arrivé ici. Le manoir gris des Tolshem était isolé dans un village de Nementa Corum. La chose était surprenante, pour les mondains qu’ils étaient. On lui ouvrit la porte sans qu’il n’ait à faire remarquer sa présence. Quelques secondes plus tard, l’apôtre obscur se retrouvait à l’intérieur. Une décoration chaleureuse et pourtant terne l’y accueillit. C’était caractéristique des maisons de vacances nobles, qui semblaient inhabitées : elles ressemblaient à des musées d’art. C’était des œuvres simulant à plus grande échelle ce à quoi ressemblait un vrai foyer.

« Je suis ravi que vous ayez pu recevoir le message. » Staurakios venait d’apparaître dans l’encadrement de la porte. « Nous avons dû passer par un proche pour nous assurer que le mot parviendrait au plus tôt, mais vous connaissez les aléas des intermédiaires. » En effet, au vu des oublis d’Endora, ils étaient à deux doigts d’avoir perdu. Siruu se demanda pourquoi elle avait servi de postier, mais la réponse finit par s’imposer à lui : la fausse sorcière travaillait pour une femme faisant partie de la famille de Morgana. Les Shantsor devaient être très nombreux : ce n’était pas le premier d’entre eux qu’il rencontrait. Les Tolshem, cependant, n’avaient que très peu de membres insérés dans la haute société. Ou alors, ils étaient discrets comme les Von Illuynqi ? Siruu n’était pas certain de pouvoir affirmer quoi que ce soit à ce sujet. Mieux valait éviter de parler famille ici, alors.

« Je vous remercie de votre invitation. »
Siruu était un peu lent, ce soir. Sans doute était-ce la fatigue. « Oui, mes excuses d’avoir précipité la chose, c’est que nous sommes occupés ces temps-ci. Vous avez déjà visité Ciel-Ouvert ? » Le rédacteur fit un signe de main pour demander à ce qu’on le suive, et continuait à parler tout en marchant. Les couloirs étaient nombreux et étroits. Siruu peinait à suivre, d’autant plus qu’il fallait continuer la conversation.

« Non, jamais. »« Si ça peut vous rassurer, vous ne manquez pas grand-chose. J’y étais ce matin, et nous allons devoir y repartir. Le froid est une plaie. » L’apôtre obscur se fit arrêter par un servant, qui lui retira sa veste. Cela n’empêcha pas Staurakios de continuer sa marche à travers la galerie qu’était ce manoir. Le blond crut devoir demander à son ancien professeur de ralentir la cadence, mais, par miracle, ils étaient arrivés à destination. Une salle à manger dantesque, éclairée par quelques bougies. Siruu reconnut le visage de Morgana.

« Bienvenue dans notre humble demeure. Ravie de voir que vous ne vous êtes pas perdus. » Elle avait le sens de l’humour, au moins. « J’ai pris l’initiative de faire servir le repas par nos domestiques. Quelques mets classiques, mais aussi de la viande de yack grillée, basée sur une recette des Marcheurs. » La sorcière sourit aux deux hommes, l’air un peu mesquin. « Nous pouvons commencer, donc. »

« Donc, il y a eu votre victoire à la Coupe des Nations il y a plusieurs mois, et j’ai cru voir votre nom en première page d’un prototype de journal récemment. Tout vous réussit. »
Siruu pensa à la mise en demeure qu’il risquait de recevoir, et laissa s’échapper un rire nerveux. « Plus ou moins. J’ai eu beaucoup de chance, mais je crains de devoir quitter les territoires pour quelques temps. »

Morgana se saisit de sa coupe de champagne. « Oh, pourquoi donc ? C’est pourtant l’occasion parfaite pour continuer sur votre lancée. » Le blond savait très bien que ça en avait l’air, mais compte tenu de son contexte, c’était secondaire. Ce n’était pas le plus pieux de sa race, mais il reconnaissait sans difficulté que son devoir auprès de Raanu avait la priorité. « Je saurai rebondir plus tard, ce n’est pas très important. Vous avez déjà eu à partir longtemps de nos terres ? » Il s'adressait au rédacteur.

Staurakios se racla la gorge, portant un raisin à sa bouche. « Bien entendu, et je ne peux que conseiller le chapitre dix-huit du Rgatlan Dasarba dans ce cas-à. » Siruu était suffisamment familier avec ce livre, pour en posséder une version. « Ils expliquent les relations entre runes de téléportation et la théorie des chaleurs. »« Je ne savais pas que les deux pouvaient être liés. Donc si on associe une bougie au sort… »« On reste jusqu’à ce que la flamme s’éteigne et que le sang se refroidisse. Il y a quelques calculs à faire, parce que la durée de la rune ne peut pas dépasser une heure, ou quelque chose du genre. Je ne me souviens plus exactement. »

Morgana vint interrompre la discussion. « De toute façon, ce n’est plus quelque chose qui est appris dans nos écoles. Le chancelier Forcas a décidé de prioriser d’autres aspects du programme. » Siruu acquiesça en silence. « C’est bien triste. »« Et vous, Sirh Juuka, quels établissements avez-vous fréquenté ? » Elle connaissait déjà la réponse, pour avoir fait ses recherches. Les journalistes et leurs proches sont des plus renseignés, après les espions et le Chancelier Kamtiel.

« Eh bien… j’étais autodidacte. J’ai uniquement passé des examens pour attester de mon niveau, au Goephill d’Amestris. » Il n’élabora pas sa réponse, préférant éviter de mentionner son bagage en tant que magicien et ses années loin de la hiérarchie des mages noirs. « Ensuite j’ai pu me former à la sténographie dans un cabinet isolé puis, après ça, j’ai été diplômé en journalisme à l’Université d’Asresh avec les cours de votre mari. Et vous, quel a été votre parcours ? » Morgana leva les yeux au ciel, pensive.

« C’est que ça remonte à longtemps… l’ancienne Capitale était encore là. J’ai fait le conservatoire d’Elidasis, puis quelques années à l’école Santiel, suivis de cinq ans à l’Université temporaire de Poveas et de quelques mois à ce qui était la toute nouvelle Université d’Asresh. J’ai aussi eu des cours particuliers, notamment avec Botusa Lantium. Charmante femme, quel dommage qu’elle ne prenne que si peu de clients, depuis qu’elle s’est mariée à ce Taïmon… » Le mage de la corruption n’avait pas bu de champagne, portant à chaque fois le breuvage à sa bouche en l’empêchant de passer ses lèvres pincées. « Voilà tout. Des questions ? »« Aucune. C’est un parcours impressionnant. » Cela permit surtout à Siruu d’estimer l’âge des gens qui l’entouraient. Ils étaient à peu près aussi vieux que lui, mais n’avaient pas attendu des décennies pour se mettre à étudier.

« Installons-nous plutôt dans le salon. »
Staurakios avait la langue douce, mais le regard vif. Il fit quelques pas inutiles autour de la pièce, laissant à Siruu le temps de se mettre à l’aise. Puis, le professeur finit par s’asseoir en face de son ancien élève. Entre eux deux se trouvait un guéridon finement décoré, à l’instar du reste de leur demeure. L’ambiance qui régnait dans l’air était indescriptible. Une sorte de détente mêlée à une pointe de tension. Le blond ne prit pas le temps de remarquer qu’un silence venait de s’installer dans leur semblant de conversation.


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Siruu Belhades
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Siruu Belhades
Ven 17 Jan 2020, 00:21


En échec, le roi se replie

« Je vous propose de nous occuper, en attendant que ma femme revienne. Vous savez jouer aux échecs ? » Staurakios avait repris la parole. L’apôtre obscur répondit un simple « oui, bien entendu », portant une voix drôlement fatiguée. Il n’aurait jamais osé agir ainsi en public, mais toutes ces histoires de chamans occupaient tant son esprit qu’il en oubliait même de se comporter comme il le faisait à l'accoutumée. L’ancien rédacteur en chef ne sembla pas prendre en compte ce changement de ton. Il amena jusqu’à lui une boîte, par télékinésie. Il en sortit un jeu d’échecs, qu’il posa sur le guéridon. Très vite, les pièces furent mises en place. La partie pouvait commencer.

Siruu démarra lentement, adoptant un gambit du roi en ouverture. Il obtint quelques avantages, mais, ne prenant pas le temps de réfléchir, se laissa plusieurs fois surmener par son adversaire. Staurakios était bien plus reposé, ce qui lui permettait de rapidement renverser la situation. Après une quarantaine de coups, on pouvait être certain de qui décrocherait la victoire. Puis vint l’échec et mat. « L’élève ne dépasse pas toujours le maître, apparemment. Une seconde manche ? »

L’apôtre obscur accepta, tentant au mieux de se réveiller. Morgana apparut dans le cadre de la porte, alors que la partie venait de débuter. « Oh, le nombre d’échiquiers que j’ai pu maudire… je tolère ce jeu dans ma maison uniquement par respect pour son créateur. » Son intonation laissait sous-entendre qu’il s’agissait peut-être d’une hyperbole. Lire à travers l’humour pince-sans-rire d’une sorcière était un sport de haut niveau. « Vous revoilà. » Ne se laissant pas déconcentrer, Siruu réussit à faire valoir sa stratégie, et gagna cette seconde manche.

« Faisons la finale pour nous départager. »
Staurakios était compétitif, mais ne le laissait pas paraître. « Une autre fois, mon amour. » Morgana s’avança pour prendre la place de son mari. « Je ne voulais pas vous déranger pendant votre partie, mais Oswald t’attend d’urgence à Valera Morguis. Une histoire d’investissement, sûrement. » C’était un mensonge pour l’écarter pendant un temps, et Staurakios s’en doutait. Après tout, la mage avait demandé à inviter Sirh Juuka pour arranger ses affaires personnelles.

« Quitte à avoir le marbre de prêt, faisons une partie nous aussi. » Elle avait un sourire cynique. « Je croyais que vous détestiez les échecs ? » Il ne se permettait que peu de sarcasme en présence de Morgana, mais, compte tenu de ce qu’elle avait dit il y a quelques minutes, cela semblait approprié. « Autant s’occuper. Dites… » Pion en E4. « Vous avez rencontré mon demi-frère, n’est-ce pas ? Lans Shantsor. » Pion en E5. « Oui, pourquoi ? » Pion en F4. Ce devait être un cadeau de la sorcière ; ou alors elle était réellement mauvaise aux échecs. Siruu sauta sur l’occasion. « C’est que je me demandais… » Fou en C4. « En fait, il a eu un souci avec sa dernière potentielle femme, Lucie Valmondier. » Ce nom de famille lui paraissait familier, mais le blond préférait simplement hocher de la tête, poussant sa dame jusqu’en H4. « Disons que ça n’a pas duré. Elle était trop dure pour lui. » Morgana, voyant son roi en échec, le décala en F1. « Oh, une femme fatale ? » Pion en B5, écrasé l’instant d’après par un fou. Siruu voyait la partie tourner à son avantage. « Pas vraiment. C’est le genre d’homme pour qui toutes les femmes seraient fatales. Il est passionné, intelligent, mais un peu trop… faible. » Cavalier en F6. La partie n’avait plus trop d’importance, à ce stade de la conversation. « Je vois. Et donc, vous voulez que… »« J’y viens. Ce n’est pas sa dernière conquête qui m’intéresse, de toute façon. Ce n’était qu’une prétendante qui, grâce à moi, n’obtint pas ce qu’elle voulait. » Morgana posa son cavalier en F3, ce à quoi Siruu répondit en retirant sa dame jusqu’en H6. Les coups suivants s'enchaînèrent. Un pion en D3, un cavalier en H5 et un autre en H4. Siruu essayait de se concentrer sur ce qu’elle disait sans perdre le fil de sa stratégie.

« Je pense qu’il a connu une autre personne avant, et qu’elle est la source du problème. Il a disparu quelques années et est revenu chamboulé. » Dame en G5 pour Siruu. Cavalier en F5 pour Morgana. « Il vous a expliqué pourquoi ? » Pion en C6, suivi d’un second pion en G4 et d’un cavalier en F6. Puis, la dame déplaça simplement sa tour en G1. « Justement, pas vraiment. On a eu le droit à quelques excuses et justifications nébuleuses, mais pas à une chronologie claire. Pour couronner le tout, il sait résister aux philtres de vérité et ne nous approche ni nous ni nos domestiques. Le dialogue est… compliqué, comme tu peux le deviner. » Un pion de Siruu avala un fou en B5. C’était beaucoup d’informations. Morgana ne semblait pas prête de laisser le silence s’installer pour qu’il puisse mieux réfléchir. Elle aimait oppresser, sans aucun doute. Ne prenant que quelques secondes pour faire son coup, elle déplaça nonchalamment un pion en H4. « Je vois. » Bien évidemment, la dame de Siruu partit se préserver en G6, mais Morgana la poursuivait avec son pion qui venait d’atteindre la position H5. Siruu repositionna sa dame en G5, troublé par cette partie qui semblait n’avoir aucun sens et peu d’élégance. « Tu te doutes bien que je ne te dis pas ça pour rien. Je cherche un angle d’attaque pour lui faire avouer. Ce ne doit pas être un membre de la famille ni un de nos servants. J’ai essayé ses collègues de travail, mais, en plus d’être peu nombreux, ils semblent incorruptibles et n’ont pas une disposition très… favorable à mon égard. » Dame en F3. Morgana avait une étrange lueur dans le regard, qui n’était pas sans rappeler à Siruu les yeux de Devaraj. « En dehors de ça, il parle à peu de monde en dehors du tralala habituel. Et il faut aussi que l’angle d’attaque ait des raisons de coopérer avec moi. » Cavalier en G8. Le fou de Morgana pris aussitôt d’assaut un pion en F4. « Tu vois où je veux en venir. » Dame de Siruu en F6. Il voulait rassembler ses pièces, et ne pas se laisser intimider. « Vous pensez que je peux vous être utile ? De quelle manière ? » Cavalier en C3. Il doutait d’avoir le temps de jouer aux agents secrets. « J’élaborerais la stratégie en temps voulu. J’ai simplement besoin de ton accord. Il faudra t'en faire un ami. » Siruu savait qu’il possédait les capacités d’avoir les souvenirs des gens. « Je peux demander un délai pour y réfléchir ? » Fou en C5.

« Et pour quelle raison ? » La noble haussa un sourcil, plaçant son cavalier en D5. Elle semblait passablement irritée rien qu’à l’idée d’essuyer un refus. Siruu se demanda si elle dissimulait ses intentions. Peut-être qu’elle voulait lui donner cette mission pour se rapprocher subtilement de lui et le manipuler. À vrai dire, l’apôtre obscur était fatigué des fourberies de son peuple. « Je risque de devoir partir un moment. » La dame de Siruu s’attaqua à un pion seul en B2, par la diagonale. Morgana répondit en plaçant son fou en B6. « C’est malencontreux. Vous aurez la possibilité de revenir ? » Fou en G1 : la noble venait de perdre une tour, mais ne semblait pas s’en préoccuper. Elle avança simplement son pion en E5, machinalement. Siruu plaça sa dame en A1, dévorant la dernière des tours de son interlocutrice et mettant cette dernière en échec. « Oui, grâce à quelques sorts dont celui que votre époux a mentionné. Je tiens à rester dévoué à ma tâche, donc je ne sais pas combien de temps je pourrais passer auprès de votre frère. » Roi en E2, cavalier en A6. Puis, Morgana déplaça son cavalier en G7, éliminant le pion qui était sur place. Siruu venait de voir le piège se refermer. Le roi de Siruu était en échec, et se replia en D8.

« Voilà qui est fâcheux, j’espérais des résultats rapides. » Morgana soupirait, avançant sa dame en F6. « Vous pensez pouvoir me rendre votre réponse quand ? » Un des cavaliers du blond neutralisa cette même dame. « Pourquoi pas... d’ici à la prochaine pleine lune ? » Fou en E7. Morgana avait gagné par échec et mat alors que la partie semblait la donner perdante. Elle regarda brièvement son interlocuteur, comme pour vérifier que ce dernier avait compris sa défaite, puis se désintéressa du jeu. Son dos était collé au siège du fauteuil. « Sans faute. Je chercherai d’autres options d’ici là. Vous serez prévenu si vous n’êtes plus d’actualité. J’envoie les nouvelles à votre adresse habituelle ? » Siruu acquiesça. C’était complexe, d’en dire assez pour ne pas être trop mystérieux, tout en préservant le secret qui lui avait été partagé. Heureusement, le bracelet qu’il portait aidait à tromper les curieux qui utiliseraient de la magie pour chercher l’information à la source.

« Oh, et tenez. » Morgana tendit à l’apôtre obscur un collier simple, gravé d'une insigne familière associée à Raanu. « Je crois que ça vous appartient. » Elle se délecta de l’étonnement que l’on pouvait lire sur le visage de Siruu.



Peu d’âmes venaient errer au cœur d’Amestris, la nuit. Il y avait les gardes, bien sûr, mais ceux-là ressemblaient plus à des statues articulées qu’à des êtres vivants. Ils se permettaient rarement de flâner. Les rues étaient donc bercées par un calme olympien. Quelques individus, cependant, venaient perturber la tranquillité. Certains allaient à leurs temples favoris, guidés par la croyance selon laquelle l’intimité de l’obscurité rendra leur prière plus forte. D’autres sortaient des bars, victimes parfaites pour les délinquants. Et ces bandits, justement, parlons-en. Leur simple existence dissuadait quiconque de sortir de chez lui sans protection. La plupart des malfrats ne se contentaient pas de voler : quitte à prendre le risque, ils enlèveront leurs cibles pour les revendre des mois plus tard. Cependant, si ce n’est quelques Mayfair, ils étaient peu à agir en dehors des quartiers hostiles tant la milice de Lord verrouillait les quartiers. La Vorace était une ville où les crimes se faisaient assez rares, mais ces terres gorgées de sang ne pouvaient être associées au mot « paix ». L’essence des sorciers était tout autre, et l’on ne pouvait espérer d’eux qu’ils apaisent ce monde. Amestris se trouvait plutôt être une cité tendue, où la rage et la violence s’accumulaient dans les esprits de chacun pour être relâchées d’une manière détournée. Et, quoi de mieux pour se défouler que d’être protégé par la pénombre ?

Il y a une dernière catégorie d’individus dont je n’ai pas parlé. Il s’agit de ceux qui agissent à la lueur de la lune, non pas pour attaquer, mais par nécessité. Le sorcier que j’épiais était l’un d’entre eux, cette nuit-là. Je l’observais, lui, solennel devant un modeste monument. Il regardait le noms de morts. C’était à propos d’une expédition à Taelora, dont je ne sais rien. Ce qui est certain, c’est qu’il a dû en faire partie. Son regard est ferme, décidé. Il aurait souhaité attendre un peu plus, mais le temps presse. Les indications avaient été données à Endora et, dans une moindre mesure, à Jorderunn. Il devait partir ce soir.

L’apôtre obscur ne souhaitait pas être vu, tandis qu’il quittait la ville. Surtout, il ne voulait pas que les autres pensent que, pendant des mois, l’Isemssith qu’il était ne rentrerait que sporadiquement. Non, ce n’était pas envisageable. Sirh Juuka était malade, atteint certainement d’une malédiction lancée par un rival. Il serait alité pendant un temps, ce qui expliquait pourquoi peu de gens le verraient. Zeli'Ka'Ya Dasäha'lhm' o Raanu, quant à lui, devait atteindre Sceptelinôst. Il allait découvrir de nombreuses choses, sans aucun doute. En partie grâce à des gens comme nous, d’ailleurs.

Je l’ai guidé jusqu’ici. Je lui indiquerai la direction de la Terre d’Edel, mais il demandera à d’autres esprits pour vérifier mes dires. Il ne me fait plus confiance, puisque nous n’avons pas pu trouver le bijou que je lui avais promis. Cela étant, il faudra bien qu’il se rende à l’évidence : il y a des esprits bien plus malveillants et fourbes que moi. Je trouverai un moyen de me faire pardonner puis, une fois quittes, nous pourrons ne plus jamais nous revoir.


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