Musique

« Tu dois au moins me reconnaître cette qualité. » murmura-t-il doucement. Il la guidait langoureusement dans le salon sur une musique sortie de nulle part. Une main sur son épaule, l’autre coincée entre ses doigts, elle le fixait d’un air amusé. « C’est bien la seule. » répondit-elle. Parfois, ils s’offraient une pause. Ils avaient bien trop vécu pour croire encore que les guerres étaient tenables sur le long terme. S’ils s’affrontaient, c’était aussi pour faire passer le temps. Il rit brièvement. « Menteuse. ». « C’est vrai. » concéda-t-elle dans un murmure. Il la fit tourner, ses doigts retrouvant ensuite la peau de son dos qu’il caressa l’air de rien. Un petit sourire apparut sur les lèvres d’Edelwyn. « Ne fais pas l’adolescent. ». « Je ne vois pas de quoi tu parles. ». Il lui répondit par un sourire en coin. « Et puis, je suis le seul à pouvoir te faire danser de la sorte alors j’estime avoir quelques droits. On ne peut pas dire que ceux que tu côtoies aient ce don, ni ceux que tu côtoyais. J’ai toujours essayé de ne jamais imaginer ton ancien mari danser pour m’éviter une mort ridicule à force de rires. ». « À croire que les puissants n’ont pas le temps pour ce genre de choses, contrairement à toi qui n’a rien d’autre à faire. ». « C’est vrai que je devrais arrêter de me préoccuper de toi. Tu n’es qu’une garce incapable de reconnaissance. ». « Tu t’ennuierais. » lança-t-elle, avant de poser sa tempe contre lui. Elle ferma les yeux, laissant la tension qui émanait de sa position et les pressions qu’il exerçait la guider. Il baissa la tête pour frôler la chevelure de sa cavalière. Il profitait. Demain, elle serait furieuse quand il refuserait officiellement ce qu’elle lui avait demandé. Parfois, elle s’adressait à lui comme si elle avait façonné ce qu’il était mais ce qu’elle répétait fermement était faux. Ils s’étaient construits mutuellement, en faisant des choix. Surtout qu’il était bien plus vieux qu’elle. Il ne cherchait pas à savoir qui était le plus puissant – parce qu’il l’était, actuellement – mais plutôt à la garder près de lui ; et à rire un peu à ses dépens, il devait l’avouer, maintenant qu’il le pouvait. Il désirait la sentir vibrer sous ses doigts, également, mais il avait appris à ne pas être trop gourmand. Tant qu’elle serait Ombre, il n’obtiendrait rien. Il ne fallait pas croire, sa décision lui coûtait personnellement, parce qu’il s’était imaginé qu’elle serait une alliée de poids contre Edel. Seulement, elle était assez têtue pour se laisser mourir s’il ne lui offrait pas un statut plus enviable. « À quoi penses-tu ? » demanda-t-il après un instant. « À quelque chose qui te ferait rougir si je te l’avouais. ». « Je savais que tu trouvais que j’étais un merveilleux danseur, incroyablement séduisant et confortable. » fit-il sur un ton léger et taquin. « Raison de plus pour ne pas te le murmurer, si tu es déjà au courant. » répondit-elle en souriant. « Fais attention, Edelwyn. Je vais finir par te demander en mariage si je sens que tu te laisses guider par une tendresse soudaine à mon égard, des fois que tu acceptes sur un coup de tête. ». « Tu devrais plutôt essayer de m’embrasser. C’est par là que les hommes sensés commencent généralement. ». Il pencha la tête sur le côté, le craquement de son cou retentissant alors. Il laissa s’installer un silence tout en continuant de la guider tranquillement. « J’essaierai bien mais je pense ne pas avoir le courage nécessaire. Pire, je risquerais de rougir. ». « J’en étais sûre. » s’amusa-t-elle, ses lèvres s’étirant contre son torse. « Tu penses que l’Impératrice Blanche te laissera sortir de prison d’ici combien de temps ? ». Son expression se fit joueuse. « D’ici une lune ou deux, je pense. Elle temporise en faisant mine d’être choquée de ma présence. Il faudra qu’elle m’accompagne au Temple de Lyre, ce qui promet d’être amusant. Pourquoi, tu es inquiète à mon sujet ? ». « Bien sûr. Les délinquants qui s’y trouvent pourraient chercher à t’éliminer durant ton sommeil. ». « C’est vrai. Je devrais me méfier. Un peu comme toi. ». « Quoi moi ? » répondit-elle surprise. Il la fit tourner d’un coup sec et la ramena à lui. Il prit sa joue entre sa main gauche et sourit. « Je ne rougis plus depuis quelques millénaires, malheureusement pour toi » fit-il, joueur, avant de poser ses lèvres sur les siennes.

Musique

Il la regardait dormir depuis plusieurs heures, appréciant les effets de la luminosité grandissante sur sa peau. Il la connaissait déjà par cœur mais il ne se lassait pas. Au fil des années, il avait appris le calme, la patience. Il n’était plus étreint par une jalousie maladive ; juste quand il le décidait. Il pouvait se montrer cruel et faire gronder la colère en lui pour traumatiser tous ceux qui, de toute façon, n’avaient aucune idée de la réalité. Il n’y était pas obligé, pourtant. Il préférait nettement ces instants où le temps semblait s’arrêter pour de bon et où tous les possibles paraissaient posséder l’occasion de naître d’un simple mouvement de l’endormie. Il aurait tout donné pour qu’ils restent éternellement ainsi. Il aurait aimé apercevoir le vert de ses yeux le caresser mais il pouvait aisément imaginer cette femme émerger, un peu perdue, à la recherche des souvenirs de la veille. Jadis, il aurait profité de son statut divin pour la forcer à l’aimer toute une nuit, et les suivantes, aussi. Il avait changé depuis, juste en ce qui la concernait, bien qu’il persistait à haïr quelques hommes bien trop chanceux à son goût. Il sourit quand elle manqua de l’assommer en bougeant. Elle n’était pas toujours élégante. Parfois, il trouvait qu’Erza n’était pas le fruit du hasard, que si la Réprouvée tenait de son père, sa mère devait être à l’origine d’une partie infime de son côté rustre. Il attrapa son poignet doucement pour intercepter sa main avant qu’elle ne s’abatte sur son épaule et l’y laissa reposer ensuite, se rapprochant un peu d’elle pour placer son visage à quelques centimètres du sien. Quand elle se réveillerait, elle allait le haïr. Il lui rendrait cette haine et puis, d’ici quelques lunes, ils recommenceraient à danser ensemble comme si de rien n’était, comme deux amants qui se plaisaient à effacer de leur mémoire tout ce qui était agréable pour mieux s’y replonger plus tard. Il ne l’avait pas touchée parce qu’il avait décidé que ce serait elle qui choisirait le moment. Oh il violerait sans doute ses lèvres d’une façon méprisante d’ici quelques temps mais pour le reste, ce qui relevait de leur véritable relation, il attendrait, simplement. Il connaissait la finalité, autant qu’elle. Seulement, avant qu’ils puissent s’unir, ils devraient encore voyager chacun de leur côté et s’opposer dans des guerres sans fin, si ce n’est celle qu’ils souhaiteraient leur donner. Ils étaient les seuls à décider et lui était bien plus serein. Son inquiétude avait disparu. Avant qu’un autre n’arrive à gagner son cœur... Il sourit, amusé. Les flammes s’élevant au cœur de Bouton d’Or lui semblaient appartenir à un passé en provenance d’un autre monde. Il avança sa main, replaçant tendrement une mèche blonde rebelle derrière son oreille. Il se demanda à quoi elle pouvait bien rêver. Il aurait pu le savoir mais il préférait ignorer certaines choses.

Après quelques longues minutes supplémentaires où ses doigts avaient glissé dans son cou pour venir s’y loger, il expira calmement. Elle n’allait pas tarder à s’éveiller et il ne voulait pas être là quand elle comprendrait qu’il avait refusé de lui permettre de dévorer les Âmes et que, pire, il lui avait volé la possibilité de cacher ses émotions en la privant à jamais de son statut ombragé. Il renonçait à son ascendance naturelle sur elle du fait de sa race parce que, contrairement à elle, il n’avait rien à lui prouver. C’est elle qui s’évertuait à provoquer en duel le Dieu de la Guerre. Il était convaincu qu’elle serait nettement plus heureuse à présent, incapable de se cacher derrière des faux-semblants. D’un côté cela l’effrayait parce que le monde extérieur aurait un réel effet sur elle, à partir de maintenant. De l’autre, il voulait la voir se débattre dans un flot de sensations et admirer les expressions réelles de son visage. La prochaine fois qu’il l’embrasserait, elle ne pourrait plus faire semblant. Il n’était pas sûr de s’y risquer de nouveau avant longtemps, néanmoins. Son sourire réapparut et il s'approcha un peu plus d’elle pour lui souffler trois mots à l’oreille dans un murmure à peine audible. Il déposa un baiser sur sa joue et se releva sans un bruit, s’amusant devant les deux ailes noires qui reposaient sur le matelas derrière elle. Un peu à contre cœur, il se retourna et avança vers l’extérieur, disparaissant dans la luminosité des rayons du soleil qui éclairait la chambre.