Ce périple qui se voulait bon et bienveillant, rempli de bonnes intentions, prenait soudainement un goût amer en vue des derniers événements.L'âme en peine et les traits las, Lily-Lune errait dans la Montagne de l'Edelweiss Enneigé sans vraiment prendre garde aux paysages enchanteurs qui l'entouraient, alors qu'ils étaient de loin ses préférés. Mais elle ne se sentait pas l'esprit poétique et artistique, en ces sombres heures de deuil et de remords. Douce culpabilité et atroce solitude étaient ses seules compagnes aujourd'hui. Dans un soupire, elle finit par se laisser tomber dans la neige, à genoux, au beau milieu d'une plaine, immense tapis blanc et immaculé où elle n'était qu'une petite pointe de couleur perdue. Les mains tremblantes, elle avait envie de se maudire, de se haïr et se châtier de s'être montrée si stupide, car elle savait. Dès les premiers moments, elle avait compris ce qui se passait, et si elle y avait longuement songé, elle avait tout de même préféré fermer les yeux et se détourner d'un destin inévitable. Elle aurait presque voulu que le Ciel la punisse de ses agissements, ou plutôt, de ce qu'elle n'avait pas fait. Dissimulant son visage dans ses paumes, elle garda les yeux clos quelques instants, comme pour revivre inlassablement ces quelques instants fatales. Pourtant, elle savait que l'issue serait celle-ci. Le sourire pur de Kay était réconfortant, et ses phrases maladroites, son vocabulaire maigre mais étrangement clair … Une fille simple et sans artifice qui ne disait que la vérité dans sa brutalité vivifiante.

A la Forêt Aux Milles Clochettes, Lily-Lune n'eut même pas le temps de voir le sorcier planté une dague sortie d'on ne sait où dans la poitrine de Kay. Comment s'était-il libérer de l’ensorcellement de la potion ? Cette question demeurait sans réponse, bien que l'Orine pense qu'il avait sur lui quelques contre-poison. Grave erreur que de ne pas avoir songé à cela. C'était peut-être cela qui avait perdu la Rehla, puisque Lily était persuadée à présent qu'elle avait appartenu à cette race. Sous le joug des émotions et l'envie de vaincre, de la sauver, la Vénus avait réagit avec violence, esquissant un geste brusque, tout le métal des environs, le poignard planta dans le dos de Kay compris, fonça avec une infinie rage sur le sorcier pour le clouer sur le tronc le plus proche. Le regard froid et haineux, Lily-Lune le fixa quelques instants, le sang couler sur la peau claire, la vie quitter ses prunelles sombres. Il souriait. Il osait. Dégoûtée, Lily-Lune détourna le regard pour le poser sur Kay, allongée au sol, elle se mit lentement sur le côté. Avec délicatesse, l'Orine s'agenouilla à ses côtés et prit doucement la petite contre elle. Du bout des doigts, tremblante, la gorge serrée, elle enleva le petit filet de sang qui s'écoulait de sa bouche. D'une voix qui se voulait rassurante, Lily-Lune murmura : « Ne t'inquiète pas Kay. Tout ira bien. Je peux te soigner, faire en sorte que tu vives.» Car après tout, elle avait le don de ressusciter les morts, pour peu qu'ils ne le soient pas depuis trop longtemps. Mais la petite sauvageonne hocha la tête, négativement. « Kay savait que cela devait arriver. Et Lily-Lune aussi, Kay en est sûre. Les étoiles l'avaient dit à Kay il y a longtemps, et Kay attendait ce moment avec impatience. Kay avait trouver sa raison de vivre. Lily-Lune comprend?» Presque hébétée, la jeune femme ne sut que répondre à de telles paroles. Passant furtivement sa langue sur ses lèvres soudainement sèche, elle finit par lâcher : « Non Kay. Je ne comprends pas. Je veux que tu vives, tu le mérites mille fois et plus encore.» La Rehla rit, avec difficulté certes, toussant son sang. « Kay veut que Lily-Lune vive. C'était le but de Kay. Et Lily-Luve vivra.» Sa voix était faible, et peu à peu, elle semblait s'éloigner. « Les étoiles ont beaucoup parlé à Kay. C'était le meilleur à faire. C'était soit Kay, soit Lily-Lune, aujourd'hui. Alors Kay veut que Lily-Lune promette de laisser Kay partir. Si Lily-Lune tente de sauver Kay, Lily-Lune mourra, et Kay ne sera pas là pour autant. Kay est perdue. » Les yeux humides, Lily-Lune se contentait de caresser le front de la petite, écarta quelques mèches de cheveux collés.

« Kay..» Lily-Lune ne savait pas vraiment quoi dire. Malgré ses apparences de glace, l'Orine était une personne assez sensible, et elle s'était rapidement attachée à la petite, qui fermait les yeux, le visage paisible, un trou béant dans la poitrine. « Peut-être que Kay et Lily-Lune se reverront. Mais avec Kay sous une autre forme. Que Lily-Lune ouvre les yeux. Maintenant, Kay veut que Lily-Lune promette.» Après quelques longues secondes d'hésitation, elle se résigna : « Je te le promets. Mais je te chercherais, dans un ailleurs.» - « Oui...» Plus qu'un souffle. « Trouve moi.» Le sourire aux lèvres, elle s'endormit pour aller dans un autre univers.

Et c'est ainsi que mourut Kay. Et Lily-Lune, dorénavant seule au milieu des cadavres, se questionna de longs instants face à la dépouille inanimée de Kay, qui semblait être une petite poupée de chiffon, un petit être simplement endormi, si on ne regardait pas sa poitrine ensanglantée. La tête embrumée, l'Orine ne put se souvenir avec exactitude de ses agissements, à ce moment là. Une seule chose est certaine, elle ferma les yeux quelques secondes et vit l'avenir, vit sa mort, et la petite Rehla éternellement couchée sur les feuilles mortes. Mais elle aurait juré voir dans ces visions de futur le visage souriant de Kay, comme si c'était elle qui lui montrait ses images, à moins que ce ne soit parce qu'elle arrivait à la retrouver, ailleurs, qui sait. Des heures restent sombres. Lily-Lune brûla les sorciers, enterra Kay, et s'assoupit très certainement, dans un coin d'une clairière, bien loin de l'autre, scène sanglante d'un théâtre maudit. Puis, elle se mit à errer jusqu'à arriver au Montagne. Elle ne devait pas faillir, pas oublier sa tâche, mais elle se sentant si misérable et impuissante qu'elle en aurait presque perdu espoir.

Lily-Lune se serait presque mis à grelotter. Quelle idée que de se punir en s'offrant au froid et à la neige. Lentement, elle se releva, courbant la tête en arrière pour que le vent balaye et emporte les quelques larmes qui coulaient le long de ses joues, en silence. Elle ne devait pas céder à ses émotions et se ressaisir en toute hâte. Armée de convictions et de déterminations, elle se remit en route. Elle avait encore tellement de choses à faire, tellement de choses à penser, des Orines à aider et délivrer. Le hasard ou le destin, la fatalité, quelque chose avait mené Lily-Lune à découvrir un bien sombre trafic, de l'un de ceux qu'elle craignait, de toute évidence. Les Orines étaient des proies alléchantes, souvent faciles, et prisées pour ses messieurs. Elles valaient chères, et par conséquent, en faire un grand commerce d'esclavagisme était assez tentant. Lily-Lune avait longuement veillé à démanteler ce genre d'institution, mais celle-ci devait être bien ancienne et fort bien organisé. Le sorcier lui avait tout de même révélé que Capucine avait été enlevé sur demande, pour satisfaire la demande d'un être assez sombre qui voulait se venger du Mage Blanc. Mais elle n'était pas la seule Orine dont la Vénus devait se préoccuper. Il y avait bien plus gros. Mais était-ce bien censé et raisonnable que de se lancer seule dans ce genre d'aventure pour le moins périlleuse ? Car à présent, Lily-Lune n'avait plus simplement à faire à un histoire de vengeance, de petit groupe de sorciers isolés, mais désirait s'attaquer à tout un réseau. En tant que souveraine des Orines, c'était de son devoir que de s'occuper de ce problème, et la demoiselle ne comptait pas se dérober. Ange des ténèbres, sombre, ses traits étaient animés de bien sombres sentiments.

Tremblante, Lily-Lune posa doucement une main sur l'écorce d'un vieil arbre tordu, reprenant tant bien que mal son souffle. Elle avait encore fait beaucoup de chemin, aujourd'hui, et s'épuisait à vue d’œil. Depuis la Forêt aux Mille Clochettes et les sombres évènements qui s'y étaient déroulés, elle n'avait pas pris la peine de manger ou de vraiment se reposer. Peut-être était-ce une façon de s’infliger une punition. Les peines de son cœur avaient tant de mal à cicatriser et à se refermer. Lentement, la Vénus ferma les yeux pour se plonger quelques instants dans ses pensées tandis qu'elle plaquait son dos contre le tronc. Presque inconsciemment, elle se laissa glisser sur le sol.

Lily-Lune rouvrit les yeux avec une certaine violence, regardant les alentours en quelques coup d’œil rapides. Seulement, elle ne parvenait pas à distinguer les environs qui lui paraissaient si flous. Avec douceur, elle passa ses longs doigts froids sur son front et ses joues blanches, traçant les contours de son visage, tout en tournant la tête. Elle avait l'impression d'être allongée non pas sur le sol neigeux comme elle le pensait, mais sur quelque chose de bien plus moelleux, et le tout dans un environnement chaud. Surprise, elle se releva d'un bond. Sa vision redevenait peu à peu claire. Elle leva délicatement la main, laissant glisser entre sa paume le drap blanc qui la recouvrait. Elle se trouvait dans une petite chambre d'allure rustique, entièrement faites de bois sombre. Un feu de cheminée brûlait à l'autre bout de la pièce. Une petite moue sur les lèvres pour refréner une grimace de douleur, Lily-Lune se releva lentement, étonnée de constater qu'elle était quasiment nue, simplement vêtue d'une large chemise blanche qui tombe presque jusqu'à ses genoux. Gênée et mal à l'aise, elle croisa les bras sous sa poitrine et se dirigea lentement jusqu'à la porte, hésitante. Puis elle finit par franchir le seuil pour descendre les grands escaliers irréguliers digne des décors les plus lugubres. Faible, elle prenait garde à ne pas trébucher ou à ne pas faillir du haut de ses longues jambes, légèrement vacillantes. Pieds nus, elle marchait sur le carrelage glacé, silencieuse. Ses si longs cheveux noirs avaient été totalement détachés et voletaient derrière elle. Comme timide, elle avançait lentement à pas de loup jusqu'à arriver dans un petit salon où parlaient tout bas deux hommes et une femme. «Oh! » Cette dernière venait de remarquer l'arrivée de Lily-Lune. Bienveillante, elle lui sourit tout en se levant pour la rejoindre et lui serrer la main. « Vous êtes enfin réveillée. Comment vous sentez-vous ? Je vous ai préparé deux ou trois choses, venez manger.» Lily-Lune baissa les yeux, constatant sa tenue fort peu adéquate. Elle répondit tout de même d'une voix claire : « Je me sens mieux, merci à vous. Seulement... Depuis combien de temps suis-je ici ? Et … pourrais-je retrouver mes vêtements? Et à qui ai-je l'honneur, madame ?» La vieille dame sourit. « Je me suis permise de laver et repriser vos beaux habits. Vous étiez dans un piteuse état, ma pauvre petite demoiselle, et si faible. Vous avez dormis plus de douze heures.» Elle fit une courte pause, de toute évidente prise d'un malaise que Lily-Lune n'expliquait pas encore. « Mangez d'abord un peu, et ensuite, vous irez vous habiller. A moins que cela vous gêne … Mais nous ne serons que toutes les deux dans la cuisine, mon mari et mon frère restent dans le salon..» Les deux hommes, bien que éloignés, semblaient tendre l'oreille, attentif. « Soit.» - « Et je m'appelle Carla.» - « Lily-Lune.» Elles sourirent, puis s'en allèrent.

Carla se montra des plus insistantes pour faire avaler quelques fruits à Lily-Lune qui n'était guère d'humeur malgré qu'elle ne se soit alimenter depuis plusieurs jours. La tête basse, elle se contentait de contempler la surface de son thé qu'elle tenait faiblement entre ses petites mains frêles. La maîtresse de maison, soucieuse et bienveillante, ramenait quelques pommes et poires et alla chercher les affaires de la jeune femme, mais ne lui tendit pas, sourcils froncés. La Vénus avait le teint pâle comme du sable, les traits las et le regard éteint. Avisant rapidement la situation, Carla finit par murmurer avec douceur : « Je pense qu'un peu d'eau chaude vous ferait le plus grand bien. Suivez-moi. » Lily-Lune ne protesta pas et finit sa tasse d'une seule traite. Il était infecte, d'autant plus pour la jeune femme qui avait l'habitude des thés les plus fins et succulents qu'il puisse exister, mais face à la gentillesse de Carla, elle ne fit évidemment aucun commentaire, et ce n'était pas le moment de jouer les divas difficiles. Carla prit doucement la main de Lily-Lune pour l'entraîner dans les petits couloirs sombres de la demeure jusqu'à arriver à une porte en bois épais. Elle donnait sur l'extérieure, un espèce de petit jardin fermé par le flan de la montagne. Il y avait un petit lac, où coulait une source d'eau chaude. L'ambiance était magique, avec toute cette neige blanche et immaculée qui entourait le point d'eau. Les deux jeunes femmes finirent pas entrer. « Puis-je vous poser une question? » finit par lâcher Carla au bout de longues minutes de silence, en tortillait une boucle blonde qui s'échappait de son chignon lâche. « Je vous écoute.» Lily-Lune sourit. Elle tâchait de se montrer aimable et plaisante mais peinait à oublier Kay, sa mort, et les Orines qu'elle devait retrouver et secourir au plus vite. « Que faites-vous dans les parages? Pourquoi étiez-vous … là où l'on vous a retrouvé? Inconsciente … Il vous ai arrivé quelque chose … d'inattendue? » Légèrement surprise, la jeune femme hausse les sourcils. « Je suis à la recherche de quelqu'un. Enfin, de plusieurs personnes. Voilà tout. Je n'ai pas fais attention.» Carla semblait soudainement soulagée, et ses traits se détendirent immédiatement, elle lâcha même un soupire apaisé. « Vous avez crains quelque chose? » - « Et bien … je dois avouer que oui.» - « Expliquez vous.» - « Je ne suis pas sûre de devoir vous en faire part. C'est assez délicat. Qui cherchez-vous ?» - « Des jeunes filles de mon peuple.» - « Qui êtes-vous?» La question avait fusé et Carla rougit. « Je ne pense pas que vous connaissiez mon nom.» Lily-Lune sourit. Elle était pas la Reine la plus connue, son nom n'était guère sur toutes les lèvres. « Et bien … votre prénom me dit vaguement quelque chose. Ne seriez-vous pas par hasard … Dame Araé?» La souveraine garda le silence une seconde ou deux, hésitante, avec une pointe de méfiance « Oui. Mais comment ...» Carla fit un petit geste de la main pour la couper. « Venez. Je pense que nous allons parler dans le salon, avec les garçons.»

« Bien.» souffla Carla après avoir présenter son époux, Hélos, et son frère, Thibalt. Trois paires d’œils étaient braqués sur Lily-Lune, de nouveau habillée, les cheveux réunis dans une longue tresse. « Bien.» répéta la Vénus d'un calme olympien. Elle redevenait peu à peu à elle. « Vous aviez donc des choses à me confier ? Je suis toute ouïe.» Elle était en effet curieuse de certains détails. « En fait» commença Thibalt « Cela fait un certain temps déjà que nous rencontrons quelques problèmes, ici, si je puis dire. Nous recueillons de plus en plus de jeunes femmes égarées. D'abord, nous avons cru à des voyageuses imprudentes égarées. Mais ...» - « C'est simplement impossible. Toujours des femmes, toujours belles, toujours dans un piteuse état. Et toutes des Orines. Une de temps à autre jaillit de nul part.» Lily-Lune fronça les sourcils. S'agissait-il de ses Orines? A n'en pas douter. Cela signifiait donc que cette vil organisation qui retenait Capucine et bien d'autres jeunes filles encore était dans les parages. « Nous voyons rôder des hommes, aussi … Ils me font froid dans le dos.» - « Peu des filles que nous avons trouvé ont survécu. Leur blessure était trop graves. Certaines nous ont parlé un peu, et elles nous imploraient d'aller à votre rencontre. Mais trouver votre village … partir d'ici sachant qu'on pouvait peut-être ...» - « Oui je comprends» murmura Lily-Lune. Après un temps de silence, elle continua : « Avez-vous quelques pistes à me donner, pour m'aider un peu avant de m'en aller?» - « Mais vous ne comptez tout de même pas y aller seule!» - « Bien sûr que si. Et au cas où l'idée vous aurait effleuré l'esprit, il est hors de question que vous m'accompagnez.» - « Mais..» - « Non. » Lily-Lune sourit, doucement avant de se relever. « Je reviendrais vous voir sur le retour, si cela peut vous apaiser. Excusez mon impolitesse, mais je ne vais pas trop m'attarder. Vous comprendrez aisément l'urgence de la situation. D'autant plus que je ne sais pas ce qu'ils peuvent bien faire aux filles de mon peuple..» - « Jasson voudra venir, c'est certain.» - « Qui est-il?» - « Un léger détail qu'on a omis de vous dire.» Et quelqu'un ouvrit la porte d'entrée pour faire une venue fracassante.

Et c'est alors que le fameux Jasson déboula, de toute évidence, couvert de neige et les joues rouges de froid et d'excitation. Un jeune homme blond avec un visage poupin, à peine un homme sortie de l’adolescence, avec des traits fins et joueurs, et des grands yeux bleus. Souriant et visiblement ouvert, il bondit à travers la salle pour venir serrer la main de Lily-Lune qui se rassit sous sa poigne forte. « On a de la visite ! Je pars deux jours et quand je reviens, je vois une jolie demoiselle dans le salon ! Franchement, papa... quoi?» Ses parents tâchaient de lui faire comprendre dans quelques grands gestes qu'il ferait mieux de se taire, puisqu'il ne savait pas à qui il avait à faire. Mais Lily-Lune sourit. « Jasson je suppose.» - « Ah ah ! En effet, et vous êtes, ma belle?» - « Fils, voici Lily-Lune Araé, la Reine des Orines.» ajouta le père sur un ton détaché en insistant bien sur chaque syllabe. Pas impressionné pour un sous, le jeune homme rit de bon cœur. « Sérieux? Bah enchantée de vous rencontrer.» Et il compris. Dans un bond, il posa ses mains de chaque côté de Lily-Lune, surprise et gênée. « Mais ! Vous voulez retrouver les vôtres, c'est pour ça que vous êtes là!» Il semblait ravi. « C'est génial ! Elle commence à me manquer, ma petite Kalie.» - « Kalie ? C'est donc chez vous qu'elle est?» - « Ouais, je suis son maître!» Fier comme un paon. Mais ses traits s'assombrirent. « Mais un jour, elle est partie se balader dans la montagne, elle n'est jamais revenue. On lui avait pourtant dis que ce n'était pas une bonne idée. On avait déjà ramené deux ou trois filles, les Orines. Elle ne nous a pas écouté. Je vais refaire mes bagages du coup! Je vous accompagne.» - « Je n'ai jamais dis être d'accord avec cela.» - « Mais vous avez pas le choix, majesté. Ah ah! On a une reine à la maison. C'est juste géant. Un tantinet gênant... mais géant!» Lily-Lune se résigna vite, elle n'avait pas vraiment la force de se battre avec un gamin entêté et plein de vie. Kalie était une Orine qu'elle connaissait bien, et cela ne l'étonnait guère qu'elle ait choisis un homme comme lui comme maître. Caractériellement similaire.

Et c'est ainsi que Lily-Lune reprit la route en compagnie de Jasson, après avoir vivement remercié ses hôtes de leur hospitalité et de leur gentillesse. Malheureusement, elle ne pouvait s'attarder avec ces gens malgré leur insistance, car elle avait plus important à accomplir et qu'elle bouillonnait de libérer ses précieuses Orines et d'infliger le châtiment mérité à leur bourreau. Que pouvaient-ils donc bien faire de terrible à ces pauvres demoiselles pour les mettre dans ce triste état? Quel genre de trafic pouvaient-ils bien tirer d'elles ? Le choix était vaste, et chaque réponse plus morbide que la précédente. Pendant de longues minutes, le voyage se déroula dans le plus grand silence. Lily-Lune, perdue dans ses pensées, se contentait d'avancer, la tête légèrement baissée et le regard vague, pensive. Jasson, quant à lui, avait bien du mal à supporter ce silence ambiant, et s'il avait tâcher de respecter la Vénus dans son mutisme, il ne tint pas longtemps et finit par dire : « Alors, vous connaissez bien Kalie ?» Voix enjouée. La jeune femme releva doucement la tête pour poser ses grands yeux noirs sur le jeune homme. Elle lui répondit sur le ton de la conversation : « Oui. Elle est de ma génération. Nous ne sommes pas nombreuses, ainsi, la plupart du temps, nous nous connaissons toutes assez bien. Plus ou moins selon les affinités, comme tout le monde dirons nous.» - « Communauté restreinte hein ?» - « Si on veut.» Le jeune homme se mit à contempler les cieux. « Moi je l'aime bien. Elle me manque. » Lily-Lune lui sourit. « C'est mieux ainsi, c'est que tu es un bon maître.» - « J'espère bien. Je veux la retrouver.» - « Et nous le ferons, nous la trouverons. Elle, comme toutes les autres.» - « Je me demande quel genre d'expérience ils peuvent bien faire sur des Orines. Et pourquoi des Orines d'ailleurs ?» Lily-Lune haussa les épaules. C'était une question qu'elle se posait souvent. « Je ne suis pas certaine non plus d'avoir saisis. Et de toute manière, je ne pense que jamais je ne comprendrais ce genre de choses.» - « Moi non plus. Mes parents avaient peur, après tout ça. Les Orines qu'on retrouvait mortes ou presque, les étranges bonhommes qui rôdent, la disparation de Kalie … évidemment, tout cela les inquiétait. Pendant un moment, ils ont très sérieusement songé à partir. Retourner en ville, là où se trouve la population, pour se sentir en sécurité. Et ils se sont rendu compte que toutes les Orines des villages alentours avaient disparu. Idem dans les grandes villes proches. Et ils ont décidé qu'ils faillaient faire quelque chose. A hauteur de leur moyen.» - « Et c'est très noble de leur part.» La Vénus scrutait les environs avec attention. Elle ne savait pas vraiment par où commencer et cherchait un indice qui pourrait la mettre sur la bonne voie. Ces Sorciers ne pouvaient agir à visage découvert, il avait forcément une cachette quelque part. Dans une grotte, peut-être, à moins qu'ils ne se dissimulent par la magie.

D'un geste, Lily-Lune ordonna à Jasson de se taire et de ne plus bouger. Immobile et silencieuse, elle suivit des yeux pendant quelques instants les trois ombres mystérieuses qu'elle parvenait à discerner dans l'épais voile brumeux qui pesait sur les pans de la Montagne. Peut-être n'était-ce que trois voyageurs, mais dans les environs, il pouvait tout aussi bien s'agir de ces malfaiteurs impudents qui torturaient des Orines pour quelques raisons obscurs. Doucement, Lily-Lune posa son index sur ses lèvres rouges, tout en regardant le jeune homme droit dans les yeux. Il fallait bien qu'il comprenne que la discrétion était de mise, en ce moment précis, et que cela pouvait faire la différence entre réussite et défaite. A pas de velours mais à vive allure, les deux jeunes gens s'approchèrent de ses ombres fugueuses qui filaient à travers les chemins escarpés comme s'ils risquaient le fouet s'ils osaient ralentir le pas. Quelque peu en hauteur par rapport à leur proies, Lily et Jasson s'évertuaient à ne pas perdre de terrain. Ils devaient pouvoir contempler quelques instants les visages de ces étrangers avant de prendre une quelconque décision. Au détour d'une petite route, Jasson prit la main de la jeune femme et lui indiqua d'un coup d’œil entendu qu'il connaissait un raccourci pour couper la route aux drôles d'inconnus. D'un sourire, la jeune femme accepta avec joie ce petit changement d'itinéraire qui pouvait leur faire gagner quelques précieux mètres.

A genoux dans la neige, Lily-Lune et Jasson patientaient derrière des rochers que les trois ombres se rapprochent suffisamment d'eux. « Alors ? Vous arrivez à voir quelque chose ou ...» - « Pas encore, je discerne à peine leur visage.» Le sourire aux lèvres, de toute évidence ravi et radieux, le jeune homme se mit à refréner un petit rire. « Qu'il y a-t-il de si drôle ?» demanda Lily-Lune quelque peu surprise. Ce comportement déplacé avait même le don de l'irriter, car après tout, l'heure n'était guère à la rigolade. « Rien» répondit tout simplement le jeune homme en passant ses doigts sur son front gelé. « C'est juste que si je ne courrais pas pour sauver mon Orine, je trouverais cette petite partie de chasse très amusante. C'est simplement la première fois pour moi que le gibier est bipède et qu'il parle.» Un vague sourire aux lèvres, Lily-Lune soupira, tout de même légèrement amusée par cette remarque. « Je te souhaite de ne jamais recommencer pareille mascarade.» - « Dites … Vous avez déjà tué ? Autre chose que des animaux, s'entend.» Question surprenante et inattendue. Mais Lily-Lune, froide comme la glace, n'avait guère envie de lui mentir. « Oui.» Cela ne sembla pas l'étonner outre mesure. « Moi jamais. Je ne sais pas si j'en serais capable si besoin est.» - « Alors pars du principe que l'on a jamais besoin d'arracher une vie.» - « Mais si on n'a pas ...» - « On a toujours le choix. Ne serait-ce qu'en blessant gravement. Il suffit de toucher un point stratégique sur quelqu'un pour l'immobiliser, au lieu de le tuer.» Il hocha doucement la tête. « Maintenant silence, ils arrivent, nous allons être fixés.»

Le tout était de ne pas se faire repérer tout en observant ses étrangers. Il y avait deux hommes, entièrement dissimulés sous d'épais manteaux sombres. Et bien que le froid de la Montagne puisse expliquer cette accoutrement, Lily-Lune était persuadée d'avoir à faire à des Sorciers. D'autant plus que le masque blanc qu'ils portaient sur le visage en forme d'oiseau n'inspiraient guère confiance, et était assez inhabituel. La troisième personne était une jeune femme. « Letasu.» murmura Lily-Lune dans un souffle. « Vous la connaissez ? C'est une Orine ?» demanda Jasson les yeux grand ouvert et la main sur la paume de son épée. La Vénus acquiesça. L'Orine était enchaînée. Le doute n'était plus permis. « Occupes toi de l'homme de derrière, qui surveille les alentours. Je me charge du premier.» Le plus massif, aussi « Qui tient les chaînes de Letasu.» - « D'accord.»

Jasson était animé d'une étrange rage, tout à fait compréhensible, cependant. Il sentait se rapprocher de son Orine, sans pouvoir encore parier sur son état, et cela le frustrait très certainement au plus haut point. Épée à la main, il fondit avec hargne sur sa cible, le regard vrillée sur elle, dans un cri de guerre. Lily-Lune, quant à elle, arriva comme une fleur avec discrétion et délicatesse, pour se planter en face du grand Sorcier qui la contemplait avec stupéfaction. Interdits, les deux hommes n'avaient su comment réagir dans un premier temps, mais à présent qu'ils avaient compris la situation, ils sortirent les armes pour débuter officiellement ce combat qu'ils auraient à coup sûr préférés éviter. D'un geste sec, le Sorcier bouscule Letasu pour la faire tomber dans la neige. Faible, elle se laissa faire en grimaçant lorsque la neige recouvrit la peau nue de ses jambes et ses bras et que son bourreau jette sur elle les chaînes qu'il tenait jusqu'alors. Lily-Lune avait réagit au plus vite, et sabre dans une main, éventail toutes lames sorties dans l'autre, elle attaque son ennemi. Mais elle avait une petite idée derrière la tête, ainsi, il fallait qu'elle arrive simplement à le désarmer mais qu'il demeure indemne. Cela risquait d'être une tâche assez compliquée.

Mais «compliquée» n'était pas assez pour décourager Lily-Lune et lui faire perdre tout ses moyens. Comme une lionne et avec la rage d'une furie, elle croisa le fer avec ce Sorcier pendant de longues minutes. Jusqu'à ce que l'épée du Sorcier vole dans les airs. « Je vous déconseille vivement d'user de vos pouvoirs sur moi.» prévient Lily-Lune d'une voix à la fois caressante et cassante. Tout un art que de parvenir à pareille intonation. Ses yeux noirs habituellement si envoûtant étaient illuminés d'un éclat à en faire pâlir un mort de peur. Ce n'était tout simplement pas le moment d'aller à l'encontre de ses volontés. Le sabre tendu vers la gorge du Sorcier à terre puisque tombé à la renverse, elle le toisait, un certain mépris au fond de ses mires sombres. Elle ne prit pas même la peine de jeter un d’œil à Jasson, elle savait que le jeune homme se débrouillait pour le mieux rien qu'au son du combat qui se déroulait. Par contre, elle ne s'était pas vraiment préparée à entendre le râle du sorcier qu'il combattait. Ainsi donc, il l'avait tuer. C'était plutôt étonnant, mais un geste sûrement malencontreux qu'il allait regretter à en faire des cauchemars pendant quelques nuits. Enlever la vie à quelqu'un pour la première fois n'était jamais anodin. « Sinon, vous terminerez comme votre ami.» ajouta l'Orine qui avait décidé de se servir de la mort de son compère pour l'effrayer davantage et le tenir en son joug. Il hocha la tête, une moue pincée sur les lèvres.

« Debout.» ordonna Lily-Lune d'une voix ferme et sans appel au Sorcier qui s’exécuta sans broncher, main en l'air. « Si vous tentez la moindre petite chose, je n'hésiterais pas. Est-ce bien compris ? J'ai besoin de vous pour réussir au mieux, mais vous ne m'êtes absolument pas indispensable et je pourrais sans problème me passer de votre humble présence. Tout est clair ?» - « Comme de l'eau de roche. » Sa voix était grave et rocailleuse, dénué du moindre sentiment. En d'autres termes, elle n'inspiraient guère confiance. « Jasson, mets la cape et le masque de l'autre sorcier.» Il commençait à voir où voulait en venir la Vénus et s’empressa de suivre ses instructions. D'un ton nettement plus doux, elle dit à l'attention de la petite Orine encore au sol, hébétée : « Letasu, tout va bien ? Viens.» Elle ne fit pas prier. D'un bond, elle se releva pour courir se blottir près de sa reine, tremblante, de froid ou d’effroi, sûrement un peu des deux. « Ensuite Jasson, attache celui-ci, j'aimerais parler un peu avec lui et Letasu avant que nous continuons notre route.»

Jasson était resté un peu plus loin en la délicieuse compagnie du Sorcier qui ne faisait que l'observer, silencieux, d'un œil mauvais. Mais le jeune homme, fier de servir à quelque chose, n'était pas prêt et faillir et gardait l'arme à la main, prêt à en user en cas de besoin. Par contre, il évitait largement de regarder en direction du cadavre qui gisait au sol, car son arrogance se serait envoler en voler les entrailles de l'homme s'échapper de son cadavre massacré. Il devait sûrement vouloir donner le change. Mais Lily-Lune n'avait pas vraiment le temps de s'occuper de ses états d'âme. Assise sur un gros rocher couvert de givre à côté de Letasu, elle séchait les quelques larmes qui roulaient le long des joues de la petite Orine. « Maintenant, tout va bien. Peux-tu me raconter ce qui s'est passé ? Si tu as entendue des choses, n'importe quoi ? Tu es loin d'être la seule, je dois retrouver les autres.» Elle frissonna, dégoûtée d'entendre cette nouvelle. Après quelques instants d'hésitations et de réflexion, elle articula de ses lèvres bleutées. « Je n'ai pas grand chose à dire … Je crains de n'avoir compris que très peu de choses. Tout s'est passé vite. Si vite. Ils m'ont attrapé à une vitesse fulgurante, sans une once d'hésitation. Je voyais dans leur yeux qui me voulait, moi et rien que moi. J'étais avec Elisa, pourtant, la sœur de mon maître. Ils ne l'ont même pas regardé … Ils avaient les yeux rivés sur moi.» Lily-Lune hocha doucement la tête. « Ils cherchaient une Orine. Et j'ai l'impression qu'ils savaient exactement où te trouver.» - « Je crois qu'ils ont parlé d'une carte.» - « Une carte?» répéta la Vénus, surprise. Letasu clignait frénétiquement des yeux, le regard dans le vide, elle tâchait de se rappeler de ce détail si important qui échappait à sa mémoire endolori par l'affront qu'on lui avait fait subir. « Oui, c'est cela une carte ! Je n'arrive pas à … comment te dire. Je ...» Un léger sourire aux lèvres, Lily-Lune posa une main sur l'épaule frêle et tremblante de la jeune fille. « Ne t'inquiète pas, si tu ne parviens pas à m'expliquer, il y a quelqu'un qui pourra m'en apprendre un peu plus, après une petite discussion en tête à tête.» - « Je n'aime pas cette idée. Cet homme, et sa bande, sont dangereux.» - « Je ne suis pas craintive.»

Et sans rien ajouter, Lily-Lune se leva, souriante, pour se diriger d'un pas tranquille vers le Sorcier qui demeurait de marbre. Jasson s'agitait quelque peu, il sentait que les choses allaient bouger voir dégénérer, et il comptait bien faire son possible dans cette sombre affaire pour aider. La jeune femme s'arrêta non loin du vieil homme aux traits tirés, un rictus moqueur figé par les cicatrices qui parcouraient son visage. Une petite moue sur sa bouille angélique, Lily songea qu'elle aurait mieux fait de lui laisser son hideux masque noir.

« Êtes-vous prêt à coopérer ?» Ses quelques mots avaient franchis les lèvres de Lily-Lune avec une douceur déconcertante. Son ton était suave et enchanteur, ses intonations sucrées et voluptueuses, on lui aurait très certainement donner le bon dieu sans confession avec une mine pareille rehaussé d'un sourire délicat. Si ce n'est que ses grands yeux noirs étaient d'une froideur sans égal. Pas l'ombre d'un sentiment n'éclairait l'encre de ses prunelles sombres. Elle posait une distance entre elle et ce sorcier telle qu'on se doutait bien qu'elle n'hésiterait pas une seconde à lui trancher la gorge à la moindre suspicion. L'Orine ne comptait pas mentir à cet étranger, cette vermine qu'elle arborait tant, s'il était susceptible de lui faciliter la tâche, elle pouvait très bien se passer de sa petite personne. Le vieil homme semblait sourire. Du moins, l'affreux rictus qui étirait ses lèvres sembla s'agrandir davantage. Un visage détestable, emprisonné dans une expression à en faire froid dans le dos. « Et qu'est-ce que j'y gagne ?» osa-t-il demander avec impertinence et manifestement très satisfait de lui. Lily-Lune n'était de son avis. Inexpressive et impassible, elle se contentait de le toiser avec un mépris à peine voilée. « Vous n'êtes absolument pas en mesure de marchander, en réalité. Nous ne sommes pas en train de parlementer sur votre sortie triomphante. Soit vous pouvez me servir et vous vivrez, soit vous n'êtes qu'un poids et vous éliminez reste le plus simple. Je ne prendrais pas le risque de vous laissez en vie.» - « Car je pourrais m'enfuir et recommencer ?» - « Par exemple. Ou aller prévenir vos petits copains.» - « Donc, j'ai le choix entre vous suivre ou non ?» - « Voyez plutôt ça comme vivre ou mourir.» - « Et si je n'ai pas peur de la mort ? Pire, si je la recherche ardemment et la désire au plus profond de mon âme ?» - « Votre âme ? Laissez moi rire. Et ne comptez pas sur les paroles que vous semblez escompter. Je ne vous ferais pas vivre en punition. Si vous souhaitez vraiment mettre fin à votre vie mais que le courage vous manque, lâche, je me ferais un plaisir de vous aider à quitter ce monde dans les plus brefs délais.» Le Sorcier tiqua à l'insulte. Il devait avoir un certain sens de l'honneur et ne pas apprécier qu'on le traite ainsi.

« Alors?» s'impatienta Lily-Lune. Elle n'était pas vraiment d'humeur miséricordieuse pour l'heure et l'absence de réponse serait interprété à sa guise. « Je vous aiderais. Mais pas pour les raisons que vous croyez. Laissez moi vous expliquer.» - « Si vous comptez me faire le récit de votre existence, sachez qu'elle ne m’intéresse pas.» - « Même si j'évoque vos précieuses Orines, Vénus?» Après quelques brefs instants d'hésitation, elle répondit : « Cela ne fait pas l'ombre d'un doute. Vous êtes reconnaissable, même si vous tâchez de ne pas être trop connue. Vous êtes aussi la seule à ne pas être sur les cartes.» Elle fronça délicatement ses petits sourcils. « Que sont-elles ?» - « Chaque chose en son temps. Laissez moi parler, ça ne prendra pas longtemps.» - « Soit. » Ce serait sûrement plus rapide que de le convaincre de se taire.

« Soit.» répéta-il. « Au cas où, l'on appelle Jin. Seulement Jin. Mon nom est tombé dans l'oubli depuis bien longtemps. Qui suis-je ? Ah ah, quelle bonne question. Mais j'ai une sacrée réputation ! Plus ou moins méritée, je dois bien l'avouer. Il faut dire que les rumeurs à mon sujet vont toujours de bon train. Il paraît que je suis fou. Fou ! Fou à lier. Je vous laisse vous faire votre propre opinion sur le sujet. Je me considère simplement comme … moi. Moi. Moi, Jin, le cartographe. Et quel cartographe ! Autrefois, j'étais connu dans tous les continents pour mes talents ! Mais c'était il y a bien longtemps. Des siècles. J'étais encore jeune, et entier.» D'un coup de tête puisqu'il avait les mains liées, il tâcha de désigner ses balafres. « Ce sont mes dons en matière de cartes qui me valurent … toute cette reconnaissance. Disons qu'on ne peut pas vraiment m'échapper. Avec des petites babioles et mes instruments, je parvenais à créer une encre bien spéciale, magique. Et sur le papier se déplaçait le point lumineux de l'objet convoité. Il y a quelques temps, d'autres Sorciers sont venus me retrouver. Ils semblaient m'avoir ardemment chercher. Pour leur projet, qu'ils disaient. J'ai du faire un nombre de carte hallucinant ! J'en ai encore mal aux doigts. J'en ai dénicher, des Orines, avec cette méthode. Mais pas vous. Petite garce.» Il rit. « Ni votre village d'ailleurs. Je ne trouve les petites qu'une fois en dehors de vos murs. Mais c'était suffisant … pour eux. Après avoir longtemps cartographier dans le noir, ils me proposèrent un autre poste. Comment aurais-je pu refuser?» Il passa le bout pointue de sa langue rose sur ses dents noirs en scie sous les yeux dégoûtée de Lily-Lune. « J'aime m'amuser de la sorte, je dois avouer que c'est un de mes vices. Alors … oooh oui, j'en ai traquer, des filles comme vous, j'en ai capturé, torturé et livré. Je vous répugne, non ? Mais au moins, je suis sans attache, libre … et que j'aime retourner ma veste. J'aime jouer. Oui, je suis joueur. Les mesquineries en tout genre, ça me connaît. Je me fiche de mes proies, de leur race, tant que je peux me divertir. Comprenez-vous ? C'est pour ça que je me plierais à votre volonté. Je peux m'amuser. C'est amusant, non ?» - « Vous êtes complètement malade.» lâcha la Vénus. « Ah, vous aussi vous trouver alors?» Et il éclata de rire, glas sombre et morbide.

Il tâcha de se reprendre. « Voyons ne me distrayez pas. J'ai tendance à vite m'égarer. Nous ne sommes pas des êtres parfaits après tout !» - « Les Orines.» lui rappela-t-elle sèchement, puisqu'il lui avait permis si gentiment. « Oui, oui, oui … En fait je ne sais pas grand chose sur elles. Désolée, mais ça ne m'a jamais intéressé plus que ça de savoir ce qu'ils faisaient à ses donzelles. J'ai constaté que peu survivait à leur drôles d'expériences, ça, c'est un fait. De ce que j'ai entendu, je crois qu'ils ne versent pas tellement dans l'originalité. Ce sont des hommes … terriblement banals.» - « Ils en veulent au Lien ?» - « C'est un peu plus compliqué et vicieux que ça. Ils font des recherches sur le Lien. D'après moi, il y a deux sections distinctes, qui se partagent les filles, suivant leur âge je pense, puisqu'un groupe à l'air plus dur qu'un autre, autant envoyer les plus endurantes là-bas. Et dieu sait combien vous êtes frêles et faibles physiquement, dans votre race.» Lily-Lune, les bras croisés, tapotait avec une certaine colère ses bras de ses longs ongles qui prenaient des allures meurtriers. « Roh ça va je blague un peu. Aucun humour. Il n'empêche que, d'après ce que j'ai vaguement compris et qu'on a voulu m'expliquer alors que je n'écoutais absolument pas, il a des Sorciers chargés d'examiner le Lien, de le comprendre, pour le manipuler à leur guise. Ils veulent vous asservir dès la naissance, quoi, et sans votre avis. En même temps, à la naissance, je doute que...» - « Jin. » Un claquement de langue réprobateur. Comme si de rien n'était, le Sorcier reprit. « Et l'autre groupe cherche à extraire le Lien. Le capturer et l'enfermer. Dans une petite fiole, pourquoi pas. Ca serait plutôt sympa de pouvoir ranger ça entre le thym, le poivre et la coriandre.» - « L'extraire ? Comment ça l'extraire ?» Il sourit devant la mine de la jeune femme. « Peut-être sont-ils un tantinet plus originaux que ce que je pensais.» - « Extraire le Lien ...» Elle réfléchit quelques instants, avant de blêmir. « Vous avez compris ? Vous concéderez qu'il peut s'agir d'un point de vue intéressant.» - « Quoi?» intervint Jasson avec lassitude. Jusque là, il était rester silencieux, mais il ne supportait pas de ne rien comprendre à cette conversation. « Imagine, petit, s'ils parvenaient à extraire le Lien, et à le donner à des créatures d'autres races, alors soumises à leur volonté.» Lily-Lune, pensive et perdue dans ses pensées, n'écoutait plus vraiment.

L'idée, en soit, n'était pas novatrice. Lily-Lune elle-même s'était un jour plongée dans ce genre d'interrogation, remplies de « et si ...». Sauf que ces Sorciers semblaient avoir franchis le pas et tentaient cette folie. Là était toute l'effrayante différence. Et s'ils parvenaient à leur fins ? La Vénus chassa cette pensée de son esprit. S'ils ne faisaient que débuter leur macabre recherche, ils devaient encore chercher des réponses dans le sang et le corps, alors qu'elles se trouvaient sans l'ombre d'un doute dans l'esprit et l'essence même de la magie qui baignait les créatures qu'étaient les Orines. Doucement, elle releva la tête pour poser ses yeux sur l'étrange scène qui se déroulait devant ses yeux. Comme de vieux camarades, Jin et Jasson se disputaient, de toute évidence que la question du tutoiement, puisque le jeune homme n'avait pas supporté que le Sorcier lui parle si familièrement alors qu'il s'adressait avec un semblant de respect à la Reine.

« Jasson » finit-elle par dire qu'une voix lointaine. « Va rejoindre Letasu pour lui expliquer comment se rendre chez tes parents. Elle est bien trop épuisée pour aller plus loin, et je pense qu'ils accepteront sans soucis sa présence.» - « Pour sûr.» Et il fila à vive allure vers la jeune demoiselle. « A nous deux.» murmura alors Lily-Lune, les yeux rivés sur Jin, toujours à genoux dans la neige et ligoté comme un animal qu'on s’apprêtait à égorger.

C'était un plan osé, stupide et risqué, élaborée par Lily-Lune, revisité par Jin et achevé par Jasson. Le Sorcier se montrait plein d'entrain, à tel point que l'Orine consentit à la libérer. Bien qu'elle ne lui fasse pas confiance pour tous les joyaux du monde, elle sentait qu'elle pouvait lui accorder ce semblant de liberté. C'était un fou à la mentalité décalé, il ne la trahirait pas, du moins, pas aujourd'hui, mais elle savait qu'elle devrait redoubler de prudence une fois le plan mené jusqu'au bout. Et elle continuait d'envisager sa mise à mort dans la plus grande tranquillité.

Deux ombres noirs flottaient sur le tapis blanc, fantomatiques et présageant un mal à venir, ils étaient les sombres corbeaux de cette histoire d’orgueil et de volonté de puissance. La face entièrement dissimulé sous un masque d'oiseau aux plumes acérées, ils avançaient sans bruit dans le froid glaciale des neiges hautes de la Montagne. Le plus grand des deux hommes ouvraient la marche, et d'un pas vif et déterminé, il montrait la voie à suivre sans se préoccuper de ce qui se passait derrière lui. L'autre se tenait à quelques pas en arrière, plus chétif, il n'en demeurait pas moins robuste, et c'était lui qui tenait être les mains les chaînes clinquantes qui liaient avec force et violence les poignets frêles et fragiles d'une Orine à la tenue bien lamentable, les mains rouges et enflées par la morsure du froid et par le métal coupant, un mince filet de sang coulait le long de ses bras blancs. Pieds nus, la robe en lambeaux avec le tissu qui essayait de fuir ses épaules, ses longs cheveux noirs lâchés encadraient son visage de poupée aux joues bleus par un hématome mal placé. La route jusqu'au repère ne fut pas si longue, mais elle fut éprouvante dans les vents hivernaux. Après avoir gravit tout un pan de la montagne, le trio se faufila sous un passage dérobé dans une grotte encerclée par des pins. Le premier corbeau prit une torche pour mieux avancer dans la pénombre du tunnel humide. Atmosphère pesante, silence lourde, la mort hantait ses lieux.

« Qui va là ?» tonna une voix forte et grave dans les entrailles de la Montagne. « Tu n'impressionnes personne avec ce ton là, mon grand, navré de te décevoir. C'est Jin et Klaosus, on revient avec de la marchandise, et de qualité, s'il vous plaît ! J'en connais un qui va être content.» Une silhoeutte de détacha de l'ombre pour laissé apparaître un jeune d'homme d'une trentaine d'années aux traits durs. « Permets moi d'en douter, vieux fou. L'avantage des cartes en double que tu as faites, c'est qu'on peut suivre l'arrivée des filles. Alors explique moi pourquoi celle qu'on t'avait demandé de ramener et partit en courant et que de toute évidence, elle n'est pas avec toi ?» Il finit par daigner constater la présence de la jeune femme aux longs cheveux de jais. « Tiens donc. Qui est-ce ?» - « Ah ah ! Elle te plaît ? Désolée mon grand, mais celle-là, je crains que Lao ne la laisse à personne. Elle sera sa personnelle.» - « Réellement?» Avec grand intérêt, il laissait glisser ses yeux sur les courbes dénudées de la demoiselle. « Vrai, c'est la Reine.» Le Sorcier blêmit. « Es-tu certain de ce que tu avances ?» - « Tais-toi gamin, ne m'offense pas. Que vous me prenez tous pour un taré passe encore, mais qu'on ne remette pas en cause ma puissance et mes dons. Sa majesté avait entendu parler de notre trafic, et elle a voulu voler au secours de l'autre, que j'ai préféré laisser partir pour mieux attraper le joyau parmi les perles.» Le Sorcier hocha la tête, tremblant presque. « Je vais prévenir Lao, je pars devant, ne traîner pas, il sera impatient.» Et il fila comme une étoile.

Il ne fallait rien dire, rien faire de suspect. Mais Jin s'autorisa un très léger mouvement de têt, semblant regarder Lily-Lune comme pour lui jeter un regard entendu qu'elle ne pouvait pas discerner sous ce masque de corbeau. Jusque là, tout fonctionnait à merveille. Le meilleur moyen de rentrer en toute discrétion sans éveiller les soupçons de qui que ce soit restait encore de se faire prendre.

« C'est donc vrai ...» murmura une voix qui aurait presque pu paraître aimable en vue des circonstances, si ce n'est que le ton employé faisait bien trop obsédé fanatique pour être rassurant. Lily-Lune eut de toute évidence le privilège d'aller dans les quartiers de l'organisateur de tout ce complot, qui en vue de la décoration, ne devait pas manquer de temps et de moyens. Jeune homme de grande taille qui ne semblait guère plus âgé que Lily-Lune, il était cependant bien plus grand que la demoiselle qui n'était pourtant pas petite, et ses traits étaient semblables aux siens, bien étrangement. Ils avaient tout deux une peau de porcelaine, une silhouette fine et élancée, et un visage harmonieux et gracieux orné d'un petit nez et de grands yeux en amande. La jeune femme ne dit rien. On l'avait jeté dans cette pièce, et elle se contentait de demeurer à genoux, replier sur elle-même, le regard vrillé au sol. Quelle humiliation pour elle que de se retrouver dans pareille situation. Elle tâchait pourtant de ravaler sa fierté et sa rancœur, car les intérêts étaient bien plus grands.

Lao parla, pendant de longues minutes, sans s'interrompre. Mais Lily-Lune ne l'écoutait pas. Comme inclinée devant lui, elle faisait semblant de lui être soumise mais ne s'intéressait guère à sa personne. L'oreille tendue pour l'extérieur, elle guettait le moindre signe avant-coureur de grabuge. Car elle avait décidé qu'il valait mieux qu'elle laisse les deux hommes se charger d'être la main, l'épée et la justice, tandis qu'elle se contenterait d'être la distraction, l'occupation de ce Lao, qui était, selon Jin, qu'une grande puissance et qu'il valait mieux écarter de leur chemin.

Et une explosion assourdissante retentit, à en faire trembler les murs et la paroi de la Montagne. Lao, d’apparence imperturbable, ne fit qu'écarquiller très légèrement des yeux, les mains croisés derrière son dos, il contempla quelques instants la porte de sortit avant de poser un regard lourd sur la demoiselle face à lui qui sent le voir, sentait qu'on la détaillait avec insistance. Ainsi, lentement, Lily-Lune releva la tête pour gratifier le jeune homme d'un charmant sourire angélique. Et sans rien ajouter, elle lui bondit dessus, les chaînes tendues en avant pour enfermer son cou dans le métal et serrer de toutes ses maigres forces. Elle avait au moins l'effet de surprise qui lui ferait gagner quelques précieuses secondes qui pouvaient peser dans la balance. Loin d'être prêt à se laisser abattre, Lao se débattit, mais il sombra tout de même dans l'inconscience après avoir virer au bleu. Lily-Lune laissa alors glisser les chaînes de ses poignets pour filer de la pièce. Elle aurait aimé tuer cet homme, le réduire à l'état de poussière, seulement, les Orines étaient plus importantes.

Ce qui se passa par la suite demeura floue. Les événements s’enchaînèrent à une vitesse ahurissante, et Lily-Lune agissait plus par instinct que par raison. Jin et Jasson s'étaient empressés de mettre le feu à l'entrepôt, grâce à une charmante explosion cocktail maison de ce cher sorcier qui semblait avoir un goût prononcé pour ce genre chose. Les cartes brûlaient et se mourraient dans un doux crépitement, dévorant les emplacements des Orines des Terres du Yin et du Yang. « Venez ! Allez, courrez, courrez, ne perdez pas de temps. Suivez ce sorcier. N'ayez pas peur, il nous a aidé. Filez ! Filez !» Jasson hurlait ces quelques ordres. Nul doute qu'il aurait une extinction de voix le lendemain. Lily-Lune se précipita vers un cachot pour ouvrir les cellules et délivrer les siennes, murmurant quelques paroles pour les apaiser et les inciter à s'enfuir. Si Jin balançait ses potions à tout va, il n'en demeurait pas moins qu'un réel danger les menaçait tous. Ils étaient trois à vouloir protéger une troupe d'Orines effrayées contre une bande organisée. Facile. La simple présence de la Vénus avait tendance à soulager certaines demoiselles apeurées,qui s'empressaient de suivre ses plus infimes directives. Puis l'heure fut à la bataille. Lily-Lune, paupières closes et paume en avant, se concentra.

Allongée dans ses draps moelleux, une main glacée sur le front bouillant, Lily-Lune se reposait dans le noir complet de sa chambre, les rideaux tirés pour que les rayons du soleil radieux de l'après-midi ne viennent pas la troubler dans sa guérison. Le visage pâle et les traits fatigués, elle se tourna dans son lit, pour fermer doucement les yeux, en toussotant légèrement. Il fallait bien dire qu'il s'agissait qu'une évidence qu'elle finirait dans cet état là. Pour paraître plus crédible aux yeux des Sorciers, elle s'était désignée pour être une captive, s'était elle-même infligée des coups et avait marché bien trop longtemps pieds nus dans la neige, sa gorge offerte à la morsure du froid. Mais au moins avait-elle réussis à sauver bon nombre des captives. Son cœur se serra néanmoins à la pensée des pauvres filles mortes en ces lieux lugubres. Les survivantes savaient qui n'étaient plus de ce monde, et elle leur avait demander d'en faire la liste pour les ajouter à la Pierre de Mémoire du Grand Temple. Jasson avait retrouvé son Orine bien-aimée enchaînée à une table, prête à subir les expérimentations. Nul doute qu'ils étaient arrivé à temps. Quant à Capucine, elle avait été enfermé dans une cellule spéciale, car il s’avérait qu'elle était bel et bien un moyen de pression sur le Mage Blanc. D'après ce qu'elle lui raconta sur le chemin du retour pour Maëlith, il était d'une puissance insoupçonnée, et il aurait pu réaliser ce que les Sorcier voulait tant.

On frappa doucement à la porte. « Entrer.» dit Lily-Lune d'une voix claire malgré l'état d'extrême faiblesse dans lequel elle se trouvait. C'était justement Capucine. Elle lui sourit. Complètement guérie, elle devait sûrement venir faire ses adieux pour filer retrouver son maître et le soigner. « Je viendrais te rendre visite, et discuter un peu avec ce bon Mage.» - « Au plaisir de vous revoir ma Dame. Rétablissez-vous au plus vite, une surprise vous attends dehors.» Lily-Lune soupira. « Je crains le pire.»

Il était réellement dur de ne faire comme si de rien n'était. Lily-Lune avait ordonné aux survivantes de ne piper mot pour le moment. Car avant toute chose, la Vénus devait s'entretenir avec les Muses pour leur faire part de cette macabre découverte. Des Sorciers, cette fois-ci, étaient à l'origine de ces expériences. La bande n'était pas démantelée, et Lily se doutait qu'elle aurait affaire, un jour ou l'autre avec Lao. Et cette seconde rencontre risquait de se passer différemment de la première. Avec précaution, Lily-Lune se releva pour s’asseoir sur le rebord de son lit, étirant doucement ses bras qu'elle sentait vide de toute énergie. Elle avait beau ne pas avoir quitté ses appartements depuis une journée, elle se sentait toujours aussi épuisée. Il fallait bien avouer qu'elle avait utilisé toute sa magie, au repère des Sorciers.

Ce fut au tour de Thalie de faire interruption, accompagnée d'une corbeille de fruits qu'elle fit ingurgiter de force à sa reine. Entre deux rires plutôt faux, la jeune souveraine finit par dire dans un souffle las : « Réunis le Conseil, je prendrais la parole à la nuit tombée.» - « Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, vous êtes encore vidée de toute énergie.» - « Cette discussion ne peut attendre.» Thalie marque une pause, pensive, contemplant le visage de sa reine. « Bien»