Musique

« Où est-ce que vous m’emmenez encore ? » fit un jeune homme à ses amis qui le traînaient sur un chemin blanc semblant mener à l’autre bout du monde. « Tu verras bien. » répondit l’un d’eux, un sourire sur les lèvres. Ces derniers venaient d’entrer aux Palais de Coelya. L’enfance les avait quittés au profit de l’adolescence de laquelle ils sortaient progressivement. L’un d’eux se plaisait à entretenir une barbe naissante, faisant la jalousie de ses amis. Inséparables et complices, ils étaient cinq en tout. Cinq amis qui se connaissaient parfaitement ; cinq amis qui avaient cohabité ensemble lors de leurs études au Sanctuaire et qui continuaient à se suivre aux Palais. Les garçons avaient vécu des aventures qui avaient tissé un lien semblant imbrisable et ils s’étaient confiés leurs secrets au fil du temps, si bien qu’ils n’en avaient plus aucun en réserve. « J’espère qu’elle sera là. » « Qui ? » répéta le blond, légèrement agacé qu’on lui fasse des cachoteries.

Après quelques longues minutes, ils arrivèrent près d’une grande haie mal entretenue. La propriété appartenait précédemment à un énième Comte Vaughan qui s’était suicidé il y a peu. Il manquait cruellement de prestige et sa fortune ne s’élevait pas à grand-chose. Sa demeure était délabrée à bien des égards et nécessitait des travaux de rénovation, ne serait-ce qu’un ravalement de façade pour redonner aux murs leur éclat. L’intérieur restait habitable mais peu luxueux. « J’ai l’impression d’être un voleur… » continua celui qui n’était au courant de rien, en longeant la haie. Celle-ci menait à un portail, lui-même dans un piteux état, rouillé et ne fermant pas totalement. « Chut ! » souffla le jeune homme barbu. Le blond était de plus en plus intrigué, surtout lorsqu’il vit l’un de ses amis s’avancer en éclaireur et passer sa tête par-delà le buisson pour atteindre la grille. Son visage changea subitement d’expression et il devint totalement hermétique à la question qui lui fut posée, à savoir si elle était présente. Le blond, qui n’en pouvait plus de ne pas savoir, passa à son tour devant les autres et arriva au même point. C’est à ce moment précis qu’il la vit. Elle était accroupie dans l’herbe, en train d’ôter quelques mauvaises herbes de ses rosiers tout en s’arrêtant de temps en temps pour sentir les pétales colorés. Si la maison ne payait pas de mine, le jardin, lui, était magnifique, empli de roses, de lavandes et d’hortensias. Plus loin, une glycine s’était élevée fièrement autour des piliers d’une pergola en bois. Ici et là, des papillons se mêlaient avec les abeilles, butinant les fleurs au rythme du chant des oiseaux. Le tout semblait enchanteur et puis… Il y avait cette femme, habillée d’une robe blanche sur laquelle étaient dessinées des fleurs. La moitié de son dos était découvert et le ruban de son chapeau balayait sa peau légèrement. Le blond se sentait aussi étrange que ses amis. Le barbu qui ne l’avait pas encore admiré chuchota. « Elle est la veuve du Comte. Nous l’avons découvert il y a quelques jours alors qu’elle prenait un thé sur sa terrasse. C’est mon aîné qui m’a parlé d’elle. Il semble qu’elle ne sort pas souvent de chez elle. C’est pour ça qu’on ne l’a jamais vu avant… ». « … ». Les yeux du blond étaient fixés sur la peau de son cou sur laquelle quelques mèches de cheveux rebelles se baladaient au gré de ses mouvements. « Ils venaient tout juste de se marier… ».

Alors que le barbu continuait d’expliquer à voix basse la situation de la jeune femme, celle-ci releva la tête vers le portail, fichant son regard dans les mires du blond. Ses jambes devinrent aussi molles que du nougat. Il ne savait plus quoi faire et se demandait s’il n’était pas en train de rêver. Après quelques secondes où il ne se passa rien, elle esquissa un sourire, clignant doucement des paupières. Les joues du jeune homme venaient de changer de couleur, virant au cramoisi, à l’instar de celles de ses amis. Ils n’étaient adultes que depuis peu et les maigres aventures qu’ils avaient eu ne les avaient guère préparés à ce genre de chose. Elle inclina doucement la tête, se penchant vers une rose orangée pour en humer le parfum puis, d’un geste élégant, elle se redressa et se détourna lentement d’eux, se dirigeant vers les murs protecteurs de sa demeure. Sur le parvis, elle se retourna une dernière fois, le cœur du blond ratant un battement. Puis, elle entra, le jardin devenant bien plus fade aux yeux des jeunes adultes qui restèrent plantés là quelques longues secondes avant de reprendre leur marche d’un air rêveur.