Anarchie totale. C’est le terme que j’utilisais quotidiennement pour définir l’enfer. Bien que je me sois absenté plusieurs années, ici, rien n’avait changé, toujours le même genre de personnes, toujours la même ambiance, toujours le même système… Un changement dans ce bas-monde ne serait-il pas nécéssaire ? Je l'ignore et à vrai dire je m’en fiche totalement. Mais quand on y pense un peu plus, vouloir changer l’enfer, c’est vouloir changer les démons, or, cela est impossible. En effet, l’enfer est juste un lieu comme un autre qui a été victime de notre mode vie. Un simple reflet de ce que nous sommes nous autres les démons. Mais l’enfer était-il si déplorable qu’on le prétendait ?

J’étais dans ma demeure, celle-ci encore trop petite pour satisfaire mes attentes. J’avais bien l’intention de l’agrandir. Le regard pensif, rivé sur la pendule, un verre de vin à la main, je m’amusais à récapituler les choses que j’aimais en enfer afin de trouver l’équilibre avec tout ce que j’y détestais. Je songeais à l'immense manoir des Rekto que j’habitais autrefois. Je me souvenais qu’on y organisait parfois des fêtes en l’honneur des familles au sang-pur. Les grands buffets constitués d’ingrédients de haute qualité, la musique envoûtante ainsi que les interminables bals où l’on dansait avec de jolies demoiselles... C’était le bon vieux temps… Ces choses me manquaient, à présent je ne vivais plus là-bas, j’avais été banni comme l’on été tous les précédents Rekto avant moi. Je n’avais gardé qu’une chose de ce lieu : mon titre de noble que j’étais bien heureux d'avoir conserver.

C’est alors que mon domestique vint me sortir de mes pensées. « Monsieur, vous avez reçu une invitation pour passer une soirée entre sang-pur. Elle provient de Messire Yami Lorknight. » Je ne pus me retenir de sourire, je pensais justement, avec une certaine nostalgie  à ces célébrations et me voici invité à l’une d'elles. Qu’elle étrange coïncidence, presque trop étrange pour en être une. J’avais envie de penser qu’une quelconque divinité avait fait en sorte que mon souhait se réalise. Il y a très longtemps, j’avais brièvement rencontrer Yami et sa famille à un banquet mais cela c’était juste limité à de courtoises salutations. Mais peu importe, j’acceptai la demande avec plaisir, quelque que soit la personne qui m’y invite, j’avais juste besoin de revivre encore une fois cet instant. « Très bien, où se déroule-t-elle ? » Mon domestique connaissant mon impatience me répondit avec célérité. « Dans le manoir de Messire Lordknight Monsieur. Dans quatre jours. » « C’est entendu, je serai présent. Envoyez donc une lettre à Lordknight pour lui confirmer ma présence à son banquet. » « Oui Monsieur. » Je me levai, ouvris mon placard et inspectai mon immense garde robe. « Qu’est ce que je vais pouvoir choisir ?… » dis-je avec un sourire en coin.

C’était le jour J. Je m’étais habillé somptueusement à l’occasion de cet évènement. Tenue de noble, cape et masque de bal pourpre. J’admirais le rubis de ma bague qui luisait de mille feux. Avec une certaine satisfaction je dis « Je suis parfait comme ça. » Je n’avais bien évidement pas oublié mon épée, cachée sous ma cape, au cas ou la situation devrait dégénérer suite à un quelconque incident. Cette fois-ci, je n’emportai pas Kuromôri avec moi. Par le passé, il était encore assez petit et inoffensif pour qu’il m'accompagne mais à présent il était bien trop grand et agressif pour que je l’emmène avec moi lors de festivités. Je sortis alors de ma demeure et j'arrêtai un cocher avant de partir en direction du manoir Lordknight.

Après deux bonnes heures de trajet, j’arrivai enfin au seuil de l'attendu manoir. J’admirai l’architecture extérieure qui était particulièrement impressionnante. J’y voyais beaucoup de statues de femmes et plus rarement d'hommes dénudées, taillées et sculptées dans un marbre magnifique, qui représentaient pour la plupart des scènes érotiques en tous genres. Il était facile de deviner que ce Yami était probablement un démon de la luxure à en juger par son style architectural. Mais je n’avais encore rien vu. A peine eus je pénétré dans l’entrée, que je fus accueilli par trois haies de ravissantes jeunes filles qui me saluèrent et m’emmenèrent jusqu’à la grande salle. Ce Yami avait trouvé un excellent moyen d’accueillir ses invités. L’intérieur était encore plus beau que l’extérieur, on voyait que le tentateur s’était donné du mal pour faire resplendir sa maison. Tout semblait si… si parfait. Tant le sol luisant, les plafonds grandioses, le somptueux festin, les multiples décorations  et  encore mille autres choses... J’étais en admiration, cela faisait fort longtemps que je n’avais plus vu cela. C’est alors que j’aperçu un homme particulièrement charismatique avec une cicatrice à l’oeil gauche et qui fumait un cigare tout en discutant avec d’autres convives. Je me rapprochai un peu de plus près pour savoir de quoi ils parlaient et c’est alors que je compris que cet homme n’était autre que Yami Lordknight. Il fallait que je le remercie de m’avoir inviter à sa fête et de m’avoir offert un tel régal pour les yeux. Je m’approchai de lui et lui dis. « Messire Lordknight je présume ? Rekto Skiadram, enchanté de faire votre connaissance. Je tenais à vous dire que votre manoir est de toute beauté, je n'en ai jamais vu de si remarquable ! Mes sincères remerciements pour votre invitation. »

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J’esquissai un large sourire, qu’un tentateur me demande mon aide était un véritable honneur. Mais que désirait-il de moi ? En quoi mon aide lui sera précieuse ? Je l’ignorais mais je crus comprendre qu’il plaçait une certaine confiance en moi, je tâcherai, peut-importe sa requête, de ne pas le décevoir. Après tout, je n’avais rien à y perdre, au contraire, aider quelqu’un de plutôt bien placé dans la hiérarchie, bien qu’il m'était toujours difficile de le reconnaître, était toujours gratifiant. Je regardais le démon de la luxure saluer ses convives, avant d’en prendre congé pour se retirer dans ses appartements, quand soudain, un groupe de jeunes démones accoururent vers lui. J’assistai alors à un spectacle amusant et légèrement pathétique : les demoiselles, en larmes, le prièrent de leur accorder un peu plus de temps. Le Lordknight ne pu réfreiner un sourire et, avec un élan d’audace, il en embrassa une avant de lui adresser un regard envoûtant. Pendant un court instant, je pensai qu’il allait l’emmener afin de copuler dans un lieu secret, à l’abri des regards, mais rien de cela, il fit volte-face et s’enfonça dans un des couloirs interminables de sa demeure. Il s’avérait que  je ne connaissais pas encore très bien le caractère du tentateur. J’entrepris alors de visiter la totalité du manoir, afin de deviner ses différents goûts et pouvoir, à l’occasion, anticiper certaines de ses actions, si tel en fut le besoin.

Hors à peine eu-je le temps de parcourir cinq mètres qu’une voix m’interpella « Hé toi ! » Je lançai un rapide coup d’oeil en arrière pour pouvoir découvrir le physique gras, bouffi et répugnant de Bacchus Astiavi, troisième héritier de la famille Astiavi. Le démon puait l’alcool, de la sueur perlait à grosses gouttes de son visage et un filet de bave dégoulinait de sa bouche béante. Les Astiavi me dégoûtait, famille sang-pur de démons de la gourmandise, ils en étaient le parfait cliché. Eux, des sang-pur ? Laissez moi rire, il n’y avait rien de plus souillé que leur sang, altéré par des années d’orgies et de beuveries. Ils ne se lavaient pas, passaient leur temps à se goinfrer, à se saouler et par dessus tout, possédaient un véritable caractère de cochon. A mon sens, ils étaient représentants de la déchéance des démons au sang-pur. Aucun honneur, aucune fierté, aucun respect, aucun amour propre. Ils n’étaient pas dignes de figurer dans la race démoniaque, encore moins dans la caste des sang-pur. Ils étaient juste repoussants et ne méritaient ni respect, ni la moindre pitié. C’est pourquoi, j’ignorai complètement l’appel du démon de la gourmandise et je poursuivis ma visite.

Mais celui-ci, contrarié du peu d'intérêt que je lui portais, commença à s’énerver « Hé toi le rouquin ! Je sais que tu m’as entendu alors dépêche toi de venir à moi ! » Je me contentai d’ignorer pour une deuxième fois la sollicitation de l’Astiavi. Celui-ci, fou de rage hurla « JE T’AI ORDONNÉ DE VENIR ICI ! » et sous l’action de la frustration et de l’alcool, il jeta avec violence, dans ma direction et avec une précision plus que douteuse, la bouteille de vin qu’il tenait à la main. La bouteille explosa sur le mur à ma droite et quelques gouttelettes vinrent tâcher ma tenue et mon visage. Je sortis alors délicatement un mouchoir en soie de ma poche et essuyai minutieusement le vin sur mon visage. Je me tournai lentement dans la direction de l’Astiavi, le fixant d’un effroyable regard noir. Des voix s’élevèrent alors dans la salle « Encore un Astiavi qui fait des siennes… » « Mais ce ne serait pas le jeune Rekto ? » « Mais oui c’est lui ! Si vous voulez mon avis, je crois que Bacchus va regretter amèrement ce qu’il vient de faire... » Je m’avançai insensiblement, mais d’un pas décisif dans la direction du démon de la gourmandise. Celui-ci s’exclama alors « Alors tu vois mon petit ! Tu peux être obéissant quand tu le désires ! » Il commença à dégainer un rire rauque et agaçant mais il se tût sur le champ quand il vit qu’une aura rouge et noire se mit à envelopper ma main. Il croisa alors mon regard, il y voyait de la haine, une haine profonde ainsi qu’un dégoût indicible envers lui. Un frisson parcouru alors l’ensemble de son corps et celui-ci cessa net de transpirer. Il s’immobilisa, me regardant avec effroi approcher de plus en plus de lui. « Je … euh… Je… Je te prie de m’excuser. » Balbutia t-il. Mais je continuai d’avancer en sa direction « Pitié ! Je t’ai présenté des excuses ! » « Trop tard. » D’un geste vif et définitif, je posai brutalement ma main sur son torse. L’aura maléfique pénétra alors dans le corps de Bacchus. Un silence de mort s’installa dans la pièce. Les invités retinrent leur souffle, regardant avec attention la scène qui se déroulait sous leurs yeux. Quand brusquement, Bacchus fut foudroyé d’une intense douleur au ventre. Il se mit à vomir, encore et toujours plus, cela semblait sans fin. « Que… Que m’as tu fais ?! » Peina t-il à crier « Je t’ai tout simplement infligé le châtiment que tu méritais. Tu es condamné à régurgiter la nourriture dont tu as abusé toute ta vie. » L’Astiavi, pris d’un élan de douleur, tomba de sa chaise et s’écroula par terre. « Pourquoi ?! » s’écria t-il, à la limite de pleurer. « Je ne vais pas m’abaisser à t’en révéler la raison. Si tu veux une réponse, cherche la par toi même. » Bacchus s’accrocha alors vainement à ma cheville. Je fis une grimace, l’air écoeuré « Tu es pitoyable espèce d’empâté, tu n’es rien d’autre qu’une grosse larve aussi ventrue qu'inutile. Ton existence même est une insulte à ce monde. Hors de ma vue ! » Je donnai un coup de pied avec violence dans le visage du démon de la gourmandise, celui lâchant immédiatement prise pour tenir son visage en sang. Le public rit aux éclats et Bacchus fut littéralement humilié. Je dévisageai une dernière fois l’Astiati, étalé par terre, seul et moqué de tous, pleurant abondamment tout en vomissant les repas qu’il avait engloutis auparavant, avant de me retourner pour me diriger vers un des hommes de Yami.

Irrité par la situation précédente, j’abandonnai mon projet d’excursion et je m’adressai directement à l’un des majordomes « Vous désirez ? » « J’aimerais rejoindre le bureau de messire Lordknight, j’y suis attendu. » « Très certainement monseigneur, veuillez me suivre. » Je suivis le majordome pas moins de cinq minutes, alternant entre les pièces et les couloirs, avant de me retrouver devant une porte gardée par plusieurs esclaves. « Je vous laisse à présent. » déclara le majordome. J’acquiesçai de la tête et je toquai. « Entrez. » fit la voix du tentateur. Je poussai alors doucement la porte pour y rentrer et la refermai. Je fis alors une de mes plus belles révérences et je déclarai immédiatement « En quoi puis-je vous être utile ? »

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