Ne trouvez vous pas qu'il manque quelque chose ? me dit Nylh, une très vielle amie, et toute nouvelle patiente. Patiente, et malade, peut être bien en passe de basculer vers l'au delà, bien que le moment tant redouté soit plus qu'imprévisible. A vrai dire, je ne le savais pas, peut être les étoiles auraient su le prédire, elles, mais les seules choses que j'étais capable de déchiffrer étaient mes examens et calculs qui offraient à mon regret bien peu d'espoirs. Je ne lui disais rien, bien qu'à son regard, j'avais l'impression qu'elle lisait en moi tel un livre abandonné, reliure ouverte, sur le bord d'une table. Peut être un sourire, pour illuminer ce doux visage ? Ma voix était emplie de tendresse, rassurante, peut être apaisante. Je n'étais pas venue pour la plaindre, et ma réponse n'était pas celle qu'elle attendait, trop évidente, trop emplie de tristesse. Alors j'évitais, feignant de ne pas avoir remarqué que sa belle chevelure avait laissé place à un crâne presque glabre, parsemé de quelques rares filins dorés.  

Si vous deviez vous nourrir de bouillon de légumes matin et soir, vous seriez bien moins guillerette, ma chère Ortie.  J'entrais dans la chambre, bondissant sur le lit à côté de l'Orisha sans même lui demander le droit de le faire, et j'ouvris mon escarcelle, en sortant un sachet en papier plutôt bien garni. Heureusement, la dévouée camarade que je suis aura pensé à vous ramener un petit souvenir de la foire. Dis-je en lui tendant le sac. Mais Nyhl semblait blasée, blasée de me voir si heureuse. Un souvenir commestible ! Dis-je en ouvrant le sachet, lui proposant de jolis rochers de Weilua au chocolat.
Un faible sourire finit par trouver sa place sur le visage de Nylh, couronnant de succès la mission que je m'étais fixée en lui rendant visite. Quelle perle vous êtes ! Mais une perle agaçante... Car trop altruiste pour son propre bien.

Elle prit une confiserie, et on se mit à papoter, profitant des doux rayons de soleil qui filtraient à travers les vitraux de la chambre, la baignent d'une agréable lueur mauve. Je pris le temps de faire pousser de nombreuses plantes vivaces, aux pétales rose tendre organisées en amas très fournis, dont les bords irréguliers et cannelés donnaient l'impression qu'on aurait pu les manger aussi. Où avez vous vu de telles fleurs ? Je n'en ai jamais croisé. Je me mis à réfléchir, fixant l'environnement printanier que je venais de créer, sans réellement arriver à me souvenir de l'endroit où j'aurai pu voir cette espèce avant. Il me semble que cette espèce n'existe plus à l'état sauvage. Nylh me confia : J'en ai vu de semblables dans un livre de Sir Ranbuth, qu'il avait illustré, parmi une myriade d'espèces délirantes, et délicieuses à regarder. Si vous les voyiez dessinées, pensez vous possible d'en faire pousser de semblables dans ma chambre ? L'auteur confiais des propriétés surprenantes à certaines d'entre elles. Je me mis à froncer les sourcils, me doutant qu'elle devait avoir une idée derrière la tête. Nylh était après tout une demoiselle fort intelligente... Oui, probablement, mais je ne garantis pas d'arriver à copier les propriétés qu'elles présentent.  C'était en partie vrai, si je ne doutais pas de ma capacité à faire pousser une pomme comestible, je n'avais jamais tenté l'expérience avec une fleur aux propriétés magiques. Au fond des yeux de la demoiselle, je vis une étincelle qui ne m'avait pas été donné d'observer depuis un bon moment déjà : l'espoir.  Soit, je vais aller chercher le manuscrit, je suppose que ça ne coûte rien d'essayer. Le visage de l'orisha était radieux, traversé d'un sourire rosé encadré de fossettes.

Même si je doutais plus que fortement de ma capacité à apporter un remède à mon amie, une part de moi même, presque irrationnelle, ne pouvait s'empêcher d'y croire. Surement trop prise à parti, et pour m'occuper l'esprit, je me mis donc en quête du livre "Le Quatrième conte de Sir Ranbuth". Une employée de la bibliothèque d'Earudien m'envoya promener, me disant qu'ils avaient autre chose à faire que de retrouver dans leurs rayons un livre d'histoires pour endormir les enfants... Vu le peu d'intérêt fourni par cette elfe pour le dit ouvrage, je finis par me dire que ce n'était probablement pas le genre de littérature qu'ils auraient priorisé dans le sauvetage des "parchemins du temps" après la série de fâcheux incidents sur ce qui autrefois s'appelait le continent du matin calme.

Après un voyage en téléportation, certes, coûteux, mais plus sûr que les voies maritimes, je me rendis au continent trépassé -dont il ne reste plus grand chose, soyons honnêtes. Me mêlant aux travailleurs elfes qui récupéraient ce qu'il était possible de sauver des ouvrages, je fus autorisée à fouiller dans ce qui avait déjà été classé "sans intérêt". Les piles s'alignaient, présentant plusieurs milliers de reliures pour la plupart illisibles tant les bouquins avaient été malmenés. Peu m'importait, cette part irrationnelle de mon esprit empiétait désormais sur la part plus factuelle, et je me mis à chercher obsessionnellement, me provoquant une fausse joie à chaque fois que je découvrais un ouvrage de "sir Ranbuth" qui se révélait être un auteur très prolixe.

Mon entêtement finit toutefois par porter ses fruits, guidant mes mains frêles jusqu'à la couverture du dit "quatrième conte". M'emparant de l'ouvrage, je quittais les lieux, me dirigeant vers un endroit plus accueillant, un espace vert fréquenté par quelques personnes ça et là.  me mettant à l'ouvrage, je me mis à le feuilleter à la recherche des illustrations, décidée à m'exercer pour faire pousser les fleurs tant convoitées... Hélas, le livre était piégé, et à son contact j'eus l'impression de rapetisser, encore et encore, mes doigts restant collés aux pages du livre qui lui prenant de gigantesques proportions, se colorait... Jusqu'à ce que je "tombes" dans une illustration qui venait de prendre vie et corps.  

L'histoire avait pris vie, entraînant dans ses pages une autre demoiselle qui avait eu la malchance de se trouver là.

Dans un décor où tout semblait inversé, où les fleurs faisaient la taille de grands arbres, et les chevaux ne m'arrivaient qu'à la cheville, je fis la connaissance d'une jolie blonde, dont l'air déboussolé me fit comprendre qu'elle non plus ne semblait pas familière de toutes ces bizarreries. Suilad, Mellyn* ! Dis-je, presque soulagée de ne pas être seule. Elle n'avait pas l'air de comprendre... Puis je me souvins ! Après trois lunes à n'avoir parlé qu'Hygiel, j'avais oublié que le langage commun faisait foi dans les échanges entre différents peuples. En l’occurrence ici : Une oreille ronde. Hm... Navrée, bonjour. Vous... N'êtes pas d'ici non plus, n'est de pas ? Dis-je, avec un accent très présent, et une mine quelque peu inquiète.

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