Interroger les Esprits à propos du « Livre Sacré » n'avait rien donné de bien concluant. Certes, certains en avaient entendu parler mais la multiplicité des versions était telle que la Dame Rouge parvint à une évidence non difficile à trouver : il y en avait plusieurs. C'était forcé car, après tout, chaque Æther pouvait avoir le sien. Il fallait qu'elle réfléchisse autrement à la question. Pour la Démone, il ne faisait aucun doute que la personne qui avait soufflé l'existence de ce livre à l'Ultimage était la Déesse de la Vie. Le fait est qu'Aria connaissait le soutien de l'intéressée aux Ætheri. Pourquoi, alors, murmurer ces quelques mots à la représentante d'un peuple qui soutenait Sympan ? Était-ce un piège ? Là encore, elle ne pouvait en être certaine. Edelwyn était une femme complexe qui savait jouer sur deux tableaux différents. Pour connaître la finalité de ses paroles, il fallait savoir quelles étaient ses volontés. Quand bien même elle soutenait un camp officiellement, il n'était pas dit qu'elle ne retourne pas sa veste de temps à autre. Que voulait-elle au juste ? Quel était son objectif ? Plus elle y réfléchissait, moins la Collectionneuse arrivait à une conclusion logique. Y avait-il seulement un raisonnement derrière les faits de la blonde ? Rien n'était moins sûr. Le fait qu'elle aime valser avec le hasard n'arrangeait en rien la situation. Une femme aussi instable mentalement ne pouvait être percée à jour. Son intelligence aurait fait sa force si elle n'adorait pas la brider au profit d'actes totalement irréfléchis. Pourtant, était-ce le cas, actuellement ? Penser aux raisons qu'auraient les Dieux d'agir pour un Mortel était une perte de temps. Néanmoins, la Dame Rouge exerçait cette activité depuis des jours déjà. Elle connaissait bien l'intéressée pour avoir partagé son Âme jusqu'à ce que celle-ci s'élève. Le fait est que sa descendante n'était pas réellement une Déesse. Certes, elle s'était élevée mais elle restait bien trop attachée à ce monde pour être réellement un Æther. Là lorsque Naram-Sin l'avait mise en garde, elle se souvenait particulièrement de ce sentiment de défi qui avait empli le cœur de celle qui était faite de la même matière que les rêves. Quoi qu'il en soit, Déesse ou non, sa façon de procéder rester complexe à déchiffrer. Néanmoins, Mitsuko devait faire des choix dans ses théories ; sinon elle ne pourrait trouver de pistes. Elle partit donc du postulat que si Drejtësi avait murmuré à l'Ultimage quelques mots sur un livre sacré, c'est que ce dernier devait concerner les Magiciens. Cela ne l'avançait guère beaucoup mais cette piste réduisait au moins légèrement les possibilités. Puisqu'elle ne possédait plus les livres du Manoir Taiji, elle devrait trouer une autre source de savoir. C'est de cette manière qu'elle se retrouva à Basphel, ayant pour idée de visiter la grande bibliothèque d'Avalon ou les Parchemins du Temps par la suite si elle ne trouvait rien. Le fait est qu'en tant qu'intervenante à l'école, elle possédait tous les droits de regard sur les ouvrages présents. Il y avait autre chose qui pourrait l'aider dans la cité école également : le siège du groupe Tyr.

Alors qu'elle marchait dans les couloirs, ayant choisi une heure où la plupart des étudiants étaient en cours, elle croisa pourtant un groupe de filles qui se mit à la fixer avec insistance. La Dame Rouge arrêta sa marche. « Qu'y a-t-il ? » demanda-t-elle, pensant vaguement qu'il commençait à être agaçant de toujours avoir à tirer les vers du nez de ses interlocuteurs. « C'est vrai ce qu'on dit ? Que les Démons ont changé de camp ? ». Une autre prit la suite. « Est-ce vous qui avez fait pencher la balance ? ». Mitsuko aurait bien répondu par l'affirmative afin de créer toutes sortes de rumeurs sur le Monarque et son incapacité à régner correctement mais, à vrai dire, sa réponse fut toute autre. « N'êtes-vous pas en retard en cours jeunes filles ? » fit-elle d'un air tout à fait sérieux, presque tranchant. La politique de Basphel n'avait pas été mise en place pour rien et quand bien même durant les cours qu'elle donnait, elle exposait les différents points de vue, et le sien lorsque cela faisait sens, elle ne pouvait pas répondre à ce genre de questions qui attiserait la haine et les clivages au cœur de l'établissement. « Allez-y ; vous n'aimeriez pas être retenues à mes côtés, je vous le promets. ». Avec un sourire malin, elle fixa les étudiantes jusqu'à ce qu'elles disparaissent au détour d'un couloir. La décision de Zane l'arrangeait en réalité. Elle n'était plus qu'une ennemie politique... et encore, pour l'instant, officiellement, elle ne faisait rien de trop compromettant.

783 mots

« Hum... ». Les rayons étaient on ne peut plus étendus. La Dame Rouge soupira. Elle avait beau se trouver dans la partie qui traitait de la religion, les tendances polythéistes des Terres du Yin et du Yang ne lui facilitaient pas la tâche. L'Archimage Eorane devait en savoir plus sur le Livre Sacré. Le problème c'est que si l'Ultimage était venue la trouver elle, et personne d'autre, c'est qu'elle souhaitait sans aucun doute que le secret de l'existence de cet objet persiste dans l'esprit de son entourage. Activant sa magie, elle croisa plusieurs étudiants qui avaient rejoint le monde des morts depuis un certain temps déjà. Les livres qu'ils tenaient dans les mains n'existaient plus depuis bien longtemps. Un garçon et une fille la fixaient d'une manière froide. Elle s'approcha d'eux. « Je sais que vous savez quelque chose à propos de ce que je cherche. ». La fillette sembla sur le point de lui répondre mais le garçon l'attrapa par l'épaule, bougeant la tête de droit à gauche pour lui interdire de parler. La Collectionneuse devait bien admettre qu'il y avait des êtres en ce Monde contre lesquels elle ne pouvait rien ; ou presque. Les Esprits en faisaient partie. Les Morts n'avaient que faire des menaces. Ils aidaient les Vivants qui avaient le privilège de les apercevoir parfois, mais ce n'était pas systématique. Les Esprits Parasites étaient plus facilement manipulables car ils aspiraient encore à la gloire et la puissance. Les autres avaient des vœux parfois mais Aria n'était pas une Chamane. Ce qu'elle pouvait faire pour eux était bel et bien limité. Aussi, elle n'était pas certaine de vouloir donner de sa personne simplement pour contenter les fantaisies de l'Ultimage. Néanmoins, le fait que les informations sur ce fameux livre se fassent rare ne pouvait signifier que deux choses pour elle : il n'existait pas et Drejtësi avait décidé de la détourner de la tuerie des Taiji qu'elle avait entrepris ou il existait bel et bien et sa valeur était significative. La blonde avait-elle menti ? La question fut vite résolue dans l'esprit de la Dame Rouge qui referma cette possibilité. Cette histoire la ralentissait, certes, dans son entreprise mais elle ne l'arrêterait pas. Légèrement agacée par les tourments que la Déesse lui causait indirectement, ses yeux fixèrent de nouveau les enfants. « Sachez que si vous ne me le dites pas, je finirai par le savoir ; tout comme votre identité. Il se pourrait aussi que je connaisse quelques Chamans qui pourraient vous enfermer dans un corps le temps que je me venge de l'affront que vous me faites actuellement. ». Les menaces ne marchaient jamais mais elle ne pouvait s'empêcher d'essayer. Il y avait quelque chose d'étrange. Le garçon ne voulait pas parler mais la fillette, qui devait être sa sœur, ne semblait pas de cet avis. Ses yeux se détournèrent dans un léger mouvement jusqu'à atteindre une femme qui, visiblement, travaillait à la bibliothèque depuis de longues années. Cheveux grisâtres, dos légèrement courbé, elle avait pourtant deux grandes ailes noires qui trônaient fièrement dans son dos. Les lèvres de la fillette bougèrent silencieusement afin que son frère, derrière elle, ne voit pas ce qu'elle faisait et la Démone put y lire plusieurs choses. La première était qu'elle appartenait à la race des Magiciens de son vivant ; contrairement au garçon qui était un Sorcier. La deuxième était que la bibliothécaire savait mais qu'elle ne parlerait qu'en fonction de ce que la Dame Rouge lui dirait. Ces révélations muettes la confortèrent dans sa position. Prenant un air contrarié elle déclara. « Bien, puisque vous ne voulez rien me dire, je n'ai d'autre choix que celui d'aller demander aux Vivants. Nous nous reverrons très vite. ». Avec un regard méprisant, elle tourna les talons, se dirigeant vers la femme qui se tenait là. Elle devait agir de façon adroite. Il n'était pas question de se tromper. « Bonjour. J'aurai besoin d'un renseignement s'il vous plaît. ». D'un air pincé, la « vieille » se mit à la regarder des pieds à la tête. Visiblement, la prestance de la Démone avait un effet étonnant sur cette dernière. Aria sourit néanmoins. « Je sais ce que vous vous dites. Qu'est ce qu'une femme comme moi fait dans cet endroit ? La réponse est simplement que j'aimerai m'instruire. Vous êtes une Déchue n'est-ce pas ? Si vous prenez cette apparence âgée, sans doute est-ce parce que vous pouvez vous le permettre. Vous devez être une très belle femme en réalité mais, sans doute que, comme moi, vous avez un goût plus prononcé pour la connaissance que pour les regards insistants des hommes qui ne pensent à vous que comme un morceau de chair à se mettre sous la dent. ». Elle marqua une légère pause, sachant parfaitement qu'elle avait raison. Les Déchus avaient la possibilité de changer d'apparence comme ils le souhaitaient. Si cette femme avait décidé de paraître laide, malgré le charisme qui se dégageait d'elle, il devait y avoir une raison. Quoi qu'il en soit, ce n'était pas sur cette corde sensible là que la Dame Rouge allait tirer, bien qu'elle ait déjà initié le processus. « Seulement, contrairement à vous, je ne suis qu'un corps dénué de cervelle. Je vous envie beaucoup en réalité. Je vous ai observée longuement et je ne peux m'empêcher de vouloir vous ressembler. Vous semblez si parfaite et avez décidé de passer le pas d'une mutation que je n'ose franchir. Aussi, si j'en appelle à vos services c'est que je suis convaincue qu'un esprit comme je suspecte être le vôtre doit tout savoir sur le sujet qui m'intéresse. ». La Collectionneuse sut qu'elle venait de faire mouche. Son interlocutrice remonta ses lunettes sur l'arrête de son nez avec un petit sourire satisfait. « Vous avez raison. Peu d'individus peuvent se vanter d'être aussi parfaits que je le suis. Que vous faut-il ? ». Bien évidemment. « Des informations sur un livre qui se fait appeler le Livre Sacré et qui aurait un lien quelconque avec les Magiciens. ». « Hum... Laissez-moi réfléchir... ».

1013 mots

« Voici les deux seuls livres qui pourront vous aider. ». La Déchue sourit une dernière fois dans une expression de supériorité. La Dame Rouge connaissait bien les Orgueilleux. Elle l'avait été il y a peu. À présent, elle se savait à la hauteur de ses prétentions et se fichait bien de prétendre à quoi que ce soit. Cependant, le mystère que constituait le Livre Sacré était grand. Les Esprits ne voulaient toujours rien lui révéler de probant et elle se doutait, quelque part, qu'Edel avait fait en sorte de ne pas lui faciliter la tâche. Soit. Elle finirait par trouver. Les ouvrages en main, elle se dirigea vers une table abritée par plusieurs rangées de livres divers et variés afin de les étudier. Elle passa des heures à essayer de lire entre les lignes des feuilles calligraphiées et à relever les éléments qui étaient semblables ou distincts. Elle espérait, ainsi, perdre beaucoup moins de temps même si rien n'était particulièrement clair dans ce qu'elle lisait. Heureusement, la langue employée n'était pas celle des Magiciens ; un vieux dialecte qu'elle n'aurait su traduire. L'intervention de la Magie Bleue dans le processus semblait pourtant nécessaire à bien des égards. Il n'était pas réellement question de Mages Blancs. Forte d'une mémoire presque absolue, elle retenait sans la moindre difficulté chaque ligne parcourue. Cependant, ce n'était pas tant ce qui était écrit qui comptait mais bien un sens caché et plus subtile. Ce qui commençait à se dessiner dans son esprit était une sorte d'énigme qui ne pourrait être résolue qu'en suivant un ordre bien précis. Une erreur serait fatale car elle romprait la magie à l'œuvre et la Dame Rouge devrait recommencer la procédure du début. Les livres ne donnaient pas toutes les indications, loin de là. L'un d'eux citait le nom d'un Enfant de Sympan dont elle n'avait jamais entendu parler. Puisque l'ouvrage semblait ancien, celui-ci devait être mort à l'heure qu'il était si on suivait la logique. Cela dit, Drejtësi avait une logique chaotique. Si ce nom était ici, ce n'était pas pour rien ; de la même façon que l'agencement des mots étaient importants. La Collectionneuse soupira après un certain temps. Edel jouait avec elle, cela ne faisait plus aucun doute. Elle se demandait sérieusement quelle folie celle-ci lui ferait exécuter à l'avenir. Sa descendante devait trouver la situation amusante. Elle savait qu'elle voulait récupérer le Livre Sacré pour l'Ultimage, qu'elle n'abandonnerait pas et en profiterait sans doute pour la faire courir absolument dans tous les lieux les plus reculés des Terres du Yin et du Yang pour son plaisir personnel. « Bien. » fit-elle pour conclure son long entretien avec les livres. Elle avait pu les parcourir en long, en large et en travers mais sa tâche à Basphel n'était pas terminée pour autant : elle devait récupérer le troisième à présent. Elle changea donc d'apparence.

Cheveux bruns, yeux verts, elle avait troqué son habit rouge contre une cape à capuche de la même couleur que ses mires. C'était ainsi qu'était écrit l'épreuve. Celle qui saura troquer son apparence contre celle de Mœlune et qui susurrera, proche de la serrure qui ne s'ouvre pas, des mots acerbes sur les Grands de ce Monde, pourra entrer dans la pièce interdite. Là, elle trouvera le troisième volume, en même temps que les bruits chuchotés courront sous toutes les plumes. Mœlune était l'un des personnages secondaires d'une suite de romans, écrits par un illustre inconnu. Son rôle dans les livres étaient de colporter des nouvelles et autres rumeurs énigmatiques afin d'aider les héros dans leurs quêtes. C'est donc sous ses traits que la Démone marchait dans les couloirs, cherchant la porte qui la mènerait dans la fameuse salle. Le plan était précis, ce qui arrangeait grandement ses affaires. Concrètement, si ce n'était pas pour l'amour qu'elle portait à l'Ultimage, jamais elle n'aurait accepté de perdre son temps de la sorte. Arrivée devant la fameuse serrure, elle se baissa doucement pour laisser échapper de ses lèvres un venin duquel, elle en était certaine, les intéressés se remettraient. « Il est dit que Zéleph Shizuo Stark est en réalité impuissant et que les enfants qu'il croit être les siens ne sont en fait que les bâtards de Cocoon Sforza, l'Orishala. ». Elle attendit, constatant qu'il ne se passait rien. Elle se demanda si, tout comme Mœlune, ce qu'elle disait devait être véridique. Elle soupira puis chuchota. « Il est dit que l'Ultimage désire le Monarque Démoniaque. Elle serait même prête à abandonner ses fonctions et à fuir avec lui s'il le lui demandait car le mal l'excite. ». Un petit bruit se fit entendre et la porte s'ouvrit. Ce n'était pas si compliqué, après tout.

783 mots