Neah relu la lettre qu'il tenait entre ses mains, son coeur battant et ses doigts tremblants. Ce n'était pas de la colère, mais l'émotion était vive quant à la teneur des mots employé avec soin. Il reconnaissait Mancinia au travers de chacun d'entre eux, mais l'Ange Gardien qui l'était reconnaissait aisément que son caractère impérieux avait cessé en sa présence depuis le Bal d'Encens. Elle demeurait toujours aussi imprévisible, mais sa manière de s'exprimer avait changé. Son attitude était plus douce, ses mimiques toujours aussi craquantes et embarrassées. Il n'y avait que lui pour connaître cette facette de sa personnalité. Était-ce à cause de leur lien ? Peut-être, quant à déterminer sa teneur, il n'en était plus certain. Était-ce le devoir qui l'unissait à elle ? Ou bien était-ce ce sentiment galopant qui étreignait son corps lorsqu'il la voyait, lui parlait ou songeait à sa personne ? Il lui avait fallu attendre ce matin-là pour comprendre. Attendre de la voir apparaître pour comprendre l'amour qu'il lui portait. Ce sentiment dévorant, agréable et magnifique qui lui serrait l'esprit en sa présence avait laissé place à un vide glacial. Reposant la missive sur une table lustré et reluisante, il mit sa main sur l'autre objet trônant à ses côtés. L'Ange caressa doucement la reliure en cuir de l'ouvrage que Grégoire lui avait confié autrefois, écrit en Alikir, la langue des Humains.

Neah comptait l'offrir à Mancinia, espérant qu'elle ne l'a pas lu auparavant, comme cadeau après toutes ces épreuves affreuses vécues loin l'un de l'autre, mais il n'avait pas eu le temps. Il ne l'aurait sans doute plus. Qu'est-ce qu'il lui avait pris de s'enfuir ainsi ? Elle en avait perdu sa confiance légendaire en le regardant, les larmes aux yeux. Et maintenant, cette lettre manuscrite de sa Protégée qui lui demandait du temps. Le temps de se faire à ce nouveau lui, le temps de peut-être évoluer de son côté. Mais en quoi avait-il changé ? C'est elle qui s'évertuait à le rendre fou ! Lui qui avait fait tant d'efforts pour être à sa hauteur, la protéger. Lui qui avait tout fait pour l'aimer comme elle le méritait. A cet instant, tout était si parfait, qu'est-ce qui avait dérapé ? Qu'est-ce qu'il avait dit ou fait qui lui avait tant fait peur ? Il avait été pris au dépourvu durant la Cérémonie, mais la douceur dont elle faisait preuve dans cette lettre le rendait cynique et désagréable. L'Ange eut envie d'y répondre dans l'instant, mais il craignait de brusquer sa Protégée ou de la voir se refermer sur elle à nouveau. De la perdre. Neah n'avait pas envie de la voir disparaître de sa vie, mais il n'avait pas envie de rester dans son coin à attendre que mademoiselle se décide. Mancinia était indécise dans ce genre de décisions importantes, comment pouvait-elle espérer gravir les échelons dans l'état actuel des choses ?

D'un geste sec, il déchira la lettre et la fit tournoyer dans les airs avec ses pouvoirs, l'obligeant à se disperser aux quatre vents, au dehors de sa demeure. Son visage traduisait l'ennui, mais une tempête faisait rage dans son esprit. Il ne pouvait pas rester ainsi ou il risquait de perdre l'esprit. Ou pire encore. Et personne ne le voulait et il sorti prendre l'air pour se changer les idées. Descendre vers la vie trépidante de la Capitale. Qu'allait-il faire ? Il l'ignorait. Peut-être se rendre dans son restaurant favori ? Non, il n'avait pas le coeur de manger en solitaire. Est-ce que Mancinia viendrait avec lui dans cet endroit, une fois ses doutes dissipés ? Peut-être. L'espoir faisait vivre. Comme à son habitude depuis de nombreuses semaines, la Citadelle Blanche retrouvait sa bonne humeur malgré tous les dégâts que la ville avait subie récemment. A croire que les Anges avaient pris la décision de se battre avec le sourire. Une pause au creux de tous ces sombres événements. Sortir dans toute cette ambiance festive n'était peut-être pas si intéressant. Il tranchait avec son regard d'une tristesse absolue et son corps qui ne demandait qu'à rester dans son coin et de se laisser couler. C'était peut-être ce qu'il allait faire et il s'assit sur le premier banc à sa portée. L'Ange enferma son visage entre ses mains. Toutes ces pensées désagréables, il avait envie de les oublier. De les détruire.

Oublier ce qui l'entourait, son monde, ses sentiments. Et ne voir qu'un ravissant sourire du Soleil et des vents imprévisibles à ses côtés. Voir Mancinia et la prendre dans ses bras pour ne plus la relâcher. Au fond, lui aussi était indécis. Aucun des deux ne savait s'ils s'aimaient ou s'ils se détestaient...

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