C'en était fini. Neah était convaincu qu'il n'y aurait plus de combats entre son peuple et celui des Engeances, malgré toutes les monstruosités qu'ils avaient commises, une paix provisoire venait d'être établie. Elle était tout aussi instable que les précédentes, mais Mancinia avait eu raison. Il y avait un nouveau conflit et de nouveaux enjeux. Mais le partage de leurs croyances n'était pas une raison pour épargner ces hideuses créatures. Un partage qu'ils avaient trahis en choisissant de tourner leurs vestes en faveur de l'Unique. En quoi était-ce surprenant ? Trahir était dans leur essence. Pourtant, ses avertissements n'avaient pas suffi et son Humaine bien-aimée avait épargnée le pire d'entre tous, désormais ravi de s'asseoir sur le trône des Péchés. Il n'osait pas croire être en partie responsable de cet immense gâchis, pourtant, Neah était prêt à tout pour le réparer et il savait, au plus profond de lui, que la jeune femme ferait de même avec plaisir. Peut-être que c'était ce qu'elle attendait ? Ce que tous attendait ? Dans ce cas, pourquoi l'Élu des Cieux ne faisait-il rien pour venger ceux qui avaient péri ? Gilgamesh avait-il raison quant à la couardise de ce dernier ? Il n'en demeurait pas moins leur souverain, mais il n'en demeurait pas moins que nulle victoire n'était à fêter, son combat à Stenfek avait été une défaite cuisante, celui de Mancinia, une brillante réussite.

Aucun des deux n'avaient eu envie de célébrer l'événement, parce que les héros, eux, étaient morts. Sur ce point, les deux guerriers étaient d'accord. Au moins, elle était en vie. Elle avait survécu et il pourrait la serrer dans ses bras. Il devait être conscient de sa chance. Il devait graver dans sa mémoire la scène qui se déroulait devant lui, ici dans la petite lande qui longeait les murailles. Un grand feu brûlait, alimenté par la chair et les os des victimes tombées au combat et dont les corps avaient été rendus. Ce n'était pas possible de tous les enterrer ici. Chacun observait ce bûcher funéraire dans un silence religieux, les uns tentant d'étouffer les cris de leur chagrin tandis que les autres, le regard tourné vers le ciel, priait les Aetheri de leur venir en aide. Neah n'avait plus réellement la foi envers la sérénité. Seul un autre sentiment traversait son âme. Seule une phrase trouvait sens. Si Luftë le veut. Pourquoi ? Car il était nombreux, comme lui, à s'être arrêté devant une Ange pleine de fougue. Debout sur la fontaine, elle s'était adressée à tous ceux qui voulaient bien écouter ses paroles.

— Excusez-nous de vous avoir convoqué au beau milieu de la journée sans vous donner aucune indication.

Elle avait fermé les yeux avant de les rouvrir, plus convaincante.

— Cependant, vous vous doutez que nous ne serions pas venus vous déranger dans vos activités quotidiennes s'il ne s'agissait que d'une broutille. Depuis une semaine environ, vous n'avez pas pu ignorer les rumeurs qui courent. Afin de mettre fin à la crainte prenant possession de nos rangs, nous avons décidé de mener une excursion qui, vous le devinez, n'est pas actuellement prompte à accueillir des inconnus, des voyageurs, et encore moins des personnes ayant de mauvaises intentions envers notre Cité.

Elle croisa les bras.

— Cette mission n'est pas des plus aisée, mais cet endroit a été créé par le Grand Héros afin de nous protéger, ainsi je ferais ce qui lui a été demandé de faire si l'expédition devient trop dangereuse. Détruire ce qui se dresse sur notre chemin.

Une petite clameur s'était élevée dans l'attroupement et Shayla avait mis toute son âme à les guider. Aucun d'eux n'avait reçus des ordres, ce n'était qu'à titre personnel que cette troupe guerrière avait commencé à vouloir marcher vers leurs ennemis.

L'Ange détourna son regard des bûchers funéraires. C'était l'heure. Tant que l'on savait tenir une arme et qu'on n'avait pas peur de remettre à leur place des races dont l'existence n'était qu'aberration, on était le bienvenu. Et il n'allait certainement pas refuser cette opportunité.  Depuis que qu'il était resté prisonnier plusieurs jours au sein d'un Temple d'Édel, à Räska, il ne pouvait plus tolérer la présence de ceux vénérant un Dieu Sanglant. Lorsqu'il s'était rendu à Caelum pour sortir Mancinia de potentiels assaillants, il avait bien vu l'horreur que ce prétendu Dieu-Roi voulait répandre. Une chance dans cette intéressante histoire, c'était que les Déchus avaient choisi de se rallier à l'idéologie de Sympan. Des ratés jusqu'au bout, même dans leurs croyances...

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Comment un endroit aussi charmant pouvait-il appartenir aux Déchus ? C'était tout bonnement inconcevable. Neah serra le poing, craquant ses doigts sous la manoeuvre. Il avait beau suivre le rythme de son groupe depuis plusieurs journées, il avait surtout l'impression d'être plus endurant que certains d'entre eux. C'était étrange. Avait-il à ce point changé ? Au moins, ses convictions étaient immuables et il était persuadé de suivre le bon chemin, car on murmurait aussi que des Déchus venus d'Avalon n'hésitait pas à attaquer des Humains sans vergogne, mais aucun des deux monarques ne semblaient avoir envie de régler la question. Eux, ils n'allaient pas se gêner pour rappeler à ces déchets où était leur place. Ce conflit l'attirait à lui, submergeant sa conscience. Repoussant cette fatigue qui assaillait son corps depuis un moment trop long pour lui, Neah se replongeait dans la bataille, plus enhardi que jamais. Il détruirait ce Mal quoi qu'il lui en coûte, de sorte qu'il n'en reste plus une fibre dans le coeur des habitants de ces terres. Jamais il ne laisserait les ténèbres dévorer cruellement la douce lumière. Jamais. Ils poursuivaient leur marche dans la végétation, essayant de cacher dissimuler leur progression. Le sol était boueux suite à une pluie récente, Neah descendit une pente avec précaution, sachant à quel point ce type de terrain pouvait être traître, surtout si les chemins étaient rocheux et glissants.

Un rassemblement de constructions en bois et en briques, des chaumières perdues dans une position qui ne se voulait ni stratégique, ni défendable, cerclé de haies de cèdre, unique protection face aux créatures rôdant dans les bois, le hameau existait en parfaite harmonie avec la nature. Néanmoins, l'observation pouvait se faire de loin dans les plaines et dans les hauteurs. En clair, ils seraient attendus s'ils sortaient de leur cachette.

— Nous attendrons la nuit, dit Shayla.

Malgré la menace et la nervosité ambiante, tout était paisible, comme figé. Parfois se faisait entendre le craquement d'une branche pliant sous l'effet du vent et à nouveau le silence. Neah était aux aguets, prêt à en découdre avec le premier qui essayerait de les prendre à revers.

— Je ne me sens pas très à l'aise avec cette mission, confia une personne à sa droite. J'ai l'impression de trahir mon Roi et ma bien-aimée.
— Si tu es uni à quelqu'un, tu dois bien deviner que c'est la seule possibilité pour toi de la défendre, non ?
— C'est...Non.
— Non ? demanda-t-il, interloqué.
— Avoir un lourd passé ne signifie pas que l'on soit obligé de se tourné vers un sombre futur.
— Cela t'arrive souvent de dire des choses dénuées de sens ?
— Je dis cela pour toi.

Neah arque un sourcil.

— Les yeux sont les fenêtres de l'âme et quand bien même tes lèvres sont closes, ton regard est bien bavard et en dit bien assez.
— Et que dit mon regard alors ?
— Que tu es ampli d'un certain désir.
— Et ? demanda-t-il d'un air blasé. Je n'ai pas le droit d'avoir des désirs dans ma vie ? Ni d'ambitions, ni rien ?
— Comme objectif.
— C'est la même chose.
— Non, trancha l'autre.
— Et en quoi est-ce différent dans ce cas ? maugréa l'Ange.
— As-tu un but ? Car ce dernier est ce que l'on veut faire, ce que l'on veut léguer au monde lorsque l'on disparaîtra. C'est ce que l'on veut faire pour se dire que l'on a pleinement accompli sa vie. Un objectif n'est qu'une étape facultative, qui certes peut servir au but, mais n'est en aucun cas la seule et unique direction que doit emprunter la vie. Imaginons qu'un homme perde les siens, dont la femme qu'il aime plus que tout face à un puissant adversaire. Il jure de prendre sa revanche, de se venger avec la grâce de Luftë. Cet homme s'entraîne nuit et jour afin de devenir le meilleur combattant des siens, jusqu'au jour de l'affrontement final. Et là il y arrive enfin, mais il se pose un problème de taille.

Son regard semble le transpercer de part en part.

— Que fera-t-il si son adversaire est vaincu ? Si la vengeance était son but, alors il pourrait mourir ainsi avec la joie et le sentiment d'avoir fait quelque chose de sa vie, mais lorsque l'on regarde bien, a-t-il réellement accompli quelque chose ? Rien. Peu importe que sa vie s'achève avant ou à la suite de sa vengeance. Rien n'aura changé. Que fera-t-il de sa force si durement acquise ? Deviendra-t-il le nouvel ennemi à combattre ? Sera-t-il la cible du courroux d'un autre ? Là, les réponses sont nombreuses, car elles représentent toutes un but. Un vrai but. Celui de la vie une fois accomplis se suffit à lui-même, il n'a pas besoin d'un but remplaçant pour donner une autre direction à la vie.

Neah ravala difficilement sa salive. Que pouvait-il répondre à cela ? Il avait la vague impression d'être dos au mur.

— C'est un peu...
— Tout est possible, avec un peu d'astuce et de volonté, le problème n'est jamais de réussir ce que l'on veut, le problème et de savoir ce que l'on veut vraiment.
— Pourquoi me parler de cela ?

Étrangement, Neah avait l'impression d'avoir compris que se venger sur les Déchus ne ramèneraient aucun des leurs. Au contraire, cela nous tueras tous et aurait sans doute un impact conséquent sur leur avenir. D'instinct, le guerrier fronça les sourcils.

— Toi...Qui es-tu ? Et qui t'envoie ?

Cet inconnu n'eut pas le loisir de lui répondre qu'une volée de pics lui passa au-dessus de la tête, fichant l'un d'entre eux sur un arbre. Mort. Une attaque de nuit, certes, mais pas par des Déchus, mais de Démons isolés en ces territoires.

L'autre claqua sa langue contre son palais.

— Trop tard ! Il va falloir défendre nos vies !
— Sale Emplumé !

A cette insulte, Neah réagit dans l'instant en faisant un demi-cercle de ses pieds pour abattre son fauchard sur la gorge du malavisé. Elle ne fût pas aussi rapide qu'escompté, mais il parvint à toucher sa cible. Sa force parvint à arracher d'un coup la tête.

— Retourne dans les limbes ! répliqua-t-il dans l'instant.

Le sang démoniaque se rependait dans l'herbe verte. Ce noir de jais se mêlait à celui des Anges qui tombait autour de lui. Chacun animé par une volonté propre, mais finalement soumis aux impératifs de repoussé les ennemis qui s'abattaient sur eux dans l'obscurité. Shayla dû se rendre à l'évidence que son plan avait échoué lorsqu'une troupe de Démons les prit d'assaut en les voyants, depuis les hauteurs. Ce fut lui qui se lança vers un ennemi au hasard, contrairement à ses habitudes, avec la rage au ventre. Le Démon attendait qu'il arrive à son niveau, sa masse d'arme étant déjà préparée à frapper. A quelques mètres, en pleine course, l'Ange utilisa ses nouvelles capacités pour déstabiliser son ennemi. Ce dernier ne s'y attendait pas et fut obligé de faire un mouvement le mettant en position de faiblesse au moment où le guerrier arriva sur lui. Cette ouverture lui permit de frapper à l'arrière du genou de son adversaire, dans la fente de son armure. Cette attaque arracha un cri de douleur à la créature qui répondit par un coup de masse désespéré. Le Démon rata son attaque et la proximité ne lui permit pas de riposter avant d'avoir la gorge transpercée par le fauchard de Neah. Ce combat fut difficile, mais c'est presque avec plaisir qu'il vit le corps inerte s'affaler sur la poudreuse salie. Ceci était une semi-victoire. Une fois le nettoyage effectué, ce dernier remit son arme dans son fourreau.

— Bien, il est temps pour moi de partir.
— Un instant !

Le soldat leva sa main pour le faire taire.

— Je suis sûr que le Destin nous fera nous rencontrer de nouveau, d'ici là cherchez votre but. Le vrai. Et ne tombez pas dans les pièges tendus, quand bien même ce sont ceux de vos proches.