Il faisait chaud. Trop chaud. Mwayer était en train d’écumer les ruelles du premier plateau de Drosera, comme à son habitude lorsqu’il n’avait rien à faire. Ses pérégrinations l’avaient emportées à l’ouest du plateau. Il voyait des maisons qui ressemblaient plus à des baraquements qu’à des lieux de vie. Il y avait des outils de minage posés cà et là et les gens cultivaient une moue triste. Chaque fois qu’il croisait quelqu’un, il lui décochait un regard plus méchant, plus sombre que sur le reste du plateau.

Aujourd’hui, les gens de Linaewen ne travaillaient pas, ni le reste de la ville. Les plateaux commençaient à affluer en direction du centre de la basse-ville afin de participer à l’annuel concours d’art qui se tenait sur la place. Depuis qu’il était petit, il n’avait pu exercer son souffle que sur d’infimes dessins faits au mur. Il avait ainsi offert des bijoux à sa mère ou créé de quoi s’amuser lorsque l’argent manquait.

Un son de cor retentit.

Très vite, Mwayer prit dans sa main le pinceau qui était toujours dans sa poche et courut en direction de la place principale. Il bouscula plusieurs dizaines de personnes, mais cela n’avait aucune importance, cette année, ce serait son souffle qui gagnerait. Il avait travaillé, pré-conçu, imaginé trois toiles exceptionnelles qu’il pourrait faire dans le temps imparti.

« Peuple de Drosera… »

La voix du crieur se résonnait contre les plantes qui avaient été modelées aujourd’hui de telle sorte que l’annonce serait entendue par toute la ville. Les ronces étaient devenues conque et le son se répondait en continu jusqu’à ce qu’il ait parcouru chaque Alfars jusqu’aux trônes du Dahlia Noir.

« Aujourd’hui se tient le concours d’art annuel de Drosera. Comme vous le savez les règles sont les suivantes… »

Il courut de plus belle, même si pour cela il dût s’épuiser, il était hors de question qu’il rate le début.

« Aucun matérieu n’est autorisé à la base, vous trouverez sur la place tout ce dont vous aurez besoin. Vous avez trois heures pour nous montrer quelle peut être votre plus belle œuvre qui devra être animée par le souffle avant que la cloche de fin ne retentisse. »

Ce fut à ce moment-là qu’il arrive sur la grand-place qui était bondée. Tout le monde avait le regard rivé sur les participants qui étaient alignés, le regard fier et dur.

« Alors si personne d’autre ne souhaite se présenter, je déclare le…»

« Moi ! »

Les têtes se tournèrent d’un même geste en direction du gamin qui était au-dessus de la place et qui venait de crier.

« Je participe ! »

Il sauta le plus loin possible et atterrit sur la place en se faisant terriblement mal à la cheville. Marana qui était postée un peu plus haut avec les gens qui regardaient le concours ne put s’empêcher de soupirer un grand coup. Au moment où le jeune Alfar arriva, claudiquant au milieu de la place où les participants se tenaient il entendit, en plus des murmures, une voix venue d’un peu plus loin.

« Tu vas te faire bouffer, p’tit gars. Méfie-toi… »

Mwayer prit le temps de défier son regard et se saisit de son pinceau fermement.

« D’autres personnes souhaitant interrompre le bon déroulement du concours pour faire du zèle ? »

Des rires de la foule.

« Dans ce cas, j’annonce le concours d’art de Drosera, ouvert ! »

Les plus jeunes, dont Mwayer, se précipitèrent sur les premières toiles à disposition et sur le matériel dont il avait besoin. Derrière, les artistes expérimentés prenaient le temps de tout examiner. Matière de la toile, taille exacte, poids, nature de la peinture, etc. Le jeune peintre ne prit pas ce temps là et prit le premier bout de toile qu’il y avait devant lui avant de se poser dans un coin de la place, seul. A ce moment-là, il prit une grande inspiration, regarda autour de lui et sélectionna non pas de la peinture, mais toute une série de pigments de différentes couleurs qu’il aligna avec soin, certains étaient extraits des plantes, d’autres étaient extraits de pierres ou de terre. Une fois qu’ils furent tous alignés, il prit son pinceau et s’ouvrit la main d’un geste sec avec le manche. Quelques personnes, essentiellement des adultes paraissaient stupéfaites, mais ils ne savaient pas que Mwayer était plus vieux que certains d’entre eux et cela n’importait plus. Avant que le sang ne touche le sol, Mwayer fit un geste de la main et il se stoppa net en l’air, laissant flotter un globe de liquide rubis qui n’attendait qu’à être utilisé. En se concentrant attentivement, l’Alfar le sépara en plusieurs globes qui avaient tous des tailles différentes et il y mêla le pigment, qui était sous forme de poudre. Le sang se teint afin de devenir bleu, vert, noir, seul quelques gouttes restèrent couleur sang. Il était prêt pour la première toile.