Mon regard était focalisé sur le plafond de cette chambre trop sombre. Mon corps était étendu sur un lit trop mou, celui même que nous avions partagé Léto et moi, celui même qui avait était le berceau d’amour de notre idylle. Il y avait en ces draps une odeur bien trop présente, il y avait dans cette pièce une présence démesurément absente. Le temps restait en suspens, comme si plus rien n’avait d’importance aujourd’hui. Il existait une époque où tout aurait été possible, avant la bête, avant Kohei, avant tout ce qui a percuté ma vie sans demander la permission de tout bousculer. Plus rien n’avait de senteur si ce n’était son parfum, plus n’avait de goût si ce n’était sa peau, même les sons les plus infimes m’étaient insupportable, je n’en désirais qu’un, sa voix, perdue aujourd’hui et pour un temps qui me semblait excessivement long. Si l’absence n’avait jamais été un réel problème lorsque j’étais certain de posséder, ne serait-ce qu’une infime partie d’elle, tout était différent maintenant.  Je sentais glisser entre mes doigts les épisodes de notre vie commune, tombés sans que je ne puisse rien récupérer, balayés par un vent si puissant qu’il me rapprochait d’un gouffre béant. Mais tout ça n’avait pas la moindre importance. Rien n’avait d’importance. Aglakh était fin prêt à prendre une place qu’il pensait lui revenir de droit. La haine, la rage, cette appétence compulsive pour le sang, nous étions fin prêts à nous y adonner jusqu’à ce que l’on nous arrête.

La porte s’ouvrit sur une femme aux cheveux blonds. Mes yeux se fermèrent au moment même où les siens croisèrent les miens. Elle n’avait pas son regard, pas cette naïveté dans la voix, elle avait ce grain de beauté qui ne correspondait pas à Léto.  Mon sang bouillonnait à son souffle sur ma peau, ma respiration se faisait de plus en plus difficile au fur et à mesure qu’Aglakh prenait place. Je le sentais s’immiscer, faisant battre mes tempes et mes muscles se crispèrent à en serrer les draps. Quelques secondes passèrent avant que la tension ne redescende, et que mon regard prennent la parure du Serpent.  Sombre et froid. Ma main glissa contre la joue de cette femme, feintant le baiser avant de planter mes dents dans la chair tendre de sa joue. Le grain de beauté fut arraché d’un coup sec, dévoilant sa mâchoire et ses dents. Si un cri voulut sortir d’entre le reste de ses lèvres, elle n’en fit rien, le murmure du Serpent lui ayant interdit. Inerte, son regard se perdit sur ce plafond de cette chambre trop sombre. Son corps était à son tour étendu sur ce lit trop mou, celui même qui deviendra  sa tombe, dorénavant le berceau du sang et de la mort. Il y avait sur le drap une odeur de fer bien trop présente, il y avait dans cette pièce une présence démesurément de trop.  Mon corps n’attendit pas pour se poser sur elle, la butiner avant de la déchirer, lui enlever cette enveloppe qui ne me convenait pas. Ses épaules, ses bras, ses hanches, cette peau lui fut arrachée sans une once d’émotions. Lentement, sans laisser le plaisir s’évaporer dans une sauvagerie qui n’aurait duré qu’un bref instant. De profondes morsures et déchirures parsemaient son corps, ce qui n’eut pour conséquence que de faire sourire le Monstre, avant de se réinstaller au creux de son corps. Il y avait, dans cette danse macabre, un plaisir infini à y voir la souffrance, mais également cette possession abusive de cette femme, celle qui n’avait pas réussi à nous satisfaire. Une de mes mains cabra ce corps à moitié vidé de sa vie, passant mes lèvres sur cette bouche dorénavant détachée. Ma joue glissa que cette joue inexistante, passant sur le sillon de son cou d’où j’y déposai un baiser avant de lui ôter la vie dans une énième morsure. La fusion de l’homme et la bête était totale. Si tout son corps voulait être dévoré afin de posséder tout ce qu’elle aurait pu nous donner, il y avait également cet homme qui ne souhaitait pas complètement perdre de sa civilité, et pourtant… je n’avais plus de limite à donner à Aglakh, non pas que je n’en avais pas la force, mais plutôt que je n'en voyais plus le but. Je reprendrai le contrôle de ce corps lorsque le temps sera venu, mais pour l’heure : le regard du Serpent se perdait sur ce plafond divinement sombre. Allongé sur un lit parfaitement moelleux, à côté d’un cadavre absolument séduisant. Il y avait en ces draps une odeur assurément alléchante, il y avait dans cette pièce une harmonie incommensurablement certaine.